La merveilleuse homélie posthume d'un père jésuite pour ses funérailles
En publiant son texte posthume, le blog « Belgicatho » présente ainsi la figure attachante de l’auteur : « le père Philippe Deschuyteneer, décédé le 9 août dernier, a été le formateur apprécié de nombreuses générations de rhétoriciens au Collège Saint-Michel à Bruxelles et, précédemment, au Collège Saint-Servais à Liège et aussi à Tournai et à Bujumbura. Personnalité forte aux emportements légendaires, il a marqué ses élèves par la profondeur de son enseignement et la chaleur de sa foi. Il a composé lui-même l'homélie de ses funérailles dont vous trouverez le texte ci-dessous. C'est un témoignage impressionnant où nous le retrouvons égal à lui-même dans toute la vivacité de son engagement au service du Christ et de l'Eglise dans les rangs des compagnons de saint Ignace ». Le rédacteur de « Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle se joint à l’hommage rendu par « Belgicatho » à un éducateur chaleureux, qu’il a connu à l’époque où celui-ci enseignait au Collège du Saint-Esprit à Bujumbura.
« Permettez-moi une dernière extravagance posthume : j’ai souhaité composer l’homélie de mes funérailles. Ce n’est pas pour vérifier, une fois de plus, mon totem scout : furet, soit, mais furet saugrenu.
En fait, j’ai plusieurs motifs, plus lumineux, de prendre la parole. Tout d’abord éviter à un confrère infortuné le souci de rassembler des souvenirs superficiels. Ensuite, vous faire grâce de l’évocation de mon passé.
Pourquoi retracer le parcours de mes pas vagabonds, comme s’exprime le verset d’un psaume. Cela pourrait satisfaire une curiosité qui occulterait l’essentiel. Il me semble plus profitable de partager avec vous quelques prières qui m’ont soutenu et arraché à moi-même.
L’évangile choisi vient de rappeler le cri de Saint Pierre, dans la tempête sur le lac : « Seigneur, si c’est toi, ordonne-moi de venir à toi ». Il m’a fallu longtemps pour découvrir que l’« Anima Christi » a repris cette prière de Pierre : « à l’heure de la mort, commande-moi de venir à toi ». Je la fais mienne en la modifiant légèrement : « Seigneur, PUISQUE c’est toi, donne-moi d’aller à ta rencontre ».
Si ce n’était pas lui, je n’aurais qu’une ressource : essayer, en vain, de m’échapper. Mais je n’ai pas envie, à cause de ce qu’il est, de lui tourner le dos : près de toi se trouve le pardon, pour que l’on découvre qui tu es.
La mort est le grand acte d’obéissance, démarche de dépouillement et de confiance. L’occasion de rectifier tous mes dérapages et de m’établir dans la vérité.
Je suis heureux d’obéir, enfin, avec tout moi-même. Je choisis d’y entrer librement, comme l’exemple du Christ y invite.
Je suis heureux d’être acculé à une confiance totale. J’ai envie de m’engager dans le sombre passage de la mort, parce que je crois que, dans l’inconnu, brille une lumière : celle d’un visage. « Fais luire sur moi la lumière de ta face ». Plus encore, une main saisira la mienne, comme il est figuré sur tant d’icônes. Jésus, descendu au séjour des morts, s’empare du poignet d’Adam. Et son geste est plus prompt que celui du terreux : « Au-devant de mon impatience, son impatience accourra ».
C’est le défi que Prométhée enchaîné jette à Zeus, mais je le reprends pour en faire une confession d’espérance dans l’élan de Jésus.
On dit souvent : dans la mort, nous ne savons pas où nous allons. C’est vrai, mais nous savons vers qui nous allons : « puisque c’est toi, donne-moi l’ordre de me laisser attirer par toi, par la puissance de ta générosité ».
Une autre prière m’a été fournie par le verset d’un psaume : Qu’ils ne cessent pas d’espérer en toi, ceux pour qui j’ai été un obstacle sur le chemin qui conduit vers toi ». Je l’ajoutais aux répons de Laudes et de Vêpres. Pas par piété, mais par nécessité.
Inutile de vider le sac de mon passé. Mais je tiens à reconnaître que j’ai été pierre d’achoppement. Je demandais – et je vais le faire plus et mieux – que le Seigneur, plein de tendresse, apporte les réparations, les guérisons dont je n’étais pas capable. J’ai essayé de m’ouvrir à son pardon, mais je le supplie de le faire fructifier chez les autres.
Confiez-moi à la fidélité du Seigneur : elle est meilleure que la mienne.
Mais n’oubliez pas de le remercier avec moi pour tout ce qu’il a prodigué au fils prodigue que je suis.
Merci pour le privilège de ma famille et de sa précieuse affection.
Merci pour tant d’amies et d’amis : ils m’ont entouré et encouragé. Je n’ai jamais eu l’impression d’être un moineau solitaire au bord du toit.
Merci pour la grâce de ma vocation qui m’a atteint à travers eux tous. Elle témoigne de l’humour et de la patience du Seigneur. Elle en a peut-être étonné plus d’un. Elle m’a étonné le premier.
Merci pour toutes les fois où les paroles du Christ et les textes de la foi sont devenus ardents, comme les braises sur lesquelles l’Esprit souffle.
Merci pour mes frères jésuites et mes compagnons scouts : ils m’ont aidé à suivre les traces de ses pas.
Je ne sais pas à l’avance comment je serai mort, mais je voudrais vraiment ne pas m’être débattu.
Dans le Canon de Vatican II, pour la messe de réconciliation, il y a une formule qui est une magnifique définition de la mort « le jour béni de ta venue et de notre joie ». Ce jour-là, en effet, s’accomplit le vœu ardent que j’emprunte à Ignace d’Antioche : « Theou epituchein » : « obtenir Dieu, obtenir de le rejoindre ». Que de fois, dans le bréviaire, j’ai été amené à souhaiter : « Ne me cache pas ton visage »
Un mot de l’abbé Pierre m’a frappé : « Mourir c’est rencontrer »
Rencontrer Dieu, comme on vient de l’augurer. Mais rencontrer aussi, revoir tous les miens, transformés, et reconnaissables, selon le meilleur d’eux-mêmes.
Grâce à la mort, je vais, enfin, devenir capable d’aimer : unifie mon cœur. Quelle explosion de joies multiples !
D’autant qu’il nous sera donné de nous associer à l’action de grâce du Christ à jamais vivant.
Si j’ai dépassé la mesure d’une homélie, ne m’en veuillez pas, cela ne m’arrivera plus.
Mais j’ai cédé au plaisir de partager ces prières avec vous, avec vous tous qui avons fait route ensemble pour ensemble le trouver. Ainsi soit-il ! »
JPS