Réponse dans notre magazine trimestriel "Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle", n° 105, hiver 2017-2018:
Le blog d’information « Belgicatho » a reproduit le 20 novembre dernier une carte blanche d’Arthur Ghins parue sur le site de l’Echo, sous l’intitulé « Les cours de citoyenneté, un cache-misère ». On a en effet beaucoup glosé sur la substitution, au moins partielle, d’un tel cours aux cours de religion et de morale. Mais, au fond, quel type de citoyens entend-il former, et comment? Selon Arthur Ghins, doctorant et assistant en théorie politique à l’université de Cambridge et membre d’une plate-forme pour jeunes d’horizons divers soutenue par la Fondation Roi Baudouin, le programme de ce cours enchaîne les formules creuses: un cache misère. Comment en est-on arrivé là ?
Le contexte des enjeux et des contraintes
Au commencement était la Constitution de la Belgique stipulant que l’enseignement est libre. Historiquement, les établissements publics d’enseignement ont d’abord eu un rôle de suppléance. Et aujourd’hui encore, plus de la moitié des jeunes du pays sont scolarisés dans le réseau des écoles privées catholiques reconnues et subsidiées par les pouvoirs publics.
Mais ces derniers, sous la poussée des gauches philosophiques, ont aussi développé progressivement leurs propres réseaux scolaires non confessionnels, pour offrir une éducation se réclamant du concept de « neutralité ».
Le Constituant les oblige toutefois à proposer aux élèves des cours de morale laïque ou de la religion de leur choix parmi celles qui sont reconnues par l’Etat. Récemment toutefois, il a été jugé par la Cour constitutionnelle que les élèves pouvaient être dispensés de faire le choix auquel ils étaient invités. Que faire alors des abstentionnistes durant ces heures de cours ?
En Wallonie et à Bruxelles, la Communauté française de Belgique a échafaudé un « compromis à la belge » (déjà remis en cause par une proposition de décret déposée par des parlementaires libéraux) en instaurant, pour tous les réseaux publics ou privés reconnus, une éducation à la philosophie et à la citoyenneté modalisée comme suit :
Dans l’enseignement organisé par les pouvoirs publics, cette éducation philosophico-citoyenne fait actuellement l’objet, pour tous les élèves, d’un cours obligatoire d’une heure par semaine prélevée sur les deux heures attribuées à l’enseignement de la religion ou de la morale et d’une deuxième heure obligatoire pour les élèves ne souhaitant pas suivre le cours de religion ou de morale. Cerise sur le gâteau du compromis : les professeurs de religion ou de morale des réseaux publics d’enseignement dépossédés d’une heure de cours seront prioritairement recyclés pour prendre en charge les cours philosophico-citoyens. Deuxième bémol : dans l’enseignement confessionnel reconnu, qui regroupe tout de même la majorité de la population scolaire, la nouvelle matière ne doit pas faire l’objet d’un cours spécifique : elle sera « dispersée » à travers les différents cours, y compris les cours de religion existants.
Pourquoi le cours de religion est-il important dans les écoles secondaires ?
Répondant à la question d’un jeune posée dans le cadre d’une conférence- débat organisée à l’Ulg l’an dernier par l’Union des étudiants catholiques de Liège sur « le christianisme médiéval, creuset de l’Europe », Monseigneur Jean-Pierre Delville , évêque de Liège, déclarait ceci :
« Oui, c'est sûr qu’une dimension comme la citoyenneté, le fait d’être membre d’une société, d’être un citoyen, d’avoir une éthique citoyenne, c'est quelque chose qui est fondamental au christianisme. Aujourd'hui, on vit cela de manière laïcisée. On a été un peu les victimes, en Belgique, d'une poussée laïcisante, demandant de supprimer une heure du cours de religion pour mettre une heure de citoyenneté à la place, il faut bien faire avec, alors que la citoyenneté est déjà éminemment présente dans les cours de religion eux-mêmes.
Mais ce qui est important, pour nous comme chrétiens et en tout cas pour moi comme évêque, et pour mes collègues, c'est qu’il y ait au moins une heure de religion sauvegardée parce que la Constitution le demande. Qu'une des deux heures soit devenue un cours de citoyenneté, c’était constitutionnel, on n'a pas le droit de s'y opposer. Par contre si on supprimait l'heure de religion, cela deviendrait anticonstitutionnel. Cela demanderait une mobilisation générale contre une telle mesure.
Je penser que, tout de même, l'enseignement de la religion à l'école est très important. Alors, je sais bien qu'il y a de multiples problèmes, des contenus qui sont parfois évacués. Mais, en même temps, il y a quand même une présence. Il y a des personnes qui sont formées et c'est utile qu'il y ait des personnes formées comme professeurs de religion. Et il est important aussi que ce petit morceau de spiritualité avec une base concrète - c.-à-d. avec l'Évangile, avec des textes, avec des références précises, des engagements précis – puisse nourrir notre Foi et la Foi de la population parce que je crois qu'une Foi, une spiritualité a besoin d'une culture.
Il n'y a pas de Foi sans culture. La Foi chrétienne, c'est une énorme culture. Je vous en ai déployé tout un aspect ce soir. Des générations de saints, des générations de gens peut être inconnus ont tous laissé des témoignages qui ont façonné une culture, des bâtiments, des œuvres d'art, des textes, des attitudes de vie, qui se transmettent et tout ça. C'est fondamental. Il n'y a pas de civilisation sans culture. L'anéantissement de la culture, c'est l'anéantissement de la Foi aussi. Et l'anéantissement de la Foi, c'est l'anéantissement de la culture. Ce qui se passe, par exemple, quand on bombarde la ville comme Alep et qu'on détruit tout - y compris dans la partie Est, y compris une partie de la célèbre mosquée des Omeyades et tout cela, c'est une dénégation de la culture. Cette frange radicaliste du monde musulman est pour l'anéantissement de la culture: ils ont détruit des œuvres d'art encore ailleurs.
C’est triste pour l'humanité, c'est vraiment une grande perte et cela montre qu’il y a des mouvements qui sont pour l'anéantissement de la culture mais, de facto, c'est aussi l'anéantissement de la Foi par une fausse foi. Une vraie Foi, elle a une culture, elle s'incarne dans une culture. Et donc, je crois qu’il est très important que notre Foi chrétienne puisse se dire dans un cours parce qu'un cours c'est une culture, c'est-à-dire une pédagogie, un enseignement, un programme, des manuels, des activités, comme tu l'as dit. Un cours c'est un ensemble culturel et donc la Foi chrétienne n'est pas que des prières dans une église, n'est pas qu’un dévouement à la maison, c'est aussi une culture. Donc elle doit pouvoir se dire dans un cadre culturel. Dans le Christianisme, nous y sommes habitués, spécialement depuis les écoles du Moyen Âge, les universités en particulier. Donc, le Christianisme s'est, petit à petit, forgé de plus en plus dans les institutions culturelles et les écoles.
Un danger est qu’un certain l'Islam, par exemple, se développe hors des écoles, hors des cultures et soit alors non-contrôlé et dise du n'importe quoi. C'est pourquoi il est tout aussi important que des religions comme l'Islam, par exemple, soient enseignées dans nos écoles, dans nos écoles officielles ici en Belgique, parce que là aussi alors, l'Islam doit se soumettre à un programme, à des règles, à des contrôles, à tout ce qu'on veut. Donc, c'est un véritable, stimulant, si vous voulez, pour une présentation culturelle de la Foi : c’est pourquoi je pense que le cours de religion est très important ».
JPS