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Brève histoire du sacrement de pénitence I. Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n° 99, été 2016)

 

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Brève histoire du sacrement de pénitence (I)

pénitence 1.jpgSous des dénominations diverses, le sacrement de la réconciliation existe depuis 2000 ans dans l’Eglise de Dieu et il perdurera jusqu’à la fin des temps. L’abbé Didier van Havre l’a justement écrit dans son vade-mecum de la confession  (Didier van Havre, « Prends soin de ton âme », 176 pp., éditions du Laurier, 1er trim. 2016,  ISBN : 9 782864 953784):   « comme nous sommes tous pécheurs, tant qu’il y aura des hommes sur terre, ce sacrement sera nécessaire pour se convertir et se réconcilier sacramentellement avec Dieu ». 

Dans le numéro de Pâque Nouvelle que vous avez sous les yeux et les suivants, nous publions, par chapitres successifs, l’étude que Pierre-René Mélon consacre à l’histoire d’un sacrement aujourd’hui souvent délaissé dans beaucoup de  pays d’ancienne tradition catholique : elle vient à son heure, en cette année de la miséricorde.  

L’étude de notre collaborateur montre ce qu’affirme l’abbé van Havre dans son manuel précité : au cours des âges, la célébration du sacrement de la réconciliation « a connu d’importants changements d’ordre disciplinaire et liturgique, mais sa structure fondamentale n’a jamais varié. Cette structure est essentiellement axée sur la conversion du pécheur et le recours à l’inépuisable miséricorde de Dieu. Elle est l’âme du sacrement et elle nous met en contact direct avec le Christ et son œuvre rédemptrice, avec la dignité de l’être humain et le sens de la vie humaine sur terre » : sous peine d’inefficacité, ce qui participe de l’essence même du sacrement doit subsister sous les mutations accidentelles. Notre collaborateur en rappelle d’abord les fondements théologiques  pour aborder ensuite l’histoire de ses éléments constitutifs, l’un après l’autre: la confession, la pénitence et  l’absolution, qui naturellement incluent la contrition et la satisfaction.

La présente livraison est consacrée aux fondements scripturaires de ce sacrement et elle entame l’histoire de son premier élément constitutif, la confession de la faute : une histoire qui sera poursuivie dans le numéro suivant.

Jean-Paul Schyns

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Les paroles de Jésus sont claires : son sang est versé en rémission des péchés (Mt 26, 28). On pourrait dire que l’œuvre de la Rédemption trouve son accomplissement terrestre dans le pardon des péchés par lequel nous sommes lavés, sanctifiés, justifiés (1 Co 6, 11). Et pourtant, le premier sacrement de la miséricorde n’est pas la pénitence, mais le baptême ; c’est par le baptême que nous sommes « libérés du péché et régénérés comme fils de Dieu, que nous devenons membres du Christ, sommes incorporés à l’Eglise et faits participants à sa mission ».[1] Pour les premiers chrétiens, le baptême était immédiatement suivi de l’onction d’huile (chrismation ou confirmation) et de la réception de la sainte Eucharistie. Il s’agissait d’une véritable renaissance spirituelle et quelquefois physique (les guérisons n’étaient pas rares). On peut comprendre que toute rechute dans le péché grave était vécue comme une calamité et une humiliation.

Il n’empêche que les persécutions qui ont ensanglanté les premiers siècles du christianisme ont poussé un certain nombre de baptisés à renoncer momentanément au témoignage de leur foi : en honorant d’une façon ou d’une autre le dieu-césar, ils s’affichaient publiquement comme idolâtres et apostats, et, s’ils sauvaient leur vie, leur sort était peu enviable au sein de l’Eglise ; en conséquence, certains convertis retardaient longtemps le moment de leur baptême (parfois jusqu’à la veille de mourir) par crainte de retomber dans le péché et d’être ainsi privés de la gloire du ciel.

Pour les autres péchés graves (meurtre, adultère...) il existait toutefois une planche de salut, qui était comme un « second baptême »[2] : la pénitence (longue et rude) suivie du pardon, mais on ne l’accordait qu’une seule fois ! Les pénitences pouvaient avoir des conséquences pratiques redoutables : interdiction d’user du mariage, d’exercer le négoce ou le métier des armes, cela parfois même après la réconciliation ! En outre, cette lèpre spirituelle quasi indélébile constituait une irrégularité canonique pour l’accession aux ordres sacrés. A la fin du IIe siècle, saint Irénée, décrit l’état pitoyable des femmes qui, après avoir été séduites, font pénitence toute leur vie pour les péchés commis après le baptême ! [3]

Les sept rémissions 

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Repousser le baptême dans un futur éloigné ou vivre dans l’angoisse permanente de la chute, est-ce bien le but de la Rédemption ? Non, évidemment. Le sort des Juifs dans l’ancienne Alliance aurait pu sembler plus enviable, puisque pour eux le pardon était garanti par les sacrifices d’animaux et les offrandes rituelles, donc renouvelable et illimité, tandis que pour les chrétiens...

Devant ces rigueurs extrêmes qui pouvaient décourager, Origène rappelle, au début du IIIe siècle,  deux vérités paradoxales mais salutaires : il souligne la gravité de tout péché [4] en même temps qu’il affirme que le pécheur pourrait rentrer en grâce avant d’avoir été admis à la communion (la longue privation de communion était une pénitence très répandue).

Dans un autre texte, il décrit – en puisant dans l’Ecriture – les sept manières d’obtenir le pardon des péchés ; ce faisant, il prépare indirectement l’avènement de la pénitence privée et surtout du discernement et de la direction spirituelle.

« Pour éviter que ta vertu tombe dans le désespoir, écrit Origène, écoute combien il y a de rémissions des péchés dans l’Evangile : la première est celle par laquelle nous sommes baptisés pour la rémission des péchés. La seconde rémission est dans le martyre subi. La troisième, celle qui est obtenue par l’aumône : le Seigneur a dit, en effet : « Donnez ce que vous avez et voici, tout est pur pour vous ». La quatrième se fait par là même que nous remettons leurs offenses à nos frères. La cinquième lorsque quelqu’un ramène un pécheur de son erreur. L’Ecriture dit en effet : celui qui ramène un pécheur de son erreur sauve son âme de la mort et couvre la multitude des péchés. La sixième se fait par l’abondance de la charité, selon le mot du Seigneur : Ses péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé. Il y en a encore une septième, dure et pénible, qui se fait par la pénitence, lorsque le pécheur inonde son lit de ses larmes et ne rougit pas d’avouer au prêtre du Seigneur son péché et de lui demander un remède ».[5]

Le sacrement de pénitence est donc cette septième manière, « dure et pénible » d’obtenir le pardon des péchés, et il ne s’est développé dans l’Eglise que progressivement, comme nous allons le voir.  

Les fondements dans les textes sacrés

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Qui pouvait donner l’absolution ? de quelle manière se confessait-on ? où aller pour se confesser ? y avait-il des périodes recommandées pour recevoir le pardon des péchés ? les règles étaient-elles les mêmes partout ? A-t-on connu des scandales, des abus, des merveilles ? Bien sûr. La matière est même si importante que nous partagerons cette brève histoire en plusieurs parties. Dans cette première partie, nous décrirons les fondements théologiques et leurs contestations (hérésies, déviations) puis nous aborderons la confession proprement dite ; par la suite, nous évoquerons les différents aspects de la pénitence et de l’absolution à travers les siècles.[6] 

D’abord, quel nom donner à ce sacrement, à ce signe visible d’une réalité invisible ? Sacrement de la conversion ? de la confession ? de la pénitence ? du pardon ? En fait, le sacrement de la réconciliation (tel qu’on le nomme aujourd’hui) recouvre, indissociablement, ces quatre aspects d’une même réalité : il réalise sacramentellement l’appel de Jésus à la conversion ; l’aveu, la confession des péchés est un élément essentiel de ce sacrement ; il consacre une démarche de repentir et de pénitence ; par l’absolution sacramentelle du prêtre, Dieu accorde au pénitent le pardon et la paix ; et enfin, il donne au pécheur l’amour de Dieu qui réconcilie : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » (2 Co 5, 20).[7] 

Dieu seul peut pardonner les péchés, ou celui à qui Dieu – à travers l’Eglise – le permet en son Nom. La source et l’établissement de cette puissance, inimaginable et inconnue jusqu’alors, se trouve dans ces paroles du Sauveur s’adressant à S. Pierre[8] : Je te donnerai les clés du royaume des cieux; et tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans le ciel. Un peu plus tard, après la Transfiguration, il fait part de la même puissance à tous les autres apôtres en leur répétant les mêmes paroles[9]. Il leur confirme ce pouvoir après sa résurrection, suivant l’apôtre S. Jean[10] qui nous apprend qu’après qu’il leur eut parlé, il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les aurez remis, et ils seront retenus à ceux à qui vous les aurez retenus.

Un cas d’inceste, survenu à Corinthe parmi les baptisés, va permettre à S. Paul d’élaborer la conduite à tenir envers les grands pécheurs : Il faut livrer cet individu au pouvoir de Satan, pour la perdition de son être de chair ; ainsi, son esprit pourra être sauvé au jour du Seigneur.[11]

Voilà donc ce pécheur public lié par l’Apôtre et les ministres de l’Eglise de Corinthe. Or, cet homme fut touché de repentir, il rentra en lui-même, quitta son crime et fit pénitence, sans doute jusqu’à l'excès ; l'Apôtre en fut averti et jugea qu’il était temps de délier cette âme ; et voici comment, six ans plus tard environ, il l’écrivit aux Corinthiens dans l’épître suivante : Pour celui-là, la sanction infligée par la majorité doit suffire, si bien que vous devez, au contraire, lui faire grâce et le réconforter, pour éviter qu’il ne sombre dans une tristesse excessive. Je vous exhorte donc à faire prévaloir envers lui une attitude de charité.[12]

St.Paul a ainsi tracé aux ministres de l’Eglise le modèle de la conduite qu’ils doivent tenir à l’égard des grands pécheurs. Par la suite, l’Eglise a suivi le même esprit : le pécheur ne peut jamais être abandonné au désespoir, mais il ne reçoit le pardon qu’après avoir manifesté son repentir et accepté une pénitence proportionnée à sa faute, sachant que les péchés très graves pouvaient être « retenus », c’est-à-dire que le pécheur devait se soumettre à une lourde pénitence préalablement à l’absolution. Si les pénitences se sont considérablement allégées de nos jours, il reste vrai que la miséricorde et le pardon doivent toujours être précédés du repentir, de l’aveu et de la ferme résolution de se corriger, suivant la parole de Jésus à la femme adultère : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus ».[13]

Hérésies et déviances

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Montanus

Jésus avait bien dit à Pierre : Il faut pardonner 70 x 7 fois... mais cette attitude miséricordieuse n’est décidément pas naturelle à l’homme, et des chrétiens rigoristes vont accuser de faiblesse ceux qui l’adoptent. De fait, le juste équilibre entre miséricorde et justice est bientôt contesté par Montanus[14] et ses disciples ; zélés jusqu’au fanatisme, ils insistent si fort sur la réforme des mœurs et l’austérité, qu’ils vont jusqu’à refuser l’absolution à ceux qui se sont rendus coupables de crimes graves (ils condamnent aussi comme diabolique la parure des femmes, la philosophie, les arts et les lettres). Pour les montanistes, seule une rude et persévérante pénitence permet d’obtenir la miséricorde de Dieu, mais pas l’absolution qui n’est donnée qu’une fois, au baptême. Ils interdisaient ainsi aux grands pécheurs, considérés comme impurs, d’entrer dans les églises.

Tertullien, qui fut l’un de leurs disciples, précisait que l’on peut recevoir de l’évêque le pardon des « péchés véniels », mais que Dieu seul peut donner le pardon des péchés graves. Il en dresse d’ailleurs la liste : homicide, idolâtrie, fraude, reniement, blasphème, adultère, fornication, « et tous les autres crimes par lesquels on viole le temple de Dieu »[15]. Tertullien reconnaissait donc à l’Eglise le pouvoir de remettre les péchés véniels, mais, par un singulier raisonnement, il ne le souhaitait pas car, disait-il, « ceux à qui on les aura remis en commettront d'autres... L’esprit de vérité peut donc accorder le pardon aux pécheurs, mais il ne le veut point, pour ne pas causer la perte de plusieurs »... 

Un siècle plus tard, même rigueur implacable de Novatien et de ses acolytes envers les grands pécheurs. Novatien, prêtre de Rome, était en lutte contre S. Corneille (qui lui avait été préféré comme pape[16]) : il reprochait à celui-ci d’admettre à la confession et à la communion les chrétiens qui avaient apostasié lors des persécutions de l’empereur Dèce (en 250). Les novatiens excluaient aussi du pardon de l’Eglise l’homicide, l’idolâtrie et la fornication, plus vraisemblablement tous les péchés mortels. Le pape Zéphyrin[17] quant à lui, était bien plus clément : il remettait les péchés d’adultère et de fornication à ceux qui avaient accompli leur devoir de pénitence, car, disait-il avec S. Jean, le sang de Jésus nous purifie de tout péché ».[18] Aux purificateurs forcenés qui sévissent à toute époque, on doit rappeler la béatitude : Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ! [19]

Malgré l’exemple de Rome, l’attitude prépondérante envers les grands pécheurs demeura longtemps celle d’une extrême sévérité. Il apparaît aussi qu’en ces temps reculés chaque évêque ou «conférence épiscopale» appliquait une « tarification » qui lui était propre. Par exemple, au milieu du IIIe siècle, saint Cyprien[20] rapporte dans sa 52e lettre que les évêques d’Afrique qui l’avaient précédé fermaient la porte de la pénitence aux adultères. En 300, les évêques espagnols réunis au concile d’Elvire (près de Grenade) décident d’appliquer des « tarifs » de pénitence en fonction des péchés à expier : par exemple, refus de communion, même à l’article de la mort, aux fidèles qui ont fréquenté les temples des idoles, aux délateurs et aux faux témoins, tarif spécifique aux homicides et adultères suivi d’un avortement, ou à ceux qui ont manqué la messe le dimanche; la fornication est punie de 5 ans de pénitence, etc. Mais la moindre rechute fait perdre tout espoir de recevoir la communion...

En Orient, à la suite de saint Grégoire le Thaumaturge (+ vers 270), les conciles d’Ancyre et de Néo-Césarée entrent encore dans plus de précisions et déjà est élaborée une distinction des pénitents en quatre classes. [21]

Cette distinction entre les espèces de péchés et, en conséquence, le traitement à accorder au pécheur (absolution pour les péchés légers et attente dans la pénitence pour les péchés graves) persistera longtemps dans l’Eglise ; les sévérités novatiennes, dont on débattra encore au concile de Nicée (325)[22] ne s’éteindront en occident qu’au VIIIe siècle.

Confession publique, confession secrète

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Ces deux modes de confession étaient d’usage courant : comme de nos jours, on confessait en secret les péchés personnels, mais les péchés publics, sources de scandales, étaient généralement confessés en publics. Il arrivait aussi, pendant les six ou sept premiers siècles de l’Église, que l'on confessât publiquement même les péchés privés, soit que cette confession se fît volontairement à l’initiative du coupable (lequel par cette humiliation voulait implorer la miséricorde divine), soit qu’elle se fît sur le conseil du prêtre à qui l’on avait secrètement découvert ses fautes, et qui quelquefois, pour l’édification publique ou pour d’autres raisons, engageait le pénitent à déclarer en public les péchés qu’il lui avait confessés à l’oreille. 

Ainsi donc, contrairement à une idée répandue, il n’a pas fallu attendre les moines irlandais (VIe et VIIe siècle) pour introduire sur le continent la confession particulière (appelée aussi confession secrète, confession à l’oreille ou auriculaire) ; celle-ci était pratiquée dès les origines de l’Eglise. On lit dans la Vie de Saint Ambroise, rédigée par Paulin que « Si quelqu’un lui venait confesser ses fautes, Ambroise pleurait de telle sorte qu’il obligeait le pénitent de verser des larmes; car il semblait qu’il fût tombé avec ceux qui avaient failli : or il ne parlait des crimes qu’on lui avait confessés qu’à Dieu seul, auprès duquel il intercédait pour les pécheurs ». S. Ambroise recevait donc le pénitent en particulier, puis intercédait pour lui dans ses prières.

Les principaux scandales publics étaient évidemment occasionnés par les chrétiens tombés dans l’apostasie au cours des persécutions. Tertullien, dont on connaît la rigueur, écrit pourtant sur eux ces belles paroles d’encouragement : « Le corps ne peut se réjouir du mal qui arrive à l’un de ses membres. Il faut qu’il s’afflige tout entier et qu’il travaille tout entier à le guérir... Là où il y a un ou deux fidèles, là est l’Eglise, mais l’Eglise c’est le Christ. Donc lorsque tu tends les mains vers les genoux de tes frères, c’est le Christ que tu touches, c’est le Christ que tu implores. Et quand de leur côté tes frères versent des larmes sur toi, c’est le Christ qui supplie son Père ».[23] 

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La confession publique n’était pas sans risque, et l’Eglise prenait les précautions nécessaires pour que cette confession ne portât pas préjudice à ceux qui la faisaient ; d'autant plus que les pénitents s’exposaient à la rigueur des lois civiles qui condamnaient à mort ceux qui avaient commis certains crimes soumis à la pénitence publique. La précaution dont l’Eglise usait à cet égard devint même paradoxalement plus nécessaire sous les empereurs chrétiens qui avaient décrété la peine de mort contre plusieurs crimes qui, sous les chefs païens, n'étaient pas considérés comme capitaux. Ainsi l’Eglise n’obligeait pas, par exemple, les homicides et les voleurs à s’accuser publiquement de ces péchés, non plus que les femmes qui étaient tombées dans l’adultère, ou les hommes qui auraient commis ce crime avec une femme noble ou au-dessus de leur condition sociale, pour ne pas les exposer à la rigueur des lois et aux autres inconvénients consécutifs à de pareils aveux. 

Voici un exemple de scandale public qui se conclut en confession publique. C’est Eusèbe qui le raconte[24] : Natalios se laisse soudoyer (il reçoit par mois 150 deniers) pour tenir le rôle d’évêque et répandre l’hérésie selon laquelle Jésus n’est qu’un homme. Il sème ainsi le trouble pendant plusieurs années. Mais une nuit, favorisé de visions nocturnes et fouetté par des anges, ses yeux s’ouvrent et « à l’aurore, il se leva, revêtit un sac, se couvrit de cendres et courut tout en pleurs se jeter aux pieds du pape Zéphyrin, du clergé et du peuple ».

L’andecote suivante illustre bien les risques et les limites de la confession publique.

En 391, du temps que Nectaire était patriarche de Constantinople, une femme noble vint trouver le prêtre pénitencier et lui confessa en détail tous les péchés qu’elle avait commis depuis son baptême. Comme pénitence, le prêtre lui ordonna de s’appliquer aux jeûnes et à l’oraison. Mais cette femme s’accusa ensuite publiquement d’un autre péché, à savoir d’un « mauvais commerce » qu’elle avait eu avec un diacre de l’Eglise... Enorme scandale. Le diacre fut chassé, mais le peuple demeura dans une grande émotion, non seulement parce que ce crime s’était commis, mais encore à cause de l’infamie dont il couvrait l’Eglise. Comme à cette occasion les ecclésiastiques étaient devenus la risée de tout le monde, un prêtre d’Alexandrie – qui bénéficiait sans doute d’une certaine autorité – persuada Nectaire de supprimer la fonction de prêtre pénitencier et de laisser chacun approcher des sacrements selon sa conscience, pour éviter que l’Eglise ne subisse à nouveau de pareils opprobres. Ainsi fut fait, mais la fonction de pénitencier fut rétablie par le successeur de Nectaire, S. Jean Chrysostome (+407), grand apôtre de la confession.

(A suivre)

Pierre-René Mélon 

_____________

[1] Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 1213.

[2] D’après Hyppolite, c’est sous le pape S. Calixte (+ 222) que ce “second baptême” pénitenciel est instauré.

[3] Contre les hérésies, 13, 5-7.

[4] « Par son péché, l’homme se sépare de Dieu, et cela qu’il ait été ou non excommunié officiellement », Homélies sur le Lévitique, XII, 6 ; XIV, 3.

[5] Origène, seconde Homélie sur le Lévitique, citée par J. Daniélou, Origène, Cerf, 2012, p. 81.

[6] Notre guide privilégié dans ce voyage à travers le temps sera la monumentale Histoire des sacrements / De sacramentis in genere, par Dom Charles-Mathias Chardon, osb, paru à Paris en 1745 et réédité en 1841 chez Drouin (dernière édition connue). Accessible sur le site de la Bibliothèque nationale de France http://gallica.bnf.fr

Pour une approche plus théologique : Rondet H, sj, Esquisse d’une histoire du sacrement de pénitence, in « Nouvelle revue théologique », Bruxelles, 1958, tome 80/6, pp. 562-584. Disponible aussi à l’adresse http://www.nrt.be

Autre référence: Paul Galtier, sj, Aux origines du sacrement de pénitence, Rome, Université grégorienne, 1951.

[7] CEC n° 1423-1424.

[8] Mt 16, 19.

[9] Mt 18, 18.

[10] Jn 20, 22-23.

[11] 1 Co 5, 4. Le coupable – qui vivait en concubinage avec sa belle-mère – est éloigné de la communauté et abandonné au pouvoir que Dieu laisse à l’Adversaire ; mais la peine vise à la conversion (note Bible de Jérusalem).

[12] 2 Co 2, 6-8.

[13] Jn 8, 11.

[14] Eunuque né en Phrygie (Asie mineure) au IIe siècle. Ses disciples croyaient qu’il était le Paraclet promis par le Christ; la mission qu’il s’était donnée était de parachever la Révélation, car le Christ n’avait pas tout révélé aux hommes en raison de leur impréparation (cf. Jn 16, 12-13).

[15] Tertullien, écrivain latin chrétien (150-222?), connu pour son extrême rigueur. Traité De la Pudicité.

[16] Saint Corneille, pape de 251 à 253.

[17] Zéphyrin, pape de 198 à 217.

[18] 1 Jn 1, 7.

[19] Mt 5, 7.

[20] Cyprien, évêque de Carthage (actuelle Tunisie), mort en 258.

[21] Les questions liées à la pénitence seront développées ultérieusement.

[22] En son chapitre 12, on peut lire ceci : Quiconque étant pénétré de la crainte de Dieu témoignera par ses larmes, sa patience et ses bonnes oeuvres, qu'il a changé effectivement de vie, sera par le mérite des prières rétabli dans la communion, après avoir accompli le temps marqué pour cette station de la pénitence.

[23] Tertullien, De Poenitentia, 10.

[24] Histoire ecclésiastique, livre 5, chap. 28.

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