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Eglise du Saint-Sacrement à Liège - Page 46

  • Synode sur la famille : ce que dit le rapport final sur les thèmes médiatisés et les autres

     

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    Antoine Pasquier et Jean-Marie Dumont exposent cette excellente synthèse sur le site web de « Famille chrétienne »  :

    « EXCLUSIF MAGAZINE - Réaffirmant la doctrine sur l’indissolubilité du mariage, le rapport final publié le 24 octobre ouvre aussi certaines pistes «pastorales» pour aider et soutenir les familles.

    Concluant samedi 24 octobre le Synode sur la famille, le pape François s’est livré à un tout premier bilan. Avec prudence, car comment évoquer en quelques mots ces trois semaines qui ont réuni, au Vatican, 270 responsables de l’Église venus des quatre coins du monde, ces 328 interventions en congrégations générales (54 heures…), ces 39 rapports de groupes de travail (36 heures de travaux) ? Ce Synode, déclare entre autres le pape, a « incité tout le monde à comprendre l’importance de l’institution de la famille et du mariage entre un homme et une femme, fondée sur l’unité et l’indissolubilité, et à l’apprécier comme base fondamentale de la société et de la vie humaine ». Une clé de lecture qui, si elle semble assez éloignée de la version médiatique du Synode (pour mémoire, 80% des journalistes accrédités venaient d’Europe), fait écho pour une large part au rapport final, remis au pape par les Pères synodaux au terme de leurs travaux.

    Renouveler la préparation au mariage

    Le travail des groupes linguistiques qui se sont réunis chaque semaine au Synode a porté ses fruits. Comme un grand nombre d’entre eux le proposait, le rapport final remis au pape le 24 octobre a repris à son compte les trois étapes déjà indiquées en 1984 par l’exhortation apostolique Familiaris Consortio de Jean-Paul II concernant la préparation au mariage : lointaine, « avec la transmission de la foi et des valeurs chrétiennes au sein de la famille», prochaine qui « coïncide avec les itinéraires de la catéchèse » et enfin immédiate, dans les mois qui précèdent le mariage. Pour cette dernière, le document insiste en faveur d’une amélioration de la catéchèse – « parfois pauvre en contenu » – enseignée aux fiancés et sur « la nécessité d’un élargissement des sujets dans les itinéraires de formation avant le mariage, afin qu’ils deviennent les chemins de l’éducation à la foi et à l’amour ».

    Les Pères synodaux ont aussi fait leur la proposition d’un cercle mineur anglophone, dont le rapporteur était l’américain Mgr Chaput, jugeant indispensable de « rappeler l’importance des vertus, comme la chasteté, comme condition inestimable de la croissance réelle de l’amour entre les personnes ».

    Dans cet accompagnement au mariage, mais aussi dans les premières années de la vie conjugale, les couples mariés doivent jouer un rôle central dans l’accompagnement, car « l’utilisation pastorale de relations personnelles encourage l’ouverture progressive des esprits et des cœurs à la plénitude du plan de Dieu». Pour les Pères du Synode, l’accompagnement humain et spirituel des fiancés ne s’arrête pas le jour des noces, mais se prolonge après la cérémonie. Cette dernière étant aussi un lieu indiqué « pour annoncer l’Évangile du Christ » à des personnes qui participent peu à la vie ecclésiale ou appartiennent à d’autres confessions.

    Mieux accompagner les jeunes familles

    Le sacrement du mariage n’est pas l’aboutissement, mais le commencement de la vie d’un couple. Mais qu’existe-t-il pour les accompagner une fois la préparation au mariage achevée ? Pas grand-chose, constatent les Pères du Synode, qui entendent combler cette lacune. L’Église locale, et donc la paroisse, doit «initier et coordonner une pastorale des jeunes familles ».

    Des couples expérimentés pourraient ainsi prendre sous leurs ailes des plus jeunes, avec la contribution possible d’associations, de mouvements ecclésiaux et de communautés nouvelles. « La consolidation du réseau de relations entre les couples et la création de liens significatifs sont nécessaires à la maturation de la vie chrétienne de la famille.» Ces jeunes familles sont exhortées à ne pas se renfermer sur elles-mêmes, mais à se réunir « régulièrement avec d’autres couples pour favoriser la croissance de la vie spirituelle et de la solidarité dans les besoins concrets de la vie ». Elles sont aussi appelées à cultiver leur vie spirituelle par la prière, la participation à la messe dominicale et la lectio divina.

    Une annonce plus fidèle de la doctrine de l’Église

    Conformément au désir exprimé au cours de ces trois semaines de travaux, le rapport final fait largement référence au magistère de l’Église sur le mariage et la famille. Un chapitre entier est consacré aux textes les plus récents, d’Humanae Vitae à Familiaris Consortio. Le rapport invite ainsi l’Église à «redécouvrir» ces textes, souvent tenus à distance voire directement critiqués par certaines parties de l’Église.

    Dans cet effort de formation fondamentale, le rapport accorde une place spécifique aux prêtres : les séminaires « doivent préparer les futurs prêtres à devenir des apôtres de la famille ». Le rôle des écoles catholiques, « soutien des parents dans l’éducation de leurs enfants », fait également l’objet d’un développement : « L’éducation catholique aide la famille, assure une bonne préparation, éduque à la vertu et aux valeurs, instruit aux enseignements de l’Église, […] aide les élèves à devenir des adultes mûrs, capables de voir le monde à travers le regard d’amour de Jésus, comprenant la vie comme un appel à servir Dieu ».

    La vie: une bénédiction

    De nombreux passages du rapport final concernent aussi la transmission de la vie, les enfants, et les familles nombreuses. Celles-ci sont « une bénédiction pour la communauté chrétienne et pour la société ». Rappelant le «lien intrinsèque » entre amour conjugal et procréation, les Pères synodaux voient dans les enfants «le fruit le plus précieux» de l’amour conjugal, qui «transcendent ceux qui l’ont généré ».

    L’Église, déclarent-ils, « rejette de toutes ses forces les interventions coercitives de l’État en faveur de la contraception, de la stérilisation ou même de l’avortement». Les États sont appelés à « promouvoir des politiques familiales qui soutiennent et encouragent les familles, en premier lieu celles qui sont le plus démunies », de même que « les jeunes » qui « ont le projet de fonder une famille».

    Dans un passage consacré à «la femme », le rapport dénonce le fait que « dans de nombreux contextes », « le don même de la maternité est pénalisé au lieu d’être valorisé ». Ailleurs est évoquée la « révolution biotechnologique dans le champ de la procréation humaine », qui « a introduit la possibilité de manipuler l’acte génératif, en le rendant indépendant de la relation sexuelle entre un homme et une femme », rendant « la vie humaine […] largement sujette aux désirs d’individus ou de couples ».

    Divorcés remariés: un texte en retrait

    Le rapport final ouvre-t-il l’accès de la communion aux fidèles divorcés remariés ? À la lecture des articles 84 à 86 ayant trait à ce sujet, les avis et les interprétations divergent. Pourtant, les choses semblent relativement claires. Dans le premier article, le Synode invite, comme l’avait déjà fait Familiaris Consortio en 1981, à mieux accueillir les personnes divorcées remariées au sein de la communauté. Principale nouveauté, il propose de lever certaines interdictions qui frappent ces personnes dans le service «liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel». Souvent citée dans les groupes linguistiques, Familiaris Consortio est réaffirmée, dans l’article 85, comme document de référence pour évaluer les différentes situations des personnes divorcées remariées.

    Autre nouveauté introduite dans ce texte qui apparaît comme en retrait par rapport aux propositions du cardinal Kasper, les Pères synodaux estiment qu’il est « du devoir des prêtres d’accompagner les personnes concernées sur la voie du discernement suivant l’enseignement de l’Église et les orientations de l’évêque ». Dans cet accompagnement, « il sera utile de faire un examen de conscience». Le but de cette démarche est «d’orienter les fidèles à prendre conscience de leur situation devant Dieu », à « former un jugement cohérent sur ce qui constitue un obstacle à la possibilité d’une participation plus pleine à la vie de l’Église et sur les pas à réaliser pour la favoriser et la faire grandir». À part les ouvertures éventuelles de certains « services d’Église » (lecture, catéchisme…) et l’accompagnement plus proche par les pasteurs, il semble que le rapport ne contienne pas d’autre proposition que celles déjà présentes dans l’exhortation apostolique Familiaris Consortio.

    Les Pères synodaux fidèles au Magistère semblent donc avoir réussi à déjouer les pronostics qui prédisaient un changement notable de la doctrine ou de la discipline de l’Église. Les cardinaux et évêques africains – échaudés par la première phase du Synode en octobre 2014 où ils avaient été mis sur la touche – ont parlé cette fois-ci d’un seul bloc. Menés par les cardinaux Sarah et Napier (Afrique du Sud), ils ont pu compter sur une similitude de vues avec plusieurs Pères synodaux issus des États-Unis, d’Europe de l’Est ou encore d’Australie en la personne du cardinal Pell, membre influent du conseil des neuf cardinaux du pape. Preuve de cette influence grandissante, les Pères synodaux ont élu plusieurs figures de ce courant (Sarah, Napier, Pell, Chaput, Ouellet, Lebouakehan) au sein du conseil des « douze » qui se joindra à la Secrétairerie du Synode jusqu’à la prochaine session ordinaire.

    Et après?

    En remettant leur rapport final au pape, les Pères du Synode ont insisté pour préciser qu’il s’agissait de leurs réflexions, issues de trois semaines de travail intensives, et « non d’un texte ayant valeur législative », a commenté Mgr Gérald Cyprien Lacroix, archevêque de Québec. Que va en faire le pape ? Pour l’heure, rien n’a encore filtré du Vatican.

    En principe, et selon le processus synodal, le Souverain Pontife devrait rédiger une lettre ou une exhortation apostolique, comme l’ont généralement fait ses prédécesseurs dans la foulée des précédents synodes. Les Pères synodaux l’ont d’ailleurs invité à aller dans ce sens : « Nous demandons humblement au Saint-Père d’envisager la possibilité de publier un document sur la famille, pour qu’en elle, Église domestique, brille toujours plus le Christ, lumière du monde ». 

    Ce qui pourrait faire polémique

    Comme l’an dernier, la Relatio finale du Synode sur la famille ne devrait pas manquer de susciter discussions et lectures critiques. Parmi les passages sur la sellette figureront à n’en pas douter les paragraphes 84, 85 et 86 (sur les divorcés remariés), adoptés à une très faible majorité par les Pères synodaux lors du vote final, samedi 24 octobre, article par article. Sans revenir sur les éléments présentés dans l’exhortation apostolique Familiaris consortio, ils contiennent néanmoins des formules floues, pouvant prêter à confusion ou facilement « détournables » par les médias. D’une manière plus générale, d’autres critiques pourraient concerner la tonalité du document, partagé entre désir d’affirmer clairement la doctrine de l’Église sur le mariage et la famille (ce qu’il fait), et attention à ne pas « choquer » ceux qui en sont loin. Sur certains points (comme les questions de société), on se demande ainsi pourquoi le rapport final n’est pas beaucoup plus offensif. Un vieux problème que, l’an dernier, le Synode avait tenté de résoudre en publiant deux documents : une « déclaration » au monde, et un document qui se voulait interne.

    Antoine Pasquier et Jean-Marie Dumont »

    Ref. Synode sur la famille : ce que dit le rapport final

     

  • Credo

    Témoignage de Monseigneur Léonard à Vezelay

     

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    Guides Scouts Eنrope @Scouts_Europe

    Extrait de l'enseignement de Monseigneur Léonard sur le Credo à Vézelay en 2014

    cliquez ici:

    https://soundcloud.com/guides-et-scouts-deurope/monseigneur-leonard-vezelay-2014 … pic.twitter.com/bqZaxGGpD8

     

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  • Liège : un nouveau cycle d’initiation au chant grégorien donné à l’église du Saint-Sacrement

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    Renseignements et inscriptions :

    ● S’adresser à Jean-Paul Schyns, Quai Churchill, 42/7 4020 Liège.

    Tél. 04.344.10.89 (en cas d’absence, tél portable 0498.33.46.94 de Ghislain Lahaye).

    E-mail : academiedechantgregorienliege@proximus.be

    ● Informations générales et inscriptions en ligne sur le site de l’académie :http://www.gregorien.com

     

  • Les enjeux du Synode sur la famille : éclairage de Mgr Anatrella

    Témoins:

    Sur zenit.org, Anita Bourdin recueille les propos de Mgr Anatrella* :

     

    Les enjeux anthropologiques du synode sur la famille

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    par Mgr Tony Anatrella

     

    Le Synode sur la famille alterne entre un travail en Assemblées générales régulières et en divers groupes linguistiques. Il s’agit d’une reprise de plusieurs thèmes déjà abordés lors de la session extraordinaire du Synode 2014. Quelle première analyse peut-on en faire ?

    « L’objectif est de parvenir à exposer ce que l’Église propose pour la réussite de la famille qui aujourd’hui est malmenée », explique Mgr Anatrella.

    Il avertit aussi que « les enjeux sont anthropologiques et ne peuvent pas être recouverts de bonnes pensées pastorales » et que « la question, ce n’est pas l’accueil et l’accompagnement, qui sont inconditionnels, mais l’idéologie dans laquelle on veut faire entrer toutes les situations ».

    Il rappelle que « ce n’est pas parce qu’un écart existe parfois entre l’enseignement du Magistère et les fidèles que l’enseignement est caduque ».

    Monseigneur Tony Anatrella, riche de son expérience clinique et de sa connaissance des sciences humaines, répond aux questions de Zenit pour analyser les enjeux.

    Voici le premier volet ce cet entretien. Nous publions le second demain, 13 octobre : Mgr Anatrella y évoque les divorcés-remariés, le motu proprio sur les causes de nullité, le rapport entre doctrine et pastorale, la crise de la foi.

    Notez-vous une différence entre ce synode « ordinaire » 2015 et le synode « extraordinaire » de 2014 ?

    Monseigneur Tony Anatrella - Tout d’abord l’ensemble des participants a été renouvelé, mises à part quelques exceptions comme la présence de certains présidents de Conférences épiscopales qui ont été élus par leurs pairs et des cardinaux de Curie. Ensuite la méthode puisque le travail en groupes linguistiques est plus important. La suppression du rapport intermédiaire qui, une fois remis aux journalistes, avait semé la confusion en 2014 ; d’autant plus qu’il contenait des formules qui n’avaient pas été exprimées par les Pères du Synode comme celles relatives à l’homosexualité et aux divorcés remariés. La deuxième mouture était plus proche de la réalité des débats même si des passages étaient encore ajoutés. C’est pourquoi une certaine méfiance s’est manifestée à l’égard du groupe actuel des rédacteurs. Les échanges en Assemblée générale et en groupes linguistiques reprennent de nombreux sujets qui avaient déjà été abordés l’an passé. Il y a une sorte de répétition et une impression de tourner en rond qui auraient pu être évitées. Mais c’est dans l’ordre des choses de revenir sur des questions récurrentes dans un groupe qui est nouvellement constitué. Enfin, comme lors de la première session, des discussions riches et variées alimentent les débats, avec parfois des hors-sujets comme la suggestion du diaconat ouvert aux femmes ou la possibilité pour des laïcs d’intervenir lors de l’homélie, ce qui n’est pas dans leur rôle de baptisés. 

    N’a-t-on pas tendance à réduire les débats du synode à l’image de l’opposition politique entre « droite » et  « gauche » ?

    Monseigneur Tony Anatrella - Le débat n’est pas entre droite et gauche, anciens et modernes, rigoristes et laxistes. Ces clichés ne disent rien sur la façon d’aborder la problématique contemporaine du couple et la famille, mais aussi de la sexualité conjugale et de la complexité qu’il peut y avoir pour certains de l’inscrire dans une dimension relationnelle là où les modèles sociaux incitent à s’exprimer de façon pulsionnelle. Il faudrait ajouter à ce constat, l’irruption dans l’univers familial de l’usage des écrans de toutes sortes qui tentent à modifier la relation à soi et aux autres. J’ai vu récemment dans un restaurant une famille avec deux adolescents. Les uns et les autres ont passé leur temps pendant le déjeuner à regarder leur tablette ou leur téléphone cellulaire sans se parler. Tel est l’univers dans lequel nous sommes.

    Malheureusement la façon dont certains médias présentent le travail synodal, même dans la presse chrétienne, en s’inspirant des catégories socio-politiques qui ne sont pas adaptées ici, fausse la compréhension du Synode sur la famille. Parler de progressistes et de conservateurs, de libéraux et d’angoissés, d’oppositions et de conflits, nous oblige à croire que nous sommes à l’Assemblée nationale alors qu’il ne s’agit pas de cela. Le Pape François l’a dit très clairement à l’adresse de tous et en direction des médias : nous ne sommes ni dans un parlement ni dans un parti politique. Bien entendu il y a des approches différentes selon les expériences pastorales des uns et des autres, de leurs motivations intellectuelles et de leur contexte culturel. Mais l’objectif est de parvenir à exposer ce que l’Église propose pour la réussite de la famille qui aujourd’hui est malmenée, abîmée et défigurée par des expériences malheureuses et surtout des lois civiles qui la déstructurent. Seule, l’Église semble avoir le sens de la famille à promouvoir à partir de l’engagement d’un homme et d’une femme dans le mariage qui est la preuve de leur authentique union. Bien des choses sont à rependre comme par exemple souligner que c’est leur lien conjugal qui fait la famille et non pas la venue des enfants qui eux naissent grâce à l’alliance de leurs parents. Il ne faut pas inverser les choses comme on le fait actuellement. La loi civile porte une lourde responsabilité en déplaçant et en dénaturant les réalités.

    Le Synode porte sur La vocation et la mission de la famille dans l’Église et dans le monde contemporain : quelles sont les questions les plus abordées ? 

    Monseigneur Tony Anatrella - Elles sont nombreuses. Les Pères du Synode ont évoqué à juste raison, la vision trop européenne de l’Instrumentum laboris des problèmes rencontrés par des familles. La question des divorcés remariés n’est pas la plus importante, et encore moins l’homosexualité. Par exemple pour les énumérer, le problème du déni de l’engagement dans le mariage de nombreux jeunes. Mais aussi des courants idéologiques qui rendent difficile la relation entre les hommes et les femmes. La dévalorisation du mariage favorisée par des lois civiles qui transforment le mariage en contrat de location à durée déterminée. Le Pape utilise la notion de « civilisation du jetable » pour souligner ce phénomène.

    En Afrique, en Amérique du Sud et en Asie, mais aussi en Occident, les questions les plus inquiétantes sont liées au concubinage adolescent qui se prolonge avant d’aboutir à des séparations. Une forme d’immaturité affective perdure sans que des personnes ne sachent pas faire couple et franchir les étapes de son évolution. La polygamie de fait ou indirecte à la suite de séparations multiples, les divorces des personnes mariées au bout de quelques années, les femmes abandonnées avec leurs enfants, des filles en Asie enlevées dans certains pays en direction de la Chine qui est en manque de femmes à cause d’une politique de l’enfant unique et surtout pas de filles qui sont avortées ou négligées lors de la naissance qui se paie aujourd’hui en termes de déficit du taux de natalité. Les violences conjugales et les maltraitances infligées aux femmes. Les agressions sexuelles de toutes sortes contre elles et contre des mineures. Les familles dispersées et parfois brisées par les guerres comme au Moyen-Orient. Un véritable drame humanitaire et un génocide des chrétiens, parmi d’autres personnes, est à l’œuvre dans ces pays. La véritable solution consiste à tout faire pour arrêter la guerre et ce massacre humain et culturel. Les familles sont également touchées par le chômage, la perte du sens de l’autorité à l’égard des enfants, le dialogue intergénérationnel et l’accompagnement des personnes âgées qui, dans certaines sociétés sont laissées à leur solitude. Enfin une autre question est souvent abordée est celle des effets des concepts du genre dans sa version Queer, celle qui nie la différence sexuelle au bénéfice d’une forme d’égalité entre tous les types de sexualité et qui est relayée par le mouvement LGBT. Un phénomène particulièrement grave puisqu’il prend des tournures politiques à travers des lois civiles pour imposer ce modèle à l’ensemble de la société à travers « le mariage pour tous » ou encore une visibilité plus importante de cette indifférenciation sexuelle. Ainsi des agences Onusiennes et des entreprises comme des banques (la BNP en France), des chaînes de télévision (TF1 en France) signent des partenariats avec le lobby LGBT pour assurer leur visibilité au nom de la « tolérance ». Ce sont des groupes minoritaires dominants qui prennent progressivement le pouvoir politique sur la société pour imposer un type de sexualité qui ne participe aucunement au sens du bien commun.

    Des questions redoutables : que peuvent dire et faire les évêques pour y répondre ?

    Monseigneur Tony Anatrella - Il faut s’armer d’intelligence et ne pas rester dans les bons sentiments et les beaux discours spirituels désincarnés qui coulent comme de l’eau sur de la paraffine. Certains disent ou conseillent aux Pères de changer le discours, de modifier le langage pour se montrer accueillant et compréhensif à l’égard du monde. Selon la mode actuelle, il faut « positiver » en fonction des principes de la méthode Coué et trouver des « mots nouveaux ». Il faut bien considérer que ce sont les problèmes du couple qui fragilisent la famille et la rendent incertaine, ce n’est pas l’inverse. Le diagnostic doit être ajusté pour réfléchir aux hésitations, aux incertitudes et au manque de confiance en soi qui se manifestent dans la crise existentielle contemporaine.

    Autrement dit, dans une sorte d’euphorie pour échapper aux malheurs du monde actuel, il faudrait nécessairement saisir les éléments positifs de toutes les situations problématiques quand, en plus, elles ne sont pas dramatiques. Il n’y a pas forcément à chercher des éléments positifs dans des situations qui ne le sont pas. Certains d’ailleurs se demandent comment ils peuvent s’en dégager. Il convient surtout d’accueillir et d’accompagner les personnes tout en évaluant leurs capacités à rebondir. Sinon le slogan actuel du « soyez positifs » est à l’image des textes des chansons populaires interprétés en France entre les deux grandes guerres qui se voulaient optimistes et drôles alors que les ingrédients des conflits se mettaient en place. Le seul qui fut lucide et clairvoyant avant la guerre de 1914, fut Benoît XV qui ne fut pas entendu ; pire même on le ridiculisa. Pourtant, il était parmi les seuls à avoir raison et à prévoir que le conflit engagé une première fois se répéterait par la suite. Il ne suffit donc pas de dire des évidences puisque le monde a changé, il faut trouver des mots nouveaux : ce nominalisme (cf. Guillaume d’Ockham : lorsque le mot construit uniquement ce que l’observateur constate et seul le particulier existe en s’inspirant principalement de l’individuel) remis au goût du jour, veut dire que, pour l’homme, il n’existe que ce qui se voit et peut ainsi nommer. Les Pères, à moins d’être aveugles, ne peuvent pas entrer dans ces perspectives alors que la conception actuelle et partielle de la sexualité, du couple et de la famille, basée sur la précarité du multi-partenariat successif, sur les concepts Queer du genre et ceux des orientations sexuelles, en modifient profondément l’organisation. Les enjeux sont anthropologiques et ne peuvent pas être recouverts de bonnes pensées pastorales. Des mouvements de laïcs au sein même de l’Église font un travail de réflexion considérable et ne sont pas toujours compris, entendus et accompagnés. Une jeune génération d’intellectuels se lève ainsi dans le monde et joue un rôle « d’éveilleurs » des consciences. Ils sont en train d’exercer un véritable « magistère » de référence pour de nombreux chrétiens dans la fidélité à l’enseignement de l’Église. Il serait dommage que les pasteurs les ignorent.

    On a vu apparaître ces dernières années des « mots nouveaux », entrés dans le langage courant : doit-on s’en inspirer ?

    Monseigneur Tony Anatrella - Certainement pas car accepter ce néo-langage est une façon de donner implicitement son adhésion aux idées dont il est porteur. Sans autre discernement, nous risquons d’entrer dans la problématique soutenue par certains sociologues, notamment en matière familiale, qui affirment que puisque telle ou telle situation existe, il convient de la désigner à travers un néo-langage et de la légitimer. Nous sommes toujours dans le « nominalisme » : seul le particulier (l’individuel) compte au détriment du général (bien commun). C’est dans ce sens, par certains aspects, que va également l’idéologie Care (soin de l’autre) aux États-Unis qui séduit quelques chrétiens qui y voient l’illustration de la parabole du bon samaritain (Luc 10, 25-37). Dans ce néo-langage, on parlera ainsi de la parentalité au lieu de la parenté, ce qui n’est la même chose, de famille recomposée alors que l’enfant n’a pas de multiples parents ou encore de famille homoparentale qui est une cellule enfermante sans altérité et de ce fait inféconde. Toutes ces cellules affectives ont parfois leur intérêt sentimental pour ceux qui la composent, mais sommes-nous vraiment dans le cadre de la famille ?

    On demande donc à l’Église de changer son approche et son discours pour se couler dans ce que l’on appelle, à tort, de nouveaux modèles familiaux. Ils ne sont que des conduites individuelles érigées en catégories de normes existentielles. Tel n’est pas le sens de la famille soutenu par l’Église, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’aura pas la préoccupation de ces diverses situations auprès desquelles de nombreux agents pastoraux travaillent. Les paroisses sont très impliquées dans l’accueil et le soutien à toutes ces personnes. La question ce n’est pas l’accueil et l’accompagnement qui sont inconditionnels, mais l’idéologie dans laquelle on veut faire entrer toutes ces situations. Il y a ainsi des idées qui rendent malades les personnes et affaiblissent le cadre porteur de la société. C’est pourquoi, je reprends la formule de Camus quand il dit : « Mal nommer les choses, ajoute aux malheurs du monde ».

    Certains commentateurs opposent Christ qui prêche « l’amour » et les règles ecclésiales qui seraient un « joug »? 

    Monseigneur Tony Anatrella - Elles sont pourtant libératrices puisqu’elles s’inspirent de l’Évangile. Dans notre monde narcissique, ces commentaires ignorent souvent que les paroles du Christ ne viennent pas conforter ce que chacun veut entendre à l’image de la complaisance politique. Elles nous disent Dieu et de ce fait nous interrogent à travers nos modes de vie qui nous permettent ou pas de le rejoindre.

    Vous croyez que le Christ a parlé et agi sans nommer les choses ? Quand on lit et que l’on médite l’Évangile, les paroles du Christ vont droit au but et sont souvent source de conflits. Le Christ et ses contemporains, l’Église et la société sont et seront toujours dans une sorte de combat spirituel à l’image de la lutte de Jacob avec l’ange (Genèse 32). L’évangile selon saint Jean est typique de ce constat. Il faut que l’Église soit elle-même et dise ce qu’elle a à dire sans se calquer sur les réflexes mondains et politiques actuels. Cette recherche d’un « nouveau » langage est un faux problème. Elle est simplement l’expression d’un manque de réflexion philosophique et d’une carence de connaissances en anthropologie psychologique. Jusqu’à présent la théologie était basée sur la rationalité philosophique, mais depuis que l’on s’inspire, entre autres, de concepts flous d’une philosophie de la relation à l’autre et d’une spiritualité qui ne s’enracine pas assez dans l’incarnation de humain, elle risque d’être, dans certains cas, un passe-partout pour toutes les situations et faite d’exhortations généreuses qui devraient flatter le désir humain. Il n’est pas étonnant que bon nombre de personnes (clercs et laïcs) manquent de bases rationnelles pour affronter tous ces défis intellectuels. Ce n’est donc pas le moment d’abandonner nos études et nos livres pour les bons sentiments ! À moins que l’on veuille rester dans l’émotion et dans le besoin de reconnaissance qui fait que, sans le réaliser, on perd la distance en privilégiant une relation pastorale fusionnelle et une morale de situation. Faut-il donner raison au père du mensonge qui est d’autant plus présent que la grâce surabonde lors d’un Synode ?

    N’oublions pas que ce sont les idées qui, entre autres, mènent le monde. Or depuis quelques années, il faut bien le reconnaître, nombre de clercs et d’agents pastoraux (certes pas tous) ont déserté les fonctions de l’intelligence en matière d’évangélisation. Il existe un anti-intellectualisme qui est dangereux pour la réflexion et la conscience chrétienne qui sont fondés sur l’étude et l’adhésion à la parole de Dieu pour vivre de la foi au Christ. Il suffit d’observer ce qui a été parfois enseigné sur les questions familiales ces dernières années au catéchisme aux enfants et le contenu des enseignements donnés aux chrétiens de base, pour en constater le résultat : un relatif effondrement de la réflexion et de la pensée chrétienne. Il n’est pas étonnant d’avoir assisté à la fermeture de maisons d’éditions et des librairies de livres religieux, et de voir dans quel état sont celles qui tentent actuellement de résister.

    La formation intellectuelle des catholiques est une vraie question ?

    Monseigneur Tony Anatrella - Sans aucun doute. Déjà de nombreuses initiatives sont prises à ce sujet dans plusieurs diocèses. La dernière Rencontre mondiale des familles à Philadelphie comme les JMJ à Rio de Janeiro (2013) avec le Pape François ont été marquées par de très nombreux enseignements qui enthousiasment les participants, et en particulier les jeunes. En France, le mouvement Even basé sur des enseignements à partir de la parole de Dieu pour les 18-30 remporte un beau succès.

    Autrement dit, face à toutes ces questions que soulèvent les Pères du Synode et qui impliquent des enjeux décisifs, on ne peut pas se contenter d’accompagner en faisant de beaux sourires pastoraux : il faut disposer des outils intellectuels pour les affronter sérieusement. Les questions sont aussi graves que pouvait l’être l’arianisme (325-502) qui a changé la représentation de Dieu et de l’homme pendant des siècles laissant Rome seule et recluse jusqu’à Clovis. Des idéologies sont encore présentes avec le marxisme qui asservit les esprits et le libéralisme qui se veut sans normes, lamine tout. Elles font de l’homme pour l’une une production sociale, et pour l’autre un pion ou un consommateur. Il n’a pas d’autonomie propre et d’intériorité psychique, si ce n’est de l’abandonner à l’individualisme. Celui-ci est d’ailleurs une sorte de massification des personnes qui leur fait croire qu’elles sont libres alors qu’elles sont conditionnées par les messages médiatiques et déterminées par des idéologies libertaires. Dans ce contexte d’extra-détermination qui est vraiment autonome ? Des idées qui pèsent sur le sens de la famille ainsi maltraitée.

    L’Église doit avoir un rôle prophétique sur le sens de la famille ? 

    Monseigneur Tony Anatrella - Très certainement et c’est sans doute pour cela que certains Pères ont dit qu’il était temps d’aborder les vrais problèmes de la famille plutôt que d’en rester aux injonctions médiatiques sur les divorcés-remariés et l’homosexualité. Le Pape saint Jean-Paul II avait déjà donné une forte impulsion avec son exhortation apostoliqueFamiliaris Consortio (1981). Elle est toujours d’une grande actualité puisque le même constat avait été fait à l’époque et des indications pastorales avaient été données. Elles sont également très pertinentes pour agir. Les problèmes se sont amplifiés, mais nous sommes dans la même logique. Néanmoins qui a vraiment agi dans ce sens ? Il serait intéressant d’en exploiter les ressources. À n’en pas douter, le Pape François veut relancer cette dynamique en rouvrant tous les dossiers pour continuer le travail.

    De la même façon, le Synode de 2014 avait insisté pour que soit davantage étudiée l’encyclique de Paul VI Humanae Vitae (1968) qui montre que la fécondité est au cœur de la vie conjugale et que la limitation des naissances est tout à fait légitime, mais pas n’importe comment. Il en va du respect de la dignité de notre humanité et encore davantage quand on crée des exceptions. Dans le temps, elles deviennent force de loi et entrainent une escalade : nous sommes passés de la négation de la conception des enfants à la négation de leur existence avec l’avortement. Il serait même un droit, un droit à nier le sens de l’autre que représente, entre autres, le petit d’homme. C’est pourquoi, les couples ne peuvent pas être simplement renvoyés à leur conscience personnelle indépendamment d’une norme objective en faisant confiance à leur propre discernement. Ce n’est pas parce qu’un écart existe parfois entre l’enseignement du Magistère et les fidèles que l’enseignement est caduque. L’apparition, comme on dit, de nouveaux modes de vie ne justifie en rien de les reconnaître et de leur conférer une valeur morale. Ce n’est pas en disant : « vous pouvez utiliser toutes les méthodes selon votre choix à condition de redoubler d’amour entre vous » que le problème est résolu ; il est plutôt escamoté.

    Dans bien des cas, la sur-présence des sciences humaines dans la théologie morale, ne sert ni la psychologie, ni le discernement moral. Le seul critère à retenir serait l’intention du sujet désirant. S’il est pertinent en matière d’investigation psychologique tel que le praticien l’exerce dans la psychothérapie et dans la cure psychanalytique alors qu’il n’a pas à formuler une expertise morale, ni à être normatif, il est insuffisant en matière de théologie morale même s’il représente l’un des paramètres du discernement moral. L’usage de la technologie contraceptive pose objectivement un problème moral et, en plus, elle n’est pas sans conséquence sur le sens de la sexualité et de la génération, et sur la multiplication de certaines pathologies comme on s’obstine à ne pas envisager le rapport de cause à effet dans les cas, entre autres, d’infertilité masculine ou féminine.

    Qu’est-ce que le synode peut faire ou dire pour les catholiques mariés à l’église puis divorcés et remariés ?

    Monseigneur Tony Anatrella - De nombreuses réflexions ont été faites à ce sujet en sachant que ce n’est pas un Synode sur les divorcés-remariés mais sur la famille. De plus le Synode est purement consultatif, il ne décide de rien. Donc tous les énervements médiatiques et les interprétations des journalistes laissent espérer des décisions impossibles. J’ai entendu sur une radio en France un personnage qui se présente comme historien des religieux qui faute de savoir, invente ou crée de faux événements. Il a laissé entendre que sans doute une frange du Synode proposerait une bénédiction pour des « mariages » entre personnes de même sexe, ce qui est impensable. Et qu’une proportion importante de Pères facilitera la communion des divorcés-remariés, ce qui est inconcevable en ces termes. Le Pape l’a dit et répété, nous avons tort de nous focaliser sur ce point, certes préoccupant, mais on ne peut pas réduire la pastorale familiale à ce seul aspect. Pourquoi ? D’abord parce que la plupart des personnes qui sont dans ce cas et qui sont enracinées dans la foi au Christ au sein de son Église, ne demandent rien et vivent humblement. Ce ne sont pas les plus revendicatifs. Ils reconnaissent la situation dans laquelle ils sont et l’assument chrétiennement en donnant un témoignage remarquable à leur entourage et à leurs enfants. De nombreux prêtres soulignent qu’ils sont rarement confrontés à ce type de demande.

    D’autre part, il y a des discours très généreux au sujet des divorcés-remariés qui les déshonorent. Certains le disent à l’occasion de ce Synode. Ils font remarquer que ce n’est pas la discipline de l’Église à leur égard qui les blesse, mais les propos mettant en doute leur capacité et leur volonté à suivre l’enseignement de l’Église qu’ils comprennent et veulent fidèlement vivre. Ils ont toujours voulu enseigner à leurs enfants l’indissolubilité du mariage comme un repère structurant pour leur montrer la beauté et la force de cet engagement. Certains mêmes n’ont pas voulu se « remarier » pour rester dans cette cohérence. En sachant que le grand public oublie que les divorcés remariés ne sont pas exclus de l’Église et ce n’est pas le divorce qui éloigne des sacrements mais le remariage puisque, Dieu étant lui-même engagé, le sacrement est unique et indissoluble. Sauf à démontrer la nullité du mariage. 

    C’est le sens du dernier Motu Proprio du Pape François (8 septembre 2015) ?

    Monseigneur Tony Anatrella - Oui, en effet. Le Pape François a ouvert une voie possible de solution à travers le Motu Proprio Mitis et misericors Iesus, concernant la réforme du procès canonique pour les causes de déclaration de nullité du mariage. Dans ce document, il instaure une simplification des procédures canoniques.

    Le Pape laisse ainsi entendre qu’il faut trouver des mesures pastorales en cohérence avec la doctrine du mariage. La question des divorcés-remariés peut-être traitée avec les moyens de l’Église sans chercher à copier des pratiques qui sont liées à des conditions historiques et contestées en leur temps. Notamment certains imaginent des parcours pénitentiels pour que soient réintroduits dans l’Église des couples infidèles ou irréguliers ; voire même un ordre des pénitents. Le problème me semble ici mal posé car tous ne sont pas infidèles et ne sont pas nécessairement en faute quand, par exemple, pour des raisons psychologiques la relation conjugale a eu du mal à se constituer. Nous sommes ici devant un effet de structure et non pas dans le domaine de la transgression. D’autre part, des femmes abandonnées par leur époux adultère ne veulent pas entendre parler de parcours pénitentiel et encore moins de reconnaissance de nullité, donnant ainsi un blanc-seing à celui qui les a trompées. Tout n’est pas aussi simple ! C’est pourquoi le Pape François, à la demande des Pères du Synode de 2014, a voulu des démarches simplifiées pour rendre justice au cas par cas de situations délicates en évitant de prendre des décisions générales et universelles, au risque de créer encore davantage de confusions.

    Les catholiques qui sont dans cette situation peuvent toujours se rapprocher de l’Officialité de leur diocèse pour entamer des démarches. Il faut avoir bien présent à l’esprit que l’éventuelle décision du tribunal ecclésiastique pouvant déclarer la nullité d’un mariage porte essentiellement sur la valeur juridique de l’engagement et non pas sur tous les actes de la vie conjugale, comme ceux qui ont donné naissance aux enfants. La filiation n’est pas déclarée nulle comme le redoutent certains. D’autre part, il faut aussi comprendre que l’échec matrimonial n’est pas davantage un signe de nullité de mariage. Les situations doivent être examinées en toute vérité, justice et charité. Un travail qui demande du temps pour faire « la vérité ». D’où l’importance, comme le prévoyait jusqu’à présent le Code de droit canonique d’une procédure en 1ère et en 2ème instance et d’une réflexion collégiale qui impliquent des juges, des procureurs, des avocats et des experts. Procédure qui est réduite dans le Motu Proprio mais dont le recours en appel reste possible dans certains cas afin de faire la vérité pour rendre la justice.

    Ce document pontifical doit être manié avec beaucoup de prudence et de discernement. Sinon, avec le temps la jurisprudence risque de créer un « divorce catholique ». Ou encore se banaliser comme c’est parfois le cas avec les demandes de disparité de culte où le cachet « bon pour accord » est plus ou moins systématiquement apposé sans autre forme de réflexion et de discernement. Une attitude d’autant plus regrettable quand on constate que les engagements pris ne sont pas toujours tenus. Bien entendu, il convient de nuancer ce point par le fait que dans certains cas qui restent néanmoins limités, la « nullité » semble évidente et peut se régler rapidement. Reste à évaluer un mariage religieux contracté alors que l’un et l’autre des fiancés ou un seul, ne se sont pas engagés au titre de la foi. Comment l’évaluer ? Autant de questions bien délicates … qui exigent une approche fine. Enfin, la question est de savoir s’il faut réduire les procédures (dans certains cas, pourquoi pas ?) ou/et avoir davantage de personnel formé dans les sciences canoniques … alors que celui-ci fait défaut ?

    Comment le Synode peut-il n’être que pastoral sans toucher à la doctrine en matière matrimoniale ?

    Monseigneur Tony Anatrella - Il n’est pas possible de séparer la doctrine de la pastorale. Si on les dissociait, la pastorale ne serait qu’une tentative plus ou moins bancale de s’adapter aux personnes ou de rendre le discours acceptable. Je l’ai souvent évoqué depuis trois ans à l’occasion de la préparation et de la réalisation du Synode sur la famille, l’un implique l’autre. Toutes décisions et toutes pratiques pastorales résultent de ce que nous dit la doctrine enrichie par l’expérience pastorale qui permet de mieux comprendre et de vivre l’enseignement de l’Église. Le Pape François l’a rappelé le mardi 6 octobre : la doctrine de l’indissolubilité du mariage ne sera pas remise en question. Ce qui veut dire que les attitudes pastorales seront adoptées dans la logique de l’indissolubilité. Sinon, il y aurait le risque de la miner de l’intérieur. Ce fut le cas lorsque les sociétés civiles décidèrent d’introduire le « divorce par consentement mutuel » en affirmant que cela ne remettait pas en question le mariage. Le temps a montré l’inauthenticité de cet adage qui fut répété également avec l’instauration du « Pacs » en disant que l’on ne touchait pas au mariage. Dix ans après le « mariage » entre personnes de même sexe a été imposé de façon violente et transgressive aux sociétés. En conséquence de quoi, le mariage est socialement dévalorisé et fait peur à des jeunes. C’est pourquoi sans doute, pour certains qui se marient, il leur faut organiser une fête grandiose – à l’image du mariage du siècle – pour conjurer le peu de soutien dans la loi de l’état matrimonial réduit à un contrat transitoire. Quand on modifie le droit pour faire des exceptions, le risque encouru est de déstabiliser l’ensemble de l’édifice à long terme. C’est pourquoi, il est important de considérer que toute décision de justice de la part de l’Église reste toujours dans la cohérence de l’indissolubilité.

    Autrement dit, tout changement dans la pratique pastorale peut atteindre et changer la doctrine. N’importe quoi, par exemple, ne peut se décider sous le couvert de la « tolérance » du moindre mal, de « l’accueil » pour en rester au « récit de vie » de chacun, où encore de la « compassion » pour éviter « d’exclure » et de confronter à des interrogations majeures. Nous avons eu ces dernières années trop tendance à laisser couler les choses pastoralement pour éviter de faire des vagues. De ce fait, d’année en année les choses deviennent difficiles parce qu’elles n’ont pas été traitées en leur temps et que certains en restent aux représentations des années 1970 pour privilégier une sorte de tolérance face à ces situations de fait et comme si le péché n’existait plus. Un des Pères du Synode en la personne du Cardinal Rylko a dit : « L’Église devrait être comme un hôpital de campagne, mais il n’y en a pas beaucoup dans cette situation qui veulent être obligés d’aller à l’hôpital. S. Augustin demande à ceux qui veulent de l’aide mais ne veulent pas se convertir : « Pourquoi nous cherchez-vous ? » C’est ainsi que se comportent certains baptisés qui sont en situation irrégulière, mais ne veulent pas recevoir le sacrement de la pénitence. Ainsi, nous avons non seulement une crise du mariage et de la famille, mais aussi une crise de la foi. » Certains évêques allemands, autrichiens et suisses devraient davantage s’interroger sur leur volonté de libéraliser les sacrements à l’égard des divorcés-remariés se basant sur des arguments mondains qui font fi de la structure du sacrement de mariage. Les chrétiens divorcés-remariés méritent sans doute mieux pour être accompagnés dans la vérité et la charité 

    La crise actuelle du mariage et de la famille est en rapport avec un manque de foi ? 

    Monseigneur Tony Anatrella - C’est le constat récurent, parmi d’autres, que l’on peut faire. Nous avons noté les maux divers qui touchent la famille. Le rôle de l’Église est d’accompagner les personnes en difficultés et en attente de perspectives sur le sens du mariage … du moins si elles le veulent. Mais le rôle de l’Église est aussi de promouvoir pastoralement et politiquement la famille constituée par un homme et une femme engagés dans le mariage. Ils témoignent ainsi de leur espérance et de leur volonté d’inscrire leurs enfants dans une histoire et dans la succession des générations. Si la famille ainsi fondée n’est pas toujours un long fleuve tranquille, elle reste néanmoins le cadre dans lequel les adultes et les enfants peuvent se réaliser. Les aînés donnent ainsi le témoignage que malgré toutes les épreuves de l’existence, les conflits relationnels et les incompréhensions, l’engagement matrimonial demeure la référence à partir duquel toutes les difficultés se pensent et toutes les aspirations se traitent. Elle est le lieu par excellence où se vit et se transmet la foi chrétienne. Dans le meilleur des cas, elle est un espace ouvert qui accueille et reçoit les gens les plus divers et aux options parfois les plus contrastées.

    L’Église a donc à encourager tous ceux qui ne s’arrêtent pas aux problèmes mais les dépassent afin de correspondre à la beauté que représente la famille. Dans une perspective chrétienne, la famille est une création de Dieu lorsqu’Il créa l’homme et la femme. Elle appartient comme un bien propre à l’humanité non-négociable en prenant des formes culturelles différentes mais toujours autour de l’homme et de la femme. Le mariage en est le fondement. Celui-ci et la famille ne sont pas à la libre disposition du pouvoir politique : ils le précédent. Dans la Bible, les relations qui veulent s’approcher de la famille sont souvent voisines de certaines situations que nous connaissons encore aujourd’hui. Rien de nouveau sous le soleil ! Mais nous assistons tout au long de cette histoire biblique qui culmine dans l’alliance nouvelle avec le Christ, à un affinage progressif de l’image de la famille. Et en ce sens, il est injuste, voire démagogique, de dire qu’il n’y a pas un modèle de la famille pour l’Église, même si elle s’adresse à toutes les formes de cellules affectives qui existent. C’est toujours dans l’intention de montrer les ressources et les richesses qui font exister une famille. C’est sur cette espérance que le Synode travaille en ayant pour modèle le Christ miséricordieux à travers la parabole du fils « prodigue » (Luc 15, 1-32).

    * Monseigneur Tony Anatrella, est psychanalyste et spécialiste en psychiatrie sociale, Consulteur du Conseil Pontifical pour la Famille et du Conseil Pontifical pour la Santé. Il est enseignant à Paris et expert auprès des Officialités en France. Il est l’auteur, pour le thème de cette interview, des livres : Le règne de Narcisse – le déni de la différence sexuelle – Éditions Presses de la Renaissance et Mariage en tous genres, Éditions l’Échelle de Jacob. Il vient de publier : Développer la vie communautaire dans l’Église, l’exemple des Communautés nouvelles, Éditions l’Échelle de Jacob. Et a participé à l’ouvrage collectif : La famille : enjeux pour l’Église, aux Éditions Lethielleux.

  • Magazine "Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle": n° 96, automne 2015

    verité et espérance n° 96374.jpg

    Le magazine trimestriel « Vérité & Espérance – Pâque Nouvelle » édité par l’association « Sursum Corda » (responsable de l'église du Saint-Sacrement à Liège) sort sa livraison d’automne. Tiré à 4.000 exemplaires, ce magazine abondamment illustré parcourt pour vous l’actualité religieuse et vous livre quelques sujets de méditation (les titres en bleu sont disponibles en ligne sur le blog de l’église du Saint-Sacrement: cliquez sur le titre).

    Au sommaire de ce numéro n° 96 (3e trimestre 2015) : 

    De Corydalle à Lérins

    Témoignage : Catherine Emmerich et Mgr Van Bommel

    Ecologie: ne pas tomber dans une vision irréelle de la création

    La prière comme école de de l'espérance

    L’écologie intégrale du pape François

    La théorie du genre ou le monde rêvé des anges

    Qu’est-ce que la théologie du peuple ?

    Crise migratoire : justice et charité sont indissociables

    Les confessions du prieur de Malèves-Sainte-Marie

    Gabriel Ringlet, prêtre, accompagne les patients jusqu’à l’euthanasie

    La merveilleuse homélie posthume d’un père jésuite pour ses funérailles

     

    Secrétaires de Rédaction : Jean-Paul Schyns et Ghislain Lahaye

    Editeur responsable: SURSUM CORDA a.s.b.l. ,

    Vinâve d’île, 20 bte 64 à B- 4000 LIEGE.

    La revue est disponible gratuitement sur simple demande :

    Tél. 04.344.10.89  e-mail : sursumcorda@skynet.be 

    Les dons de soutien à la revue sont reçus  avec gratitude au compte IBAN:

     BE58 0016 3718 3679   BIC: GEBABEBB de Vérité et Espérance 3000,

    B-4000 Liège

     

  • Reflexion pour le synode sur la famille: la reconstruction du mariage

    caffarra.jpgEn vue du Synode sur la famille d’octobre prochain, l’Université Pontificale de la Sainte Croix à Rome a organisé un symposium sur « Mariage et famille. La question anthropologique et l’évangélisation de la famille ». La leçon inaugurale était confiée au cardinal-archevêque de Bologne Carlo Caffarra qui a parlé de la manière de proposer une vision chrétienne du mariage dans une culture occidentale qui a démoli le mariage naturel. Présentation sur le site web « didoc.be » :

    « Carlo Caffarra a commencé par faire l’ébauche de la situation du mariage en Occident.

    « L’édifice du mariage n’a pas été détruit, mais bien déconstruit, démonté pièce par pièce. Au bout du compte, nous avons toutes les pièces, mais pas l’édifice. Toutes les catégories qui composent l’institution matrimoniale existent : la conjugalité, la paternité-maternité, la filiation-fraternité. Mais elles n’ont plus de signification univoque ».

    Comment s’est produite cette déconstruction ? « On a séparé chaque fois plus le mariage de la sexualité propre à chacun des deux conjoints. (…) Et la conséquence la plus importante de cette débiologisation du mariage est sa réduction à une simple émotion privée, sans signification publique fondamentale ».

    Oubli du biologique

    Caffarra a décrit les moments fondamentaux de ce processus. « Le premier est constitué par la manière de penser la relation de la personne à son propre corps ». Face à la thèse de Saint Thomas qui affirmait l’unité substantielle de la personne, la vision platonicienne et néoplatonicienne de l’homme s’est infiltrée dans la pensée chrétienne. « Dans un deuxième temps, la séparation entre le corps et la personne a trouvé un nouvel élan dans la méthodologie de la science moderne qui exclut de l’objet d‘étude toute référence à la subjectivité, considérée comme dimension non mesurable ». C’est ainsi qu’on en arrive à « la transformation du corps en pur objet ».

    « D’une part, le donné biologique est progressivement expulsé de la définition du mariage et, d’autre part, par voie de conséquence, les catégories d’une subjectivité réduite à une pure émotivité deviennent primordiales au moment de définir le mariage ».

    Avant, signale Caffarra, « le génome du mariage et de la famille était constitué par la relation de réciprocité (conjugalité) et la relation intergénérationnelle, comme relations enracinées dans la personne ». « Elles n’étaient pas réduites aux données biologiques, mais celles-ci étaient assumées et intégrées dans la totalité de la personne ».

    En revanche, « maintenant, la conjugalité peut être aussi bien hétérosexuelle qu’homosexuelle ; la procréation peut s’obtenir grâce à un processus technique. Comme l’a justement démontré P.P. Donati, nous n’assistons pas à un changement morphologique, mais bien à un changement du génome de la famille et du mariage ».

    Le mariage dans la culture actuelle

    Carlo Caffarra pense que les problèmes fondamentaux posés par le climat culturel d’aujourd’hui à la vision chrétienne du mariage ne sont pas en première instance des problèmes éthiques, qui peuvent être affrontés par des encouragements moraux. « C’est une question radicalement anthropologique ».

    La première dimension de ce problème est que, selon la doctrine catholique, le mariage sacramentel coïncide avec le mariage naturel. Or, « ce que l’Eglise entendait et entend par mariage naturel a été démoli dans la culture contemporaine ». C’est pourquoi « de façon logique, les théologiens, les canonistes et les pasteurs se posent des questions sur la relation foi-sacrement dans le mariage. Mais il y a un problème plus radical. Celui qui demande à se marier sacramentellement est-il capable de contracter un mariage naturel ? ». Il ne s’agirait donc plus seulement d’une question de foi, mais bien d’une question anthropologique, sur la capacité de se marier.

    La seconde dimension de cette question anthropologique consiste, d’après Caffarra, « dans l’incapacité de percevoir la vérité et donc la valeur de la sexualité humaine ».

    A ce point de son raisonnement, Caffarra se demande si l’Eglise fait bien tout ce qui est nécessaire pour montrer cette valeur au monde d’aujourd’hui. « L’Eglise doit se demander pourquoi, dans les faits, le magistère de Jean-Paul II sur la sexualité et l’amour humain a été ignoré. L’Eglise possède une grande école dans laquelle on apprend la profonde vérité de la relation corps-personne : la Liturgie. Comment et pourquoi n’a-t-elle pu l’exploiter face à la question anthropologique dont nous parlons ? A quel point l’Eglise est-elle consciente que l’idéologie du genre est un véritable tsunami, dont l’objectif ne porte pas en priorité sur le comportement des personnes, mais sur la destruction totale du mariage et de la famille ? ».

    En résumé, dit Caffarra, « le second problème fondamental posé actuellement à la proposition chrétienne du mariage est la reconstruction d’une théologie et d’une philosophie du corps et de la sexualité qui génèrent un nouvel engagement éducatif dans toute l’Eglise ».

    La troisième dimension de la question anthropologique actuelle sur le mariage est, selon Caffarra, « la plus grave ». La méfiance dans la capacité de la raison de connaître la vérité, dont parle l’encyclique Fides et Ratio (nn. 81-83), a entraîné avec elle la volonté. « L’appauvrissement de la raison a généré l’appauvrissement de la liberté. Comme nous avons perdu l’espoir en notre capacité de connaître une vérité totale et définitive, nous avons aussi du mal à croire que la personne humaine peut réellement se donner totalement et définitivement, et recevoir le don total et définitif de l’autre ».

    D’où « l’incapacité actuelle de la personne à considérer l’indissolubilité du mariage si ce n’est en termes de loi externe, comme une grandeur inversement proportionnelle à celle de la liberté ».

    Ce qu'il faut éviter

    Dans la troisième partie de son intervention, le cardinal Caffarra se réfère à quelques approches qu’il faut éviter et à d’autres qu’il faut utiliser pour la proposition chrétienne du mariage.

    « Il y a trois approches à éviter. L’approche traditionnaliste qui confond une manière particulière d’être famille avec la famille et le mariage en tant que tel. L’approche des catacombes, qui se contente des vertus personnelles des époux, et préfère laisser l’institution du mariage au libre vouloir de la société. Et l’approche bonasse qui considère que la culture dont nous avons parlé précédemment est un processus historique irréversible ; elle propose donc de faire des compromis avec elle, en sauvant ce qui peut être reconnu comme bon ».

    En ce qui concerne les approches positives, Caffarra part d’une constatation : « La reconstruction de la vision chrétienne du mariage dans les consciences personnelles et dans la culture occidentale sera un processus long et difficile. Lorsqu’une pandémie s’abat sur une population, la première urgence est certainement de s’occuper des victimes, mais il est aussi nécessaire d’éliminer les causes ».

    En premier lieu, il est nécessaire de redécouvrir les évidences originaires sur le mariage et la famille, « en enlevant des yeux du cœur les cataractes des idéologies qui nous empêchent de connaître la réalité ». « Ces évidences sont inscrites dans la nature même de la personne humaine ».

    En deuxième lieu, il faut redécouvrir que « le mariage-sacrement et le mariage naturel coïncident. La séparation entre les deux nous porte à concevoir la sacramentalité comme un ajout, extrinsèque, et par ailleurs, elle fait courir le risque d’abandonner l’institution du mariage à la tyrannie de l’artificiel ».

    En troisième lieu, « il est nécessaire de récupérer la “théologie du corps” présente dans le magistère de Jean-Paul II. Aujourd’hui, le pédagogue chrétien a besoin d’un travail théologique et philosophique qui ne peut être ajourné, ou limité à une institution particulière ».

    Ref. La reconstruction du mariage

    JPSC

  • Crise migratoire : justice et charité sont indissociables

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    Crise migratoire : justice et charité sont indissociables

     aillet1.jpgDepuis la fin de cet été, les migrations provoquées par le chaos persistant dans lequel sombrent aujourd’hui plusieurs pays du moyen orient s’est traduite par un afflux anarchique et soudain de populations en marche vers l’Europe, par mer et par terre: nous en avons tous vu les images désolantes. Dans un communiqué qui date du 10 septembre 2015, Monseigneur Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, aborde la question de cette  crise migratoire sous le prisme de la justice et de la charité, deux vertus indissociables. Le texte publié in extenso sur le site de son diocèse (http://diocese64.org/), est  emblématique  pour nous tous. Extraits : 

    « L’appel du Pape François : 

    Après la prière de l’Angélus du dimanche 6 septembre, le Pape François a évoqué le drame « des dizaines de milliers de réfugiés fuyant la mort, à cause de la guerre et de la faim, et qui sont en marche vers une espérance de vie » ; et il a appelé les paroisses, les communautés religieuses, les monastères et les sanctuaires de toute l’Europe « à manifester l’aspect concret de l’Evangile et à accueillir une famille de réfugiés ». Il a demandé à ses frères évêques d’Europe, que dans leurs diocèses « ils soutiennent son appel, rappelant que la miséricorde est le deuxième nom de l’amour : ‘Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait’ » (Mt 25,40).

    […]  On notera en qu’ici, le Pape ne s’adresse pas aux Etats et se garde bien de préconiser des solutions politiques au problème des migrants, comme il l’avait fait par contre en interpellant avec vivacité la Communauté internationale pour venir au secours des chrétiens et autres minorités religieuses d’Orient persécutés. Il évite de poser un jugement sur des gouvernements pris de cours par l’ampleur soudaine du problème.

    Le Pape demande aux paroisses catholiques d’Europe d’accueillir une famille de réfugiés « fuyant la mort, à cause de la guerre ou de la faim ». Dans un discours circonstancié, il ne parle pas des « migrants » en général mais des « réfugiés ». Certes il ne précise pas comment discerner s’il s’agit effectivement de réfugiés, même si son propos le suggère. Il ne dit rien non plus sur le caractère temporaire qui s’impose à un accueil concret qui nécessitera, en lien avec des organismes ad hoc, une inscription dans la durée : papiers administratifs, logement, apprentissage de la langue, travail, ce qui s’avère un nouveau parcours du combattant des plus difficiles.

    De même, l’accueil des étrangers, en particulier ceux qui ne sont pas chrétiens, ne nous dispense pas, sans prosélytisme et dans le respect de la liberté, de leur partager le trésor de la foi (cf. Règle de Saint Benoît à propos de l’hospitalité ; Instruction du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, Erga migrantes Caritas Christi, du 3 mai 2004, nn. 59-68).[…] 

    Pour aller plus loin

    […] En corollaire de l’appel à la charité concrète faite par le Pape François, il me semble que de graves questions d’ordre politique s’imposent, pour que la vague d’émotion et l’authentique générosité suscitées par ce drame ne manquent pas d’un éclairage nécessaire :

    1. Les Etats occidentaux ne devraient-ils pas reconnaître, dans un beau geste de repentance, leurs erreurs de ces dernières années, en intervenant dans plusieurs pays et en y provoquant plus ou moins directement le chaos qui règne aujourd’hui dans ces pays (Irak, Libye, Syrie…) ?

    N’est-il est pas permis de douter de l’entière générosité des motifs avancés alors pour justifier ces interventions désastreuses : faire avancer la cause de la démocratie et des droits de l’homme, certes en s’attaquant à des Régimes forts, mais pour défendre des intérêts économiques, stratégiques, géopolitiques occidentaux, dans une région où les richesses pétrolières sont convoitées…

    2. Quels moyens sont mis en place pour lutter efficacement contre les passeurs ?

    3. Quelles résolutions de la Communauté internationale, quelle voie diplomatique sont mises en œuvre pour permettre aux migrants de demeurer chez eux ?

    Dans son message du 12 octobre 2012 pour la journée mondiale des migrants de 2013, le pape émérite Benoît XVI soulignait en effet qu'"avant même le droit d'émigrer, il faut réaffirmer le droit de ne pas émigrer, c'est-à-dire d'être en condition de demeurer sur sa propre terre, répétant avec le Bienheureux Jean-Paul II que le droit primordial de l'homme est de vivre dans sa patrie". C'est donc à juste titre que la déclaration du Conseil Permanent de la Conférence des évêques de France du 7 septembre 2015 souligne "l'importance de se préoccuper des causes de ces migrations. La communauté internationale, l'Europe, les gouvernements, ne peuvent ignorer la situation politique et économique des pays d'origine ou encore le rôle des filières qui exploitent la misère humaine".

    4. Quelle solution concrète pour secourir les chrétiens d’Orient et autres minorités religieuses, et nourrir leur espérance de recouvrer leurs maisons et leurs terres, injustement confisquées ?

    Une bonne part de la réponse à ces questions passe par la volonté de stopper l’avancée de l’Etat Islamique et de détruire cette organisation. Ce qui supposerait une coalition associant les Pays occidentaux et les pays arabes, la Russie et l’Iran, et qui ne semble pas pouvoir faire l’économie d’une opération terrestre.

    5. Enfin quelle politique mettre en œuvre en Europe pour répondre à cette vague migratoire sans précédent et qui ne saurait être déconnectée de la résolution des questions ci-dessus ?

    La Doctrine Sociale de l’Eglise ne dénie pas aux Etats la légitimité à réguler les flux migratoires au nom du Bien commun d’une nation, tout en réaffirmant le principe absolu du respect dû à la dignité de toute personne humaine.

    C'est ainsi que le Catéchisme de l'Eglise catholique affirme que "les nations mieux pourvues sont tenues d'accueillir autant que faire se peut l'étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu'il ne peut trouver dans son pays d'origine" mais rappelle que "les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont ils ont la charge subordonner l'exercice du droit d'immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l'égard du pays d'adoption" tout en précisant qu'en tout état de cause, "l'immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d'accueil, d'obéir à ses lois et de contribuer à ses charges" (CEC n° 2241).

    Régulation des flux migratoires et accueil des réfugiés, justice et charité, ne sont pas inconciliables. Ils sont même inséparables.

    Quelle grande voix portera ces questions cruciales sans lesquelles on ne parviendra pas à endiguer les drames humanitaires et civilisationnels qui se préparent ?  

    + Marc Aillet  Évêque de Bayonne, Lescar et Oloron
    10 septembre 2015 »

    JPS

  • De Corydalle à Lérins

     

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    DE CORYDALLE A LERINS

     

    Dans  l'homélie du pape, prononcée à la cathédrale de la Havane lors des vêpres de dimanche dernier, 20 septembre 2015, on peut retenir ce passage qui introduit opportunément l’article que voici, à paraître dans le magazine trimestriel « Vérité et Espérance-Pâque nouvelle » (sursumcorda@skynet.be) le 30 septembre prochain : «  Il est fréquent de confondre l’unité avec l’uniformité, avec le fait que tous font, sentent et disent la même chose. Cela n’est pas l’unité, c’est l’homogénéité. C’est tuer la vie de l’Esprit, c’est tuer les charismes qu’il a distribués pour le bien de son peuple. L’unité se trouve menacée chaque fois que nous voulons faire les autres à notre image et ressemblance. C’est pourquoi l’unité est un don, ce n’est pas quelque chose que l’on peut imposer de force ou par décret » 

    « Qu’il soit fidèle, plutôt que

    minutieusement profilé... »

    (Cf. V&E n° 95, Pâque Nouvelle, p. 16)

     

    procuste.jpgIl est dans la campagne attique, sur la route qui mène d’Athènes à Eleusis, un patelin oublié aujourd’hui de tous, qui a nom Corydalle. Il importerait peu d’en ressusciter ici le souvenir, si l’endroit n’avait été le théâtre autrefois d’une affaire atroce ; mythologique sans doute, mais donc intemporelle, et, hélas ! ― par le fait même ― toujours bien d’actualité...

    Plus évocateur que Corydalle sera probablement le nom de Procuste qui y sévissait. Au dire des Anciens, il offrait avenante hospitalité au voyageur de passage ; mais ce n’était là que tromperie : quelqu’un venait-il en effet frapper à sa porte, après un accueil peint d’affabilités, notre homme plaquait soudain le malheureux sur un lit et s’employait aussitôt à l’étirer ou bien à le rogner, dans sa brutale incapacité à le trouver convenable, qu’il ne l’eût mis au gabarit de cette couche idéale.

    Ce drôle était persuadé que « l’homme a été fait pour le lit, et non pas le lit pour l’homme. » (Cf. Mc 2, 27 ...mutatis mutandis.)

    Diodore de Sicile assure que Thésée a tué le Procuste en lui coupant la tête (B. hist., 4, 59). N’en croyez rien. Ou alors, c’est que le malfaisant avait avant de périr engendré bien des fils. A moins encore — peut-on savoir — qu’à l’instar de l’Hydre, pour chaque tête de coupée, deux lui eussent repoussé...

    Le fait demeure que, des Procustes inconditionnels de la Toise, il s’en abat fidèlement sur nous comme locustes ; trop heureux sommes-nous déjà, si nous parvenons à nous garder d'en grossir nous aussi la nuée ! Tant il est commun de verser en ce travers.

    Le complexe de Procuste procède, comme tout complexe peut-être, d’une propension outrée à l’égocentrisme (passant pour être fils de Poséidon, le personnage n’était pas loin de se croire sorti de la cuisse de Jupiter...)

    La vocation du chrétien au contraire est, tout à l’opposé, d’avoir le Christ pour centre : « car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 28) ; et « tout est de lui, et par lui, et pour lui » (Rm 11, 36).

    Voilà en réalité ce qu’oublie le baptisé quand il substitue une norme éclose de l’imaginaire humain à la « stature du Christ dans sa plénitude » (Ep 4, 13).

    Puisque l’Eglise « est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude » (Ep 1, 23), les dispositions qu’elle prend dans le Christ sont saines et sobres : il ne convient pas d’y ajouter, non plus que d’y retrancher d’ailleurs. Chaque fois que nous franchissons ce garde-fou, nous nous laissons « secouer et mener à la dérive par tous les courants d’idées, au gré des hommes qui emploient la ruse pour nous entraîner dans l’erreur » (Ep 4, 14).

    En revanche, si nous nous en tenons à la sagesse séculaire qui est en elle : « pratiquant la vérité dans la charité, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ. Lui par qui, dans l’harmonie et la cohésion, tout le corps poursuit sa croissance, grâce à toute articulation de son agencement, selon l’énergie qui est à la mesure de chaque membre. Ainsi le corps se construit dans la charité. » (Ep 4, 15-16 ― Trad. liturg. quelque peu retouchée, pour serrer au plus près le grec.)

    On le voit bien : au rebours de Procuste, l’Apôtre reconnaît à « chaque membre » sa « mesure », il affirme même que cette reconnaissance n’empêche en rien « l’harmonie et la cohésion », au contraire !

    Rien de plus détestable dans l’Eglise que l’esprit de parti. Que chacun la perçoive selon ses affinités, c’est normal ; que chacun travaille à la Vigne selon le charisme qui lui est propre, ce n’est pas seulement bien, c’est souhaitable ; mais qu’un frère se comporte en Procusteavec son frère, il en perd aussitôt l’esprit du Seigneur :

    « Jean dit à Jésus :

    "Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom ;

    nous l’en avons empêché, car il ne marche pas à ta suite avec nous."

    Jésus lui répondit :

    "Ne l’en empêchez pas :

    qui n’est pas contre vous est pour vous." »

    (Lc 9, 49-50)

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    Pierre et Paul

    Il ne s’agit pas de viser à l’uniformité, mais à l’unité. Or il se fait justement que, contrairement à l’opinion commune, l’uniformité nuit à l’unité bien plus qu’elle ne la sert. Là où tout est uniforme, il n’est ni « articulation », ni « agencement » : les éléments juxtaposés s’additionnent, isolés, sans union possible, faute de points d’accroche.

    Cela même qui peut faire craindre des « accrochages » ouvre, moyennant une authentique charité, la possibilité de communion.

    « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. » (1 Cor 12, 4-7) Il n’y a donc pas à redouter ces variétés, car « celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il veut, à chacun en particulier. » (ibid. 11).

    Plutôt donc que de s’évertuer à profiler son prochain, ce qu’il faut cultiver, c’est le lien à l’Esprit : or c’est précisément lui que l’on perd en jouant au Procuste. Ce Procuste que les Anciens appelaient aussi du nom de Polypémon : « le multinuisible ».

    La folie de Procuste résulte d’une confusion ontologique : s’il n’est de science que de l’universel, le connaissant ne doit jamais perdre de vue que l’être connu reste, dans l’ordre réel, particulier. Prétendre, dans le réel, réduire l’être réel au concept que l’on s’en fait, ce n’est pas le perfectionner, mais le détruire. Pour connaître la fleur, il peut être utile de la presser dans un herbier, mais cette fleur-là est perdue pour la nature.

    Aussi bien la perfection va-t-elle toujours dans le sens de l’être : c’est par illusion que l’idéal de mon rêve me semble plus parfait que ce qui est, car à défaut d’existence, tout n’est rien. Chaque perfection relative est ordonnée à la Perfection suprême, qu’Aristote a définie comme « Acte pur », c’est-à-dire, Etre sans mélange.

    La « puissance » impressionne par l’ivresse du rêve des possibles, mais elle avoisine le néant. Son unique valeur réside en son « pouvoir » de passer à l’acte, de devenir « être » en acte : elle ne le peut qu’en acceptant de disparaître pour lui. « Si le grain de blé ne meurt... » (Jn 12, 24).

    On en trouve une illustration claire dans le drame de l’avare. Son matelas de billets est synonyme pour lui de tout bien réalisable : mais, « l’œil fixé sur une chimère », il refuse de le transformer en aucun bienréel. Dès lors ses billets ne sont rien de plus qu’un tas de vulgaires papiers. Il vit en pleine illusion, et ne pourrait en sortir qu’en détachant son cœur du « billet », pour accepter la rencontre avec la « réalité ».

    Tel l’avare, Procuste reste prisonnier d’une vue de l’esprit à laquelle il sacrifie un bien, qui est plus limité sans doute, mais réel.

    L’être réel est perfectible, certes, mais non pas au prix de ce qui constitue sa réalité. Plutôt que de chercher à le faire entrer dans un moule trop souvent fruit d’un rigide arbitraire incapable de s’adapter aux cas particuliers, pourquoi ne pas prendre exemple sur Dieu, qui « écrit droit avec des lignes courbes » ?

    Dieu non seulement fait cela, mais il veut aussi que nous le fassions : voilà pourquoi il ne nous enjoint pas d’aimer « l’Homme », mais d’aimer notre prochain. Aimer l’Homme, c’est aimer une idée : on peut le faire à coups de guillotine (1789, version revisitée du mythe de Procuste) ; aimer son prochain, c’est entrer dans le réel, c’est déposer le tranchant de l’imaginaire pour œuvrer à la croissance du Corps du Christ. C’est se laisser envelopper dans le mystère de l’Incarnation.

    L’amour du prochain nous mène à la perfection par cela même qu’il nous fait aimer malgré l’imperfection ; malgré aussi tous les griefs que nous pouvons ruminer. Il nous mène à la perfection parce qu’il nous révèle notre faiblesse d’être imparfait, et qu’il nous est impossible de nous approcher de la perfection sans prendre tout d’abord conscience de notre propre imperfection. D’imparfait à imparfait, qui se reconnaissent pour tels, il n’y a pas de tromperie. Ainsi « la Vérité vous rendra libres. » (Jn 8, 32)

    ◊ 

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    Marthe et Marie 

    La liberté des enfants de Dieu (cf. Rm 8, 21) ne les détourne pas de l’unique nécessaire (cf. Lc 10, 42) : elle est au contraire la condition requise pour qu’ils puissent s’y consacrer. Aussi Notre-Seigneur la revendique-t-elle pour Marie.

    Marthe en son office est sainte elle aussi, mais sa façon de l’être n’est pas à imposer à tous, non plus qu’il ne faut lui imposer, à elle, la voie qui est celle de Marie.

    Toutes deux en effet satisfont bien à « l’unique nécessaire » : comment pourrait-on autrement parler pour chacune d’elles de sainteté ? Qui ne satisferait pas à ce qui est déclaré nécessaire par le Christ peut-il être saint ?

    Mais « unique nécessaire » signifie aussi « suffisant » : rappel à l’ordre pour tous les Procustes plus ou moins bien intentionnés qui ajoutent aux prescrits du Christ et de son Eglise bien des exigences de leur cru tout humain, souvent au détriment même de ce qui est certainement divin.

    « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites,

    qui fermez à clé le royaume des Cieux devant les hommes ;

    vous-mêmes, en effet, n’y entrez pas,

    et vous ne laissez pas entrer ceux qui veulent entrer ! »

    « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites,

    qui payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin,

    mais qui avez négligé ce qui est le plus important dans la Loi :

    la justice, la miséricorde et la fidélité.

    Voilà ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste.

    Guides aveugles !

    Vous filtrez le moucheron,

    et vous avalez le chameau ! »

    (Mt 23, 13 et 23-24)

    Les scribes et les pharisiens en restent à l’ancienne Loi : se privant des lumières de l’Incarnation qui, instaurant la Loi nouvelle, assume l’imparfait en vue de l’amener à perfection, ils poursuivent une idée de perfection toute tributaire de leur être imparfait. Croyant combattre l’imperfection, ils s’y précipitent ; tandis que le Christ, en assumant l’imperfection, lui donne part à sa divinité (Cf. oraison à l’Offertoire :Deus, qui humanæ substantiæ).

    La « perfection » des scribes et des pharisiens est servile, tatillonne, mortifère : elle recourt aux méthodes de Procuste ; la vraie perfection de l’Evangile est filiale, libre et vivifiante : son principe est l’action toute divine de l’Esprit.

    On pourrait s’appuyer sur la maxime qui dit : In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas. ["En ce qui est nécessaire, unité ; en ce qui est douteux, liberté ; en tout, charité."] »

    Toutefois, c’est à tort qu’on attribue ce mot à saint Augustin : il n’apparaît nulle part dans ses œuvres, ni du reste ailleurs chez les Pères, de sorte que de bons esprits ont scrupule à l’invoquer comme « lieu théologique » ; ils estiment aussi que le in dubiis (« en ce qui est douteux ») peut prêter le flanc à la critique d’être susceptible d’interprétation subjective. Or c’est précisément le subjectivisme qui sous-tend le comportement des Procustes.

    Qui discerne les choses « à la romaine » trouvera préférable de retoucher l’expression en un sens plus objectif, à la lumière de l’adage bien connu des canonistes : Qui utitur iure suo, nemini facit iniuriam.[« Qui use de son droit ne fait tort à personne. »] Que l'on dise donc plutôt : Unité en ce qui est nécessaire ; liberté en ce qui n’est pas interdit ; charité en tout.

    Dans l’Eglise, « ce qui n’est pas interdit » apparaît en pleine objectivité, car l’Eglise a un Magistère et un Droit : ils sont expression légitime de la juridiction qu’elle a reçue du Christ et qui se transmet en elle en vertu de sa « marque » visible et concrète d’apostolicité couplée à celle d’unité. Ils sont garantie contre toute forme d’arbitraire, qu’on soit exposé à le subir de la part d’autrui ou tenté soi-même de le lui faire subir. Plus important encore : ils nous libèrent de notre propre tyrannie à l’égard de nous-mêmes, trop enclins que nous sommes sans cesse à nous dicter notre norme subjective.

    Exercée avec discernement dans le respect du mandat du Seigneur, cette juridiction de l’Eglise n’a donc rien de ce « légalisme formel », dont on lui fait trop souvent grief dans le but conscient ou non de se soustraire à l’« unique nécessaire ».

    Stantes erant pedes nostri, in atriis tuis, Ierusalem...

    « Nos pieds étaient bien campés, dans tes parvis, Jérusalem.

    Jérusalem, qui s’édifie comme une cité :

    dont les parties forment un tout unique. »

    « Que la paix règne en ta puissance : et l’abondance en tes tours. »

    (Ps 121 [122], 2-3 et 7)

    Dissensions et discordes entre catholiques sont une plaie, notamment pour l’évangélisation. Le remède pourtant est simple : quitter des yeux sa chimère, pour porter le regard sur le Christ.

    Tenir l’unité par une ferme fidélité à ce qui est nécessaire ; ne pas déclarer interdit ce qui est permis. Mettre en sourdine le critère subjectif de ce qui plaît et de ce qui déplaît : « Dans les choses où, sans détriment de la foi ni de la discipline, on peut discuter de part et d’autre... que l’on s'abstienne de tout excès de langage, qui pourrait offenser gravement la charité ; que chacun garde son avis librement, mais avec modestie, et ne croie pas pouvoir décerner aux tenants d'un avis contraire, rien que pour ce motif, le reproche de Foi suspecte ou de manquement à la discipline. » (Benoît XV, EncycliqueAd beatissimi Apostolorum, 1er novembre 1914, 576-577)

    La faculté de faire la juste part des choses avec délicate réserve, que nous nommons aujourd’hui « discernement » ― cette « vertu de discrétion » (comme on l’appelait au Grand Siècle), si prisée de Saint François de Sales ― est sans aucun doute une des vertus majeures à cultiver dans le quotidien de l’Eglise, particulièrement par ceux qui y exercent une responsabilité, à quelque degré que ce soit. Elle est inséparable de la Charité.

    Tournant donc résolument le dos à Corydalle, abordons à Lérins, où saint Vincent (ve s.) nous enseigne la manière de l’Eglise :

    « Non amputat necessaria, non apponit superflua ;

    non amittit sua, non usurpat aliena. »

    « Elle ne retranche pas ce qui est nécessaire, elle ne surcharge pas de ce qui est superflu ; elle ne se départit pas de ce qui est sien, elle s’encombre pas de ce qui lui est étranger. »

    (Commonitorium, 1, 23, P. L. 50, 669)

    Que le sens de l’Eglise et l'obéissance à son Magistère légitime nous délivrent de l’esprit de Procuste !

    Jean-Baptiste Thibaux

    augversfr@yahoo.fr 

     JPSC

     

  • Témoignage en marge d'un prochain colloque à l'évêché de Liège

     

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    Témoignage

    « Nous éprouvâmes alors au-dedans de nous je ne sais quelle joie… » 

    images.jpeg      La nouvelle s’est répandue comme le feu dans la paille : la sœur Clara n’a pas pu tenir sa langue très longtemps ; c’est qu’on n’avait pas vu un tel événement depuis des siècles, et encore c’était en Italie, pendant le Moyen Age, mais ici, en Westphalie, sous l’occupation française, dans la petite ville de Dülmen... ! C’est arrivé chez la veuve Roters, dans la chambre qu’occupe la sœur Anne-Catherine depuis le Carême 1812. Son couvent avait été fermé en décembre 1811 et les autres religieuses étaient parties l’une après l’autre, mais Anne-Catherine avait dû attendre quelques mois pour que cette brave veuve lui prête un coin de sa maison. On ne la voyait presque jamais dehors ; elle ne sortait péniblement que pour la messe du dimanche à l’église paroissiale ; on l’avait vue en septembre à l’Hermitage, un lieu de pèlerinage local. Elle est sortie pour la dernière fois à l’église en novembre 1812. Trois jours avant la fin de l’année, la fille de la veuve Roters a trouvé Anne-Catherine en train de prier, les bras étendus, comme en extase : du sang jaillissait de la paume de ses mains, mais elle a cru que c’était suite à une blessure. Le 31 décembre, le père Limberg[1] lui porte la communion et voit pour la première fois les plaies saignantes sur le dos des mains ; il en parle à l’abbé Lambert qui, voyant le sang couler, a cette parole : « Ma sœur, n’allez pas vous croire une Catherine de Sienne ». Les deux hommes décident de garder la chose secrète. L’état de la religieuse reste inconnu jusqu’au 28 février 1813, jour où la sœur Clara, en visite chez son ancienne consœur, voit le sang couler, de la tête, des mains, des pieds, du côté... Le secret se répand alors dans toute la ville (on en parle avec animation jusque dans les cabarets), puis dans tout le pays. C’est le début d’un long calvaire pour la religieuse...

           Quelques mois plus tard, à quarante kilomètres de là, un jeune séminariste hollandais – exilé en Allemagne suite à la fermeture des séminaires dans les Pays-Bas – prend la plume et écrit ceci :

    Château de Borg, près Munster, le 5 octobre 1813 

                Une religieuse augustine allemande de Dülmen, petite ville à huit lieues deIMG_0183.JPG Munster, que Dieu a mené par la voie de grandes souffrances, a reçu depuis un temps fort considérable du ciel la même faveur que reçut autrefois le grand saint François, je veux dire les stigmates et elle les a encore. Lors de la suppression de son couvent, elle se retira à Dülmen, dans une pauvre maison avec un nommé M. Lambert, prêtre émigré français très respectable[2]. C’est dans cette retraite que le miracle, qu’elle avait eu grand soin de cacher, se divulgua. Je ne sais comment dès l’hiver dernier le bruit s’en répandit à Munster et la police et le Chapitre voulurent prendre connaissance du fait. Le Commissaire de Police (M. Garnier, français du temps et fort peu superstitieux), M. le vicaire Général, M. Overberg, la lumière du diocèse, et le docteur et professeur en médecine de l’Université, se rendirent sur les lieux et examinèrent la chose juridiquement. Tous revinrent convaincus que le fait était surnaturel et pénétré du plus profond respect pour la religieuse, dont la douceur et l’air angélique au milieu de ses continuelles souffrances les avait singulièrement touchés. Monsieur Garnier en parla et n’en parle encore maintenant qu’avec vénération. Il lui rendit plusieurs visites et tout ce qu’il fit faire aux gens de l’art pour guérir les plaies ou les conduire à une suppuration, ne servit qu’à vérifier de plus en plus le miracle.        

                Deux ans plus tard, Corneille, le jeune séminariste, a 25 ans. La stigmatisée mobilise toujours la curiosité, la vénération ou la suspicion. Le 31 juillet 1815, avec quelques confrères du séminaire, Corneille se décide à faire le voyage jusqu’à Dülmen. Ils veulent en avoir le cœur net !

    Il écrit à son cousin la relation de cette rencontre, « un des plus beaux jours de ma vie »...                                                                                                                     Borg, le 4 août 1815 

                « Depuis longtemps vous avez entendu parler de la religieuse de Dülmen, petite ville à 7 lieues de Munster et à 12 de Wesel. Je crois même l’avoir mentionné plusieurs fois moi-même dans différentes lettres ; mais je n’ai jamais insisté sur ce fait extraordinaire pour la raison que je me tiens extrêmement en garde contre tout ce qui sent le merveilleux. Aujourd’hui que le fait a acquis un degré de certitude auquel toutes les personnes graves se rendent et que j’ai eu le bonheur d’en être moi-même le témoin oculaire, je crois que par reconnaissance pour un si grand bienfait, je dois rendre gloire à Dieu en publiant les merveilles qu’il a opérées. [...][3]

    « Que me reste-t-il après cela à vous dire de ce que j’ai éprouvé moi-même, lundi dernier, 31 du mois passé, de ce qu’ont éprouvé Monseigneur Ciamberlani[4], notre digne supérieur, Mrs les archiprêtres Craamer, Pas et van Nooy, Mrs van Niel et Balerdens le jeune, mes confrères et condisciples ? Cela se sent mais ne s’exprime pas.

    Dülmen_Hl._Kreuz_Anna-Katharina_Emmerick_Sterbezimmer.jpg« Introduits dans une vraie chaumière, nous avons trouvé, dans une petite chambre où tout respirait la propreté et la simplicité, Emmerich, couchée dans un lit sans rideaux, modestement et proprement vêtue. Elle avait passé une très mauvaise nuit, son visage annonçait qu’elle endurait de grandes souffrances. Elle avait la poitrine si oppressée qu’elle ne pouvait pas articuler un seul mot à voix haute. Nous considérâmes ses pieds et ses mains seulement et nous les trouvâmes absolument dans l’état où les décrit M. de Druffel, dès l’an 1813.[5] Ses mains et ses pieds étaient d’une grande blancheur mêlée d’un rouge clair et de vermillon. Justement à l’endroit où Notre Divin Sauveur eut les mains et les pieds percés, paraissaient intérieurement et extérieurement des cicatrices, environ de cette forme et grandeur (losange de 0,012 m. de haut sur 0,008 m. de large) recouvertes presqu’en entier d’une croûte de sang séché. Celles des pieds étaient si frappantes qu’on eût cru voir les pieds de Jésus Christ. Monseigneur ne put retenir ses larmes. A la plante des pieds on voyait encore toute la trace du sang qui avait coulé le vendredi précédent. Quel spectacle ! et cependant, le croirait-on, nous fûmes tous encore moins frappés de la vue de ces signes merveilleux que de la figure tout angélique d’Emmerich et surtout de son sourire céleste. Ce sourire vraiment céleste, joint à un regard vif, mais plein de douceur et d’aménité, nous fit tous pleurer, je n’ai pas honte de le dire, et Messieurs les archiprêtres en feront l’aveu comme moi. Nous éprouvâmes alors au dedans de nous je ne sais quelle joie, quelle consolation, quel sentiment délicieux qu’il est impossible de décrire. Faut-il en être surpris ? Des experts forts, un médecin entr’autres, qui s’était vanté de guérir cette visionnaire, ne purent soutenir, dès leur entrée dans la chambre, ce regard sublime, ils en furent atterrés, se jetèrent à ses pieds, y puisèrent des conseils de salut, se convertirent et mènent actuellement une vie exemplaire. [...]

    « Monseigneur, avant de s’en aller, me chargea de lui dire qu’il était si content de son état, qu’il voudrait bien être à sa place et qu’il rendrait fidèlement compte au Saint-Siège des merveilles qu’il avait vues en elle. Je fus obligé de mettre mon oreille contre sa bouche pour entendre sa réponse, mais je n’en perdis pas une syllabe. Écoutez-la, elle est pleine de foi : « Je ne suis, me dit-elle, qu’un pur instrument entre les mains de Dieu pour servir à sa gloire. Je ne suis tout ce que je suis que par la grâce de Dieu et, sans cette grâce, je ne suis rien. » Alors, Monseigneur, lui ayant recommandé de prier pour l’Église et pour le Souverain Pontife, elle me dit avec vivacité qu’elle n’avait rien tant à cœur que le bien de l’Église et du Souverain Pontife, qu’elle priait sans cesse à cet effet et qu’elle continuerait à le faire de tout son cœur et cela est bien juste, ajouta-t-elle, le Saint Père[6] a tant fait et tant souffert pour la cause de la foi ! Monseigneur et les assistants me chargèrent après cela de les recommander eux-mêmes à ses prières, à quoi elle répondit gracieusement par son sourire et en me disant à chaque fois : « Et moi je me recommande bien sincèrement aux leurs » ; puis, prenant occasion de me parler des ecclésiastiques, elle me dit que « son vœu le plus ardent est que le bon Dieu en suscite de bons, qu’il n’y a plus que ce moyen de tirer le monde de la corruption où il est et qu’elle a la confiance que cela arrivera bientôt ». Ces paroles me remplirent l’âme de consolation. M. Balerdens l’ayant prié, toujours par mon organe, de demander à Dieu qu’il daignât lui faciliter les moyens d’entrer dans la Société de Jésus où son attrait le porte[7], elle me parla avec affection des Jésuites. Je ne lui cachai pas l’estime que je leur porte et lui dis que le matin même j’avais eu le bonheur de recevoir la Ste Communion dans leur église à Munster en l’honneur de St Ignace dont c’était la fête. « Et moi aussi », repartit-elle avec un air de jubilation qui me parut déceler toute la joie dont son âme se remplit au seul souvenir de la divine Eucharistie. C’est là son unique nourriture ; tous les jours elle mange le pain des anges et vous jugez aisément avec quelle foi et quel amour. Chose admirable ! Jamais il ne lui est arrivé de rendre les espèces sacrées, tandis que, depuis dix-huit mois surtout, une seule goutte de vin mise dans son eau la contraint à vomir.

    « Comme ces Messieurs se retiraient, elle me pria instamment et avec vivacité de leur bien recommander de ne parler d’elle à qui que ce soit. « Le peu de temps, me dit-elle, que j’ai encore à vivre, je dois le passer uniquement avec mon Dieu et quand on vient me voir on m’interrompt dans ce repos et on me nuit ». Sur cela je l’exhortai à la soumission aux dispositions de la Divine Providence. « Je m’y soumets, dit-elle, autant que je puis ». Cette soumission parfaite à la divine volonté pour endurer toutes sortes de peines, de souffrances et de contradictions et l’amour de la croix paraissent avoir été, dès sa première jeunesse, ses vertus favorites. Un ecclésiastique de mes amis lui demanda si elle souffrait de ses plaies. « Plus, lui répondit-elle, que je ne pourrais supporter, mais, ajouta-t-elle, il est si doux de souffrir et de vivre pour Dieu et en Dieu ».

    « Toutes ses réponses sont remplies de simplicité, de candeur, de bonté et de douceur. Jamais je n’oublierai les paroles qu’elle m’a dites. (Son haleine était très pure et douce, mais si faible qu’à peine pouvais-je en sentir le souffle.) J’estimerai toujours le jour où j’ai eu le bonheur de m’entretenir avec cette ange comme un des plus beaux jours de ma vie et je puis bien assurer que sa vue et ses paroles ont fait sur moi des impressions telles que je n’en avais encore guère ressentie jusqu’à présent. Au reste, on a égard à la prière qu’elle a tant de fois renouvelée de rester cachée et on n’admet pour la voir que ceux qui sont munis d’une permission expresse du Grand Vicariat. Sa vie est d’être avec Dieu, la vue des hommes la gêne et l’importune. Jamais elle ne reçoit la plus petite aumône et ce désintéressement est quelque chose qui a caractérisé sa vertu dès le principe. La visite qu’elle a reçue de personnes du plus haut rang, de Monseigneur l’Évêque suffragant de Munster, de Mme la Princesse de Gallitzin, de Mme la Duchesse de Croÿ (que j’ai été voir avec Monseigneur à Dülmen, dont son mari, avait, il y a quelques années la souveraineté) et de beaucoup d’autres, n’a jamais rien changé à son état de pauvreté et de dénuement et elle n’est pas plus surprise de voir entrer dans son petit appartement ces personnes distinguées que d’y voir entrer sa consœur qui la soigne. Elle les congédie avec la même indifférence, mais toujours avec cet air de bonté et ce sourire inimitable qui pénètre jusqu’au cœur.

    « On ne peut considérer d’un œil attentif une pauvre fille de paysan, devenue un spectacle pour tous les anges et les hommes, sans admirer la toute puissance de Dieu, qui aime à se manifester dans les instruments les plus faibles et sans concevoir de l’estime pour les souffrances, pour les croix, pour la pauvreté, pour l’humilité dont cette sainte fille donna des exemples si sublimes à l’imitation de Jésus Christ, son divin époux, son trésor et l’unique objet de son amour. »

    Il faudra encore attendre trois ans pour que la religieuse stigmatisée rencontre le célèbre écrivain et poète Clemens Brentano, arrivé là par curiosité. Subjugué, il abandonnera tout pour vivre dans le voisinage d’Anne-Catherine Emmerich jusqu’à la mort de celle-ci (en 1824) et recueillir le récit de ses visions et contemplations[8] ; celles-ci illuminent et vivifient encore la foi de nombreux lecteurs. La religieuse de Dülmen sera béatifiée par le pape St Jean-Paul II en 2004.

    b01844x.jpgQuant à Corneille, il est ordonné prêtre l’année qui suit cette visite bouleversante, le 8 juin 1816. Le Royaume des Pays-Bas est maintenant libéré de l’occupation française et le Congrès de Vienne (1815) a même étendu ses limites jusqu’à lui incorporer la Belgique. Corneille peut donc quitter l’Allemagne et retourner au pays. Soucieux de se vouer à l’éducation de la jeunesse sacerdotale, le jeune prêtre décide avec deux anciens condisciples (dont l’abbé van Niel qui l’avait accompagné au chevet d’Anne-Catherine Emmerich) d’ouvrir un collège catholique à Hageveld, en Hollande septentrionale. L’expérience ne durera que huit ans puisqu’en juin 1825, sous la pression des protestants et des francs-maçons, le roi des Pays-Bas décrète la fermeture des collèges et petits séminaires.

    En 1829, le roi Guillaume promulgue le concordat conclu depuis quelque temps avec le pape Léon XII et agrée trois nouveaux évêques pour les provinces méridionales des Pays-Bas.

    C’est ainsi qu’à trente-neuf ans, le 15 novembre 1829, Corneille van Bommel devient le 84e évêque de Liège[9].

    Pierre René Mélon

     

    Anne-Catherine Emmerich

    katharina-emmerick.png

    « Les livres qui m’ont le plus aidé, à l’époque de ma conversion, sont l’Écriture sainte, le poème de Dante et les merveilleux récits de la sœur Emmerick » (Paul Claudel).

    Claudel situe la désormais Bienheureuse Anna-Katharina Emmerich à la place qu’elle aurait sans doute choisie, la dernière : après l’Écriture sainte et derrière le génie humain. Sa vie fut comme une illustration vivante de l’Écriture, non seulement par ses nombreuses visions sur l’histoire sainte, mais aussi par « les charismes extraordinaires qu'elle utilisa pour consoler de nombreux visiteurs. De son lit elle réalisa un apostolat important et fructueux », déclare en 2004 le préfet de la Congrégation pour les causes des saints, le cardinal José Saraiva Martins.

    Née en 1774 dans une famille paysanne de Westphalie (au pays de Munster), elle ne fréquente l’école que pendant quatre mois. Encore enfant, elle est douée d’une sensibilité extraordinaire au divin ; les saints et les saintes lui sont familiers. Son désir de vie religieuse, longtemps contrarié, se réalise à vingt-neuf ans seulement. Mais moins de dix ans plus tard, son couvent est fermé en application des lois antireligieuses de Napoléon.

    L’Église la vénère pour l’héroïcité de sa vie spirituelle et pour ses incomparables dons de mystique et de visionnaire. Elle a aussi reçu – en plus d’une charité incomparable - le don de reconnaître les objets bénis et les reliques authentiques ; par bilocation, elle est transportée ici ou là par un « guide » angélique pour aider son prochain au gré des besoins. Toute sa vie en témoigne : elle fait partie intégrante du Corps mystique du Christ, physiquement et spirituellement ; elle représente comme une parabole vivante de la communion des saints. On reste admiratif et comblé par la lecture des merveilles que Dieu a faites dans sa vie. Sa connaissance des Écritures est stupéfiante, notamment par les rapprochements inattendus qu’elle établit entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, jusqu’aux détails.

    « Pourquoi faut-il que je voie tout cela, moi, misérable pécheresse qui ne puis le raconter et n'en comprends presque rien ? » Alors mon guide me dit: « Tu diras ce que tu pourras. Tu ne peux pas calculer le nombre de gens qui liront cela un jour, et dont les âmes seront consolées, ranimées et portées au bien. Ce que tu pourras raconter sera mis en œuvre d'une façon suffisante et pourra faire beaucoup de bien dont tu n'as pas l'idée. »

     P.M.

     

     

    Corneille van Bommel

    M142065.jpgAprès son ordination sacerdotale, Corneille van Bommel quitte l’Allemagne pour les Pays-Bas. Il fonde à Hageveld (près de Harlem) une école pour la formation des prêtres. C’est à cette époque qu’il visite une nouvelle fois Anne-Catherine Emmerich. La veille de son arrivée, celle-ci confie à Clemens Brentano : « Demain, je reçois la visite d’un prêtre accompagné de deux de ses amis. Ce prêtre sera un jour évêque et fera beaucoup de bien pour la foi ». La prophétie se réalise quelques années plus tard, quand Corneille van Bommel est installé évêque de Liège en 1829. Il sera un témoin direct de la révolution belge de juillet 1830. Pendant ces événements dramatiques, son comportement apaisant est celui d’un véritable pasteur.

    L’œuvre de sa vie sera celle d’un pédagogue de la foi. Il organise un enseignement clérical de qualité ainsi que les écoles élémentaires qu’il confie à des corporations religieuses. Il compose différents catéchismes, adaptés à l’âge des enfants. Il renouvelle le clergé après la saignée des années révolutionnaires, forme un personnel enseignant. Il prêche fréquemment à Liège et dans les églises rurales qu’il parcourt dans ses tournées de confirmation ; en 1846, il célèbre avec une grande solennité l’anniversaire de l’institution de la Fête-Dieu, établie primitivement à Liège. Un tel homme de caractère ne peut que susciter la contradiction. Voici une anecdote qui en dit long sur le prélat. Un jour que des émeutiers se présentent devant le palais épiscopal pour le piller, il va au devant d’eux et leur adresse ces paroles : « Que voulez-vous ? Est-ce à ma demeure que vos menaces s’adressent ? elle ne m’appartient pas. Est-ce à ma personne ? La voici. » Et les émeutiers se retirent.

    Le pape Pie IX dira de lui : « L’Évêque de Liège pourrait être proposé en modèle aux évêques du monde catholique ».

     A l’occasion du 225ème anniversaire de sa naissance, un colloque lui sera consacré dans les locaux de l’évêché de Liège, le vendredi 13 novembre 2015 (*) Que cet événement soit l’occasion de découvrir la vie et l’œuvre d’un homme providentiel.

    P.M.

    (*)Séminaire épiscopal, salle Saint-Lambert, 40, rue des Prémontrés Liège, Belgique (B-4000).

    Contacts : christian.dury@skynet.be ou archives.eveche @ evechedeliege.be

     

     


    [1] Limberg, prêtre dominicain et confesseur de A-C Emmerich.

    [2] Jean-Martin Lambert, prêtre du diocèse d’Amiens, refuse de prêter le serment constitutionnel. Accueilli à Dülmen par le duc de Croÿ, il devient chapelain du couvent d’Agnetenberg où il rencontre la sœur Emmerich. Il décède dans son exil en février 1821.

    [3] Suivent deux pages qui relatent et commentent les rapports médicaux et ecclésiastiques.

    [4] Mgr L. Ciamberlani, supérieur des Missions de Hollande de 1795 à 1828.

    [5] Franz Ferdinand von Drüffel, professeur de médecine et conseiller de la Faculté de Munster.

    [6] Pie VII, pape de 1800 à 1823.

    [7] Supprimée en 1773 par Clément XIV dans l’ensemble du monde (sauf en Russie et en Prusse où Catherine II et Frédéric II refusent de promulger le décret pontifical), la Compagnie de Jésus venait d’être restaurée par Pie VII un an plus tôt (le 7 août 1814).

    [8] Collationnées par le P. Duley, dominicain, et publiées avec imprimatur en 1864. Réédité en trois volumes aux éditions Tequi sous le titre : Visions d’Anne-Catherine Emmerich.

    [9] Corneille van Bommel (Leyde 1790 - Liège 1852). Les extraits de lettres sont tirés de Analecta ecclesiastica Leodiensa, “Mélanges liégeois”, fasc. VI, J. Paquay, 1937, pp. 29-36. Les archives du diocèse de Liège abritent un considérable Fonds van Bommel où, entre autres richesses, l’on peut lire les originaux des lettres ici reproduites. Qu’il me soit permis de remercier M. Christian Dury, archiviste au diocèse de Liège, pour son chaleureux accueil (café et biscuits!), et M. Philippe Dieudonné, historien, pour ses avisés conseils de lecture.