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Eglise du Saint-Sacrement à Liège - Page 34

  • Le régime des cultes en Belgique : reconnaître la primauté de l'Etat ou obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ?

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    Retour au Joséphisme du XVIIIe siècle ? Les représentants des six cultes reconnus dans notre pays et ceux de la laïcité viennent de signer une déclaration dans laquelle il s'agit notamment de reconnaître la "primauté de l'Etat de droit sur la loi religieuse".  Pour faire bonne mesure, un décret wallon sur les cultes reconnus et donc salariés par les pouvoirs publics belges a été voté le 4 mai dernier : il  requiert des ministres de chacun de ces cultes une déclaration écrite sur l’honneur portant, entre autres, sur l’obligation de respecter la constitution, la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que l’ensemble des législations existantes  et de ne pas collaborer à des actes contraires à la constitution, à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et aux législations existantes. Qu'implique véritablement cette obligation pour les ministres du culte de respecter "les législations existantes" ? Cela voudrait-il dire, par exemple, qu’un prêtre n’est pas libre de manifester ou de critiquer des lois en contradiction avec l'éthique catholique (par exemple sur l'avortement, l'euthanasie, l'adoption d'enfants par des couples de même sexe, etc) ?

    Dans une société libérale et démocratique, même si une loi ne comporte pas d’atteinte à la liberté des consciences (a fortiori si elle viole cette liberté) sa valeur  ajoutée pour le bien de la société peut toujours être contestée : la liberté d’opinion s’applique à tous les citoyens. Toutefois, les titulaires d’une fonction publique, assermentés ou non, ont à cet égard une obligation de réserve. Les ministres des cultes reconnus par les pouvoirs publics doivent-ils y être assimilés ? Ils l’étaient pratiquement sous l’Ancien Régime qui confondait l’Eglise et l’Etat. Même s’il n’était pas fondamentalement antireligieux, le "joséphisme" tatillon du XVIIIe siècle avait laissé de mauvais souvenirs aux constituants belges de 1831 et le libéralisme ambiant fit le reste : ils instituèrent donc le régime de l’Eglise libre dans l’Etat libre.

    Néanmoins, les habitudes séculaires ont laissé des traces. Ainsi, après avoir aboli la reconnaissance civile du mariage religieux, le constituant belge précise :  « le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s’il y a lieu » et, pour que nul n’en ignore, l’article 267 du code pénal ajoute : « sera puni d’une amende de [cinquante à cinq cents euros] tout ministre du culte qui procédera à la bénédiction nuptiale avant la célébration du mariage civil » et, en cas de récidive « il pourra, en outre, être condamné à un emprisonnement de 8 jours à trois mois ». Par ailleurs, sans qu’elle établisse un lien statutaire ou contractuel entre le ministre d’un culte reconnu et la puissance publique, la loi pénale belge dispose, dans son article 268 : « seront punis d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de [vingt-six euros à cinq cents euros] les ministres d'un culte qui, dans l'exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l'autorité publique ».

    Ces vieilles dispositions pénales, jamais abrogées, serviront peut-être demain au juge ou au législateur pour définir la portée de l’obligation faite au clergé de « respecter les lois » que l’Etat fédéral et le récent décret wallon formalisent aujourd’hui par une déclaration « sur l’honneur ». Dans le même sens depuis quelques années déjà, toute une jurisprudence dans les procès impliquant des personnes relevant d’un statut canonique tend à exercer désormais un contrôle interne du juge civil sur le bien-fondé des dispositions prescrites par le droit de l’Eglise. A libéralisme, libéralisme et demi…

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    Mais, dans le monde occidental aujourd’hui sécularisé, dont les lois contredisent toujours plus celle de Dieu, des enjeux infiniment plus graves, se profilent à l’horizon. Un texte de Benoît XVI nous invite à y réfléchir :

    «  Saint Pierre se trouve devant l’institution religieuse suprême (le Sanhédrin), à laquelle on devrait normalement obéir, mais Dieu se trouve au-dessus de cette institution et Dieu lui a donné un autre « règlement »: il doit obéir à Dieu. L’obéissance à Dieu est la liberté, l’obéissance à Dieu lui donne la liberté de s’opposer à l’institution. Et les exégètes attirent ici notre attention sur le fait que la réponse de saint Pierre au Sanhédrin est presque ‘ad verbum’ identique à la réponse de Socrate au juge du tribunal d’Athènes. Le tribunal lui offre la liberté, la libération, à condition cependant qu’il ne continue pas à rechercher Dieu. Mais rechercher Dieu, la recherche de Dieu est pour lui un mandat supérieur, il vient de Dieu lui-même. Et une liberté achetée en renonçant au chemin vers Dieu ne serait plus une liberté. Il doit donc obéir non pas à ces juges – il ne doit pas acheter sa vie en se perdant lui-même – mais il doit obéir à Dieu. L’obéissance à Dieu a la primauté […]

    Dans l’histoire de l’humanité, ces paroles de Pierre et de Socrate sont le véritable phare de la libération de l’homme, qui sait voir Dieu et, au nom de Dieu, peut et doit obéir non pas tant aux hommes, mais à Lui, et se libérer ainsi du positivisme de l’obéissance humaine. Les dictatures ont toujours été contre cette obéissance à Dieu. La dictature nazie, comme la dictature marxiste, ne peuvent pas accepter un Dieu qui soit au-dessus du pouvoir idéologique; et la liberté des martyrs, qui reconnaissent Dieu, précisément dans l’obéissance au pouvoir divin, est toujours l’acte de libération à travers lequel nous parvient la liberté du Christ.

    Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous ne vivons pas sous une dictature, mais il existe des formes subtiles de dictatures: un conformisme qui devient obligatoire, penser comme tout le monde, agir comme tout le monde, et les agressions subtiles contre l’Eglise, ainsi que celles plus ouvertes, démontrent que ce conformisme peut réellement être une véritable dictature. Pour nous vaut cette règle: on doit obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Dieu n’est pas un prétexte pour la propre volonté, mais c’est réellement Lui qui nous appelle et nous invite, si cela était nécessaire, également au martyre. C’est pourquoi, confrontés à cette parole qui commence une nouvelle histoire de liberté dans le monde, nous prions surtout de connaître Dieu, de connaître humblement et vraiment Dieu et, en connaissant Dieu, d’apprendre la véritable obéissance qui est le fondement de la liberté humaine » (Extrait d’une homélie prononcée devant la Commission biblique pontificale, dans la chapelle Pauline (15 avril 2010). 

    Jean-Paul Schyns

  • A propos de l'affaire Mercier: Savonarole réanimé à Louvain-la-Neuve

    contrat Delta ingenieur stabilité339.jpgC'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher (Descartes). Il semble qu’à l’Université Catholique de Louvain (UCL), on ait amendé la mise en garde cartésienne contre l’esprit moutonnier : on peut y philosopher, sans doute, mais seulement en fermant les yeux sur les questions susceptibles de déranger le consensualisme du « vivre ensemble ». C’est que nous sommes sous le règne du prêt-à-penser, absolument incompatible avec... la philosophie. 

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    Brève chronique de l’événement

    Même si l’« affaire Mercier » a fait grand bruit dans les médias, un bref rappel des faits n’est peut-être pas inutile. Début février 2017, Stéphane Mercier, docteur en philosophie, chargé de cours invité à l’Université Catholique de Louvain (UCL)[1], présente à plus de cinq cents étudiants de première année (environ 250 en Sciences appliquées et 300 en Sciences économiques et politiques) un argumentaire intitulé La philosophie pour la vie. Contre le prétendu « droit de choisir » l’avortement et qui, indique l’auteur, suit de près celui de Peter Kreeft[2]. Loin de soulever dans l’auditoire le tollé dont allaient, le mois suivant, parler les médias, le professeur poursuit son cours pendant cinq semaines d’affilée, « sans le moindre problème », me précise M. Mercier. Mais le 14 mars, un (ou une) élève du 1er baccalauréat en Sciences politiques alerte l’association féministe « Synergie Wallonie pour l’égalité entre les femmes et les hommes ». Le texte de l’exposé paraît le 21 mars sur la Toile. Émoi dans les réseaux sociaux. 

    À peine saisie, l’UCL réagit durement et convoque l’enseignant, dont elle suspend illico la fonction. Le 21 mars, sur le site de la RTBF, Tania Van Hemelrijck, « conseillère du Recteur à la politique du genre » – une appellation pas très... neutre – déclare : Ce sont des propos totalement inacceptables étant donné que l’UCL défend ce droit [sic] fondamental à l’avortement. Sur le même site, on lit encore : l’autre argument avancé par l’UCL est que « le droit [resic] à l’avortement est inscrit dans la constitution [reresic], et qu’il n’y a pas à sortir de là ». Comme si un texte juridique était en soi une référence irréfragable en matière de philosophie ! Le même jour, l’UCL s’empresse de désavouer publiquement son invité avant même de l’entendre :  Quelle que soit l’issue de l’instruction, le droit [rereresic] à l’avortement est inscrit dans le droit belge et la note dont l’UCL a connaissance est en contradiction avec les valeurs portées par l’université. Le fait de véhiculer des positions contraires à ces valeurs est inacceptable. Ce communiqué en étonna plus d’un. Après s’être référé à une loi (dont il altérait l’objet[3]), il affirmait, en fait, que le respect dû à tout embryon humain n’était pas au nombre des valeurs d’une université catholique. En outre, il légitimait l’avortement par sa légalité (en Belgique), comme si la loi, en disant le droit, décrétait, ipso facto et infailliblement, la morale. Après une telle injure au bon sens, l’UCL méritait bien un rappel à l’ordre. Elle l’a eu. Le 26 mars, à Bruxelles, Stéphane Mercier, prenait la parole à l’occasion d’une « Marche pour la vie » qui rassembla de deux à trois mille personnes. Actuellement, M. Mercier est licencié, mais a introduit un recours auprès de la commission disciplinaire.  Adhuc sub judice lis est ; autrement dit : l’ordalie est en cours.

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    Un curieux attelage philosophique : UCL-SW

    Nous ne sommes pas à Florence, ni au XVe siècle, mais tout de même ! Si l’UCL n’a pas voué au gibet et au bûcher le Savonarole louvaniste, elle l’a de fait trucidé académiquement pour avoir amorcé une disputatio malséante, inconvenante, inopportune, en deux mots : politiquement incorrecte. Pensez un peu : le misérable avait osé aborder un sujet, l’avortement, tellement anodin et banal, il est vrai, que d’aucuns voudraient le retirer du code pénal. Ce nouveau « progrès » est, en effet, à l’ordre du jour de plus d’une officine, qui, naturellement, s’oppose à tout projet visant à conférer un statut juridique à un fœtus ou à un enfant mort-né. Or, depuis Socrate, tous les pédagogues le savent : l’actualité d’une question est un puissant facteur de motivation. Il était donc particulièrement opportun d’engager sur la question un débat philosophique avec des rhétoriciens fraîchement émoulus. Avec la disparition des « humanités » et, partant, la décadence du cours de français, nos jeunes étudiants n’ont guère appris à disserter[4] ! Mais voilà : l’impertinent Mercier avait, sur la question, défendu une thèse contraire à la seule doxa bienséante, celle du progressisme main stream, comme dit Finkielkraut. Le déferlement de blâmes qui accabla l’enseignant  procède d’une étrange conjuration : s’y coalisent, notamment, des associations féministes – comme « Synergie Wallonie » (SW) – et des laïcistes militants, mais aussi une institution dite « catholique » dont le grand chancelier n’est autre – ex officio – que l’Archevêque de Malines-Bruxelles. On aura vraiment tout vu !

    Morale et Génétique

    Quelles objections oppose-t-on à l’argumentaire incriminé ? Les plaignants de SW situent le débat sur le terrain des opinions : L’auteur du texte est opposé à la pratique de l’avortement pour différentes raisons, dont le droit à la vie du fœtus, qu’il considère comme un être humain. Nous ne partageons pas son opinion car nous revendiquons le droit pour les femmes de disposer de leur propre corps. Or, sur ce point, M. Mercier rappelle non une opinion, mais les données de la Science : primo, l’individuation de l’embryon est assurée dès le début du processus vital ; secundo, de la conception à la mort, il n’y a aucune solution de continuité. Très pertinemment, l’auteur souligne l’impossibilité (et le ridicule) de justifier une quantification du respect dû à un fœtus sur un critère de temps et de lieu. Bref, la génétique confirme un sentiment intime, à savoir l’altérité mère-enfant, lequel enfant n’est jamais, en aucune façon, une propriété. Comme l’observait le grand généticien français Jérôme Lejeune : Si l’on supposait que ce qui se développe dans le ventre de la mère n’est pas un être humain, pourquoi donc ferait-on une loi spéciale pour l’éliminer ? Il n’y a pas de loi pour réglementer ou pour interdire d’arracher une dent ou d’enlever une tumeur[5].

    L’altérité de l’embryon par rapport à sa mère : voilà le point faible de l’argumentaire opposé à celui de M. Mercier. Mon ventre est à moi, c’est, avec le spectre des faiseuses d’anges, le slogan qu’en France, Simone Veil a sans doute le plus exploité. Elle-même indique que, si elle se refuse à entrer dans des discussions scientifiques [elle admet les enseignements de la génétique] ou philosophiques, elle tient cependant à observer : La seule certitude sur laquelle nous puissions nous appuyer, c’est le fait qu’une femme ne prend pleine conscience qu’elle porte un être vivant qui sera un jour son enfant que lorsqu’elle ressent en elle-même les premières manifestations de cette vie[6]. Dans un essai, j’ai longuement analysé la dialectique déployée par l’ancienne ministre de la Santé, et l’on conviendra que, sur ce point, son opinion est assez personnelle, comme je l’ai souligné :

    Tout importantes qu’elles soient, les approches juridique et scientifique des questions analysées ici, n’exemptent pas d’enrichir le débat d’un éclairage de nature plus existentielle, plus proche de l’intimité des personnes et de leur vécu. Une question, récurrente dans la vie comme dans les romans et autres fictions, est extrêmement révélatrice de la manière dont une femme enceinte, son partenaire et leur entourage peuvent s’interroger à la survenue d’une grossesse non désirée. Que les protagonistes s’expriment de façon voilée (Que fait-on?) ou plus ou moins explicite (Va-t-on « le » garder? ou Fais- « le » passer!), tous parlent d’un même sujet, et qui, dans leur esprit, ne se réduit pas à un quelconque agglomérat de cellules. Le pudique pronom le est à l’évidence un substitut pour bébé ou enfant. Et l’on notera que ces interrogations s’imposent bien avant que la femme ne ressente en elle les premières manifestations de la vie, quoi qu’en dise Simone Veil. Pour n’être pas de nature juridique ni scientifique, les propos de ce genre n’en ont que plus de prégnance authentiquement humaine: ils révèlent ce que les protagonistes vivent en leur for intérieur dans un désarroi que d’aucuns nommeront situation de détresse, une expression qui appelle plus aisément la compassion, au risque d’occulter le tragique d’une autre destinée, latente celle-là. Le langage, ici encore, se fait le serviteur des causes les plus contestables…[7]

    Mise en exergue dans toutes les critiques mais toujours citée hors contexte, la comparaison avortement-viol, a soulevé une indignation discutable, évidemment logique si l’IVG n’est pas considérée comme un meurtre, mais parfaitement rationnelle dans le cas contraire ; si le viol est évoqué, c’est  précisément parce que, plus médiatisé, il  est ressenti, notamment par un auditoire de jeunes anesthésiés en matière d’IVG-IMG-GPA, comme un sommet dans l’horreur, alors que l’IVG – un sigle ! – est devenue une pratique « sociétale » presque banalisée à la faveur d’une loi toujours plus laxiste et de mœurs toujours plus permissives. La violence faite à un fœtus lors d’un acte abortif est comme escamotée par le fait que, médicalisée, l’intervention se déroule quotidiennement, légalement, en milieu hospitalier et bénéficie d’une aide sociale, tous gages extérieurs d’honorable normalité. Les IVG-IMG se comptent annuellement par milliers en Belgique[8], mais, médiatiquement, c’est un non-événement, contrairement aux procès criminels, tel le viol, qui défraient les chroniques judiciaires : le temps du Dr Willy Peers est, de longue date, révolu.

    Une cacophonie pas très catholique à l’UCL

    Au sein même du monde « catholique », le cas Mercier a créé un profond malaise et suscité de vives oppositions. La discorde fut évidente à l’UCL. Le montrent, entre autres analyses, le Oui du pro-recteur Marc Lits et le Non du professeur émérite Silvio Marcus Helmons, en réponse à la question : Fallait-il suspendre le cours du professeur Mercier [9].

    Dans une rencontre avec Christian Laporte, le professeur émérite de l’UCL Vincent Hanssens, contempteur du discours politique (!) de M. Mercier, souligne qu’une université catholique se doit d’assurer un enseignement axé fondamentalement sur la recherche scientifique et non sur la Révélation[10]. Et alors ? M. Mercier ne dit pas autre chose : Ce qui est proposé ici est un argument philosophique, pas un argument théologique reposant sur la Révélation. En vérité, la position de l’Université est doublement intenable : non seulement elle bafoue, à l’évidence, son identité idéologique, mais aussi et surtout, elle porte atteinte à son identité académique en se soumettant à la pire des dictatures pour une institution universitaire, celle de la pensée dominante et du politiquement correct. À cela s’ajoute, avec une belle inconséquence, l’affirmation réitérée de l’attachement de l’UCL à la liberté académique ! Heureusement, tous les ex-collègues de M. Mercier ne s’alignent pas sur les positions officielles de leur Alma Mater. Ainsi, dans Le Soir (mis en ligne le 29 mars), a paru un article intitulé Propos anti-avortements à l’UCL : la liberté académique menacée ? où s’exprime l’inquiétude de deux professeurs émérites de l’UCL ; l’un signe Jean Bricmont, athée et pro-choix, et l’autre, Michel Ghins, catholique et pro-vie.

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    Des réactions pastorales diverses 

    Dans l’affaire qui nous occupe, l’épiscopat aura donné un exemple achevé de langue de buis et d’irénisme. Répondant à une pétition de « Pro Christiana » en faveur du jeune professeur, les évêques francophones de Belgique, légitimant les exigences pédagogiques de l’UCL, laissèrent entendre qu’un débat sur l’avortement n’avait peut-être pas sa place dans un cours d’initiation à la philosophie et qu’en outre, la question ne pouvait, somme toute, être tranchée qu’en élevant la disputatio au niveau de la théologie. Pour ce qui est de la pédagogie, j’ai montré en quoi un débat sur un sujet sociétal litigieux est, au contraire, tout à fait opportun. Quant à la dévolution à la seule théologie d’une doctrine qui est défendable sur des bases purement philosophiques, elle confine au fidéisme : le Fides et Ratio de saint Jean-Paul II n’est pas opposable à l’Evangelium Vitae du même pape. Pour pacifier les esprits, nos évêques ont évidemment préféré citer un passage consolateur et rassembleur de Misericordia et misera où le pape François rappelle que si l’avortement est un péché grave [...], il n’existe aucun péché que la miséricorde de Dieu ne puisse rejoindre et détruire quand elle trouve un cœur contrit qui demande à être réconcilié avec le Père.

    De son côté, le R.P. Tommy Scholtès, porte-parole de la Conférence épiscopale, tint, forcément, des propos peu convaincants : Les mots de Stéphane Mercier me paraissent caricaturaux. Le mot meurtre est trop fort : il suppose une violence, un acte commis en pleine conscience, avec une intention, et cela ne tient pas compte de la situation des personnes, souvent dans la plus grande détresse.[11] Ni violence, ni  pleine conscience, ni intention dans un acte d’IVG ? Quant à la « situation des personnes » – qui n’est pas l’objet premier du propos – elle n’est pas ignorée dans l’argumentaire incriminé, même si elle aurait certainement donné lieu à des développements ultérieurs ; n’oublions pas que l’enseignant inscrivait son exposé dans la perspective de débats, dont son texte est explicitement une amorce : Il est tout à fait permis de discuter : la philosophie sert précisément à cela.

    À propos de commentaires « ecclésiastiques », il faut citer la très belle exhortation du R.P. Charles Delhez Poursuivre l’aventure de la vie[12], remarquable de justesse, d’humanité, de pondération et de miséricorde, mais ferme dans les convictions et fidèle à la doctrine de l’Église.

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    And the winner is...

     

    Au final, il est clair que l’ « affaire Mercier » est une manifestation de plus des effets délétères d’une police de la pensée dans un monde qui s’autodétruit par individualisme, relativisme et hédonisme. Pareille atteinte à la liberté académique et à la liberté d’expression ne peut que disqualifier ses auteurs, d’autant qu’ils appartiennent au monde universitaire. Du moins l’incident aura-t-il eu le mérite de réveiller quelques consciences à propos d’une question jugée dépassée du fait que les mœurs et la loi y auraient apporté une réponse définitive. Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes, écrivait déjà Heinrich Heine ; la censure fut, hélas ! le fait du Savonarole florentin, mais rien de pareil n’est à redouter à Louvain-la-Neuve.  

    L’inévitable querelle intestine qui s’est déclarée entre croyants ne pouvait qu’amuser la galerie des athées militants. On imagine aisément leur jubilation à réactualiser une séquence fameuse de La Grande Vadrouille : sous bonne garde teutonne passent deux Français capturés (Stanislas-de Funès et Augustin-Bourvil), mais déguisés en « collègues » de la Feldgendarmerie ; surpris par cet improbable défilé, le désopilant Paul Préboist confie à son copain de pêche : V’là qu’ils s’arrêtent entre eux maintenant, ça doit pas marcher ben fort !

    Mutien-Omer Houziaux,

    ancien embryon.

    [1] Et non professeur, comme l’a rappelé l’aimable rectification cathoDique d’un évêque. – Les médias ont laissé entendre que M. Mercier était un novice dans le métier. En réalité, son curriculum vitae mentionne six années d’assistanat, quatre années au FNRS en qualité de chargé de recherches et trois années consécutives à l’UCL en qualité de chargé de cours (par renouvellement annuel).

    [2] Né en 1937. Professeur de philosophie au Boston College de Chesnut Hill et au KIng’s College de NewYork.

    [3] En Belgique, l’avortement reste un délit, qui peut être dépénalisé sous certaines conditions.

    [4] Ancien professeur de français, chercheur et enseignant à l’université, j’ai huit petits-enfants et un arrière-petit-fils... et des centaines d’anciens étudiants. Je sais de quoi je parle ! Indigence lexicale, pauvreté syntaxique, absence de rigueur intellectuelle, massacre de l’orthographe, culture classique en berne : un diagnostic largement partagé par nombre de collègues. Quant au salut par un certain Pacte d’Excellence, la chose relève plutôt de la foi (en sainte Rita). 

    [5] http://publications.fondationlejeune.org/article.asp?filename=fjl441.xml

    [6] Simone Veil, Une vie, Stock, 2007, pp. 352-353.

    [7] M.-O. Houziaux, À contretemps. Regards politiquement incorrects. Préface de M. Dangoisse, Mols, 2010, p. 90.

    [8] Le dernier rapport (2012) de la Commission (belge) d’évaluation de l’avortement indique une augmentation constante du nombre d’IVG ; de 2006 à 2011, ce nombre est passé de 17.640 à 19.578. Les chiffres déclarés sont très inférieurs à la réalité car souvent les hôpitaux ne déclarent pas les avortements ni les médecins gynécologues en pratique cabinets privés, me signale Carine Brochier, Project Manager à l’Institut Européen de Bioéthique. Et l’on ne parle pas des embryons (dis) qualifiés de surnuméraires (et réifiés) ni des avortements médicamenteux.

    [9] La Libre Belgique du 28 mars 2017, pp. 40-41. En pages 42 et 43, le même quotidien donne aussi la parole à Henri Bartholomeeusen, avocat et président du Centre d’Action laïque, qui s’insurge contre le prétendu simplisme d’un opposant à l’IVG, Alain Tiri, auteur d’un article intitulé « Le progressisme ou la mort de la pensée », également paru dans LLB (23 mars 2017).

    [10] Christian Laporte, « L’UCL est d’abord une université », La Libre Belgique, 3 avril 2017, p. 8.– Sur le site de Belgicatho, 10/04/2017, le R.P. Xavier Dijon, professeur émérite (UNamur) a convenu, avec son collègue Hanssens, qu’une université catholique n’était pas une institution ecclésiale, mais ajoute que, pour autant, elle ne peut s’abstraire d’une conscience spécifique : Est-il sûr par exemple que la façon dont les embryons humains sont traités aujourd’hui dans nos centres de recherches correspond à la dignité dont ils sont titulaires ? X. Dijon souligne aussi la légitimité d’un débat académique sur une question déjà tranchée par le pouvoir politique.

    [11] Le Soir, 27 mars 2017, p. 7.

    [12] La Libre Belgique, 3 avril 2017, p. 45. Le R.P. Delhez rappelle  que, pour le généticien agnostique Axel Kahn, on peut, s’agissant de l’embryon, parler de singularité admirable et de début possible d’une personne.

  • Summorum Pontificum : bilan du Motu Proprio (7/7/2007 – 7/7/2017)

    De Christophe Geffroy dans le mensuel « La Nef » (n° 294, juillet-août 2017)

    benedictxvi.jpg« Le 7 juillet 2007, Benoît XVI signait Summorum Pontificum, « lettre apostolique en forme de Motu proprio sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970 ». Texte historique dont l’importance n’a sans doute pas été encore appréciée à sa juste valeur, tant il dénoue une situation inextricable qui va au-delà de la seule question des traditionalistes attachés à l’ancienne forme liturgique. Même si contribuer à régler cette question épineuse a bien été aussi l’une de ses fins.

    Souvenons-nous, le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre consacrait quatre évêques contre la volonté clairement notifiée du pape Jean-Paul II, lequel publiait aussitôt le Motu proprio Ecclesia Dei (2 juillet 1988) pour donner un statut juridique à la messe dite « de saint Pie V », dont un indult de 1984 concédait un usage très parcimonieux, et pour permettre l’érection de structures d’accueil pour les prêtres et fidèles traditionalistes qui ne voulaient pas suivre le prélat d’Écône dans sa rupture avec Rome. C’est ainsi que fut créée la Fraternité Saint-Pierre avec d’anciens prêtres et séminaristes de la Fraternité Saint-Pie X ; d’autres instituts suivront plus tard, tandis que des communautés religieuses furent canoniquement érigées ( le Barroux,  Chémeré, etc.).

    Benoît XVI souhaitait faire plus. D’abord, rendre à ce qu’il a nommé la « forme extraordinaire » du rite romain l’honneur et les droits qui lui étaient dus. Ensuite, aider les fidèles désireux de suivre cette forme liturgique, en l’installant dans les paroisses, tout en donnant un signe fort à la Fraternité Saint-Pie X, puisqu’il répondait ainsi à l’une de ses revendications majeures. Enfin, par-delà le problème traditionaliste, l’aspect visionnaire du pape était de contribuer à la réconciliation interne dans l’Église secouée par la crise post-conciliaire : face à l’esprit de la table rase qui a fait tant de dégâts, dans la liturgie tout particulièrement où la réforme de 1969 a été trop souvent appliquée avec une brutalité et une volonté de rupture détestables, Benoît XVI a voulu opérer dans l’Église une réconciliation avec son propre passé, et notamment son passé liturgique, selon la fameuse « herméneutique de la réforme dans la continuité » qui est l’un des points saillants de son pontificat. Pour aller dans ce sens, les évêques devraient promouvoir la célébration classique de la forme ordinaire, en revenant à l’orientation et au kyriale en latin, chanté en grégorien, ainsi que le suggère le cardinal Sarah.

    Cet aspect est assurément le plus important du Motu proprio et il n’a pas encore porté tous ces fruits, ce qui est somme toute normal à l’échelle du temps de l’Église.

    « DÉSENCLAVER » LE MISSEL TRIDENTIN

    Autre point mal compris de ce texte, le dessein du pape de « désenclaver » l’usage du missel tridentin pour ne pas le réserver à une minorité plus ou moins déconnectée des diocèses et en faire une forme liturgique vivante, susceptible, comme toute liturgie, d’enrichissements, le point de référence devant être la constitution conciliaire sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium. Benoît XVI a insisté sur « l’enrichissement mutuel » entre les deux formes du rite romain, sans rencontrer beaucoup d’échos…

    Sans doute l’esprit du Motu proprio a-t-il été quelque peu faussé par le fait que nombre d’évêques – dans quelle proportion, une étude serait à faire – n’ont pas joué le jeu de transférer réellement aux curés de paroisse la responsabilité d’accepter ou non une messe selon l’usus antiquior. Les instituts séculiers « Ecclesia Dei », de leur côté, n’étaient pas mécontents de voir ainsi confirmer implicitement leur quasi-monopole pour la célébration de la forme extraordinaire – tous les prêtres séculiers qui ont tenté des avancées selon les directives de Benoît XVI n’ont, de fait, jamais été réellement ni durablement soutenus par la hiérarchie, sauf en quelques rares lieux.

    Malgré cela, le Motu proprio a enclenché une dynamique inédite et ouvert des voies à une nouvelle génération de jeunes prêtres décomplexés sur les questions liturgiques, c’est assurément un bilan positif très encourageant. Certes, il reste encore du travail pour ouvrir les esprits, une partie de la hiérarchie demeurant méfiante à l’égard des traditionalistes, toujours regardés comme des fidèles suspects, et non comme une chance pour l’Église de demain (c’est pourtant le courant qui, en proportion de son nombre, a le plus de vocations), alors que certains d’entre eux semblent se contenter d’un entre-soi confortable en cultivant un exclusivisme liturgique peu en phase avec l’enseignement de Benoît XVI (1). Mais gageons que l’acceptation des différences légitimes est en marche, car « cette diversité constitue aussi la beauté de l’unité dans la variété : telle est la symphonie que, sous l’action de l’Esprit Saint, l’Église terrestre fait monter vers le ciel » (2). La paix dans l’Église tant recherchée par ce saint pape n’est-elle pas une condition nécessaire pour la crédibilité de l’évangélisation dont notre monde a un besoin si vital ?

    Merci, cher Benoît XVI, pour ce Motu proprio ! 

    Christophe Geffroy »

    (1) La conclusion de notre livre, Benoît XVI et « la paix liturgique » (Cerf, 2008), demeure d’actualité… neuf ans plus tard !

    (2) Jean-Paul II, Motu proprio Ecclesia Dei (1988), n. 5-a.

    Ref. Bilan du Motu Proprio

    C’est  peut-être ici le lieu de rappeler cet extrait de l’homélie de Mgr Delville, évêque de Liège, lors de la célébration de la Fête-Dieu 2017 selon la forme extraordinaire du rite romain, le samedi soir 17 juin dernier en l’église du Saint-Sacrement à Liège :  

    « Le partage du pain, devenu corps du Christ, nous fait communier avec lui et nous incite à communier avec nos frères et sœurs. Chaque communauté chrétienne est appelée à vivre cette communion fraternelle. Je vois qu’on vit cela en particulier dans cette église du Saint-Sacrement. On y pratique la liturgie ancienne, sous la forme extraordinaire. C’est un retour aux sources, aux textes, aux chants et aux gestes originaux de la liturgie, qui nous font découvrir avec soin la grandeur du mystère de vie et de mort qui se dévoilent dans la liturgie. Je remercie cette communauté pour cette mission qu’elle a assumée. C’est primordial d’être en communion les uns avec les autres, pour être des témoins authentiques de l’amour de Jésus dans notre monde. Si nous ne nous aimons pas les uns les autres, qui nous croira ? , qui nous fera confiance ? »

    JPSC

  • Brève histoire du sacrement de pénitence I. Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n° 99, été 2016)

     

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    Brève histoire du sacrement de pénitence (I)

    pénitence 1.jpgSous des dénominations diverses, le sacrement de la réconciliation existe depuis 2000 ans dans l’Eglise de Dieu et il perdurera jusqu’à la fin des temps. L’abbé Didier van Havre l’a justement écrit dans son vade-mecum de la confession  (Didier van Havre, « Prends soin de ton âme », 176 pp., éditions du Laurier, 1er trim. 2016,  ISBN : 9 782864 953784):   « comme nous sommes tous pécheurs, tant qu’il y aura des hommes sur terre, ce sacrement sera nécessaire pour se convertir et se réconcilier sacramentellement avec Dieu ». 

    Dans le numéro de Pâque Nouvelle que vous avez sous les yeux et les suivants, nous publions, par chapitres successifs, l’étude que Pierre-René Mélon consacre à l’histoire d’un sacrement aujourd’hui souvent délaissé dans beaucoup de  pays d’ancienne tradition catholique : elle vient à son heure, en cette année de la miséricorde.  

    L’étude de notre collaborateur montre ce qu’affirme l’abbé van Havre dans son manuel précité : au cours des âges, la célébration du sacrement de la réconciliation « a connu d’importants changements d’ordre disciplinaire et liturgique, mais sa structure fondamentale n’a jamais varié. Cette structure est essentiellement axée sur la conversion du pécheur et le recours à l’inépuisable miséricorde de Dieu. Elle est l’âme du sacrement et elle nous met en contact direct avec le Christ et son œuvre rédemptrice, avec la dignité de l’être humain et le sens de la vie humaine sur terre » : sous peine d’inefficacité, ce qui participe de l’essence même du sacrement doit subsister sous les mutations accidentelles. Notre collaborateur en rappelle d’abord les fondements théologiques  pour aborder ensuite l’histoire de ses éléments constitutifs, l’un après l’autre: la confession, la pénitence et  l’absolution, qui naturellement incluent la contrition et la satisfaction.

    La présente livraison est consacrée aux fondements scripturaires de ce sacrement et elle entame l’histoire de son premier élément constitutif, la confession de la faute : une histoire qui sera poursuivie dans le numéro suivant.

    Jean-Paul Schyns

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    Les paroles de Jésus sont claires : son sang est versé en rémission des péchés (Mt 26, 28). On pourrait dire que l’œuvre de la Rédemption trouve son accomplissement terrestre dans le pardon des péchés par lequel nous sommes lavés, sanctifiés, justifiés (1 Co 6, 11). Et pourtant, le premier sacrement de la miséricorde n’est pas la pénitence, mais le baptême ; c’est par le baptême que nous sommes « libérés du péché et régénérés comme fils de Dieu, que nous devenons membres du Christ, sommes incorporés à l’Eglise et faits participants à sa mission ».[1] Pour les premiers chrétiens, le baptême était immédiatement suivi de l’onction d’huile (chrismation ou confirmation) et de la réception de la sainte Eucharistie. Il s’agissait d’une véritable renaissance spirituelle et quelquefois physique (les guérisons n’étaient pas rares). On peut comprendre que toute rechute dans le péché grave était vécue comme une calamité et une humiliation.

    Il n’empêche que les persécutions qui ont ensanglanté les premiers siècles du christianisme ont poussé un certain nombre de baptisés à renoncer momentanément au témoignage de leur foi : en honorant d’une façon ou d’une autre le dieu-césar, ils s’affichaient publiquement comme idolâtres et apostats, et, s’ils sauvaient leur vie, leur sort était peu enviable au sein de l’Eglise ; en conséquence, certains convertis retardaient longtemps le moment de leur baptême (parfois jusqu’à la veille de mourir) par crainte de retomber dans le péché et d’être ainsi privés de la gloire du ciel.

    Pour les autres péchés graves (meurtre, adultère...) il existait toutefois une planche de salut, qui était comme un « second baptême »[2] : la pénitence (longue et rude) suivie du pardon, mais on ne l’accordait qu’une seule fois ! Les pénitences pouvaient avoir des conséquences pratiques redoutables : interdiction d’user du mariage, d’exercer le négoce ou le métier des armes, cela parfois même après la réconciliation ! En outre, cette lèpre spirituelle quasi indélébile constituait une irrégularité canonique pour l’accession aux ordres sacrés. A la fin du IIe siècle, saint Irénée, décrit l’état pitoyable des femmes qui, après avoir été séduites, font pénitence toute leur vie pour les péchés commis après le baptême ! [3]

    Les sept rémissions 

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    Repousser le baptême dans un futur éloigné ou vivre dans l’angoisse permanente de la chute, est-ce bien le but de la Rédemption ? Non, évidemment. Le sort des Juifs dans l’ancienne Alliance aurait pu sembler plus enviable, puisque pour eux le pardon était garanti par les sacrifices d’animaux et les offrandes rituelles, donc renouvelable et illimité, tandis que pour les chrétiens...

    Devant ces rigueurs extrêmes qui pouvaient décourager, Origène rappelle, au début du IIIe siècle,  deux vérités paradoxales mais salutaires : il souligne la gravité de tout péché [4] en même temps qu’il affirme que le pécheur pourrait rentrer en grâce avant d’avoir été admis à la communion (la longue privation de communion était une pénitence très répandue).

    Dans un autre texte, il décrit – en puisant dans l’Ecriture – les sept manières d’obtenir le pardon des péchés ; ce faisant, il prépare indirectement l’avènement de la pénitence privée et surtout du discernement et de la direction spirituelle.

    « Pour éviter que ta vertu tombe dans le désespoir, écrit Origène, écoute combien il y a de rémissions des péchés dans l’Evangile : la première est celle par laquelle nous sommes baptisés pour la rémission des péchés. La seconde rémission est dans le martyre subi. La troisième, celle qui est obtenue par l’aumône : le Seigneur a dit, en effet : « Donnez ce que vous avez et voici, tout est pur pour vous ». La quatrième se fait par là même que nous remettons leurs offenses à nos frères. La cinquième lorsque quelqu’un ramène un pécheur de son erreur. L’Ecriture dit en effet : celui qui ramène un pécheur de son erreur sauve son âme de la mort et couvre la multitude des péchés. La sixième se fait par l’abondance de la charité, selon le mot du Seigneur : Ses péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé. Il y en a encore une septième, dure et pénible, qui se fait par la pénitence, lorsque le pécheur inonde son lit de ses larmes et ne rougit pas d’avouer au prêtre du Seigneur son péché et de lui demander un remède ».[5]

    Le sacrement de pénitence est donc cette septième manière, « dure et pénible » d’obtenir le pardon des péchés, et il ne s’est développé dans l’Eglise que progressivement, comme nous allons le voir.  

    Les fondements dans les textes sacrés

    Pénitence 3 le fils prodigue.jpg 

    Qui pouvait donner l’absolution ? de quelle manière se confessait-on ? où aller pour se confesser ? y avait-il des périodes recommandées pour recevoir le pardon des péchés ? les règles étaient-elles les mêmes partout ? A-t-on connu des scandales, des abus, des merveilles ? Bien sûr. La matière est même si importante que nous partagerons cette brève histoire en plusieurs parties. Dans cette première partie, nous décrirons les fondements théologiques et leurs contestations (hérésies, déviations) puis nous aborderons la confession proprement dite ; par la suite, nous évoquerons les différents aspects de la pénitence et de l’absolution à travers les siècles.[6] 

    D’abord, quel nom donner à ce sacrement, à ce signe visible d’une réalité invisible ? Sacrement de la conversion ? de la confession ? de la pénitence ? du pardon ? En fait, le sacrement de la réconciliation (tel qu’on le nomme aujourd’hui) recouvre, indissociablement, ces quatre aspects d’une même réalité : il réalise sacramentellement l’appel de Jésus à la conversion ; l’aveu, la confession des péchés est un élément essentiel de ce sacrement ; il consacre une démarche de repentir et de pénitence ; par l’absolution sacramentelle du prêtre, Dieu accorde au pénitent le pardon et la paix ; et enfin, il donne au pécheur l’amour de Dieu qui réconcilie : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » (2 Co 5, 20).[7] 

    Dieu seul peut pardonner les péchés, ou celui à qui Dieu – à travers l’Eglise – le permet en son Nom. La source et l’établissement de cette puissance, inimaginable et inconnue jusqu’alors, se trouve dans ces paroles du Sauveur s’adressant à S. Pierre[8] : Je te donnerai les clés du royaume des cieux; et tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans le ciel. Un peu plus tard, après la Transfiguration, il fait part de la même puissance à tous les autres apôtres en leur répétant les mêmes paroles[9]. Il leur confirme ce pouvoir après sa résurrection, suivant l’apôtre S. Jean[10] qui nous apprend qu’après qu’il leur eut parlé, il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les aurez remis, et ils seront retenus à ceux à qui vous les aurez retenus.

    Un cas d’inceste, survenu à Corinthe parmi les baptisés, va permettre à S. Paul d’élaborer la conduite à tenir envers les grands pécheurs : Il faut livrer cet individu au pouvoir de Satan, pour la perdition de son être de chair ; ainsi, son esprit pourra être sauvé au jour du Seigneur.[11]

    Voilà donc ce pécheur public lié par l’Apôtre et les ministres de l’Eglise de Corinthe. Or, cet homme fut touché de repentir, il rentra en lui-même, quitta son crime et fit pénitence, sans doute jusqu’à l'excès ; l'Apôtre en fut averti et jugea qu’il était temps de délier cette âme ; et voici comment, six ans plus tard environ, il l’écrivit aux Corinthiens dans l’épître suivante : Pour celui-là, la sanction infligée par la majorité doit suffire, si bien que vous devez, au contraire, lui faire grâce et le réconforter, pour éviter qu’il ne sombre dans une tristesse excessive. Je vous exhorte donc à faire prévaloir envers lui une attitude de charité.[12]

    St.Paul a ainsi tracé aux ministres de l’Eglise le modèle de la conduite qu’ils doivent tenir à l’égard des grands pécheurs. Par la suite, l’Eglise a suivi le même esprit : le pécheur ne peut jamais être abandonné au désespoir, mais il ne reçoit le pardon qu’après avoir manifesté son repentir et accepté une pénitence proportionnée à sa faute, sachant que les péchés très graves pouvaient être « retenus », c’est-à-dire que le pécheur devait se soumettre à une lourde pénitence préalablement à l’absolution. Si les pénitences se sont considérablement allégées de nos jours, il reste vrai que la miséricorde et le pardon doivent toujours être précédés du repentir, de l’aveu et de la ferme résolution de se corriger, suivant la parole de Jésus à la femme adultère : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus ».[13]

    Hérésies et déviances

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    Montanus

    Jésus avait bien dit à Pierre : Il faut pardonner 70 x 7 fois... mais cette attitude miséricordieuse n’est décidément pas naturelle à l’homme, et des chrétiens rigoristes vont accuser de faiblesse ceux qui l’adoptent. De fait, le juste équilibre entre miséricorde et justice est bientôt contesté par Montanus[14] et ses disciples ; zélés jusqu’au fanatisme, ils insistent si fort sur la réforme des mœurs et l’austérité, qu’ils vont jusqu’à refuser l’absolution à ceux qui se sont rendus coupables de crimes graves (ils condamnent aussi comme diabolique la parure des femmes, la philosophie, les arts et les lettres). Pour les montanistes, seule une rude et persévérante pénitence permet d’obtenir la miséricorde de Dieu, mais pas l’absolution qui n’est donnée qu’une fois, au baptême. Ils interdisaient ainsi aux grands pécheurs, considérés comme impurs, d’entrer dans les églises.

    Tertullien, qui fut l’un de leurs disciples, précisait que l’on peut recevoir de l’évêque le pardon des « péchés véniels », mais que Dieu seul peut donner le pardon des péchés graves. Il en dresse d’ailleurs la liste : homicide, idolâtrie, fraude, reniement, blasphème, adultère, fornication, « et tous les autres crimes par lesquels on viole le temple de Dieu »[15]. Tertullien reconnaissait donc à l’Eglise le pouvoir de remettre les péchés véniels, mais, par un singulier raisonnement, il ne le souhaitait pas car, disait-il, « ceux à qui on les aura remis en commettront d'autres... L’esprit de vérité peut donc accorder le pardon aux pécheurs, mais il ne le veut point, pour ne pas causer la perte de plusieurs »... 

    Un siècle plus tard, même rigueur implacable de Novatien et de ses acolytes envers les grands pécheurs. Novatien, prêtre de Rome, était en lutte contre S. Corneille (qui lui avait été préféré comme pape[16]) : il reprochait à celui-ci d’admettre à la confession et à la communion les chrétiens qui avaient apostasié lors des persécutions de l’empereur Dèce (en 250). Les novatiens excluaient aussi du pardon de l’Eglise l’homicide, l’idolâtrie et la fornication, plus vraisemblablement tous les péchés mortels. Le pape Zéphyrin[17] quant à lui, était bien plus clément : il remettait les péchés d’adultère et de fornication à ceux qui avaient accompli leur devoir de pénitence, car, disait-il avec S. Jean, le sang de Jésus nous purifie de tout péché ».[18] Aux purificateurs forcenés qui sévissent à toute époque, on doit rappeler la béatitude : Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ! [19]

    Malgré l’exemple de Rome, l’attitude prépondérante envers les grands pécheurs demeura longtemps celle d’une extrême sévérité. Il apparaît aussi qu’en ces temps reculés chaque évêque ou «conférence épiscopale» appliquait une « tarification » qui lui était propre. Par exemple, au milieu du IIIe siècle, saint Cyprien[20] rapporte dans sa 52e lettre que les évêques d’Afrique qui l’avaient précédé fermaient la porte de la pénitence aux adultères. En 300, les évêques espagnols réunis au concile d’Elvire (près de Grenade) décident d’appliquer des « tarifs » de pénitence en fonction des péchés à expier : par exemple, refus de communion, même à l’article de la mort, aux fidèles qui ont fréquenté les temples des idoles, aux délateurs et aux faux témoins, tarif spécifique aux homicides et adultères suivi d’un avortement, ou à ceux qui ont manqué la messe le dimanche; la fornication est punie de 5 ans de pénitence, etc. Mais la moindre rechute fait perdre tout espoir de recevoir la communion...

    En Orient, à la suite de saint Grégoire le Thaumaturge (+ vers 270), les conciles d’Ancyre et de Néo-Césarée entrent encore dans plus de précisions et déjà est élaborée une distinction des pénitents en quatre classes. [21]

    Cette distinction entre les espèces de péchés et, en conséquence, le traitement à accorder au pécheur (absolution pour les péchés légers et attente dans la pénitence pour les péchés graves) persistera longtemps dans l’Eglise ; les sévérités novatiennes, dont on débattra encore au concile de Nicée (325)[22] ne s’éteindront en occident qu’au VIIIe siècle.

    Confession publique, confession secrète

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    Ces deux modes de confession étaient d’usage courant : comme de nos jours, on confessait en secret les péchés personnels, mais les péchés publics, sources de scandales, étaient généralement confessés en publics. Il arrivait aussi, pendant les six ou sept premiers siècles de l’Église, que l'on confessât publiquement même les péchés privés, soit que cette confession se fît volontairement à l’initiative du coupable (lequel par cette humiliation voulait implorer la miséricorde divine), soit qu’elle se fît sur le conseil du prêtre à qui l’on avait secrètement découvert ses fautes, et qui quelquefois, pour l’édification publique ou pour d’autres raisons, engageait le pénitent à déclarer en public les péchés qu’il lui avait confessés à l’oreille. 

    Ainsi donc, contrairement à une idée répandue, il n’a pas fallu attendre les moines irlandais (VIe et VIIe siècle) pour introduire sur le continent la confession particulière (appelée aussi confession secrète, confession à l’oreille ou auriculaire) ; celle-ci était pratiquée dès les origines de l’Eglise. On lit dans la Vie de Saint Ambroise, rédigée par Paulin que « Si quelqu’un lui venait confesser ses fautes, Ambroise pleurait de telle sorte qu’il obligeait le pénitent de verser des larmes; car il semblait qu’il fût tombé avec ceux qui avaient failli : or il ne parlait des crimes qu’on lui avait confessés qu’à Dieu seul, auprès duquel il intercédait pour les pécheurs ». S. Ambroise recevait donc le pénitent en particulier, puis intercédait pour lui dans ses prières.

    Les principaux scandales publics étaient évidemment occasionnés par les chrétiens tombés dans l’apostasie au cours des persécutions. Tertullien, dont on connaît la rigueur, écrit pourtant sur eux ces belles paroles d’encouragement : « Le corps ne peut se réjouir du mal qui arrive à l’un de ses membres. Il faut qu’il s’afflige tout entier et qu’il travaille tout entier à le guérir... Là où il y a un ou deux fidèles, là est l’Eglise, mais l’Eglise c’est le Christ. Donc lorsque tu tends les mains vers les genoux de tes frères, c’est le Christ que tu touches, c’est le Christ que tu implores. Et quand de leur côté tes frères versent des larmes sur toi, c’est le Christ qui supplie son Père ».[23] 

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    La confession publique n’était pas sans risque, et l’Eglise prenait les précautions nécessaires pour que cette confession ne portât pas préjudice à ceux qui la faisaient ; d'autant plus que les pénitents s’exposaient à la rigueur des lois civiles qui condamnaient à mort ceux qui avaient commis certains crimes soumis à la pénitence publique. La précaution dont l’Eglise usait à cet égard devint même paradoxalement plus nécessaire sous les empereurs chrétiens qui avaient décrété la peine de mort contre plusieurs crimes qui, sous les chefs païens, n'étaient pas considérés comme capitaux. Ainsi l’Eglise n’obligeait pas, par exemple, les homicides et les voleurs à s’accuser publiquement de ces péchés, non plus que les femmes qui étaient tombées dans l’adultère, ou les hommes qui auraient commis ce crime avec une femme noble ou au-dessus de leur condition sociale, pour ne pas les exposer à la rigueur des lois et aux autres inconvénients consécutifs à de pareils aveux. 

    Voici un exemple de scandale public qui se conclut en confession publique. C’est Eusèbe qui le raconte[24] : Natalios se laisse soudoyer (il reçoit par mois 150 deniers) pour tenir le rôle d’évêque et répandre l’hérésie selon laquelle Jésus n’est qu’un homme. Il sème ainsi le trouble pendant plusieurs années. Mais une nuit, favorisé de visions nocturnes et fouetté par des anges, ses yeux s’ouvrent et « à l’aurore, il se leva, revêtit un sac, se couvrit de cendres et courut tout en pleurs se jeter aux pieds du pape Zéphyrin, du clergé et du peuple ».

    L’andecote suivante illustre bien les risques et les limites de la confession publique.

    En 391, du temps que Nectaire était patriarche de Constantinople, une femme noble vint trouver le prêtre pénitencier et lui confessa en détail tous les péchés qu’elle avait commis depuis son baptême. Comme pénitence, le prêtre lui ordonna de s’appliquer aux jeûnes et à l’oraison. Mais cette femme s’accusa ensuite publiquement d’un autre péché, à savoir d’un « mauvais commerce » qu’elle avait eu avec un diacre de l’Eglise... Enorme scandale. Le diacre fut chassé, mais le peuple demeura dans une grande émotion, non seulement parce que ce crime s’était commis, mais encore à cause de l’infamie dont il couvrait l’Eglise. Comme à cette occasion les ecclésiastiques étaient devenus la risée de tout le monde, un prêtre d’Alexandrie – qui bénéficiait sans doute d’une certaine autorité – persuada Nectaire de supprimer la fonction de prêtre pénitencier et de laisser chacun approcher des sacrements selon sa conscience, pour éviter que l’Eglise ne subisse à nouveau de pareils opprobres. Ainsi fut fait, mais la fonction de pénitencier fut rétablie par le successeur de Nectaire, S. Jean Chrysostome (+407), grand apôtre de la confession.

    (A suivre)

    Pierre-René Mélon 

    _____________

    [1] Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 1213.

    [2] D’après Hyppolite, c’est sous le pape S. Calixte (+ 222) que ce “second baptême” pénitenciel est instauré.

    [3] Contre les hérésies, 13, 5-7.

    [4] « Par son péché, l’homme se sépare de Dieu, et cela qu’il ait été ou non excommunié officiellement », Homélies sur le Lévitique, XII, 6 ; XIV, 3.

    [5] Origène, seconde Homélie sur le Lévitique, citée par J. Daniélou, Origène, Cerf, 2012, p. 81.

    [6] Notre guide privilégié dans ce voyage à travers le temps sera la monumentale Histoire des sacrements / De sacramentis in genere, par Dom Charles-Mathias Chardon, osb, paru à Paris en 1745 et réédité en 1841 chez Drouin (dernière édition connue). Accessible sur le site de la Bibliothèque nationale de France http://gallica.bnf.fr

    Pour une approche plus théologique : Rondet H, sj, Esquisse d’une histoire du sacrement de pénitence, in « Nouvelle revue théologique », Bruxelles, 1958, tome 80/6, pp. 562-584. Disponible aussi à l’adresse http://www.nrt.be

    Autre référence: Paul Galtier, sj, Aux origines du sacrement de pénitence, Rome, Université grégorienne, 1951.

    [7] CEC n° 1423-1424.

    [8] Mt 16, 19.

    [9] Mt 18, 18.

    [10] Jn 20, 22-23.

    [11] 1 Co 5, 4. Le coupable – qui vivait en concubinage avec sa belle-mère – est éloigné de la communauté et abandonné au pouvoir que Dieu laisse à l’Adversaire ; mais la peine vise à la conversion (note Bible de Jérusalem).

    [12] 2 Co 2, 6-8.

    [13] Jn 8, 11.

    [14] Eunuque né en Phrygie (Asie mineure) au IIe siècle. Ses disciples croyaient qu’il était le Paraclet promis par le Christ; la mission qu’il s’était donnée était de parachever la Révélation, car le Christ n’avait pas tout révélé aux hommes en raison de leur impréparation (cf. Jn 16, 12-13).

    [15] Tertullien, écrivain latin chrétien (150-222?), connu pour son extrême rigueur. Traité De la Pudicité.

    [16] Saint Corneille, pape de 251 à 253.

    [17] Zéphyrin, pape de 198 à 217.

    [18] 1 Jn 1, 7.

    [19] Mt 5, 7.

    [20] Cyprien, évêque de Carthage (actuelle Tunisie), mort en 258.

    [21] Les questions liées à la pénitence seront développées ultérieusement.

    [22] En son chapitre 12, on peut lire ceci : Quiconque étant pénétré de la crainte de Dieu témoignera par ses larmes, sa patience et ses bonnes oeuvres, qu'il a changé effectivement de vie, sera par le mérite des prières rétabli dans la communion, après avoir accompli le temps marqué pour cette station de la pénitence.

    [23] Tertullien, De Poenitentia, 10.

    [24] Histoire ecclésiastique, livre 5, chap. 28.

  • Brève histoire du Sacrement de Pénitence II . Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, autom 2016

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    BREVE HISTOIRE DU SACREMENT DE PENITENCE (II)

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    Pour construire l’étude qu’il consacre à cette  « Une brève histoire du sacrement de pénitence »,  Pierre-René Mélon a  choisi, comme guide privilégié de son voyage dans le temps, la monumentale « Histoire des sacrements/ De sacramentis in genere », de Dom Charles-Mathias Chardon, osb, parue à Paris en 1745 et rééditée en 1841 chez Drouin (dernière édition connue) : elle est accessible sur le site de la Bibliothèque nationale de France http://gallica.bnf.fr

     Pour une approche plus théologique, notre collaborateur se réfère aussi à Henri Rondet, s.j. « Esquisse d’une histoire du sacrement de  la pénitence », in « Nouvelle revue théologique », Bruxelles, 1958, tome 80/6, pp.562-584, également disponible à l’adresse http://www.nrt.be  ainsi qu’à Paul Galtier,s.j. : « Aux origines du sacrement de pénitence », Rome, Université grégorienne, 1951.

    Dans une première partie de son exposé, publiée dans le n° précédent de « Vérité et Espérance –Pâque Nouvelle (n° 99, 2e trim. 2016, pp. 8 à 12), Pierre-René Mélon s’est attaché aux sources scripturaires du sacrement, à ses fondements théologiques et à leurs premières contestations (hérésies et déviances). Puis il aborde  l’histoire du premier élément qui le constitue : l’aveu de la faute, sa « confession », dont il poursuit l’analyse  dans le présent numéro. Viendront ensuite  la démarche de repentir et de pénitence, l’absolution sacramentelle qui accorde  le pardon  au pécheur  et l’amour de Dieu qui réconcilie. 

    Jean-Paul Schyns

    Où et comment se confessait-on ?

    Aux premiers temps de l’Eglise, la confession publique se fait dans l’église, la chapelle ou l’oratoire, à genoux ou prosterné par terre, couvert de sac et de cendre, face à l’autel, en présence de l’évêque et des prêtres, et quelquefois même du clergé et du peuple aux prières duquel le pénitent se recommandait. L’aspect extérieur de cette pratique manifeste bien que la pénitence est considérée comme une espèce de tribunal. Avant d’absoudre les pécheurs, l’évêque commence par les ranger au nombre des accusés ; avant de les délier, il commence par les lier (comme on l’a vu faire par S. Paul). Cette procédure pourrait nous déconcerter si un Augustin ne nous expliquait que les médecins aussi font des ligatures, lorsqu’ils veulent guérir un membre malade.[1]

    La confession auriculaire se faisait assis, de préférence dans l’église ou dans un lieu consacré ; elle était suivie et précédée de génuflexions et de prostrations tant du pénitent que du confesseur. La position assise était nécessaire en ce temps où les confessions duraient longtemps (n’étant pas aussi fréquentes qu’aujourd'hui), tant à cause du détail des mauvaises actions qui était très précis, qu’à cause des peines que l’on imposait suivant les canons à chaque espèce de péché, comme nous le verrons par la suite. Ceux qui avaient été une fois soumis à la pénitence publique pour des crimes soit notoires, soit cachés, ce qui était ordinaire avant le septième siècle, n’y étaient plus reçus ; ce qui rendait la confession assez rare, les chrétiens étant sur leur garde pour ne pas tomber dans ce malheur.

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    Précisons que les confessionnaux ne sont apparus dans les églises qu’à partir du XVIe siècle, suite au concile de Trente (1545-1563) et au grand mouvement de fond de la Contre-réforme catholique ; il s’agissait de revaloriser le sacrement de pénitence contesté par le protestantisme. Le confessional est ainsi devenu le lieu privilégié (mais pas unique) du sacrement de pénitence ; en fonction des circonstances (campagne militaire, navigation, pèlerinage, etc.) les confessions pouvaient être aussi entendues en plein air.

    Alcuin, précepteur de Charlemagne, a inséré dans son Livre des divins offices un long chapitre qui peut tenir lieu de pénitentiel abrégé. Dans ce précieux document, on trouve plusieurs particularités remarquables sur la manière dont le sacrement de pénitence était vécu au VIIIe siècle. Le pénitent doit approcher du prêtre à qui il veut se confesser « avec un air modeste, faisant paraître l’humilité et la componction dans tout son extérieur ; il doit mettre bas le bâton qu’il tient à la main (cela doit s'entendre aussi d’une épée et de toute autre chose qui donne du relief) ». [On n’est jamais assez prudent.] Arrivé à portée du prêtre, le pénitent s’inclinait profondément devant lui, celui-ci disait sur lui des prières ; après quoi il le faisait asseoir près de lui et entendait sa confession. La confession étant achevée, le prêtre donnait au pénitent les avis dont il avait besoin, et l’interrogeait ensuite sur sa foi et sa connaissance du catéchisme. Ensuite, poursuit Alcuin, « le pénitent mettant les genoux en terre, étendant les mains, et regardant le prêtre avec un visage qui marquait la douleur de ses fautes, il le conjurait, comme ministre de la réconciliation des hommes avec Dieu, d’intercéder pour lui. Puis il se prosternait entièrement en terre, pleurait et gémissait autant que Dieu lui en faisait la grâce : le prêtre le laissait quelque temps en cet état le voyant touché de l’esprit de componction ; après quoi il lui ordonnait de se lever et de se tenir debout et lui prescrivait les jeûnes et les abstinences par lesquelles il devait expier ses péchés » ; cela fait, le pénitent se prosternait de nouveau aux pieds du confesseur, le priant de demander à Dieu pour lui la force et le courage nécessaires pour accomplir la pénitence qui lui était imposée. Le prêtre aussitôt récitait plusieurs prières, au nombre de sept, dont Alcuin ne rapporte que le commencement parce qu’elles étaient alors connues et d’un usage ordinaire, étant à peu près les mêmes dans tous les livres pénitentiaux reçus en Occident. Ces prières achevées, il faisait lever le pénitent, se levait lui-même de son siège et si le temps et le lieu étaient convenables, l’un et l’autre fléchissant les genoux, ou appuyés sur les coudes, récitaient plusieurs psaumes et prières.

    La coutume de se confesser à genoux fut introduite vers le XIIe siècle, à l’exemple principalement des Chartreux. On pourrait y ajouter celui des moines de Cîteaux qui ne se confessaient qu’avec les épaules nues, et des verges à la main, dont le confesseur frappait parfois le pénitent – souvent à sa demande – avant de l’absoudre.

    Confessions écrites

    En cas de nécessité, il n’était pas rare qu’un pénitent rédige une confession écrite de ses fautes et l’adresse au confesseur.

    Robert, évêque du Mans au IXe siècle, mortellement malade, confesse par écrit ses péchés aux Pères du concile de Douzi, qui était assemblé sous le pape Jean VIII et leur demande l’absolution, étant éloigné d’eux de vingt milles (environ cent km). Voici les dernières paroles de l’écrit qu’il leur envoie : J'implore avec des sanglots votre miséricorde, afin que vous me délivriez des liens de mes péchés, par le pouvoir qui vous a été donné du ciel, et que par vos prières vous m'obteniez l'expiation de mes fautes, et que je ne sois pas conduit avec les réprouvés aux enfers, mais que j'entre dans la joie céleste avec les bienheureux. Les Pères du concile lui accordèrent ce qu’il demandait, et lui envoyèrent une lettre d’absolution, epistola absolutionis, dans laquelle, après avoir parlé de la vertu et de l’efficacité de la confession des péchés, ils lui donnèrent l’absolution.

    Le pape Grégoire VII (1073-1085), écrivant à l’évêque de Liège suite à quelques plaintes sur des pratiques de simonie, après l’avoir exhorté à extirper la fornication de son clergé, conclut sa lettre en ces termes : « Et parce que vous êtes à l’extrémité, touchés de la compassion paternelle, nous vous donnons l’absolution par l’autorité des apôtres S. Pierre et S. Paul, et prions le Seigneur que par leur intercession vous soyez digne d’entrer dans la compagnie des élus ».

    Saint Thomas Becket en 1164, en pleine querelle avec le roi Henri II d’Angleterre, reçoit par lettre l’absolution du pape Alexandre III alors à Sens.

    C’est le pape Clément VIII (1592-1605) qui mettra un terme définif aux confessions par écrit, car il craignait avec raison qu’on fasse insensiblement passer en coutume ce qui ne s’était fait que rarement autrefois, et que par là on affaiblisse le sacrement de la pénitence.

    Quand devait-on se confesser ?

    La période privilégiée pour se confesser était évidemment le début du carême, de préférence le dimanche et à l’église. Certains évêques ont obligé leur ouailles à se confesser trois fois pendant l'année. Ainsi Crodegrand, évêque de Metz au huitième siècle, ordonne au peuple de faire sa confession aux prêtres trois fois par an, au moins.

    On se confessait aussi chaque fois que la vie était en danger : avant d’entreprendre de longs voyages ou pèlerinages ou, pour les soldats, avant les batailles, voire avant de s’engager dans l’état militaire. Ingulphe, abbé de Crowland (+1109), nous en assure en ces termes : C’était l’usage en Angleterre que celui qui devait se consacrer à une milice légitime, vint trouver la veille sur le soir, l’évêque, un abbé, un moine ou quelque prêtre ; qu’il lui fît une confession de tous ses péchés avec des sentiments de componction, et qu’ayant été absous, il passât la nuit dans l’église à prier et à s’affliger dévotement devant Dieu. Le lendemain avant d’entendre la messe, il posait son épée sur l’autel, et le prêtre après l’évangile, la lui mettait au col en le bénissant. Il communiait ensuite à la messe, et il devenait ainsi soldat MILES LEGITIMUS MANERET. Ingulphe remarque que cet usage déplaisait aux Normands qui conquirent l’Angleterre...

    Autres exemples : Saint-Omer étant assiégée par les Normands (en 861), les habitants pour obtenir le secours de Dieu se purifièrent par la confession et la communion.

    Guillaume de Malmesbury, moine bénédictin (+1143), loue la piété des soldats Normands, qui avant de combattre les Anglais, passèrent toute la nuit à confesser leurs péchés.

    Le duc Conrad, étant sur le point de livrer bataille aux Hongrois en l’an 955, entendit la messe et reçut la communion de la main d’Odelric son confesseur, après quoi il marcha contre l’ennemi, comme le témoigne la chronique de Magdebourg. On pense aussi bien sûr à Sainte Jeanne d’Arc (+1431) qui, en campagne militaire, ne manquait jamais de se confesser et d’assister à la messe dès qu’elle le pouvait.

    La confession des femmes 

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    A propos de la confession des femmes, il est bon de préciser qu’elle devait se tenir dans un lieu à portée de vue de tout le monde, afin d’éloigner tout soupçon. S. Edmond de Cantorbéry (+ 1242), dans ses constitutions, ordonne qu’on entende les confessions des femmes dans un endroit public, à portée de la vue et non de l’ouïe. Le concile de Béziers (can. 46) en 1246 défend d’entendre les confessions dans un lieu caché ou hors de portée de la vue.

    Guigue le Chartreux (+1136) remarque dans la vie de S. Hugues, évêque de Grenoble (1132), qu’il recevait les confessions des femmes avec autant de précaution que de bonté, non dans des coins ou dans des endroits secrets et obscurs, mais dans ceux où il pouvait être vu de tout le monde. « Il leur prêtait familièrement l’oreille, mais il détournait sa vue d’elles et la portait au côté opposé, disant qu’il ne fallait se servir que de l’ouïe en ces occasions, pour éviter les pièges du diable. »

    Un concile à Cologne en 1280 va plus loin. Il défend, sous peine d’excommunication, d’entendre les confessions d’une femme qui serait seule dans l’église, ou dans un endroit obscur et ténébreux ; il exige que les prêtres, quand ils confessent, soient assis, revêtus de leur surpli ou de leur chape, ayant l’étole par-dessus ; de plus, il leur interdit de confesser avant le lever du soleil et après son coucher, sinon en cas d’urgence, mais dans un lieu éclairé et en présence de témoins.

    Nécessité faisant loi, un concile de Paris, en 829, permet, en cas d’infirmité qui empêche de se déplacer jusqu’à l’église, qu’on puisse se confesser dans les maisons particulières, mais toujours en présence de témoins qui ne soient pas éloignés.

    À qui se confessait-on?

    Il semble évident aujourd’hui qui faille se confesser à un prêtre (qu’il soit évêque, moine ou séculier) et à personne d’autre. Il n’en fut pas toujours ainsi. Jacques de Baradée[2] et ses disciples pensaient qu’il n’est pas nécessaire de se confesser à un prêtre, il suffit de se confier à Dieu. Cette hérésie née au VIe siècle sera reprise à la fin du VIIIe siècle et réfutée par Alcuin. Sous le pontificat de Zacharie (de 741 à 752), un certain Adalbert disait à ceux qui venaient se prosterner à ses pieds pour confesser leurs péchés : « Je sais vos péchés, parce que le fond de vos coeurs m’est connu ; c'est pourquoi il n’est pas besoin que vous les confessiez : retournez donc dans vos maisons avec assurance et avec l’absolution de vos fautes passées ».

    Plus tard, cette opinion fut partagée par les Albigeois, les Vaudois et les protestants. Certains prêtres anglais, au début du XIVe siècle, prétendaient que la confession générale du début de la messe suffisait pour effacer les péchés mortels.

    Quoique la puissance de lier et de délier soit inséparable du sacerdoce, tous les prêtres ne sont pas en droit de l’exercer, car si c’est de Jésus-Christ que les prêtres tiennent cette puissance, c’est à l’Église qu’il revient d’en régler l’usage. Ainsi le code de droit canonique en vigueur depuis 1983 précise que la faculté d’entendre les confessions ne sera concédée qu’à des prêtres qui auront été reconnus idoines par un examen (can. 970). Par ailleurs, la faculté d’entendre les confessions est concédée par écrit (can. 973) ; elle peut être aussi retirée par l’évêque pour une juste cause (ou supposée telle)[3].

    Origène, quant à lui, liait expressément le pouvoir de donner l’absolution à la sainteté personnelle du prêtre ; si le prêtre est indigne, le sacrement n’est pas valide. Voici son argument : Ceux qui revendiquent la dignité de l’épiscopat enseignent que ce qu’ils lient est lié dans les cieux, et ce qu’ils remettent est remis dans les cieux. Mais nous disons qu’ils parlent saintement à condition qu’ils fassent l’œuvre pour laquelle il a été dit à Pierre : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Les portes de l’Enfer ne prévaudront pas sur celui qui veut lier et délier. Mais s’il est lui-même lié des liens du péché, c’est en vain qu’il lie et délie.[4]

    Dans la primitive Église, c’était devant l’évêque, comme nous l’avons vu, et quelquefois devant lui et toute la communauté des prêtres (qu’on appelait le sénat ou le presbytérium) que se faisait la confession. Cet usage de se confesser à plusieurs prêtres ensemble a été progressivement abandonné, car l’évêque et le sénat des prêtres étant trop accaparés par d’autres occupations, on établit un prêtre, le pénitencier, dont l’emploi spécifique était d’entendre les confessions.

    C’est à Constantinople au IVe siècle que l’institution du prêtre pénitencier est attestée ; il était chargé de recevoir les aveux des pénitents et de diriger leurs exercices de pénitence pour la « satisfaction » des péchés. Pour la confession secrète, les pénitents devaient donc s’adresser obligatoirement au pénitencier local, et à nul autre prêtre. En occident, le recours à l’évêque seul pour recevoir l’aveu des péché et donner la réconciliation a persisté jusqu’au Ve siècle.

    Ahyton, évêque de Bâle au temps de Charlemagne, était si pointilleux sur ce point qu’il voulait que ceux qui vont en pèlerinage à Rome, confessent leurs péchés avant leur départ : parce que, ajoute-t-il, ils doivent être liés ou déliés par leur propre évêque ou par leur propre pasteur, et non par un étranger ; mettant ainsi le pape lui-même au nombre des étrangers.

    C’est des moines bénédictins que viendra le changement. En effet, en Irlande, les abbés des monastères, qui étaient de simples prêtres, avaient le pouvoir de confesser leurs moines ; saint Colomban (+615), évangélisateur des Gaules, qui confessa beaucoup, n’était pas évêque, mais prêtre, comme le rappelle Bède le Vénérable.[5] A l’époque carolingienne, sous l’influence de ces moines irlandais le prêtre est devenu le ministre ordinaire de la pénitence, et c’est lui qui absout les pécheurs, mais l’évêque reste le ministre ordinaire de la pénitence publique, qui se fait toutefois de plus en plus rare 

    Querelles avec les confesseurs itinérants 

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    Mais les croisades (accompagnées par des prêtres) et surtout la naissance au XIIIe siècle des ordres mendiants (donc itinérants) ont introduit des changements notables dans cette pratique. Le zèle apostolique des franciscains et surtout des dominicains les poussait à vouloir entendre les confessions des fidèles sans avoir besoin pour cela de l’agrément des pénitenciers, dont la formation théologique, pastorale (et psychologique, comme nous dirions aujourd’hui) laissait souvent fortement à désirer... Les frères Prêcheurs (dominicains) sollicitèrent pour cela une bulle du pape Grégoire IX. Elle leur fut accordée en 1227. Cette bulle est adressée à tous les évêques et aux clercs supérieurs ecclésiastiques : Nous vous prions et vous enjoignons de recevoir favorablement les frères de cet ordre pour la prédication à laquelle ils sont destinés ; et d'exhorter les peuples, dont vous avez la conduite, à les écouler, puisque par notre autorité il leur est permis d'entendre les confessions et d'imposer des pénitences.

    Cet empressement des frères Prêcheurs pour la prédication et les confessions, aussi bien que la bulle du Pape qu’ils venaient d'obtenir, déplurent à beaucoup d’hommes d’Eglise importants ; il leur semblait que par ces nouveaux privilèges on troublait l’ordre établi dans l’Eglise par les saints apôtres et les docteurs des siècles passés, et que l’on détruisait l’autorité des pasteurs en donnant d’eux l’image d’hommes incapables ou incompétents. De plus, les décisions du 4e concile du Latran (1215) semblaient leur donner raison en confirmant les droits des prêtres locaux dans leurs prérogatives[6]. Les frictions n’étaient donc pas rares entre les autorités locales et les frères prêcheurs qui se prévalaient fièrement de leurs droits et privilèges accordés par le Saint-Siège.

    L’historien Matthieu Paris[7] rapporte que « les frères Prêcheurs, se sentant ainsi appuyés par la cour de Rome, montraient avec ostentation ces privilèges, et demandaient qu’on en fît la lecture dans les églises ». Il raconte aussi qu’ils « demandaient avec impudence à ceux qu’ils rencontraient : Avez-vous été à confesse ? Et si on leur répondait qu’oui, ils reprenaient : A qui ? Que si on leur disait, à mon pasteur, ils traitaient le curé d’idiot, qui n’avait jamais étudié dans les écoles de théologie, ni dans celles de droit, qui n’était pas capable de résoudre une seule question, et disaient : « Venez à nous qui avons appris à distinguer la lèpre de la lèpre, à qui les choses les plus difficiles et les secrets de Dieu ont été découverts. Confessez-vous sans crainte à nous, à qui on a accordé, comme vous voyez, une si grande puissance. Il arrivait donc, poursuit l’historien Anglais, que plusieurs, surtout des nobles et des dames, se confessaient aux frères Prêcheurs, méprisant leurs propres pasteurs, et même les prélats ».

    L’historien relate aussi un vif incident survenu dans une église en Angleterre.

    « Il arriva que quelques-uns des frères Prêcheurs entrèrent dans l’église de S. Alban, pendant que l’archidiacre tenait un synode à l’ordinaire. Ils avaient entre les mains des copies de leurs privilèges, et l’un d’entre eux, qui paraissait quelque chose de plus que les autres, fit signe d’un air impérieux qu’on eût à écouter sa prédication. L’archidiacre lui répondit : Agissez, mon frère, avec plus de modération, attendez un peu que je vous fasse connaître ce que je pense. Nous qui sommes simples et accoutumés aux mœurs antiques, nous ne pouvons qu’être surpris de cette nouveauté ; et il n’est pas surprenant que de telles nouveautés nous étonnent. Pourquoi dites-vous sans pudeur que nous sommes indignes des emplois qui nous ont été confiés ? Vous vous imaginez être les seuls du nombre des élus, cependant personne ne sait s’il est digne d’amour ou de haine. Vous vous ingérez non seulement dans la prédication, mais encore dans les confessions que vous extorquez des fidèles, en sorte qu’il semble qu’il faudra vous appeler dans la suite non seulement Frères Prêcheur, mais encore Frères Confesseurs. Mes frères, je ne crois pas qu’il soit à propos de quitter le certain pour l’incertain, et que vous deviez, sans une mûre délibération et sans le conseil de votre prieur, prêcher et entendre les confessions de ceux sur lesquels l’abbé de ce monastère m’a préposé. Cela est constant par les décrets qui ont été publiés dans le concile général célébré sous Innocent III, lesquels doivent être inviolablement observés dans tous les temps. L’archidiacre ayant ainsi parlé ouvrit le Livre, et lit la Décrétale qui contient le règlement du concile de Latran, avec ces paroles qui suivent immédiatement : C'est pourquoi nous voulons que ce décret salutaire soit souvent publié dans l’église, afin que personne ne puisse s’en excuser sous prétexte d'ignorance. Que si quelqu’un pour de justes raisons veut se confesser à un prêtre étranger, alieno sacerdoti, qu’il demande auparavant la permission, et qu’il l’obtienne de son propre prêtre, a proprio sacerdote, puisqu’autrement il ne peut l’absoudre ni le lier. » 

    Ces incessantes querelles de pouvoir – hélas fréquentes dans l’Eglise – ne s’apaiseront que peu à peu au fil des siècles : les « prêtres étrangers » ne seront admis à confesser qu’en accord (implicite ou explicite) avec le curé ou l’évêque local. Que de troubles inutiles pour en arriver à des dispositions de simple bon sens et de charité !

    Diacres, baptisé(e)s, reliques...

    Pour terminer ce long chapitre sur les ministres de la pénitence, précisons qu’en cas de nécessité, avec l’accord de l’évêque, un diacre pouvait entendre la confession et donner l’absolution. « Il faut aller au-devant des besoins de nos frères, dit S. Cyprien (épître 13); nous permettons donc que ceux qui ont reçu des libelles de recommandation des martyrs, et qui peuvent être aidés par là auprès de Dieu, s’ils viennent à être attaqués de quelques maladies ou infirmités dangereuses, puissent, sans attendre notre arrivée, confesser leurs fautes auprès de quelque prêtre que ce puisse être, et même d’un diacre, si le danger est pressant, afin que leur ayant imposé la main pour la pénitence, ils aillent ainsi en paix au Seigneur ».

    Il résulte de plusieurs témoignages semblables que les diacres ont pu entendre les confessions dans l’église d’Occident jusqu’à la fin du treizième siècle en cas de nécessité. Suite à des abus, des évêques et des synodes ont pris des mesures pour interdire cette pratique.

    Plus étonnant, il était permis, en cas d’urgence ou de nécessité, de se confesser à un simple baptisé.

    Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, écrit que « s’il ne se trouve point d’ecclésiastique à qui l’on puisse se confesser, on doit s’adresser à un homme de bien dans quelque endroit qu’il soit ».

    Ainsi un soldat, blessé à la guerre, peut se confesser à ses compagnons ; des voyageurs en péril sur la mer, se confessent les uns aux autres.

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    Le sire de Joinville[8] raconte, au chapitre 45 de la vie de saint Louis, que l’armée chrétienne ayant été mise en fuite par les Sarrasins, et l’ennemi s’approchant, chacun se confessa au prêtre qu’il put trouver, et, qu’en cette occasion, Gui d’Ébelin, connétable de Chypre, s’étant confessé à lui, il lui avait donné l'absolution.

    Dans la même logique théologique, il ne faut pas s’étonner qu’un chevalier en danger de mort pût se confesser à son épée si celle-ci contenait la relique d’un saint.

    On rapporte aussi d’étranges coutumes pratiquées en Afrique. Les Coptes et les Ethiopiens, sous l’influence de l’hérésie jacobite[9], ne confessaient pas leurs péchés aux prêtres, mais à Dieu seul et en secret ; pour ce faire, ils déposaient de l’encens sur une braise, et s’imaginant que leurs péchés montaient devant le Seigneur avec le parfum de l’encens brûlé, ils se confessaient sur la fumée qui montait vers le ciel...

                                                                                                                          Pierre René Mélon

    (à suivre...)

    [1] H. Rouget, op. cit. p. 569.

    [2] Evêque d’Edesse au VIe siècle (aujourd’hui Urfa, en Turquie orientale).

    [3] On ne peut s’empêcher d’évoquer le cas de S. Pio, à qui il fut interdit de confesser pendant trois ans...

    [4] Commentaires sur Matthieu, XII, 14, cité par J. Daniélou, op. cit., p. 83.

    [5] Bède, dans son Histoire ecclésiastique du peuple anglais, III, 4.

    [6] En voici le texte principal : Que tous les fidèles de l’un et de l’autre sexe, sitôt qu'ils auront atteint l'âge de discrétion, confessent fidèlement tous leurs péchés à leur propre pasteur, en particulier, au moins une fois chaque année, s’appliquant à accomplir, autant que leur force leur permet, la pénitence qui leur est jointe, et recevant avec respect, au moins à Pâques, le sacrement d’Eucharistie, s’ils ne s’en abstiennent pour quelque cause raisonnable par l’avis de leur pasteur, autrement que l’entrée de l’Église leur soit défendue pendant leur vie, et qu’ils soient privés de la pulture des chrétiens après leur mort  (can. 21).

    [7] Historia Angliæ, ad ann. 1246.

    [8] Joinville : 1224-1317.

    [9] Issue de Jacques Baradée, évêque d’Edesse au VIe siècle.

  • Brève histoire du Sacrement de Pénitence.III. Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n° 101, hiver 2016

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    Les deux livraisons précédentes de Pâque nouvelle (n° 99 et 100) ont rappelé les fondements scripturaires du pardon sacramentel et décrit les différentes manières de se confesser. Nous abordons la troisième partie de ce sacrement : la pénitence proprement dite.

     Pour les Anciens, nous l’avons vu, le baptême était considéré comme une espèce de création de l’homme nouveau, qui se faisait en un instant, comme l’univers – croyait-on – avait été tiré du néant en un instant ; la pénitence, par contre, était considérée comme une guérison qui ne s’opère que peu à peu et exige beaucoup de temps.

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    Or, quand il demande la conversion des pécheurs, Jésus ne fait aucune allusion aux liturgies pénitentielles juives, aux expiations, aux délais ; il se défie même des signes trop voyants (Mt 6, 1-6;16-18). Ce qui compte pour lui, c’est le retournement du cœur qui fait redevenir comme un petit enfant; c’est ensuite l’effort continu pour chercher le royaume de Dieu et sa justice.[1] Dans les évangiles, Jésus accorde le pardon de Dieu immédiatement, gratuitement, sans contrepartie, sans pénitence physique, morale ni pécuniaire : le paralytique descendu par un trou dans le toit est pardonné grâce à sa foi (Voyant leur foi, il dit : “Homme, tes péchés te sont remis”, Lc 5, 17-20), la pécheresse qui verse des larmes de repentir sur les pieds de Jésus, les essuie de ses cheveux et les couvre de parfum est pardonnée «parce qu’elle a montré beaucoup d’amour» (Lc 7, 36-50), le publicain qui se frappe la poitrine et n’ose pas lever les yeux au ciel est pardonné grâce à son humilité (Lc 18, 9-14), Zachée est pardonné non parce qu’il promet spontanément de réparer ses escroqueries (Jésus ne lui a rien demandé), mais «parce que lui aussi est un fils d’Abraham» (Lc 19, 9), la femme adultère, menacée de lapidation, est délivrée par ces simples mots de Jésus : «Je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus» (Jn 8, 11). Même le sévère Jean-Baptiste qui prodiguait un baptême de repentir pour la rémission des péchés (Lc 3, 3) ne donnait à ceux qui l’interrogeaient que des conseils pratiques et de bon sens : partager sa tunique, nourrir celui qui a faim, ne rien exiger au-delà du prescrit, ne molester personne, se contenter de sa solde (Lc 3, 10-14).

    Si l’on compare la mansuétude du Christ aux rigueurs parfois ahurissantes des pénitences imposées ultérieurement aux pécheurs repentants, on est en droit de se poser des questions sur le bien-fondé théologique des souffrances physiques et morales exigées par les confesseurs en expiation des fautes.

    Pénitence intérieure, pénitence extérieure

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    L’idée de départ est celle de réparation. Citons en entier le n° 1459 du Catéchisme de l’Église catholique : Beaucoup de péchés causent du tort au prochain. Il faut faire le possible pour le réparer (par exemple restituer des choses volées, rétablir la réputation de celui qui a été calomnié, compenser des blessures). La simple justice exige cela. Mais en plus, le péché blesse et affaiblit le pécheur lui-même, ainsi que ses relations avec Dieu et avec le prochain. L’absolution enlève le péché, mais elle ne remédie pas à tous les désordres que le péché a causés. Relevé du péché, le pécheur doit aussi recouvrer la pleine santé spirituelle. Il doit donc faire quelque chose de plus pour réparer ses péchés : il doit «satisfaire» de manière appropriée ou «expier» ses péchés. Cette satisfaction s’appelle aussi «pénitence». 

    Il existe donc deux formes de pénitence : la pénitence intérieure et la pénitence extérieure. La pénitence intérieure est la plus importante, c’est la conversion du cœur, celle qui est requise par Jésus lorsqu’il pardonne les péchés, sans elle, les œuvres de pénitence restent stériles et mensongères ; par contre, la conversion intérieure pousse à l’expression de cette attitude en des signes visibles, des gestes et des œuvres de pénitence.[2]

    Ce sont ces signes et ces gestes de la pénitence extérieure dont nous allons maintenant décrire brièvement l’histoire. Selon quelles règles, suivant quels critères sont-ils appliqués ? Dans les premiers temps, les confesseurs s’inspiraient des décisions de conciles locaux et de l’avis des papes, des évêques et des maîtres spirituels réputés à qui l’on demandait souvent conseil, au cas par cas. Ainsi S. Grégoire le Thaumaturge (+270) répond aux demandes des églises de la province du Pont (côte méridionale de la Mer Noire); S. Pierre d’Alexandrie (+311) est l’auteur d’une lettre canonique dans laquelle il énumère quatorze canons pénitentiaux dans lesquels il examine les diverses sortes de péché en y joignant les peines par lesquelles on doit les expier, le tout en suivant la lumière des Écritures. S. Athanase, S. Basile, S. Grégoire de Nysse suivent la même méthode : leurs réponses aux solliciteurs sont toutes fondées sur la Sainte Écriture, sur les coutumes et les traditions de leurs églises. En occident, par exemple, on apprend dans les actes du concile des Gaules pour l’année 538 que le roi de Reims Théodebert Ier (+548), sollicite le pape Vigile (537-555) pour apprendre de lui quelle pénitence mérite celui qui a épousé la femme de son frère (c’est le péché que S. Jean-Baptiste reprocha au roi Hérode). C’est donc sur ces décisions et ces conseils (eux-mêmes fondés sur les règles de l’Écriture sainte et de la tradition apostolique) que les prêtres qui entendaient les confessions devaient se régler dans l’imposition de la pénitence, qu’elle fût publique ou secrète. Or, nous allons voir que ces bonnes dispositions seront souvent dépassées dans les faits et que des confesseurs particulièrement «zélés» tomberont malheureusement dans l’excès, l’arbitraire, voire la cruauté.

    Les livres pénitentiaux

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    Quand la pénitence publique fut abolie – et réservée seulement aux péchés publics – c’est-à-dire à partir du Ve siècle en orient et vers la fin du VIIe ou au début du VIIIe siècle en occident, on composa des livres pénitentiaux afin que les prêtres eussent des règles certaines de conduite à l’égard des pécheurs de toute espèce qui se présentaient à eux.

    Ces livres pénitentiaux (aussi appelés pénitentiels) différaient des ouvrages antérieurs en ce qu’ils étaient essentiellement pratiques et destinés à la confession secrète ou auriculaire. Outre des conseils concrets, ils contenaient aussi des prières, des formules liturgiques, le rituel de la confession et de l’absolution, toutes les espèces de péché, avec les peines par lesquelles on devait les expier, le tout tiré des canons des conciles et des coutumes autorisées dans les principales églises. On y trouvait aussi toutes sortes d’exhortations, des avis à donner aux fidèles pour les aider à se confesser, à rentrer en eux-mêmes, à faire leur examen de conscience, etc. Ainsi, il suffisait à tout confesseur d’ouvrir son pénitentiel pour y trouver sur le champ ce qu’il avait à dire et à faire. Les plus célèbres et plus estimés pénitentiels étaient, en orient, celui de Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople au VIe siècle et, en occident, celui de Théodore, archevêque de Cantorbéry (moine grec, que le pape Vitalien consacra lui-même en 668 et envoya en Angleterre), et de Bède le Vénérable (+735), célèbre auteur de l’Histoire ecclésiastique du peuple anglais, sans oublier, bien sûr, le Pénitentiel romain.

    Par la suite, plusieurs évêques composèrent eux-mêmes leur propre pénitentiel, ainsi Halitgaire, évêque de Cambrai (+830), Raban Maur, archevêque de Mayence (+856), Isaac de Langres (+891), Burchard, évêque de Worms (+1025), qui déclare avoir rédigé son ouvrage «afin que le prêtre de Jésus-Christ règle tout, non suivant son sens, mais selon la disposition des canons, faisant attention à la différence des sexes, à l’âge, à la pauvreté, à la cause, à l’état, à la personne des pénitents, à la disposition de leur cœur, et que sans s’écarter de ces règles, il juge de toutes choses suivant ses lumières comme un sage médecin». Ce Burchard était vétilleux jusqu’à l’obsession sur les questions sexuelles : il consacre pas moins de cinquante-cinq chapitres très documentés aux détails sordides, aux questions scabreuses et aux déviations qui peuvent accompagner les actes sexuels.

    Circulaient donc des livres pénitentiaires peu recommandables en raison de leur laxisme, de leur sévérité excessive ou de leur fixation sur tel ou tel péché… au point que les autorités de l’Église durent régulièrement mettre les confesseurs en garde contre les excès de toutes sortes ; ainsi un concile réuni à Paris ordonne «que chaque évêque recherche avec soin dans son diocèse ces Livres pénitentiels corrompus, et qu’après les avoir trouvés, il les jette au feu (et inventos igni tradat) afin que dans la suite les prêtres ignorants ne trompent plus les hommes». Téodulphe, évêque d’Orléans de 787 à 821, écrit : « Bien des crimes sont énumérés dans les pénitentiels, crimes qu’il ne convient pas de faire connaître aux hommes. Aussi le prêtre ne doit pas l’interroger sur tout, de peur que le pénitent en s’éloignant ne tombe, sur l’instigation du diable, dans un vice dont il ignorait auparavant l’existence. »

    L’action de la pénitence

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    Si l’Esprit-Saint qui dirige l’Église est toujours le même, les hommes sont inconstants, et la discipline varie selon les temps, les lieux et les occasions. Aussi diviserons-nous cette section en quatre parties.

    1. Des temps apostoliques à la paix constantinienne (IVe s.)

    La manière de faire pénitence pendant les deux premiers siècles de l’Église ne nous est pas bien connue. Les plus anciens auteurs nous apprennent que les premiers chrétiens distinguaient les péchés selon trois classes : les péchés légers, les péchés graves et les péchés très graves (gravissima). À ces trois sortes de péchés correspondent trois remèdes : la privation de l’eucharistie pour les péchés légers ; pour les péchés graves, la privation de toute participation à la messe et aux prières communes, l’interdiction d’entrer dans les églises, des jeûnes et des macérations ; pour les péchés très graves, ainsi qualifiés en raison du refus de repentance et de la persévérance dans le mal, le pécheur était tout simplement chassé de l’Église, c’est-à-dire excommunié et «regardé comme un  juif et un païen» ; s’il manifestait quelque souhait de réintégrer l’Église, on lui permettait de venir aux assemblées pour y entendre la parole, «comme on le permettait aux païens et aux infidèles», puis s’il persévérait dans le repentir, il était admis peu à peu à participer aux prières, mais on le congédiait – en même temps que les cathéchumènes – avant l’oblation du sacrifice. Ces dispositions persisteront longtemps, comme nous le verrons.

    Les païens et les juifs pouvaient venir à l’église, mais seulement pour entendre la Parole ; ils se tenaient debout, derrière les fidèles, dans le vestibule de l’église ; Tertullien les appelle les audientes, les auditeurs.

    Les péchés graves et véniels étaient expiés par la pratique des œuvres opposées à celles par lesquelles ils avaient violé la loi de Dieu. On prescrivait ainsi aux avares de faire des aumônes, aux orgueilleux des humiliations, aux voleurs de restituer les biens, etc. On leur imposait aussi des jeûnes propres à réprimer les passions et des œuvres de miséricorde : visiter les malades, assister les prisonniers, accomplir des exercices de piété, etc. Pour les péchés véniels, dits journaliers, la pénitence était plus légère : réciter des Notre Père, aiguiser la patience, entretenir la componction du cœur…

    Quelques exemples de pénitence aux premiers siècles

    Que l’évêque, le prêtre ou le diacre ne chasse pas sa femme hors de chez lui sous prétexte de piété; que s’il le fait il soit séparé, que s’il persiste il soit déposé (réduit à l’état laïque).

    Un évêque, un prêtre ou un diacre qui a été convaincu de fornication, de parjure ou de vol sera déposé mais pas ségrégé.[3]

    Si quelqu’un véritablement clerc ou laïc mange avec les juifs, il doit s’abstenir de la communion.[4] 

    Les filles qui n’ont pas gardé leur virginité, si elles épousent et tiennent pour mari ceux avec qui elles ont eu commerce, seront reçues à la réconciliation après un an, sans pénitence.[5]

    Outre les marques d’humilité et de tristesse que l’on exigeait des pénitents, il était coutume en plusieurs endroits de tondre les cheveux des pénitents. Le 3ème concile de Tolède (589) décrète ceci : Quiconque, soit en santé, soit en maladie demande la pénitence à l’évêque, il faut avant toute chose que l’évêque ou le prêtre le tonde et lui fasse changer d’habit dans la cendre et le cilice et qu’ensuite il lui donne la pénitence. Cette pratique était déjà en usage du temps de S. Ambroise au IVème siècle, car il commande à «une vierge qui s’est laissé corrompre» : Il faut vous revêtir d’un habit de deuil et punir sévèrement votre esprit et vos membres. Que l’on coupe ces cheveux qui, par la vaine gloire, ont donné occasion au péché, que votre corps soit soumis aux macérations, qu’on en néglige le soin et qu’il fasse horreur, étant couvert de sac et de poussière.

    Cet usage de tondre les cheveux n’était pas universel, car en certains endroits, il fallait au contraire se laisser pousser la barbe et les cheveux en signe de pénitence, mais en négligeant d’en prendre soin…  

    Les libelles des martyrs

    Au temps des persécutions, naquit une coutume touchante qui voulait que les péchés graves ou répétés (et les pénitences dues) pussent être remis par l’intermédiaire de lettres de recommandation, appelées libelles des martyrs. Ces lettres écrites en prison par les futurs martyrs au bénéfice de ceux de leurs frères qui avaient apostasié ou fui, S. Cyprien les appelle le «désir des martyrs». On considérait que les souffrances endurées par les martyrs rendaient ceux-ci prêtres ipso facto et donc aptes à donner le pardon par le fait même de verser leur sang comme le Rédempteur. Ces futurs martyrs étaient visités en prison par des diacres qui leur fournissaient la nourriture, la consolation et les nombreuses requêtes spirituelles des pécheurs. Pour les fidèles qui avaient renié leur foi par peur ou par lâcheté, la tentation était forte de recevoir ce type d’absolution qui leur permettait d’échapper aux nombreuses pénitences liées à l’apostasie. Dans sa 11ème lettre adressée aux (futurs) Martyrs, S. Cyprien leur recommande d’examiner attentivement les requêtes et de discerner la nature des crimes avant d’accorder la grâce demandée. Ailleurs, il se plaint amèrement d’un certain Lucien qui, avant d’être martyrisé, avait rédigé «une lettre au nom de tous les confesseurs, par laquelle il rompt presque entièrement le lien de la foi, affaiblit la crainte de Dieu, le commandement du Seigneur, la sainteté et la vigueur évangélique, ayant écrit au nom de tous, pour donner la paix à tous» (cette paix valait absolution des péchés…). Cette absolution générale et collective court-circuitait pour ainsi dire le clergé; ce qui fit réagir vivement le grand évêque africain : il demanda que désormais on désigne par leur nom, dans les libelles, ceux dont les martyrs connaissaient et savaient la pénitence.

    À la faveur de ces libelles, un très grand nombre de ceux qui étaient tombés dans l’apostasie durant  la persécution de Dèce (en 250) furent reçus à la communion «sans subir les lois de la pénitence» ; parmi les bénéficiaires des libelles figuraient cinq prêtres qui, après la persécution, accueillirent généreusement les pénitents sans maintenir la vigueur de la discipline, ce qui courrouça l’évêque Cyprien, qui fulmine : Si quelqu’un s’imagine pouvoir donner à tous la rémission de leurs péchés avec une précipitation téméraire, ou qu’il ose enfreindre les commandements du Seigneur, non seulement il ne sera d’aucun secours aux tombés mais il leur nuira beaucoup.[6]

    Il faut aussi préciser que, durant ces siècles tourmentés (contrairement aux pratiques ultérieures), la réconciliation n’était séparée d’aucun espace de temps de la participation à l’eucharistie, car la persécution menaçait toujours : «Comment les rendons-nous propres à boire le calice du martyre, si auparavant nous ne les admettons pas, par le droit de la communion, à boire dans l’Église la coupe du Seigneur?» (S. Cyprien, épître 54).

    1. Du IVe au VIIe siècle

    La paix constantinienne permet d’organiser la pénitence publique en quatre classes, degrés ou stations. S. Basile (+ 379) est le premier qui fait mention distinctement de ces quatre degrés de la pénitence (canon 56) : Celui qui a fait un homicide volontaire et veut en faire pénitence, sera pendant vingt ans séparé de la communion, et ces vingt ans seront distribués de cette sorte : il doit pleurer quatre ans hors des portes de l’Oratoire, suppliant ceux qui y entrent de prier pour lui, s’accusant en même temps de son péché. Après ces quatre ans, il sera reçu dans les auditeurs, et sortira pendant cinq ans avec eux. Il passera sept ans avec ceux qui sont prosternés, et sortira après la prière. Durant quatre ans, il sera debout avec les fidèles, mais il n’aura point part à l’oblation. Ce terme étant expiré, il participera aux sacrements.

    Cette distinction en quatre classes est surtout d’application en orient.

    Les pleurants

    Comment les choses se passent-elles concrètement? Les pleurants se tiennent dehors, à l’entrée de l’église, «comme des mendiants qui montrent les plaies dont ils sont couverts» afin d’engager par leurs prières ceux qui entrent d’intercéder pour eux. S. Ambroise leur recommande même de se jeter aux genoux de ceux qui vont à l’assemblée, qu’ils baisent leurs pas, afin de les avoir comme protecteurs auprès de Dieu.[7]

    Les malheureux pleurants doivent en outre s’habiller «dans un appareil lugubre, couverts de cendre et de cilice, ayant des habits sales, les cheveux coupés ou négligés» suivant les différentes coutumes des pays. La durée de cette pénitence dépend de la gravité des péchés et peut varier selon les diocèses et les confesseurs. Par exemple saint Basile impose aux adultères quinze ans de pénitence, dont quatre ans comme pleurants ; saint Grégoire de Nysse est plus rigide : il condamne l’homicide à vingt-sept ans de pénitence dont neuf parmi les pleurants !

    Les auditeurs 

    La place des auditeurs est derrière la porte d’entrée, dans le narthex, où ils doivent se tenir debout, derrière les catéchumènes, afin de pouvoir écouter les Écritures, les instructions, le chant des psaumes. Mais les auditeurs doivent être «chassés» avant les prières qui clôturent la liturgie de la parole. Ils ne peuvent recevoir ni l’imposition des mains ni être l’objet d’aucune prière personnelle. Remarquons que les juifs et les païens pouvaient, eux aussi, assister à cette partie de la messe, c’est-à-dire écouter les Écritures, les instructions et les chants sacrés. Après quoi, ils devaient quitter les lieux.

    Les personnes à qui la communion était interdite devaient aussi se retirer à ce moment. D’ailleurs, le diacre les prévenaient à haute voix  : «Si quelqu’un ne communie pas, qu’il quitte la place!»

    Énergumènes et prosternants

    Les deux premières stations étaient comme des préparations à la troisième qui est à proprement parler la pénitence expiatoire et satisfactoire. Dans la première, les pleurants, on séparait les pénitents du reste des fidèles, comme des gens infectés et capables de porter la contagion dans l’Église; dans la deuxième, les auditeurs, on les réintroduisait dans l’oratoire pour apprendre ou réapprendre les éléments de la foi qu’ils avaient ignorés. Pour passer dans la classe des prosternés ou prosternants, l’auditeur devait le demander avec «contrition de cœur, larmes et grande humilité» selon S. Basile (can. 75), sans que cette demande prenne l’aspect d’une cérémonie particulière. L’évêque pouvait prolonger le temps des stations ou le diminuer, en fonction des dispositions personnelles de chaque pénitent.

    La station du prosternement était la plus longue et la plus laborieuse. Les prosternants pouvaient assister aux prières qui suivent les lectures; on pouvait leur imposer les mains et prier sur eux, puis ils quittaient l’église avec les catéchumènes, avant la liturgie eucharistique. On les appelait prosternés parce que l’évêque leur imposait les mains tandis qu’ils étaient à genoux ou prosternés. 

    C’est aussi à ce moment de la liturgie que l’on chassait les énergumènes, c’est-à-dire tous ceux sur qui le démon exerçait visiblement sa puissance, soit continuellement, soit par intervalle. Dans ses Constitutions[8], saint Clément décrit avec précision ce moment de la liturgie. Après les saintes lectures et l’exhortation de l’évêque, un diacre demandait à haute voix, d’un lieu élevé, que les auditeurs et les infidèles se retirassent. Ceux-ci étant sortis, et l’oraison faite sur les catéchumènes, on en venait aux énergumènes : on priait sur eux pour introduire aux prières de l’exorcisme. Le diacre (ce sont les paroles de cette liturgie) disait : «Priez avec attention, vous qui êtes en pénitence. Faisons des prières pour ceux qui sont en pénitence, afin que le Dieu de miséricorde leur montre la voie qu’ils doivent suivre dans cet état, qu’il agrée leur repentir et leur confession, qu’il brise Satan sous leurs pieds, qu’il les délivre des embûches du diable et de ses attaques, qu’il ne permette pas qu’ils pèchent ni par leurs discours, ni par pensées, ni par actions, etc... Prions encore Dieu pour eux avec plus de ferveur afin que s’éloignant de toute mauvaise action, ils s’appliquent à toute bonne œuvre. Disons encore pour eux : Kyrie eleyson, sauvez-les, Seigneur, etc. Vous qui êtes ressuscités à Dieu par Jésus-Christ, baissez la tête et recevez la bénédiction. Que l’évêque fasse donc l’oraison en cette sorte». Suit l’oraison dont le titre porte Imposition de la main, et prière pour ceux qui sont en pénitence.

    Une fois les énergumènes sortis, on fermait les portes et l’on récitait dans la plupart des églises le credo, qui était comme le signal ou le mot de passe qui réunissait entre eux les fidèles et dont on ne donnait pas connaissance aux autres.

    Les consistants  

    La classe de la pénitence appellée consistance était ainsi nommée non parce que ceux qui y étaient soumis devaient se tenir debout dans l’église, comme le terme consistentia semble le signifier (stare = être debout), mais parce qu’ils avaient l’avantage d’être unis avec le reste des fidèles pendant la célébration de la messe. En effet, les consistants pouvaient assister à la messe entière, faire corps avec l’assemblée, qui, pour ainsi dire, devient consistante, ayant intégré tous ses éléments. Notons que si les consistants avaient le droit d’assister à toute la messe, il leur était interdit d’offrir leurs dons à l’autel et leurs noms n’y étaient pas cités, comme ceux des autres fidèles. Les consistants étaient-ils mêlés sans distinction aux autres fidèles ? Il semble que non. En effet, saint Basile (can. 4), parlant de ceux qui ont contracté un troisième mariage, déclare : «Il ne faut pas leur interdire tout à fait l’entrée de l’église, mais les admettre parmi les auditeurs, deux ou trois ans. Après cela, on leur accordera la consistance, et lorsqu’ils auront donné des marques de pénitence, on les rétablira dans le lieu de la communion».

    On notera la méticuleuse organisation des cérémonies et le grand ordre qui régnait apparemment dans les assemblées. Les hommes étaient séparés des femmes, ils n’entraient d’ailleurs pas par la même porte si les lieux s’y prêtaient – les hommes occupaient la partie méridionale de l’église (à droite) et les femmes la partie septentrionale (à gauche); les pénitents étaient séparés des autres fidèles ; en outre, les moines, les vierges consacrées et les veuves se tenaient aux premières places, tandis que des diacres et les diaconesses circulaient dans l’église pour veiller à ce que tout se passe dans l’ordre et la bienséance. Rappelons que tout ceci se passe avant le VIIIème siècle, mais bien des éléments de cette organisation subsisteront, notamment la séparation des hommes et des femmes jusqu’au début des années 1960. 

    Il faut noter aussi que tous ceux qui étaient soumis à une pénitence publique ne passaient pas par les quatre stations que nous venons de décrire, seuls les crimes énormes ou scandaleux y conduisaient. Nous l’avons vu, les évêques avaient le pouvoir d’abréger ou d’alléger les pénitences. Il arrivait aussi que des fidèles se joignissent aux pénitents publics pour expier des péchés secrets, soit sur l’avis de leur confesseur, soit de leur propre mouvement, soit en raison d’un zèle ou d’une dévotion particulière.

    La pénitence des clercs

    Le premier concile de Tolède (400) contient des disposition disciplinaires qui nous semblent aujourd’hui choquantes, notamment celles qui concernent les prêtres mariés… trompés par leur épouse. Le canon 7 de ce concile énonce ceci : Nous avons ordonné que si les femmes de quelques-uns des clercs ont péché (de peur qu'elles n'aient licence de continuer leurs désordres), leurs maris se mettent en devoir de les garder et de les lier dans leurs maisons, les assujetissant à des jeûnes salutaires qui ne soient pas capables néanmoins de leur causer la mort, en sorte que les pauvres clercs se prêtent pour cela les uns aux autres un secours réciproque, s'ils manquent de gens de service en cette occasion.

    En l’année 742, se tint un synode composé des évêques de France, auquel présida S. Boniface, archevêque de Mayence. Parmi les décrets de ce concile : Nous avons ordonné qu’après ce synode, qui a été tenu le onzième des calendes de mai, quiconque des serviteurs ou des servantes de Dieu tomberait dans le crime de fornication, ferait pénitence au pain et à l’eau dans la prison ; que si quelqu’un a été ordonné prêtre, il y demeure deux ans après avoir été fustigé; que si un clerc ou un moine est tombé dans le même crime, après avoir été frappé de verges trois fois, il soit mis en prison, et qu'il y demeure l’espace d'un an ; que l’on impose la même peine aux religieuses voilées, et qu’on leur rase tous les cheveux de la tête.

    Certaines maisons religieuses abritaient une prison ou du moins une cellule spéciale où étaient jetés les malheureux moines coupables de désordres. Le P. Mabillon dans un petit traité posthume sur les prisons des ordres religieux[9] écrit ceci : la dureté de quelques abbés alla jusqu'à un tel excès (on aurait peine à le croire), qu'ils mutilaient les membres et crevaient quelquefois les yeux à ceux de leurs religieux qui étaient tombés dans des fautes considérables. C'est ce qui obligea les religieux de Fulda d'avoir recours à Charlemagne pour réprimer à l'avenir de tels excès. Tous les abbés de l'ordre, étant assemblés en 817 à Aix-la-Chapelle, ordonnèrent que dans chaque monastère il y aurait un logis séparé pour les coupables, c'est-à-dire, une chambre à feu et une antichambre pour le travail. Ils défendirent aussi d'exposer aux yeux des autres religieux ces pauvres misérables tout nus pour être fustigés, comme il s'était pratiqué auparavant.

    Il fallait mentionner ces scandaleux excès pour être fidèle à l’histoire. Combien, en comparaison, la règle de Saint Benoît apparaît pleine de mansuétude. Au chapitre 44 de sa Règle, il recommande pour les moines une discipline qui, pour être sévère, n’en reste pas moins humaine et supportable (on y reconnaîtra certaines stations de la pénitence appliquées aux laïcs) :

    1. Celui qui, pour faute grave, aura été excommunié de l'oratoire et de la table commune, demeurera prosterné, devant la porte de l'oratoire, pendant qu'on y célèbrera l'Œuvre de Dieu, et ne dira mot ;
    2. mais il se tiendra le visage contre terre et le corps étendu, aux pieds de tous ceux qui sortent de l'oratoire.
    3. Il continuera cette pratique jusqu'à ce que l'abbé juge la satisfaction suffisante.
    4. Et lorsque l'abbé le lui aura commandé, il viendra se jeter à ses pieds et à ceux de tous les frères, afin qu'ils prient pour lui.
    5. Alors, si l'abbé l'ordonne, il sera reçu au chœur et occupera le rang que l'abbé aura déterminé.
    6. Il ne lui sera cependant pas permis, sans un nouvel ordre de l'abbé, ni d'entonner un psaume, ni de lire une leçon ou quoi que ce soit.
    7. De plus, à toutes les Heures, au moment où s'achève l'Œuvre de Dieu, il se prosternera à terre, à la place qu'il occupe,
    8. et fera ainsi satisfaction jusqu'à ce que l'abbé lui ordonne de cesser.
    9. Ceux qui, pour des fautes légères, sont excommuniés seulement de la table, satisferont dans l'oratoire ; ils le feront jusqu'à ce que l'abbé les en dispense,
    10. en leur donnant sa bénédiction, et en disant : "Cela suffit."

    Le prochain numéro de Pâque nouvelle décrira les pénitences appliquées par les confesseurs entre le VIIIème et le XXème siècle. Enfin, la cinquième et dernière partie de ce survol historique du sacrement de la réconciliation s’achèvera sur une description de l’absolution, des origines à nos jours.

                                                                                                                       (À suivre)

                                                                                                              Pierre René Mélon

    [1] Vocabulaire de théologie biblique, Cerf, 1962, p. 794.

    [2] CEC, n° 1430.

    [3] Concile d’Elvire (306), canon 18.

    [4] idem, canon 50. Cette disposition étonnante est à l’opposé de l’attitude de Jésus à qui l’on reprochait de "manger avec les publicains et les pécheurs" (Mc 2, 16).

    [5] idem, canon 14.

    [6] S. Cyprien, De Lapsis.

    [7] Saint Ambroise, Livre de la Pénitence, chapitre 10.

    [8] Livre 8, chap. 5 et suivants.

    [9] Tome 3, p. 321 (pas d'autre référence).

  • Brève histoire du sacrement de pénitence IV. Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n°102, printemps 2017

    contrat Delta ingenieur stabilité339.jpgDans le numéro précédent de Pâque nouvelle (n° 101), nous avons décrit la sévérité des pénitences infligées aux pécheurs durant les premiers siècles ; celles-ci ne vont pas s’adoucir avec le temps… Nous avions découpé ces vingt siècles de pénitence en cinq parties. Voici les trois dernières.

     

    1. Du VIIIème s. à la fin du XIème siècle

    De plus en plus de pécheurs refusaient de se soumettre aux pénitences très sévères qui leur étaient imposées en échange de l’absolution et de leur réintégration dans la pleine communion avec l’Église. Pour faire plier les réfractaires, les évêques usèrent abondamment de la menace de l’excommunication ; mais comme ces menaces ne suffisaient plus, la puissance publique fut sollicitée pour contraindre les fortes têtes à se soumettre : le pénitent était pris ainsi entre les mâchoires du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Il n’est pas exagéré de dire qu’au rebours des enseignements évangéliques la pénitence a pu quelquefois se transformer en démonstration de force des détenteurs du pouvoir.

    Le pouvoir temporel en soutien des évêques

    Le Concile des Gaules de l’an 853 rapporte ce capitulaire du roi Charles le Chauve[1] : Que nos envoyés, missi nostri, fassent savoir à tous les ministres de l'État, que le comte et les officiers publics se trouvent avec l'évêque de chaque diocèse pour l'aider quand il fait ses visites, aussitôt qu'il le leur aura fait savoir, et qu'ils contraignent par l'autorité et la puissance royale à se soumettre à la pénitence et à une satisfaction convenable, ceux que l'évêque n'y pourra réduire par l'excommunication.

    C’était à la demande des évêques que les rois employaient ainsi leur puissance politique pour contraindre les pénitents récalcitrants à se soumettre à la pénitence canonique. Par exemple, dans le canon 10 du concile de Pavie, tenu en 850, les évêques supplient le roi Louis le Jeune[2] d’ordonner à ses comtes de leur prêter secours pour contraindre les incestueux à faire pénitence publique. Au synode de Thionville (en 835), les évêques de Gaule et de Germanie prient l’empereur Louis le Pieux d’ajouter par ses lois une amende pécuniaire à l’imposition de la pénitence (ces évêques avaient été très affligés par le meurtre d’un évêque d’Aquitaine nommé Jean).

    Canossa

    VE PN 102 article pénitence 1 Canossa.jpgCes connivences contre-nature entre le trône et l’autel ne vont pas manquer de susciter des tensions, des luttes de pouvoirs. La puissance temporelle de la papauté culminera en 1077 lors du célèbre épisode de Canossa. Excommunié, l’empereur Henri IV[3] vient à Canossa, lieu de résidence du pape, s’humilier devant Grégoire VII qui savoure tranquillement sa victoire. Avec une joie ronronnante, il décrit la scène de l’humiliation de l’empereur dans une lettre adressée à ses évêques et aux notables:

    Enfin il [Henri] vint de lui-même dans la ville de Canossa où nous étions, sans aucun appareil de guerre et avec peu de gens ; et là pendant trois jours étant à la porte du château, et s'étant défait de toutes les marques de sa dignité, nu pieds, et revêtu d’habits de laine, il ne cessa point d’implorer avec beaucoup de larmes la miséricorde du S. Siège qu’il n'eût ému la compassion de tous ceux qui étaient présents, lesquels intercédèrent pour lui avec beaucoup de prières et de larmes, en sorte qu'ils s’étonnaient de la dureté dont nous usions avec lui, et que quelques-uns s’écriaient que nous ne montrions pas en cette occasion une sévérité apostolique, mais une cruauté excessive…

    Le pape finit par lever l’excommunication.

    L’entourage de l’empereur est également humilié selon le témoignage d’un chroniqueur contemporain des événements[4] : Le pape ayant séparé les évêques les uns des autres, les fit enfermer chacun à part dans une cellule, leur interdisant toute sorte d’entretien entre eux, et leur faisant donner vers le soir à manger et à boire en petite quantité. Il imposa aussi aux laïques une pénitence convenable, ayant égard à l’âge et aux forces d’un chacun; et après les avoir ainsi éprouvés quelques jours, il leur donna l’absolution.

    Les pénitences publiques, sauf exception (Canossa en est une) seront peu à peu abandonnées dans le courant des VIIIe et IXe siècles. «De plus en plus, les pasteurs auront tendance à traiter plus ou moins secrètement tels ou tels pécheurs qui, sans être de grands coupables, ne sont pas des saints. On est ainsi en marche à travers une espèce de pénitence semi-publique, vers la pénitence privée et la pratique de la confession.»[5]

    Pénitences privée 

    Qu’en est-il justement des pénitences privées, moins spectaculaires, mais plus fréquentes ?

    Les peines sont plus rigoureuses que dans les siècles précédents. Ainsi le pape Grégoire III, répondant à une question de S. Boniface (qui se trouve dans le premier tome des Conciles des Gaules en l’année 731), décide ainsi touchant la pénitence imposée à certains homicides : A l'égard de ceux qui ont tué leur père, leur mère, leur frère ou leur sœur, nous disons qu'ils doivent passer toute leur vie sans recevoir le corps du Seigneur, sinon à la mort en forme de viatique, qu'ils s'abstiennent aussi de manger de la chair et de boire du vin durant toute leur vie. Qu'ils jeûnent la deuxième, la quatrième et la sixième férie [lundi, mercredi et vendredi], afin que, pleurant ainsi leur péché, ils puissent en obtenir le pardon.

    Plus d’un siècle et demi plus tard, la même sévérité est toujours d'application. Témoin, en 895, le concile de Tibur (ville rhénane), qui prescrit ceci comme pénitence privée pour un homicide volontaire : Si quelqu'un a commis volontairement un homicide, qu'on lui interdise pendant quarante jours l'entrée de l'église, et durant ce temps, qu'il ne mange que du pain avec du sel, et ne boive que de l'eau pure, qu'il aille pieds nus, qu'il ne se serve que d'habits de lin, sans fémoraux[6]; qu'il ne porte point d'armes; qu'il ne se serve point de voiture ; qu'il n'approche d'aucune femme, non pas même de la sienne ; qu'il n'ait pendant ces quarante jours aucune communication avec les chrétiens, non pas même avec les autres pénitents, ni pour le boire, ni pour le manger, ni pour quelqu'autre chose que ce puisse être… Après ces quarante jours, l'entrée de l'église lui sera interdite pendant l'espace d'une année, durant laquelle il s'abstiendra de chair et de vin, d'hydromel et de bière emmiellée, excepté les jours de dimanche et fêtes chômées; et s'il se trouve à l'armée ou dans quelques grands voyages, à la cour de son seigneur ou malade, il lui sera permis de racheter la troisième, la cinquième férie [mardi et jeudi] et le samedi pour un denier, de façon néanmoins que des trois choses qui sont interdites, la chair, le vin et l'hydromel, il ne puisse faire usage que d'une seule. Mais quand il sera de retour de son voyage ou rétabli de sa maladie, il ne pourra racheter ces jours. Ce terme étant expiré, il sera introduit dans l'église en la manière des pénitents. La seconde et la troisième année, il est soumis aux mêmes observances; excepté qu'on lui accorde la faculté de racheter les trois jours dont on vient de parler, lors même qu'il est chez lui dans sa maison… etc.

    On épargne la suite au lecteur.

    VE PN 102 article pénitence 2 S. Pierre Damien.jpgL’un des prélats les plus impitoyables en matière de pénitence fut sans doute S. Pierre Damien (+1072). On reste abasourdi par la dureté des sanctions qu’il impose aux pécheurs. Il s’en prend particulièrement à l’homosexualité ; selon lui, le vice de sodomie «surpasse l’énormité de tous les autres». Il lui consacre même tout un ouvrage, Le Livre de Gomorrhe, où l’on peut lire ceci :

    «À coup sûr, le vice de sodomie apporte la mort au corps et détruit l’âme. Il pollue la chair, éteint la lumière de la pensée, expulse le Saint Esprit du temple du cœur humain, et ouvre la porte au diable, le stimulateur de la luxure. Il mène à l’erreur, supprime totalement la vérité de l’esprit trompé... il ouvre l’enfer et ferme les portes du paradis... c’est ce vice qui outrage la tempérance, assassine la modestie, étrangle la chasteté, et massacre la virginité... il salit toutes choses, souille toutes choses, pollue toutes choses...»

    «Ce vice retranche un homme du chœur réuni de l’Église... il sépare l’âme de Dieu pour l’associer aux démons. Cette reine de Sodome totalement malade rend celui qui obéit aux lois de sa tyrannie infâme aux hommes et odieux à Dieu... Elle dépouille ses chevaliers de l’armure de la vertu, les exposant à être transpercés par tous les vices... Elle humilie son esclave dans l’église et le condamne au jugement ; elle le souille en secret et le déshonore en public ; elle ronge sa conscience comme un ver et consume sa chair comme le feu... cet homme infortuné est privé de tout sens moral, sa mémoire défaille, et la vision de sa pensée est obscurcie. Ne se souciant que peu de Dieu, il oublie également sa propre identité. Ce mal érode les fondements de la foi, sape l’ardeur de l’espoir, dissout le lien d’amour. Il outrepasse la justice, démolit la force morale, fait disparaître la tempérance et émousse les arêtes de la prudence. Dois-je en dire plus ? » Non, sans doute.

    Vade in pace

    Les peines infligées aux consacrés peuvent être d’une sévérité extrême. Autour de l’an mil, on inventa une espèce de prison sans lumière, destinée à ceux qui devaient y finir leur vie : on appelait cyniquement cet endroit Vade in pace (Vas en paix). Il semble que le premier qui ait inventé cette sorte de supplice ait été un certain Matthieu, prieur de Saint-Martin-des-Champs à Paris, suivant le rapport qu’en fait Pierre le Vénérable (+1156), qui nous apprend aussi que ce supérieur, homme de bien par ailleurs, mais d’une sévérité outrancière, fit construire une cave souterraine en forme de sépulcre, où il condamna, pour le reste de ses jours, un misérable qui lui paraissait incorrigible. Pierre le Vénérable ajoute, consterné : «Quelque respect que j’aie pour la mémoire de ce grand homme, je ne craindrai pas de dire qu’il semble avoir passé, en cela, les bornes de l’humanité».
    C’est le moins que l’on puisse dire.

    Autres pénitences

    * La flagellation

    En plus des privations déjà décrites, plusieurs nouvelles sortes de pénitence sont inventées : la flagellation, les voyages, les pèlerinages, la retraite forcée en monastère.

    L’un des champions de l’auto-flagellation fut sans doute Dominique Loricat (+1060). On le surnommait L’Encuirassé parce qu’il portait sur sa chair une chemise de mailles en fer dont il ne se défaisait que pour se fouetter ; il y joignait des jeûnes, des veilles, des génuflexions à n’en plus finir et toutes sortes d’austérités invraisemblables. Nous sommes aujourd’hui effrayés du récit que nous en a laissé S. Pierre Damien : cet homme perpétuellement ensanglanté se sacrifiait pour l’expiation de ses propres péchés, mais surtout pour faire pénitence au nom des pécheurs impénitents… Selon Pierre Damien, son directeur spirituel, Dominique accomplissait en six jours une pénitence de cent ans en se donnant la discipline et en récitant des psaumes.

    Certes, la flagellation comme punition était déjà en usage longtemps auparavant, puisque dans la règle de S. Colomban (fin du VIe s.) on punissait la plupart des fautes des moines par un certain nombre de coups de fouets. Mais au XIe siècle, l’auto-flagellation volontaire était comprise comme une espèce de purgatoire anticipé. C’est apparemment de ce Dominique que vient la coutume de se flageller, de se «donner la discipline», selon le jargon religieux. Cette pénitence trouvera une extension sous forme de compensation : ainsi les moines qui ne pouvaient pas racheter leurs peines par des aumônes (puisqu’ils ne possédaient aucun bien en propre) les payaient en coups de fouet qu’ils se faisaient donner ou se donnaient eux-mêmes, ou bien par des génuflexions, des prostrations prolongées, des coups sur la paume des mains, qu’ils appelaient palmatae.

    Nous n’évoquons pas ici les cilices, les diverses entraves physiques et les autres formes d’astreintes corporelles, car ces petits moyens matériels ont essentiellement pour but de prévenir le péché et non de l’expier, sauf avis contraire du confesseur.

    * Voyages, retraites…

    Subis comme pénitence, les voyages forcés (le plus souvent hors de sa patrie) n’ont rien de touristique; ils tiennent plutôt de l’errance et du vagabondage. Qu’on imagine les routes et les chemins à cette époque : insécurité, mendicité, inconfort, dangers des bêtes et des brigands… Des gens de toutes conditions y étaient soumis, mais surtout les grands seigneurs et les clercs. Le pénitentiel de Théodore (au VIIe siècle) condamne un évêque pour crime de pédérastie à vingt ans de pénitence, dont il doit passer cinq en jeûnant au pain et à l’eau et à voyager… jusqu’à la fin de sa vie ! Dans la suite, on transforma ces voyages et vie vagabonde en pèlerinage aux lieux saints, à Rome, à St Martin de Tours, à St Jacques de Compostelle, etc. Durant les IXe, Xe, et XIe siècles, les pénitents couraient volontiers à Rome dans l’espérance d’obtenir du pape quelque adoucissement à des peines si rigoureuses. Il arrivait au pape de céder, mais rarement, pour ne pas mettre en péril l’autorité des confesseurs locaux.

    * Rachats 

    Aux plus fortunés s’offrait la possibilité de racheter leurs pénitences par des aumônes. De cette permission découla naturellement une tarification pour le rachat les peines. Bède le Vénérable (+734) écrit ceci dans son pénitentiaire : Celui qui ne peut faire pénitence de la manière que nous avons dit, donnera en aumônes la première année 23 sols; pour une année au pain et à l'eau, qu'il donne en aumônes 22 sols, et que chaque semaine il jeûne une fois jusqu'à nones, une autre fois jusqu'à vêpres, et trois carêmes. La seconde année il donnera 20 sols. Pour la troisième 18 sols, etc.

    Ces dispositions restent raisonnables, mais vers la fin du Xe siècle se développa en Angleterre la coutume de taxer séparément chaque péché, de sorte que si le péché était répété, la pénitence était augmentée, et comme cette pénitence pouvait être rachetée, les sommes dues pouvaient devenir considérables. Par exemple, celui qui était tombé deux fois dans la fornication devait faire pénitence deux fois autant de temps que s’il y était tombé une fois seulement ; s’il avait commis ce péché dix fois, il devait être taxé dix fois… Par ce moyen malhonnête, certains confesseurs en arrivaient à s’enrichir (ou à enrichir l'Eglise) en se nourrissant du péché d’autrui, pour ainsi dire. 

    Ces façons de faire passèrent sur le continent : on infligeait aux pénitents des peines plus dures et plus sévères, non suivant la proportion arithmétique, mais suivant la proportion géométrique, si bien que plusieurs pécheurs se trouvaient dans l’impossibilité absolue de satisfaire pour leurs péchés, sinon par la voie de rachat dont nous venons de parler, et qui fut surtout en vogue en Italie au XIe siècle, par le soin que prit Pierre Damien de la répandre et de la faire valoir…

    Un archevêque de Milan ayant accepté de l’argent en échange d’ordinations sacerdotales, les légats du pape imposèrent à ce prélat (qui avait avoué et s’était prosterné aux pieds de ses juges) une pénitence de cent ans (!), mais il lui permirent en même temps de racheter cette longue période pour une certaine somme d’argent… 

    Cette possibilité du rachat des peines dues aux péchés dégénéra en abus intolérables : on se mit à racheter les crimes à prix d’or et d’argent, de sorte que les coupables bien souvent, moyennant les sommes qu’ils répandaient, étaient exempts de faire pénitence.

    1. Relâchement (ou adoucissement) de la pénitence du XIIe au XIIIe s.

    On identifie trois causes principales au mouvement de fond qui conduisit à l’adoucissement progressif des pénitences.

    1. L’extension du rachat des peines

    Au commencement, on ne rachetait pas la pénitence entière, mais une partie seulement. Par exemple, si un pénitent devait s’abstenir de viande et de vin ou de liqueurs fortes un certain jour, il pouvait racheter l’abstinence d’une de ces choses seulement, en sorte que s’il buvait du vin, il ne pouvait pas manger de la viande, et réciproquement, s’il mangeait de la viande, il ne pouvait pas boire de vin (même s’il avait donné de quoi nourrir un pauvre ce jour-là). Mais ces modestes dispositions ne durèrent pas, et les choses tournèrent autrement que prévu. Ainsi dans la suite, non seulement on racheta les jours, mais aussi les mois et les années entières ; et on fixa les sommes correspondant à ces rachats. 

    La conversion du cœur semblait secondaire par rapport à la compensation matérielle du tort occasionné, car le pénitent, principalement si c’était un prince fortuné, était pressé de faire cesser les effets de l’excommunication ou de l’interdit : il commençait donc par se faire absoudre en promettant de satisfaire à l’Eglise dans un certain délai, sous peine d’être excommunié de nouveau.

    Cette pratique de racheter les pénitences moyennant quelques aumônes ou à prix d'argent (au profit des ecclésiastiques) n’était d’usage que pour les riches ; les pauvres et les moines les rachetaient, comme nous avons dit, par la récitation des psaumes, par des coups de fouet ou d’autres coups qu’ils recevaient ou qu’ils se donnaient eux-même sur la paume de la main. Cent sols rachetaient une année de pénitence ; réciter tant de fois le Psautier[7], en se donnant tant de coups, faisait le même effet. On évaluait ainsi les mois et les années de pénitence, et de là se forma une nouvelle doctrine jusqu’alors inouïe dans l’Église, à savoir qu’une même personne pouvait, en multipliant les coups de fouets ou de férule, et en récitant tant de fois le Psautier, racheter cent ans et mille ans de pénitence… Ces évaluations n’avaient évidemment de fondement que dans l’imagination de certains théologiens.

    Les pécheurs pouvaient aussi racheter les pénitences par de légères aumônes, la visite ou la décoration d’une église, car les évêques du douzième et du treizième siècle accordaient des indulgences à toutes sortes d’œuvres pieuses, comme la construction ou la rénovation d’une église, l’entretien d’un hôpital, ou plus largement de tout ouvrage public (un pont, une chaussée, le pavage d’un chemin…). Ces indulgences ne recouvraient qu’une partie de la pénitence, mais si l’on en réunissaient plusieurs, on pouvait racheter toute la pénitence. Ainsi les pécheurs les plus fortunés étaient le plus vite délivrés du poids de leurs fautes… Ces indulgences – qui adoucissent les pénitences mais les vident de leur substance théologique – le quatrième concile de Latran (1215) les appelle «indiscrètes et superflues» et les pères conciliaires vont les dénoncer.

    1. La croisade

    VE PN 102 article pénitence 3 Croisade rachat des péchés.jpgCe sont les indulgences liées aux croisades qui vont insensiblement faire péricliter les anciennes pénitences canoniques. Cela n’entrait évidemment pas dans les intentions du pape Urbain II ni du concile de Clermont, car ils croyaient faire deux biens à la fois : délivrer les lieux saints et faciliter la pénitence à une infinité de pécheurs qui ne l’auraient jamais faite autrement.

    Le pape Victor III (1086-1087), auparavant abbé du Mont-Cassin, est le premier pape qui a promis une absolution générale de tous les péchés à ceux qui feraient la guerre aux Infidèles (musulmans). Il ne s’agissait pas encore de délivrer Jérusalem du joug des Turcs (qui refusaient depuis 1078 de laisser libre le passage aux pèlerins chrétiens vers la Ville Sainte), mais de combattre les Sarrasins d’Afrique qui depuis plus d’un siècle ravageaient l’Italie : ils avaient entre autres pillé le monastère du Mont-Cassin. Après avoir fait rebâtir son monastère, Victor rassembla une armée de presque tous les peuples d’Italie ; avec la promesse de la rémission de tous leurs péchés, il les envoya attaquer la ville maritime de Mehdia (Maroc). Les combattants (qui ne s’appelaient pas encore "croisés") prirent la ville et défirent cent mille Sarrasins ; cette victoire passa pour un miracle. Ce n’est qu’en 1095 que la croisade fut proclamée par le pape Urbain II au concile de Clermont.

    Nous avons vu qu’autrefois faire partie d’une milice était l’une des activités interdites aux pénitents, car il était difficile aux pécheurs d’éviter les occasions de chute dans des entreprises de cette nature. Mais à la fin du XIe siècle, on estima que cette défense n’était pertinente que pour les guerres entre chrétiens et non quand il s’agissait de combattre les Infidèles et les autres ennemis de l’Église ; une multitude de personnes n’entreprirent donc ces voyages ou pèlerinages, comme on appelait alors les croisades, qu’en vue d’expier par cette espèce de pénitence publique, les péchés dont ils se sentaient coupables, quoique le public n’eût aucune connaissance de leurs fautes. C’est ainsi que l’engagement dans la croisade donna lieu au renouvellement temporaire d’une partie de l’ancienne discipline de la pénitence qui était hors d’usage depuis quatre siècles.

    Les engagés qui passaient en Palestine pour faire la guerre aux Sarrasins recevaient la promesse d’une absolution générale de leurs péchés ; cette grâce fut étendue à ceux qui allaient en Espagne pour en chasser les Maures, à ceux qui firent la guerre aux Cathares dans le Languedoc, et à ceux qui allaient au secours des chrétiens d’Orient. Enfin cette même indulgence se communiqua non seulement à ceux qui se rendaient en personne à ces expéditions, mais encore à tous ceux qui contribuaient à leur financement. De là vint la coutume de donner l’absolution avant l’accomplissement de la pénitence, et même avant que l’on se fût mis en devoir de l’accomplir, sur la simple promesse de faire le voyage de la croisade…

    Si les pèlerinages particuliers, en usage depuis le VIIIe s., pouvaient être quelquefois des occasions de distractions ou de rechutes, ils étaient bien moins dangereux que les croisades. En effet, un pénitent marchant seul ou avec un autre pénitent pouvait observer certaines règles, jeûner ou du moins vivre sobrement, avoir des moments de recueillement et de silence, chanter des psaumes, s’occuper l'esprit avec de bonnes pensées, avoir des conversations édifiantes, etc. A l’inverse, toutes ces pratiques de piété étaient difficilement possibles à des troupes assemblées en corps d’armée. Si beaucoup de croisés se préparaient sérieusement à la mort en payant leurs dettes, en restituant le bien mal acquis, en réparant le mal fait, etc. il faut avouer que la croisade servait aussi de prétexte à d’autres pour ne pas payer leurs dettes, aux malfaiteurs pour éviter la punition de leurs crimes, aux moines indociles pour quitter leurs cloîtres, etc. Le voyage était très long jusqu’en Terre Sainte, et les croisés, du moins certains d’entre eux, cherchaient à se divertir chemin faisant, emmenaient des chiens et des oiseaux pour chasser[8], des prostituées se mêlaient aussi à ces armées, quelques-unes déguisées en hommes. Même dans l’armée de S. Louis, dans son quartier, près de sa tente, on trouvait des lieux de débauche… Le saint roi sévissait exemplairement contre ces excès, mais il ne pouvait tout contrôler.

    La fin des croisades aurait pu permettre de revenir aux anciennes pratiques, mais l’usage en avait été interrompu depuis deux cents ans au moins, et les pénitences étaient devenues arbitraires : les évêques ne s’occupaient plus guère des détails de l’administration des sacrements. Les frères Mendiants (franciscains, dominicains) étaient devenus les ministres les plus ordinaires de la pénitence, et ces missionnaires passagers ne pouvaient suivre pendant assez longtemps la conduite des pénitents afin d’examiner le progrès et la solidité de leur conversion, comme faisaient autrefois les pasteurs sédentaires : ces religieux itinérants étaient obligés d’expédier promptement les pécheurs pour passer à d’autres. Ce fut aussi l’une des causes du relâchement de la discipline.

    1. La remise des peines canoniques

    Dès la fin du XIIe siècle et durant le XIIIe siècle, non seulement on accorda l’absolution des péchés à ceux qui faisaient, comme on disait alors, «le service de la Terre Sainte», mais on appliqua cette indulgence à ceux qui contribuaient de quelque manière à l’entretien ou à la construction d’une église ou de quelque autre ouvrage en rapport à la religion. Concrètement, les peines canoniques dues aux péchés étaient réduites d’un tiers ou d’un quart pour ceux qui avaient contribué financièrement à la construction de ces édifices ; mais par une autre invention, on obtenait facilement l’indulgence entière en contribuant à la construction ou à la réparation de trois ou quatre de ces ouvrages... C’est par le moyen de ces contributions qu’un bon nombre des principales églises de France furent bâties ou réparées. Cette méthode si commode de racheter ses péchés et de se dispenser d’en faire pénitence fut tellement du goût des pécheurs que Maurice[9], évêque de Paris qui succéda à Pierre Lombard, acheva ainsi de bâtir le superbe édifice de la cathédrale Notre-Dame et de quatre abbayes. L’indulgence s’étendit à tous ceux qui contribueraient à la réparation de toutes sortes d’ouvrages publics, comme ponts, chaussées, etc.

    1. Le concile de Trente (1542-1563)

    VE PN 102 article pénitence 4 Concile de Trente.jpgAu XVIe siècle, la révolte de Luther et de ses disciples va conduire l’Église à une reprise en main doctrinale et disciplinaire. «Seule la foi sauve», prétendait Luther, dispensant ainsi les pécheurs de confession et de réparation. Le concile de Trente répond ceci en janvier 1547 (décret sur la justification) :

    Si quelqu'un dit que l'impie est justifié par la seule foi, entendant par là que rien d'autre n'est requis pour coopérer à l'obtention de la grâce, et qu'il ne lui est en aucune manière nécessaire de se préparer et disposer par un mouvement de sa volonté : qu'il soit anathème (can. 9).

    Si quelqu’un dit que celui qui est tombé après le baptême ne peut pas se relever avec la grâce de Dieu, ou qu’il peut certes recouvrer la justice perdue, mais par la seule foi, sans le sacrement de pénitence, comme l’a jusqu’ici professé, gardé et enseigné la sainte Église romaine universelle, instruite par notre Seigneur et ses apôtres  : qu’il soit anathème (can. 29).

    En novembre 1551, la doctrine sur le sacrement de pénitence est définie de manière plus exacte et plus complète (de eo exactiorem et pleniorem definitionem tradidisse). Sont notamment clairement décrites les parties et les fruits du sacrement de pénitence : outre l’absolution, indispensable, sont quasi-matières de ce sacrement les actes du pénitent lui-même : la contrition, la confession et la satisfaction. Le concile condamne les affirmations de ceux qui prétendent que les terreurs qui s’emparent de la conscience et la foi sont des parties de la pénitence (chap. 3, can. 4). De plus, affirme le concile (recadrant ainsi les excès des athlètes et champions de la morbidité), les pénitences ou satisfactions n’ont de valeur que dans les mérites infinis acquis pour nous par la Rédemption du Christ : ainsi l’homme n’a rien dont il se glorifie, mais toute notre glorification est dans le Christ en qui nous vivons, en qui nous méritons, en qui nous satisfaisons, faisant de dignes fruits de pénitence qui tirent de lui leur force… (chap. 8).

    Enfin, le concile de Trente libère les pécheurs du poids des pénitences ciblées et tarifées en étendant la pénitence aux «œuvres satisfactoires», reconnaissant comme la plus grande marque d’amour divin les épreuves temporelles infligées par Dieu et supportées par nous dans la patience (can. 13). On discerne ici déjà l’ébauche de la doctrine spirituelle de la «petite voie» développée et vécue par sainte Thérèse de Lisieux à la fin du XIXe siècle et dont nous sommes aujourd’hui encore les heureux héritiers.

    Dans la prochaine livraison de Pâque nouvelle, nous clôturerons cette brève histoire de la pénitence en survolant la dernière partie de ce sacrement : l’absolution.

                                                                                                              Pierre René Mélon

                                                                                                              (à suivre…)

    [1] Charles II dit le Chauve, petit-fils de Charlemagne, (823-877).

    [2] Louis le Jeune (825-875), fils de Lothaire Ier, roi d’Italie.

    [3] Depuis Charlemagne, c’étaient les rois et les empereurs qui nommaient les évêques. En 1075, le pape conteste cette disposition et veut reprendre son droit. Le roi Henri conteste la volonté du pape et le fait "déposer" par une assemblée d’évêques allemands et italiens. Le pape riposte en excommuniant Henri qui est aussitôt abandonné par la plupart de ses vassaux. Sa situation devenant précaire, il décide d’aller demander pardon au pape qui séjourne alors au château de Canossa, dans le nord de l’Italie… Henri IV meurt à Liège en 1106, sur les terres de son vassal, le prince-évêque Otbert.

    [4] Lambert d’Hersfeld (v. 1028-v. 1085), prêtre allemand, chroniqueur de son temps (appelé aussi Lambertus Schaffnaburgensis).

    [5] H. Rondet, op. cit. p. 572.

    [6] Fémoraux : sortes de hauts-de-chausses portés par certains religieux.

    [7] Le psautier complet ou uniquement les 7 psaumes pénitentiels choisis par S. Augustin : ps. 6, 31 (32), 37 (38), 50 (51) Miserere, 101 (102), 129 (130) De profundis, 142 (143).

    [8] On le sait par l'interdiction de ces pratiques à la seconde croisade.

    [9] Pierre Lombard, évêque de Paris de 1159-1160 ; Maurice de Sully, évêque de Paris de 1160 à 1196.

  • Brève histoire du sacrement de pénitence V et fin.Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, été 2017

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    L’absolution

    VE PN 103 absolution.jpgL’étymologie de ce mot exprime parfaitement sa signification spirituelle[1]. Les verbes grec luein «délier» et latin luere «dégager» reposent sans doute tous deux sur une racine commune signifiant «briser». Luere, verbe latin rare, employé dans le vocabulaire juridique avec le sens de «s’acquitter de», a été remplacé dans la plupart de ses emplois par son dérivé solvere, solutus «délier», «désagréger», «payer», d’où absolvere (absoudre) qui exprime littéralement une dissolution, un déliement ; d’ailleurs, en grammaire absolutus traduit le grec apolelumenon «sans lien» ; par l’absolution sacramentelle, le pécheur est non seulement acquitté, mais délié, relevé, remis en liberté, rendu à la vie par une véritable renaissance spirituelle.

    Déprécative… ou indicative

    A l’ouverture de la messe, une brève célébration pénitentielle manifeste le repentir de l’assemblée ; elle contient un aveu public de péché et une demande de prière aux frères et sœurs présents (elle est ce qui subsiste des anciennes pénitences publiques décrites plus haut) : Je reconnais devant mes frères que j'ai péché […] c'est pourquoi je supplie la Vierge Marie, les anges et tous les saints, et vous aussi mes frères, de prier pour moi le Seigneur notre Dieu. A quoi le prêtre répond : Que Dieu tout-puissant nous fasse miséricorde ; qu'il nous pardonne nos péchés et nous conduise à la vie éternelle. Cette formule d’absolution des péchés véniels est appelée déprécative, car elle demande à Dieu d’opérer lui-même l’acte demandé.[2]

    Pour l’absolution des péchés, la formule déprécative (on dit aussi déprécatoire) a été la seule en usage jusque vers la fin du douzième siècle en Occident. On considérait que le confesseur ne devait pas s’exprimer à la manière des juges séculiers («nous t’absolvons», «nous ne te condamnons pas», etc.), mais qu’il devait plutôt faire une oraison sur le pénitent afin que Dieu lui accordât l’absolution et la grâce de la sanctification.

    C’est au tournant des XIIe et XIIIe siècles que l’on commença, ici et là, à mêler la forme indicative «Absolvo te» avec la formule déprécative «Dominus absolvat te». On trouve les deux formules dans la Somme théologique d’Alexandre de Halès (+1245). Ce dernier aussi bien que S. Bonaventure (+1274) et quelques autres, se servirent de ces deux formules d’absolution comme pour concilier la vertu des clés de l’Eglise avec la nécessité de la contrition.

    Saint Thomas d’Aquin pensait que la forme déprécative contribue aussi bien que l’indicative à la rémission des péchés (absolutionem non esse per solam deprecativam orationem). Mais l’opinion du saint dominicain ne fut pas suivie par tous ; les théologiens parisiens décidèrent unanimement de promouvoir la seule forme indicative par les mots Ego te absolvo, en sorte que l’usage de la formule déprécative cessa dans plusieurs endroits. On sait par François de Meyronnes (+1327), disciple de Duns Scot, qu’en Provence on absolvait encore sous la forme déprécative : «Que Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit vous absolvent de tous vos péchés, etc.».

    La raison principale sur laquelle les novateurs appuyaient leur décision était que le prêtre, au «tribunal de la pénitence», tenait la fonction de juge, d’où ils concluaient que le confesseur devait prononcer sa sentence en une forme qui marquât son autorité et son pouvoir. Ils prenaient ainsi l’exact contre-pied des confesseurs des premiers siècles qui refusaient précisément d’être assimilés à des juges séculiers et utilisaient la formule indirecte, dite déprécative. Cette prise de pouvoir sacramentelle peut aussi correspondre à la montée en puissance du cléricalisme dans l’Église latine à la même époque.

    A ces aspects juridiques et sociologiques du sacerdoce vinrent se mêler des disputes philosophico-théologiques alimentées par l’infiltration des concepts philosophiques païens dans la Révélation chrétienne : matière, forme, acte, puissance, etc. Que la formule Ego te absolvo, etc., soit en même temps la matière et la forme de ce sacrement, comme le prétendent les scotistes, ou qu’elle en soit seulement la forme, comme le veulent les thomistes, ce sont des disputes que nous laissons volontiers aux sages et aux intelligents auxquels Dieu se plaît, comme par ironie, à cacher la vérité (Luc 10, 21).

    Seuls sont absolument nécessaires les mots «Je t’absous» (on dit maintenant : «Je te pardonne»). Notons ici que les Grecs (aujourd’hui qualifiés d’Orthodoxes) ne se servent pour l’absolution que d’une forme déprécative que le pape Clément VIII (en 1595) supposait bonne et valide quand ils s’en servaient les uns à l’égard des autres, mais il voulait qu’à l’égard des Latins qui en ont une autre, ils emploient la formule indicative qui est reçue parmi nous. En effet, la forme déprécative («Que Dieu te pardonne…») doit être comprise dans un sens indicatif, c’est-à-dire comme un acte judiciaire accompli par le confesseur (ministre de Jésus-Christ) et que Dieu ratifie de son autorité et de sa grâce. On peut donc préférer la forme indicative dans laquelle le pouvoir des clés confié à l’Église est plus clairement affirmé. [3]

    Absolution des excommuniés

    VE PN 103 Excommunication.jpgS’il y eut jamais un acte juridique dans l’Église, qui aurait requis que l’énoncé en fût indicatif, c’est bien l’absolution de l’excommunication par laquelle le baptisé est rétabli dans tous les droits attachés à la communion des fidèles. Cependant, assez étonnamment, l’absolution ou la révocation de la sentence d’excommunication se faisait autrefois par des prières en forme déprécatoire, quoique de tout temps la sentence de l’excommunication eût été énoncée en termes indicatifs ou imprécatifs… En d’autres mots : «Nous t’excommunions…», mais «Dieu veuille te réintroduire…»

    Voici quelle était au XIe siècle la forme d’absolution de l’excommunication. Burchard (+1025), l’évêque de Worms que nous avons déjà rencontré dans cette brève histoire, est le premier auteur qui décrit cette cérémonie : « L’évêque, accompagné de douze prêtres, doit conduire aux portes de l’église l’excommunié repentant, demandant grâce et promettant de satisfaire. Là, après avoir pris quelques précautions pour s’assurer qu’il effectuera ses promesses, il est absous de cette sorte : L’évêque chante les sept psaumes avec l’Oraison dominicale et plusieurs versets et répons ; après quoi suit l’oraison : “Donnez, Seigneur, à cet homme votre serviteur de dignes fruits de pénitence, afin que recevant le pardon des péchés qu’il a commis, et pour lesquels il avait été séparé de votre Église, il recouvre son innocence, par notre Seigneur Jésus-Christ, etc.” Suit une autre oraison un peu plus longue. Ensuite l’évêque le prenant par la main droite l’introduira dans l’église et le rétablira dans la communion et la société chrétienne.» Suit une autre prière, laquelle étant achevée, l’évêque lui enjoint une pénitence proportionnée à sa faute, et envoie des lettres dans le canton pour notifier à tout le monde que cet homme a été reçu dans la société chrétienne. Il le fait aussi savoir aux autres évêques.»

    Nouvelles prises de tête…

    Après l’abandon progressif des œuvres pénales par lesquelles les pécheurs se préparaient et se mettaient en état de recevoir l’absolution de leurs péchés (nous en avons décrit quelques-unes), on disputa beaucoup sur les dispositions intérieures nécessaires pour rentrer en grâce avec Dieu, et sur les effets du sacrement de pénitence. Privés de l’étalon des pénitences visibles et matérielles, les docteurs en théologie se mirent en tête de savoir comment concilier la vertu de l’absolution avec les dispositions intérieures exigées pour être en état de la recevoir ; et les plus subtils d’entre eux employèrent tout ce qu’ils avaient d’esprit pour trouver un dénouement à ce nœud gordien.

    Or, sur cette question, les anciens pensaient comme pensent encore aujourd’hui les chrétiens ordinaires et les personnes les plus simples : ils croyaient que l’effet de l’absolution était le pardon des péchés ! Ils croyaient que Dieu l’accordait par la vertu du Saint-Esprit qui accompagnait l’action du confesseur, approuvait et confirmait dans le ciel ce que celui-ci faisait en son nom sur la terre : «Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion» (Lc 15, 7). Ils croyaient de plus que cette réconciliation était suivie d’une grâce plus abondante et qu’elle incitait ceux qui la recevaient à s’approcher avec confiance des saints mystères, en particulier de la chair vivifiante du Sauveur, à laquelle on ne peut communier qu’après s’être purifié de la tache des péchés les plus graves, sachant que l’eucharistie est en elle-même aussi un remède qui procure la guérison, comme le dit l’oraison qui précède la communion du prêtre. On ne trouve rien d’autre dans les écrits des Pères de l’Église. 

    Attrition, contrition…

    VE PN 103 Confiteor.jpgMais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Certains grands esprits introduisirent une distinction à l’intérieur même de la démarche personnelle de pénitence ; la question cruciale était celle-ci : le pénitent revient-il à Dieu par crainte des peines liées au péché ou par amour pour Dieu ? C’est ainsi que fut introduite la différence entre l’attrition (regret par crainte des peines) et la contrition (regret par amour pour Dieu); la première n’étant accompagnée que d’un faible amour de Dieu, tandis que la seconde manifestait un très grand amour pour Dieu, ou, pour parler comme ces théologiens, un amour très intense, intensissimum. Cependant les scolastiques convenaient unanimement entre eux que la contrition et l’attrition étaient de même espèce (notion héritée de la philosophie grecque), et qu’elles ne différaient que «du plus au moins». De là naquit parmi eux l’axiome selon lequel les pénitents confessant leurs péchés, d’attrits devenaient contrits avant ou après l’absolution, ou même pendant qu’ils la recevaient…

    Une idée entraînant une autre, on ne se contenta plus d’affirmer que le pénitent, par la vertu du sacrement, d’attrit devenait contrit, on alla jusqu’à dire que la douleur des péchés, ou l’attrition quand elle était accompagnée de quelque degré d’amour de Dieu, aussi faible qu’il fût, était suffisante pour obtenir la rémission des péchés ; cette attrition se changeant en contrition dans le court espace de temps (quelques secondes, quelques minutes…) qui se trouve entre la confession et l’absolution. Il y en eut même qui osèrent avancer que la contrition présumée était capable d’obtenir l’effet du sacrement, pourvu que celui qui ressentait cette présomption de contrition crût de bonne foi être attrit ou contrit, et reçût dans cette disposition le sacrement de Pénitence… C’est ainsi qu’à force de finasser, les choses les plus claires deviennent obscures, que les concepts philosophiques se transforment en peaux de banane, que les esprits et les égos échauffés répandent la confusion et les ténèbres sur des objets qui sont à la portée des gens simples faisant usage de leur raison.

    Quoi qu’il en soit de ces subtilités, l’Église a usé du pouvoir qu’elle a en ces matières, en définissant au concile de Trente que l’absolution est «une manière d’Acte judiciaire, par lequel le Prêtre, comme Juge prononce la Sentence»[4] et que les paroles essentielles de l’absolution sacramentelle sont celles-ci (où l’on remarque l’usage des deux formules combinées : «Que Notre Seigneur Jésus Christ t’absolve», suivi de «Et moi, je t’absous de tes péchés, au nom du Père, etc…»).

    Dominus noster Jesus Christus te absolvat : et ego auctoritate ipsius te absolvo ab omni vinculo excommunicationis, (suspensionis), et interdicti, in quantum possum, et tu indiges. Deinde ego te absolvo a peccatis tuis, in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen.

    Absolution aux malades

    Selon une pratique ancienne, attestée au temps de S. Cyprien (+258), la réconciliation accordée à un pénitent malade le rétablissait pleinement dans la communion des fidèles et le dispensait des travaux ordinaires de la pénitence. Le concile de Nicée (325) limita au danger de mort l’indulgence accordée à la suite de cette absolution ; en effet, les pères conciliaires ne voulaient pas que les bénéficiaires revenus à la santé jouissent de tous les avantages de la réconciliation ordinaire sans s’être soumis aux exigences de la pénitence ordinaire ; on considérait que l’absolution accordée dans le péril de la maladie avait pour ainsi dire été extorquée à l’Église. Les personnes guéries et absoutes sans avoir fait la pénitence requise étaient reléguées parmi les consistants, dont nous avons vu précédemment qu’ils n’étaient pas en pleine jouissance de la communion parfaite avec les autres fidèles : ils ne participaient pas aux saints mystères, mais pouvaient les observer à distance.

    Faux malades 

    Comme il fallait s’y attendre, il arriva que plusieurs de ceux qui subissaient une pénitence publique (du temps où elles étaient en vigueur) feignaient des maladies ou exagéraient celles dont ils souffraient afin d’engager les prêtres à les absoudre ; ils espéraient ainsi s’affranchir des longs et rudes travaux auxquels ils étaient condamnés suivant les canons que nous avons évoqués plus haut ; ces pratiques malhonnêtes obligèrent l’Église à changer sa conduite sur ce point et à ordonner que les pénitents qui auraient reçu l’absolution en danger de mort, retourneraient, une fois leur santé revenue, dans le même degré de pénitence où la maladie les avait surpris.

    Simples d’esprit et possédés

    Les simples d’esprit et les déments étaient assimilés aux enfants et jugés aptes à recevoir le sacrement de Réconciliation, d’autant plus s’ils l’avaient demandé au début de leur maladie ou que des personnes dignes de foi témoignaient de leurs bonnes dispositions. Telle était déjà la pratique dans les premiers siècles de l’Église.

    Pour cette même raison, on étendait la grâce du sacrement du baptême et de la réconciliation aux personnes encombrées par les démons ainsi qu’à ceux qui souffraient de troubles de l’esprit assimilés à des infestations diaboliques et dont la vie se trouvait en danger.

    A la question de savoir si un catéchumène agité par le démon peut recevoir le baptême, Timothée, patriarche d’Alexandrie (+ 384), répond affirmativement, et le premier concile d’Orange (en 529) décide qu’on ne doit refuser aux insensés ni le baptême ni la réconciliation (c. 13).

    Le jansénisme

    VE PN 103 Mélon crucifix   janséniste bras étroits petit nombre des élus.jpgCependant, dans le courant des XVIIe et XVIIIe siècles, plusieurs théologiens, appuyés sur des raisonnements plus subtils que solides, ont enseigné le contraire en raison de deux motifs :

    1. le prêtre qui absout agit en juge qui doit connaître l’objet sur lequel il doit prononcer sa sentence ; ce qui est impossible quand la personne qu’il s’agit d’absoudre est hors d’état de faire connaître ses péchés, son désir et ses dispositions présentes : la vie droite qu’elle a menée avant sa maladie, les bonnes œuvres qu’elle a pratiquées ne comptent plus si elle est tombée dans le péché ; il est donc impossible au confesseur de juger du désir et des dispositions de cette personne, même si elle demande par elle-même le sacrement.
    2. selon ces théologiens, les actes peccamineux du pénitent sont la matière du sacrement de Pénitence (revoici Aristote), d’où ils concluent que ces actes n’ayant pas eu lieu par la violence du mal, l’absolution, qui en est la forme, ne peut produire son effet ! D'autres disaient que la matière de l’absolution était les pénitents eux-mêmes…

    Il est vrai que le concile de Trente (clôturé quelque deux siècles plus tôt) s’était contenté de dire que les trois actes du pénitent (contrition, confession, satisfaction) étaient comme la matière du sacrement de Pénitence, quasi materia[5], laissant par cette expression la chose indécise, et la liberté aux théologiens de soutenir sur ce point ce qu’ils croyaient le meilleur. La théologie pessimiste des jansénistes sera condamnée ultérieurement par les papes[6].

    Rapports avec les Églises séparées de Rome 

    Au XXe siècle, le 2e concile du Vatican a publié un décret[7] dans lequel sont levés divers obstacles à une plus grande unité entre chrétiens : «Les Orientaux qui de toute bonne foi se trouvent séparés de l’Église catholique peuvent recevoir les sacrements de la pénitence, de l’eucharistie et de l’onction des malades, s’ils les demandent d’eux-mêmes et ont les dispositions requises ; en outre, il est permis aux catholiques, eux aussi, de demander les mêmes sacrements aux ministres non-catholiques dans l’Église desquels les sacrements sont valides, toutes les fois que la nécessité ou une véritable utilité spirituelle le conseillent, et qu’il est matériellement et moralement impossible de s’adresser à un prêtre catholique».

    En bref, les Orthodoxes sont accueillis volontiers par les prêtres catholiques (notamment à la confession), tandis que les catholiques peuvent demander, sachant que la réponse du côté orthodoxe ne sera pas forcément positive…

    L’acte de contrition

    Une bonne confession doit être précédée par la prière d’abord, puis par un examen de conscience qui permet au pénitent de se souvenir des péchés qu’il doit avouer à Dieu par le ministère du prêtre et disposer son cœur à recevoir le pardon dans des sentiments de contrition sincère. Saint Thomas d’Aquin décrit ainsi les qualités d’une bonne confession : «Que la confession soit simple, humble, pure et sincère — fréquente, nette, discrète, faite de bon cœur et avec confusion — intégrale, secrète, dite avec larmes et non retardée»[8]. A la fin de l’examen de conscience, l’usage s’est répandu, dans le sillage de la Contre-Réforme, de réciter un acte de contrition dont la forme a peu varié : «Mon Dieu, j’ai un très grand regret de vous avoir offensé, parce que vous êtes infiniment bon et que le péché vous déplaît. Je prends la ferme résolution, avec le secours de votre sainte grâce, de ne plus vous offenser et de faire pénitence» ; on pouvait ajouter : «Dans cette contrition, je veux vivre et mourir ».

    L’acte de contrition ne fait pas partie formellement de la confession sacramentelle, mais il arrive que certains confesseurs demandent au pénitent de le réciter pendant l’absolution ou juste avant. Si le pénitent ne le connaît pas, comme cela est fréquent de nos jours, il peut laisser parler son cœur en toute simplicité et dire par exemple : «Mon Dieu je regrette tous mes péchés et je te demande pardon ; aide-moi à te rester fidèle», ou toute autre prière spontanée. 

    Imposition des mains 

    Pendant l’absolution, un seul geste est requis du prêtre : l’imposition des mains ou du moins lever la main droite vers le pénitent. Pendant les premiers siècles, de nombreuses prières précédaient l’absolution proprement dite ; durant celles-ci, le prêtre tenait sa main droite (ou les deux mains) étendue(s) sur la tête du pénitent.

    Le quatrième concile de Carthage (en 398) ordonne même que les pénitents soient réconciliés par l’imposition des mains (reconcilietur per manuum impositionem). Le même concile, en son canon 78, veut que ceux qui ont reçu l’onction des malades reçoivent aussi l’imposition des mains, sans laquelle «ils ne doivent point se croire absous» (sine qua non se credant absolutos).

    L’habitude d’imposer les mains aux pénitents durant l’absolution des péchés était en usage du temps de S. Augustin (+ 430) ; on peut raisonnablement considérer qu’elle est d’origine apostolique.

    Après le concile de Trente, l’installation des confessionnaux rend physiquement impossible l’imposition des mains du prêtre sur la tête du pénitent : ils sont séparés par une grille ! Étonnamment, cette impossibilité d’imposer les mains (geste liturgique éloquent, pratiqué dès les débuts de l’ère chrétienne) a été entérinée par le dernier code de droit canonique (1983) qui précise qu’il doit y avoir toujours dans un endroit bien visible des confessionnaux munis d’une grille fixe séparant le pénitent du confesseur (can. 964, § 2), seule une juste cause (can. 964, § 3) permet que les confessions puissent être entendue en dehors du confessionnal.

    S’il est vrai que la présence d’une séparation matérielle peut amoindrir une certaine gêne de la part du pénitent et favoriser l’aveu des fautes, plaidons ici pour une revalorisation de la partie essentielle du sacrement : la réconciliation, et que le retour à l’imposition des mains sur le pénitent puisse être reconnu par les évêques comme une «juste cause». La richesse (théologique, anthropologique, symbolique) de ce geste est si magnifiquement illustrée dans les saintes Écritures (ancienne et nouvelle Alliance) qu’elle mériterait d’être explicitée dans une autre brève histoire

    Conclusion 

    L’histoire du sacrement de pénitence est aussi l’histoire de l’inlassable lutte des hommes contre la simplicité de Dieu. Autour des paroles simples et efficaces du Sauveur pardonnant aux pécheurs, les hommes les mieux intentionnés ont échafaudé d’innombrables et complexes structures faites d’ajouts, de complications, d’obstacles, tant matériels que psychologiques ou spirituels. Comme si l’on pouvait entraver les bras du Père qui s’ouvrent pour accueillir l’enfant prodigue et repentant qui rentre à la maison !

    On remarque aussi combien les usages religieux et les idées qui les structurent correspondent aux courants anthropologiques, sociologiques et politiques des époques traversées, et la théologie elle-même prend les couleurs du temps qui passe ; ainsi la figure parfaite du Père miséricordieux subit les avatars de l’histoire des hommes : tantôt impériale, majestueuse, colérique, impitoyable, absolutiste, tantôt démocratique, apitoyée, subjectiviste… Depuis un bon demi-siècle, et singulièrement depuis quelques années, l’image de Dieu est toute de douceur, de tolérance, quasiment de gnangnan ; il semblerait même que Dieu soit comme insensible au péché, se voile la face devant les turpitudes humaines ou pardonne comme par distraction, jusqu’à faire miséricorde à ceux qui ne manifestent que peu ou pas de regret de leurs fautes : c’est la nature humaine, n’est-ce pas ? et puis Dieu est si bon… !

    Or, «c’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant !», lit-on dans la lettre aux Hébreux, et l’Ancienne Alliance n’est pas en reste : «Notre Dieu est un Dieu grand et redoutable» (Néhémie 4, 14), «puissant et terrible» (Deutéronome 7, 21) ; mais il sait aussi se montrer cajoleur et maternel : «Le Seigneur console son peuple, il prend en pitié ses affligés… Une femme oublie-t-elle son petit enfant ?» (Isaïe 49, 14-15) ; «Si c’est moi qui fait naître, fermerai-je le sein ?» (Isaïe 66, 9).

    Poursuivi par la reine impie Jézabel et réfugié dans une grotte de la montagne de l’Horeb, le prophète Élie, appelé au dehors par Dieu, fait cette expérience capitale : Dieu n’est ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre ni dans le feu, mais dans une brise légère[9]. Neuf siècles plus tard, sous la douceur des étoiles, Jésus parle à Nicodème de cette brise légère : «Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit»[10].

    Il existe de nombreuses manières de naître, et même de renaître, de l’Esprit : le sacrement de la pénitence en est une essentielle. Jusqu’à la fin du monde, et aussi longtemps qu’il y aura un pécheur repentant sur la terre, le sacrement de la Réconciliation – berceau de notre Renaissance –manifestera l’amour divin dans la simplicité de ses moyens et l’extraordinaire fécondité de ses effets.

    Pierre René MÉLON

    piremel@netcourrier.com

    [1] Picoche J., Dictionnaire étymologique du français, Le Robert, 2008.

    [2] On retrouve aussi dans les exorcismes des formules déprécatives suivies de formules imprécatives : «Ô Dieu qui vous plaisez à toujours avoir pitié et à pardonner, recevez la prière que nous vous adressons pour votre serviteur N. (ou votre servante) enserré(e) dans les liens du péché, afin que votre bienveillante compassion le (la) délivre avec bonté, etc.». Puis : «Je t’ordonne, qui que tu sois, esprit impur… etc.» (Grand exorcisme du rituel romain, 1614).

    [3] Remarque lue sur le site www.theopedie.com.

    [4] Session XIV (25 novembre 1551), chapitre 6.

    [5] Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, Cerf, n° 1673.

    [6] Par les bulles d’Innocent X Cum occasione (1653) et Unigenitus Dei Filius de Clément IX (1713).

    [7] Décret Orientalium Ecclesiarum (21 novembre 1964), n° 26.

    [8] Missel quotidien, éditions Brepols, 1961, p. 2276.

    [9] Premier Livre des Rois, chapitre 19.

    [10] Jn 3, 8.

  • Dimanche 2 juillet 2017 : Solennité de la Fête des saints Pierre et Paul

    EGLISE DU SAINT-SACREMENT

    Bd d’Avroy, 132 à Liège 

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    SOLENNITÉ DE LA FÊTE DES SAINTS PIERRE ET PAUL 

    DIMANCHE 2 JUILLET 2017 À 10 HEURES

    Pâques est la plus grande solennité du cycle liturgique ; mais pour les Romains, il y avait comme une seconde fête de Pâques, qui, si elle ne la surpassait pas en splendeur, égalait certes la première. C’était le « dies natalis » –la naissance au Ciel-  des deux Princes des apôtres, Pierre et Paul, martyrisés à Rome dans les années soixante de notre ère, ou, pour mieux dire, c’était, dans leur personne, la fête de la primauté pontificale, la fête du Pape, le Natalis urbis, le jour natal de la Rome chrétienne, le triomphe de la Croix sur Jupiter, père du tonnerre, et sur ses vicaires les Pontifices Maximi, établis dans la Regia du Forum. Il est si vrai que Rome y attachait ce sens symbolique, que les évêques de la province métropolitaine du Pape avaient l’habitude de se rendre dans la Ville éternelle, en signe de respectueuse sujétion, pour célébrer avec le Pontife une si grande solennité.

    La Solennité de cette fête se célèbre le dimanche qui suit le jour de la fête (29 juin) : en cette année  2017, il s’agira du dimanche 2 juillet :

    Missel de 1962

    Propre grégorien  de la Messe « Nunc Scio Vere »,

    Kyriale IV « Cunctipotens Genitor Deus », Credo IV 

    "Christus vincit": acclamations carolingiennes (IXe s.)

    au Christ Vainqueur  

    par la Schola grégorienne du Saint-Sacrement

    A l’orgue,Patrick Wilwerth (orgue)

    Avec le concours du Quatuor Instrumental Darius  

  • A Liège : l’église du Saint-Sacrement a célébré sa fête emblématique dans le cadre des manifestations de la Fête-Dieu 2017

    Quatre jours durant (du 15 au 18 juin 2017) l’Eglise de Liège commémorait cette année le septième centenaire de la constitution (1317) par laquelle le pape Jean XXII inscrivit définitivement dans le droit général de l’Eglise la Fête-Dieu, cette fête d’origine liégeoise impulsée dès 1246 par Julienne de Cornillon (Retinne, 1192-Fosses la Ville 1258) et Eve de Saint-Martin († en 1266)

    Dans la soirée du jeudi 15 juin, à l’issue de la messe inaugurale à la collégiale Saint-Martin une procession rejoignit la cathédrale pour une adoration nocturne, que d’autres suivirent les jours suivants, ponctuées aussi d’initiatives diverses telles que des conférences, un grand rassemblement au carmel de Cornillon ou une découverte pédestre de la vallée de la Julienne, ce ruisseau champêtre qui rappelle le nom et les origines de la sainte Liégeoise.

    Un succès de foule 

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    C’est dans ce contexte que, le samedi 17 juin à 18h00, l'évêque de Liège,  Mgr Jean-Pierre Delville,  a célébré à l’église du Saint-Sacrement  une messe solennelle selon la forme extraordinaire du rite romain dans l’église du Saint-Sacrement au Boulevard d’Avroy : un beau succès de foule qui rassembla 350 personnes, soit le maximum que puisse accueillir ce sanctuaire.

    La petite exposition d’art sacré  illustrant le culte de Julienne de Cornillon et surtout la vénération de la relique de la sainte, exposée après la messe, se partagèrent les faveurs du public avec une réception conviviale où l’évêque s’attarda pour saluer tous et chacun.

    Une célébration de qualité

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    Remarquable, cette célébration le fut aussi par la qualité chorale de la messe. Deux groupes de chanteurs exceptionnels ont prêté leur concours à cette célébration :

    Venue expressément de la capitale espagnole, la Schola Antiqua de Madrid dirigée par Juan Carlos Asensio a fait entendre le riche répertoire médiéval consacré à la fête du « Corpus Christi ».Tous les membres de cette schola ont été formés à la manécanterie du célèbre monastère bénédictin de la Vallée de Los Caïdos, situé sur la route de Madrid vers l’Escurial.  

    Les Belges n’ont pas été en reste, avec la participation du Quatuor Genesis constitué par un ensemble de jeunes talents inscrits cette année à l’académie du chœur de l’opéra de la Monnaie. Ils ont interprété la messa a quattro voci de Claudio Monteverdi ainsi que des motets d’Olivier Messiaen et Ola Gjeilo. Les couleurs de Liège dans cette prestation étaient représentées par Patrick Wilwerth, professeur au conservatoire de Verviers et titulaire des orgues de l’église du Saint-Sacrement.

    On trouvera, à la fin de cet article plusieurs extraits des chants de la messe, dont la totalité fut enregistrée « en live » au cours de la cérémonie :

    → pour les parties polyphoniques, le kyrie, le gloria et le sanctus de la messe à quatre voix de Monteverdi et l’hymne célèbre « Ubi caritas » revisitée par Ola Gjeilo (un compositeur norvégien né en 1978).

    → pour les parties en plain-chant : l’introït, le graduel, l’alleluia et l’offertoire du propre la messe  ainsi que le conduit « congaudeant catholici » (déchant extrait du Codex Calixtinus, conservé à Saint-Jacques de Compostelle, XIIe s.)

    L’évêque de Liège a rappelé le sens profond de l’Eucharistie 

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    Cette célébration fut aussi, pour l’évêque de Liège, l’occasion de rappeler le sens profond de l’Eucharistie, ce Sacrement des sacrements qu’exalte la Fête-Dieu. Voici le texte de l’homélie qu’il a prononcée en cette belle circonstance :

    « Chers Frères et Sœurs,

    La Fête-Dieu, c’est la Pâque aujourd’hui, la Pâques pour moi, pour nous, dans la communion au corps du Christ. Pâque, c’est la vie du Christ. C’est la Fête-Dieu, c’est notre vie dans le Christ. Comme le dit Jésus : « celui qui me mange vivra par moi ; celui qui mange ce pain vivra éternellement » (Jn 6,56-58).

    received_10212299187582381.jpegCe mystère de vie est aussi un mystère d’amour, l’amour de Dieu pour nous, qui se manifeste dans le don que Jésus nous fait de son corps et de son sang, c’est-à-dire le don de toute sa vie. Nous découvrons que nous sommes des gens qui sont aimés, et non pas des gens lancés dans la vie par le hasard des choses. Chacun de nous est aimé par le Christ et nous sommes invités à répondre à cet amour en communiant avec lui et en recevant son corps. Jésus nous a aimés le premier. Il est mort pour nous, c’est-à-dire qu’il est allé jusqu’au bout de sa vie d’amour, il n’a pas reculé au dernier moment. Mais il a voulu donner un signe du fait qu’il offrait sa vie pour nous.  

    Répondre à cet amour, c’est communier dignement. « Celui qui mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le Corps et le Sang du Seigneur », dit S. Paul. « Que l’homme s’éprouve donc soi même » (1 Cor 11,23-30). Communier signifie donc se convertir constamment. C’est une invitation à lutter contre la corruption. Dans le monde d’aujourd’hui, où tant de corruption apparaît dans le monde politique et où les idéologies sont contournées, la foi chrétienne apparaît comme le roc incorruptible, comme le trésor inoxydable. Pourquoi ? Parce que la foi n’est pas une idéologie, mais une conversion quotidienne. Comme l’écrivait dans son testament une maman qui vient de mourir : « Le Christ me fait comprendre que ma vie doit être simple, sans éclats, attentive aux autres, fidèle à ce que je crois être vrai, juste. Il me dit surtout que l’Esprit Saint doit être mon guide, celui qui éclaire toutes mes pensées et mes actes tout au long des jours. » Repasser chaque jour sa vie à la lumière de l’Esprit Saint, c’est un don inaltérable, une piste de bonheur pour tous.

    Le partage du pain, devenu corps du Christ, nous fait communier avec lui et nous incite à communier avec nos frères et sœurs. Chaque communauté chrétienne est appelée à vivre cette communion fraternelle. Je vois qu’on vit cela en particulier dans cette église du Saint-Sacrement. On y pratique la liturgie ancienne, sous la forme extraordinaire. C’est un retour aux sources, aux textes, aux chants et aux gestes originaux de la liturgie, qui nous font découvrir avec soin la grandeur du mystère de vie et de mort qui se dévoilent dans la liturgie. Je remercie cette communauté pour cette mission qu’elle a assumée. C’est primordial d’être en communion les uns avec les autres, pour être des témoins authentiques de l’amour de Jésus dans notre monde. Si nous ne nous aimons pas les uns les autres, qui nous croira ? , qui nous fera confiance ? 

    Jésus insiste sur la vie comme don de soi. Jésus veut tirer de l’oubli ceux qui meurent seuls et abandonnés et nous ouvrir les yeux sur eux, comme il nous a ouvert les yeux sur le sens de sa mort. En cette Fête-Dieu, nous sommes donc sollicités à être solidaires de ceux qui meurent aujourd’hui de manière injuste, comme Jésus est mort de manière injuste. Et nous sommes sollicités à faire de notre vie un don pour travailler à un monde meilleur. Nous sommes invités à éviter tout narcissisme, à éviter la tendance à s’engager pour recevoir des compliments et des félicitations. Nous sommes invités à rejeter ces arrière-pensées narcissiques et à cibler toujours le bien de l’autre et pas notre gloire personnelle. Ainsi nous pourrons consacrer notre vie, en faire une offrande au Seigneur, en communion avec lui.

    Oui, Frères et Sœurs, nous allons célébrer maintenant avec joie le sacrifice du Christ, c’est-à-dire le don de soi du Christ, qui se consacre à nous pour que nous nous consacrions à lui et à nos frères dans la joie. Amen. Alleluia ! »

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    JPSC

     

    Quatuor Genesis :

    • Kyrie de la messe de Monteverdi
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    • Gloria de la messe de Monteverdi
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    • Sanctus de la messe de Monteverdi
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    • Ubi caritas de Gjeilo
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    Schola Antiqua de Madrid :

    • Cibavit
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    • Oculi omnium
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    • Alleluia, caro mea
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    • Sanctificavit Moyses
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    • Congaudeant catholici
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