Ecologie : ne pas tomber dans une vision irréelle de la création |
Bien avant Jean-Jacques Rousseau, saint François d’Assise a répandu une conception très optimiste de la création. Interrogé, voici quelque temps par l’hebdomadaire « Le Vif », sur cet aspect de la figure charismatique de François, Monseigneur Léonard avait fait remarquer à son interlocuteur, en citant saint Paul (Epitre aux Romains, 8,8), que la création, dans son état présent, est assujettie à la vanité et livrée à l'esclavage de la corruption. « N'oublions jamais cela », ajoutait-il : « François chante la beauté de la création, alors qu'elle est effroyablement cruelle. La création nous nourrit, mais elle nous tue. Elle contient tous les virus qui nous empoisonnent la vie. Je n'aime pas cet esprit franciscain béat qui célèbre sans nuance la beauté du cosmos. »
Cet été, une chaîne de télévision française passait un reportage impressionnant sur les Virunga, une chaîne de montagnes et de volcans située entre le lac Edouard et le lac Kivu, le long de la frontière entre le Congo, le Rwanda et l’Ouganda.Dans cette jungle humide, sanctuaire cynégétique des pygmées batwa, la faune et la flore sont magnifiques. Du gorille au babouin, une étonnante variété de singes l’occupe aussi. Elle ne se contente pas, comme on pourrait croire, d’y mâcher gentiment des herbes ou des feuilles : on voit des chimpanzés carnivores faire la guerre à d’autres tribus simiesques et la conclure en dévorant leurs congénères ennemis vaincus. Et dans l’ancien parc national Albert, le Nyiragongo domine le lac Kivu. A 3.500 mètres d'altitude au sommet de ce volcan, le spectacle du lac de lave au fond du cratère est toujours aussi fascinant. L’ennui c’est que cette lave bouillonnante se transforme quelquefois en une rivière incandescente qui déverse, à l’allure exceptionnelle de 100 km/heure, son magma brûlant dans les villages jusqu’à Goma, la ville la plus proche, située au bord du lac Kivu : une masse d’eau (superficie 2.700 km2, volume 500 km3) sous laquelle on a découvert, piégés en profondeur, l’existence de milliards de m³ de gaz méthane d’origine biogénique récente. Si la lave devait entrer en contact avec ce méthane, le cocktail provoquerait une gigantesque explosion meurtrière qui ruinerait aussi pour longtemps l’écosystème d’une des régions les plus peuplées d’Afrique de l’Est.
Ces deux exemples, parmi bien d’autres, illustrent l’ambiguïté de l’état transitoire du monde dans lequel se trouve la création depuis la chute originelle. La pertinence relative de la « franciscomania » qui s’agite autour de la récente encyclique papale sur l’écologie, intitulée « Laudato si » (l’incipit du cantique de François d’Assise sur les créatures), m’ont remis en mémoire un excellent texte de Monseigneur Léonard situant chaque chose à sa juste place. Il est extrait de « Agir en chrétien dans sa vie et dans le monde » (Editions Fidélité, Namur, 2011), un petit ouvrage remarquable publié en 2011, aux Editions Fidélité. Notre archevêque y traite (entre autres) de l’écologie : avec un réalisme, une concision et une clarté qui exclut toute forme d’idolâtrie de la nature ou de notre « mère » la terre. Cela s’intitule : « agir en chrétien pour la sauvegarde de la création. Nécessité d’une révolution métaphysique » (JPS) :
Agir en chrétien pour la sauvegarde de la création
« Je n’entrerai pas ici dans les questions controversées, parfois excessivement idéologiques, concernant le réchauffement climatique. Je me limite à un constat qui fait globalement l’unanimité : à plusieurs égards, la terre est en danger. L’humanité est en danger. Parce que, dans la course au profit immédiat et la recherche du confort à tout prix, les pays riches et les pays émergents saccagent la planète bleue. Nous en sommes tous complices. Tous, nous avons interprété, plus ou moins consciemment, le verset de la Genèse : « Emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1,28) comme s’il nous invitait à une tyrannie ignorante de tout respect. Maltraité, l’univers aujourd’hui se venge et malmène ses agresseurs. Il est grand temps de revoir, de fond en comble, notre relation à la création. Et nous ne sommes probablement qu’au début des problèmes. Les ressources pétrolières seront épuisées à moyen, peut-être même à court terme. Les recherches théoriques et pratiques concernant la production d’une énergie nucléaire sûre et propre ont pris du retard. La question de l’eau va devenir à brève échéance gravissime. Sans compter que les pénuries imminentes en fait d’énergie et d’eau risquent d’alimenter des conflits internationaux. La problématique écologique est trop importante pour être seulement un thème électoral, même si les remèdes à la situation périlleuse d’aujourd’hui doivent passer, de toute évidence, par l’action politique à tous les niveaux. Comme souvent, la charité effective passe par la politique. Mais, à plus long terme, l’attitude écologique suppose une révision fondamentale de notre rapport au monde.
La sauvegarde de la planète ne se réalisera pas sans une révolution métaphysique, celle qui concerne notre conception de la création et de notre rapport au monde. Sur ce point aussi, les chrétiens ont à être les témoins actifs de l’espérance. Quant à la sauvegarde de la planète, les chrétiens ont toutes les raisons de s’y investir puisque leur sens de la création leur donne, à la fois, un sens juste du monde et de la place de l’homme en son sein. Cela se reflète dans l'équilibre de l’anthropologie chrétienne. Celle-ci, en effet, insère humblement l’homme dans l’universalité du cosmos et, conjointement, souligne la transcendance de l’homme par rapport à la nature, en tant qu’il est créé à l’image de Dieu. Pour l’anthropologie chrétienne, l’homme ne sera jamais simplement ni le seigneur de la nature, son « maître et possesseur », comme disait Descartes, ni un « prédateur » qui, par principe, la menace. Reconnaissons que cet équilibre est parfois compromis aujourd’hui par les conceptions antihumanistes du Nouvel Âge, comme c’est le cas dans la « Charte de la Terre » promue par l'ONU. Selon l’authentique vision chrétienne, l’homme est plutôt « le berger » de la création. Il est la lumière en laquelle l’univers matériel accède à la conscience de soi. L’homme est la lumière créée de la création visible. C’est pourquoi il en est le berger. Mais il n’est le berger de la création qu’en étant le serviteur éclairé de sa beauté et le gardien de son mystère. Nous sommes souvent loin du compte. Et c’est redoutable. Dans le combat pour une écologie respectueuse de l’environnement, les chrétiens seront aussi sensibles à l’importance d’une « écologie humaine », selon une expression chère à Benoît XVI, et d’un regard qui s’élargit aux dimensions de toute la création. L’engagement chrétien pour une écologie humaine et réaliste En raison de l’humanisme qui habite la foi chrétienne et du vaste regard qu’elle porte sur la destinée eschatologique de la création, les chrétiens auront à veiller à ce que le souci écologique de la sauvegarde de la terre inclue aussi l’espèce humaine, menacée d’extinction, à moyen terme, en Occident, et, à long terme, sur toute la planète, sous la triple pression de la contraception, de la stérilisation et de l’avortement systématiques. Le respect des glaciers, des arbres, des oiseaux et des phoques est vital, mais il doit s’étendre aux petits d’homme dans le sein maternel. Le souci écologique ne peut rester muet devant le fait que, chaque année dans le monde, des dizaines et des dizaines de millions d'enfants passent à la poubelle. Il serait gravissime de ne voir en eux que de dangereux prédateurs potentiels de la planète. Le fait que nous soyons déjà nés ne justifie pas notre indifférence à l'égard de leur sort.
Notre position de chrétiens face à la problématique de la sauvegarde de la création sera d’autant plus audacieuse et équilibrée qu’une espérance folle nous habite quant à l’avenir ultime du cosmos. Nous croyons que celui-ci est destiné à la gloire depuis que Dieu a ressuscité Jésus d’entre les morts, inaugurant en lui des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Corrélativement, nous posons un regard réaliste sur la création dans son état présent, où elle est « assujettie à la vanité » (cf. Rm 8,20-22). Elle garde, certes, la marque foncière de sa beauté originelle et elle est traversée par les douleurs d’un enfantement plein d’espérance. Mais cela ne l’empêche pas d’être gravement blessée. Il nous faut donc respecter et aimer la création dans son état présent, mais sans l’idolâtrer, et avec réalisme, conscients de sa beauté foncière, confiants dans sa transfiguration à venir, mais lucides sur sa déchéance actuelle qui n’est pas entièrement surmontable ici-bas. Car le respect le plus rigoureux de la création physique et de l’homme n’empêchera jamais les échecs, les impasses, la souffrance, le vieillissement et la mort, typiques de l'univers déchu. Merci au Seigneur et à l’Église de nous permettre ce regard de foi sur les cieux qui chantent la gloire de Dieu, ce regard réaliste sur la création livrée, durant toute l’histoire, à la servitude de la corruption, et ce regard d’espérance sur un monde nouveau ! Le souci de l’environnement traduit, à l’intérieur de l’histoire, ce respect d’une terre où habite la justice.
En conclusion, je donne la parole à Benoît XVI, si préoccupé par la problématique environnementale : « L’Église a une responsabilité envers la création et doit la faire valoir publiquement aussi. Ce faisant, elle doit préserver non seulement la terre, l’eau et l’air comme dons de la création appartenant à tous, elle doit aussi protéger l’homme de sa propre destruction. Une sorte d’écologie de l’homme, comprise de manière juste, est nécessaire. La dégradation de l’environnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine : quand l’« écologie humaine » est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage ». (…) Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne humaine considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres » (encyclique Caritas in veritate, § 51). »
Ref. : Mgr A.-J. Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles
JPSC