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Témoins - Page 5

  • Magazine "Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle": n° 96, automne 2015

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    Le magazine trimestriel « Vérité & Espérance – Pâque Nouvelle » édité par l’association « Sursum Corda » (responsable de l'église du Saint-Sacrement à Liège) sort sa livraison d’automne. Tiré à 4.000 exemplaires, ce magazine abondamment illustré parcourt pour vous l’actualité religieuse et vous livre quelques sujets de méditation (les titres en bleu sont disponibles en ligne sur le blog de l’église du Saint-Sacrement: cliquez sur le titre).

    Au sommaire de ce numéro n° 96 (3e trimestre 2015) : 

    De Corydalle à Lérins

    Témoignage : Catherine Emmerich et Mgr Van Bommel

    Ecologie: ne pas tomber dans une vision irréelle de la création

    La prière comme école de de l'espérance

    L’écologie intégrale du pape François

    La théorie du genre ou le monde rêvé des anges

    Qu’est-ce que la théologie du peuple ?

    Crise migratoire : justice et charité sont indissociables

    Les confessions du prieur de Malèves-Sainte-Marie

    Gabriel Ringlet, prêtre, accompagne les patients jusqu’à l’euthanasie

    La merveilleuse homélie posthume d’un père jésuite pour ses funérailles

     

    Secrétaires de Rédaction : Jean-Paul Schyns et Ghislain Lahaye

    Editeur responsable: SURSUM CORDA a.s.b.l. ,

    Vinâve d’île, 20 bte 64 à B- 4000 LIEGE.

    La revue est disponible gratuitement sur simple demande :

    Tél. 04.344.10.89  e-mail : sursumcorda@skynet.be 

    Les dons de soutien à la revue sont reçus  avec gratitude au compte IBAN:

     BE58 0016 3718 3679   BIC: GEBABEBB de Vérité et Espérance 3000,

    B-4000 Liège

     

  • De Corydalle à Lérins

     

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    DE CORYDALLE A LERINS

     

    Dans  l'homélie du pape, prononcée à la cathédrale de la Havane lors des vêpres de dimanche dernier, 20 septembre 2015, on peut retenir ce passage qui introduit opportunément l’article que voici, à paraître dans le magazine trimestriel « Vérité et Espérance-Pâque nouvelle » (sursumcorda@skynet.be) le 30 septembre prochain : «  Il est fréquent de confondre l’unité avec l’uniformité, avec le fait que tous font, sentent et disent la même chose. Cela n’est pas l’unité, c’est l’homogénéité. C’est tuer la vie de l’Esprit, c’est tuer les charismes qu’il a distribués pour le bien de son peuple. L’unité se trouve menacée chaque fois que nous voulons faire les autres à notre image et ressemblance. C’est pourquoi l’unité est un don, ce n’est pas quelque chose que l’on peut imposer de force ou par décret » 

    « Qu’il soit fidèle, plutôt que

    minutieusement profilé... »

    (Cf. V&E n° 95, Pâque Nouvelle, p. 16)

     

    procuste.jpgIl est dans la campagne attique, sur la route qui mène d’Athènes à Eleusis, un patelin oublié aujourd’hui de tous, qui a nom Corydalle. Il importerait peu d’en ressusciter ici le souvenir, si l’endroit n’avait été le théâtre autrefois d’une affaire atroce ; mythologique sans doute, mais donc intemporelle, et, hélas ! ― par le fait même ― toujours bien d’actualité...

    Plus évocateur que Corydalle sera probablement le nom de Procuste qui y sévissait. Au dire des Anciens, il offrait avenante hospitalité au voyageur de passage ; mais ce n’était là que tromperie : quelqu’un venait-il en effet frapper à sa porte, après un accueil peint d’affabilités, notre homme plaquait soudain le malheureux sur un lit et s’employait aussitôt à l’étirer ou bien à le rogner, dans sa brutale incapacité à le trouver convenable, qu’il ne l’eût mis au gabarit de cette couche idéale.

    Ce drôle était persuadé que « l’homme a été fait pour le lit, et non pas le lit pour l’homme. » (Cf. Mc 2, 27 ...mutatis mutandis.)

    Diodore de Sicile assure que Thésée a tué le Procuste en lui coupant la tête (B. hist., 4, 59). N’en croyez rien. Ou alors, c’est que le malfaisant avait avant de périr engendré bien des fils. A moins encore — peut-on savoir — qu’à l’instar de l’Hydre, pour chaque tête de coupée, deux lui eussent repoussé...

    Le fait demeure que, des Procustes inconditionnels de la Toise, il s’en abat fidèlement sur nous comme locustes ; trop heureux sommes-nous déjà, si nous parvenons à nous garder d'en grossir nous aussi la nuée ! Tant il est commun de verser en ce travers.

    Le complexe de Procuste procède, comme tout complexe peut-être, d’une propension outrée à l’égocentrisme (passant pour être fils de Poséidon, le personnage n’était pas loin de se croire sorti de la cuisse de Jupiter...)

    La vocation du chrétien au contraire est, tout à l’opposé, d’avoir le Christ pour centre : « car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 28) ; et « tout est de lui, et par lui, et pour lui » (Rm 11, 36).

    Voilà en réalité ce qu’oublie le baptisé quand il substitue une norme éclose de l’imaginaire humain à la « stature du Christ dans sa plénitude » (Ep 4, 13).

    Puisque l’Eglise « est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude » (Ep 1, 23), les dispositions qu’elle prend dans le Christ sont saines et sobres : il ne convient pas d’y ajouter, non plus que d’y retrancher d’ailleurs. Chaque fois que nous franchissons ce garde-fou, nous nous laissons « secouer et mener à la dérive par tous les courants d’idées, au gré des hommes qui emploient la ruse pour nous entraîner dans l’erreur » (Ep 4, 14).

    En revanche, si nous nous en tenons à la sagesse séculaire qui est en elle : « pratiquant la vérité dans la charité, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ. Lui par qui, dans l’harmonie et la cohésion, tout le corps poursuit sa croissance, grâce à toute articulation de son agencement, selon l’énergie qui est à la mesure de chaque membre. Ainsi le corps se construit dans la charité. » (Ep 4, 15-16 ― Trad. liturg. quelque peu retouchée, pour serrer au plus près le grec.)

    On le voit bien : au rebours de Procuste, l’Apôtre reconnaît à « chaque membre » sa « mesure », il affirme même que cette reconnaissance n’empêche en rien « l’harmonie et la cohésion », au contraire !

    Rien de plus détestable dans l’Eglise que l’esprit de parti. Que chacun la perçoive selon ses affinités, c’est normal ; que chacun travaille à la Vigne selon le charisme qui lui est propre, ce n’est pas seulement bien, c’est souhaitable ; mais qu’un frère se comporte en Procusteavec son frère, il en perd aussitôt l’esprit du Seigneur :

    « Jean dit à Jésus :

    "Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom ;

    nous l’en avons empêché, car il ne marche pas à ta suite avec nous."

    Jésus lui répondit :

    "Ne l’en empêchez pas :

    qui n’est pas contre vous est pour vous." »

    (Lc 9, 49-50)

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    Pierre et Paul

    Il ne s’agit pas de viser à l’uniformité, mais à l’unité. Or il se fait justement que, contrairement à l’opinion commune, l’uniformité nuit à l’unité bien plus qu’elle ne la sert. Là où tout est uniforme, il n’est ni « articulation », ni « agencement » : les éléments juxtaposés s’additionnent, isolés, sans union possible, faute de points d’accroche.

    Cela même qui peut faire craindre des « accrochages » ouvre, moyennant une authentique charité, la possibilité de communion.

    « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. » (1 Cor 12, 4-7) Il n’y a donc pas à redouter ces variétés, car « celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il veut, à chacun en particulier. » (ibid. 11).

    Plutôt donc que de s’évertuer à profiler son prochain, ce qu’il faut cultiver, c’est le lien à l’Esprit : or c’est précisément lui que l’on perd en jouant au Procuste. Ce Procuste que les Anciens appelaient aussi du nom de Polypémon : « le multinuisible ».

    La folie de Procuste résulte d’une confusion ontologique : s’il n’est de science que de l’universel, le connaissant ne doit jamais perdre de vue que l’être connu reste, dans l’ordre réel, particulier. Prétendre, dans le réel, réduire l’être réel au concept que l’on s’en fait, ce n’est pas le perfectionner, mais le détruire. Pour connaître la fleur, il peut être utile de la presser dans un herbier, mais cette fleur-là est perdue pour la nature.

    Aussi bien la perfection va-t-elle toujours dans le sens de l’être : c’est par illusion que l’idéal de mon rêve me semble plus parfait que ce qui est, car à défaut d’existence, tout n’est rien. Chaque perfection relative est ordonnée à la Perfection suprême, qu’Aristote a définie comme « Acte pur », c’est-à-dire, Etre sans mélange.

    La « puissance » impressionne par l’ivresse du rêve des possibles, mais elle avoisine le néant. Son unique valeur réside en son « pouvoir » de passer à l’acte, de devenir « être » en acte : elle ne le peut qu’en acceptant de disparaître pour lui. « Si le grain de blé ne meurt... » (Jn 12, 24).

    On en trouve une illustration claire dans le drame de l’avare. Son matelas de billets est synonyme pour lui de tout bien réalisable : mais, « l’œil fixé sur une chimère », il refuse de le transformer en aucun bienréel. Dès lors ses billets ne sont rien de plus qu’un tas de vulgaires papiers. Il vit en pleine illusion, et ne pourrait en sortir qu’en détachant son cœur du « billet », pour accepter la rencontre avec la « réalité ».

    Tel l’avare, Procuste reste prisonnier d’une vue de l’esprit à laquelle il sacrifie un bien, qui est plus limité sans doute, mais réel.

    L’être réel est perfectible, certes, mais non pas au prix de ce qui constitue sa réalité. Plutôt que de chercher à le faire entrer dans un moule trop souvent fruit d’un rigide arbitraire incapable de s’adapter aux cas particuliers, pourquoi ne pas prendre exemple sur Dieu, qui « écrit droit avec des lignes courbes » ?

    Dieu non seulement fait cela, mais il veut aussi que nous le fassions : voilà pourquoi il ne nous enjoint pas d’aimer « l’Homme », mais d’aimer notre prochain. Aimer l’Homme, c’est aimer une idée : on peut le faire à coups de guillotine (1789, version revisitée du mythe de Procuste) ; aimer son prochain, c’est entrer dans le réel, c’est déposer le tranchant de l’imaginaire pour œuvrer à la croissance du Corps du Christ. C’est se laisser envelopper dans le mystère de l’Incarnation.

    L’amour du prochain nous mène à la perfection par cela même qu’il nous fait aimer malgré l’imperfection ; malgré aussi tous les griefs que nous pouvons ruminer. Il nous mène à la perfection parce qu’il nous révèle notre faiblesse d’être imparfait, et qu’il nous est impossible de nous approcher de la perfection sans prendre tout d’abord conscience de notre propre imperfection. D’imparfait à imparfait, qui se reconnaissent pour tels, il n’y a pas de tromperie. Ainsi « la Vérité vous rendra libres. » (Jn 8, 32)

    ◊ 

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    Marthe et Marie 

    La liberté des enfants de Dieu (cf. Rm 8, 21) ne les détourne pas de l’unique nécessaire (cf. Lc 10, 42) : elle est au contraire la condition requise pour qu’ils puissent s’y consacrer. Aussi Notre-Seigneur la revendique-t-elle pour Marie.

    Marthe en son office est sainte elle aussi, mais sa façon de l’être n’est pas à imposer à tous, non plus qu’il ne faut lui imposer, à elle, la voie qui est celle de Marie.

    Toutes deux en effet satisfont bien à « l’unique nécessaire » : comment pourrait-on autrement parler pour chacune d’elles de sainteté ? Qui ne satisferait pas à ce qui est déclaré nécessaire par le Christ peut-il être saint ?

    Mais « unique nécessaire » signifie aussi « suffisant » : rappel à l’ordre pour tous les Procustes plus ou moins bien intentionnés qui ajoutent aux prescrits du Christ et de son Eglise bien des exigences de leur cru tout humain, souvent au détriment même de ce qui est certainement divin.

    « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites,

    qui fermez à clé le royaume des Cieux devant les hommes ;

    vous-mêmes, en effet, n’y entrez pas,

    et vous ne laissez pas entrer ceux qui veulent entrer ! »

    « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites,

    qui payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin,

    mais qui avez négligé ce qui est le plus important dans la Loi :

    la justice, la miséricorde et la fidélité.

    Voilà ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste.

    Guides aveugles !

    Vous filtrez le moucheron,

    et vous avalez le chameau ! »

    (Mt 23, 13 et 23-24)

    Les scribes et les pharisiens en restent à l’ancienne Loi : se privant des lumières de l’Incarnation qui, instaurant la Loi nouvelle, assume l’imparfait en vue de l’amener à perfection, ils poursuivent une idée de perfection toute tributaire de leur être imparfait. Croyant combattre l’imperfection, ils s’y précipitent ; tandis que le Christ, en assumant l’imperfection, lui donne part à sa divinité (Cf. oraison à l’Offertoire :Deus, qui humanæ substantiæ).

    La « perfection » des scribes et des pharisiens est servile, tatillonne, mortifère : elle recourt aux méthodes de Procuste ; la vraie perfection de l’Evangile est filiale, libre et vivifiante : son principe est l’action toute divine de l’Esprit.

    On pourrait s’appuyer sur la maxime qui dit : In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas. ["En ce qui est nécessaire, unité ; en ce qui est douteux, liberté ; en tout, charité."] »

    Toutefois, c’est à tort qu’on attribue ce mot à saint Augustin : il n’apparaît nulle part dans ses œuvres, ni du reste ailleurs chez les Pères, de sorte que de bons esprits ont scrupule à l’invoquer comme « lieu théologique » ; ils estiment aussi que le in dubiis (« en ce qui est douteux ») peut prêter le flanc à la critique d’être susceptible d’interprétation subjective. Or c’est précisément le subjectivisme qui sous-tend le comportement des Procustes.

    Qui discerne les choses « à la romaine » trouvera préférable de retoucher l’expression en un sens plus objectif, à la lumière de l’adage bien connu des canonistes : Qui utitur iure suo, nemini facit iniuriam.[« Qui use de son droit ne fait tort à personne. »] Que l'on dise donc plutôt : Unité en ce qui est nécessaire ; liberté en ce qui n’est pas interdit ; charité en tout.

    Dans l’Eglise, « ce qui n’est pas interdit » apparaît en pleine objectivité, car l’Eglise a un Magistère et un Droit : ils sont expression légitime de la juridiction qu’elle a reçue du Christ et qui se transmet en elle en vertu de sa « marque » visible et concrète d’apostolicité couplée à celle d’unité. Ils sont garantie contre toute forme d’arbitraire, qu’on soit exposé à le subir de la part d’autrui ou tenté soi-même de le lui faire subir. Plus important encore : ils nous libèrent de notre propre tyrannie à l’égard de nous-mêmes, trop enclins que nous sommes sans cesse à nous dicter notre norme subjective.

    Exercée avec discernement dans le respect du mandat du Seigneur, cette juridiction de l’Eglise n’a donc rien de ce « légalisme formel », dont on lui fait trop souvent grief dans le but conscient ou non de se soustraire à l’« unique nécessaire ».

    Stantes erant pedes nostri, in atriis tuis, Ierusalem...

    « Nos pieds étaient bien campés, dans tes parvis, Jérusalem.

    Jérusalem, qui s’édifie comme une cité :

    dont les parties forment un tout unique. »

    « Que la paix règne en ta puissance : et l’abondance en tes tours. »

    (Ps 121 [122], 2-3 et 7)

    Dissensions et discordes entre catholiques sont une plaie, notamment pour l’évangélisation. Le remède pourtant est simple : quitter des yeux sa chimère, pour porter le regard sur le Christ.

    Tenir l’unité par une ferme fidélité à ce qui est nécessaire ; ne pas déclarer interdit ce qui est permis. Mettre en sourdine le critère subjectif de ce qui plaît et de ce qui déplaît : « Dans les choses où, sans détriment de la foi ni de la discipline, on peut discuter de part et d’autre... que l’on s'abstienne de tout excès de langage, qui pourrait offenser gravement la charité ; que chacun garde son avis librement, mais avec modestie, et ne croie pas pouvoir décerner aux tenants d'un avis contraire, rien que pour ce motif, le reproche de Foi suspecte ou de manquement à la discipline. » (Benoît XV, EncycliqueAd beatissimi Apostolorum, 1er novembre 1914, 576-577)

    La faculté de faire la juste part des choses avec délicate réserve, que nous nommons aujourd’hui « discernement » ― cette « vertu de discrétion » (comme on l’appelait au Grand Siècle), si prisée de Saint François de Sales ― est sans aucun doute une des vertus majeures à cultiver dans le quotidien de l’Eglise, particulièrement par ceux qui y exercent une responsabilité, à quelque degré que ce soit. Elle est inséparable de la Charité.

    Tournant donc résolument le dos à Corydalle, abordons à Lérins, où saint Vincent (ve s.) nous enseigne la manière de l’Eglise :

    « Non amputat necessaria, non apponit superflua ;

    non amittit sua, non usurpat aliena. »

    « Elle ne retranche pas ce qui est nécessaire, elle ne surcharge pas de ce qui est superflu ; elle ne se départit pas de ce qui est sien, elle s’encombre pas de ce qui lui est étranger. »

    (Commonitorium, 1, 23, P. L. 50, 669)

    Que le sens de l’Eglise et l'obéissance à son Magistère légitime nous délivrent de l’esprit de Procuste !

    Jean-Baptiste Thibaux

    augversfr@yahoo.fr 

     JPSC

     

  • Témoignage en marge d'un prochain colloque à l'évêché de Liège

     

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    Témoignage

    « Nous éprouvâmes alors au-dedans de nous je ne sais quelle joie… » 

    images.jpeg      La nouvelle s’est répandue comme le feu dans la paille : la sœur Clara n’a pas pu tenir sa langue très longtemps ; c’est qu’on n’avait pas vu un tel événement depuis des siècles, et encore c’était en Italie, pendant le Moyen Age, mais ici, en Westphalie, sous l’occupation française, dans la petite ville de Dülmen... ! C’est arrivé chez la veuve Roters, dans la chambre qu’occupe la sœur Anne-Catherine depuis le Carême 1812. Son couvent avait été fermé en décembre 1811 et les autres religieuses étaient parties l’une après l’autre, mais Anne-Catherine avait dû attendre quelques mois pour que cette brave veuve lui prête un coin de sa maison. On ne la voyait presque jamais dehors ; elle ne sortait péniblement que pour la messe du dimanche à l’église paroissiale ; on l’avait vue en septembre à l’Hermitage, un lieu de pèlerinage local. Elle est sortie pour la dernière fois à l’église en novembre 1812. Trois jours avant la fin de l’année, la fille de la veuve Roters a trouvé Anne-Catherine en train de prier, les bras étendus, comme en extase : du sang jaillissait de la paume de ses mains, mais elle a cru que c’était suite à une blessure. Le 31 décembre, le père Limberg[1] lui porte la communion et voit pour la première fois les plaies saignantes sur le dos des mains ; il en parle à l’abbé Lambert qui, voyant le sang couler, a cette parole : « Ma sœur, n’allez pas vous croire une Catherine de Sienne ». Les deux hommes décident de garder la chose secrète. L’état de la religieuse reste inconnu jusqu’au 28 février 1813, jour où la sœur Clara, en visite chez son ancienne consœur, voit le sang couler, de la tête, des mains, des pieds, du côté... Le secret se répand alors dans toute la ville (on en parle avec animation jusque dans les cabarets), puis dans tout le pays. C’est le début d’un long calvaire pour la religieuse...

           Quelques mois plus tard, à quarante kilomètres de là, un jeune séminariste hollandais – exilé en Allemagne suite à la fermeture des séminaires dans les Pays-Bas – prend la plume et écrit ceci :

    Château de Borg, près Munster, le 5 octobre 1813 

                Une religieuse augustine allemande de Dülmen, petite ville à huit lieues deIMG_0183.JPG Munster, que Dieu a mené par la voie de grandes souffrances, a reçu depuis un temps fort considérable du ciel la même faveur que reçut autrefois le grand saint François, je veux dire les stigmates et elle les a encore. Lors de la suppression de son couvent, elle se retira à Dülmen, dans une pauvre maison avec un nommé M. Lambert, prêtre émigré français très respectable[2]. C’est dans cette retraite que le miracle, qu’elle avait eu grand soin de cacher, se divulgua. Je ne sais comment dès l’hiver dernier le bruit s’en répandit à Munster et la police et le Chapitre voulurent prendre connaissance du fait. Le Commissaire de Police (M. Garnier, français du temps et fort peu superstitieux), M. le vicaire Général, M. Overberg, la lumière du diocèse, et le docteur et professeur en médecine de l’Université, se rendirent sur les lieux et examinèrent la chose juridiquement. Tous revinrent convaincus que le fait était surnaturel et pénétré du plus profond respect pour la religieuse, dont la douceur et l’air angélique au milieu de ses continuelles souffrances les avait singulièrement touchés. Monsieur Garnier en parla et n’en parle encore maintenant qu’avec vénération. Il lui rendit plusieurs visites et tout ce qu’il fit faire aux gens de l’art pour guérir les plaies ou les conduire à une suppuration, ne servit qu’à vérifier de plus en plus le miracle.        

                Deux ans plus tard, Corneille, le jeune séminariste, a 25 ans. La stigmatisée mobilise toujours la curiosité, la vénération ou la suspicion. Le 31 juillet 1815, avec quelques confrères du séminaire, Corneille se décide à faire le voyage jusqu’à Dülmen. Ils veulent en avoir le cœur net !

    Il écrit à son cousin la relation de cette rencontre, « un des plus beaux jours de ma vie »...                                                                                                                     Borg, le 4 août 1815 

                « Depuis longtemps vous avez entendu parler de la religieuse de Dülmen, petite ville à 7 lieues de Munster et à 12 de Wesel. Je crois même l’avoir mentionné plusieurs fois moi-même dans différentes lettres ; mais je n’ai jamais insisté sur ce fait extraordinaire pour la raison que je me tiens extrêmement en garde contre tout ce qui sent le merveilleux. Aujourd’hui que le fait a acquis un degré de certitude auquel toutes les personnes graves se rendent et que j’ai eu le bonheur d’en être moi-même le témoin oculaire, je crois que par reconnaissance pour un si grand bienfait, je dois rendre gloire à Dieu en publiant les merveilles qu’il a opérées. [...][3]

    « Que me reste-t-il après cela à vous dire de ce que j’ai éprouvé moi-même, lundi dernier, 31 du mois passé, de ce qu’ont éprouvé Monseigneur Ciamberlani[4], notre digne supérieur, Mrs les archiprêtres Craamer, Pas et van Nooy, Mrs van Niel et Balerdens le jeune, mes confrères et condisciples ? Cela se sent mais ne s’exprime pas.

    Dülmen_Hl._Kreuz_Anna-Katharina_Emmerick_Sterbezimmer.jpg« Introduits dans une vraie chaumière, nous avons trouvé, dans une petite chambre où tout respirait la propreté et la simplicité, Emmerich, couchée dans un lit sans rideaux, modestement et proprement vêtue. Elle avait passé une très mauvaise nuit, son visage annonçait qu’elle endurait de grandes souffrances. Elle avait la poitrine si oppressée qu’elle ne pouvait pas articuler un seul mot à voix haute. Nous considérâmes ses pieds et ses mains seulement et nous les trouvâmes absolument dans l’état où les décrit M. de Druffel, dès l’an 1813.[5] Ses mains et ses pieds étaient d’une grande blancheur mêlée d’un rouge clair et de vermillon. Justement à l’endroit où Notre Divin Sauveur eut les mains et les pieds percés, paraissaient intérieurement et extérieurement des cicatrices, environ de cette forme et grandeur (losange de 0,012 m. de haut sur 0,008 m. de large) recouvertes presqu’en entier d’une croûte de sang séché. Celles des pieds étaient si frappantes qu’on eût cru voir les pieds de Jésus Christ. Monseigneur ne put retenir ses larmes. A la plante des pieds on voyait encore toute la trace du sang qui avait coulé le vendredi précédent. Quel spectacle ! et cependant, le croirait-on, nous fûmes tous encore moins frappés de la vue de ces signes merveilleux que de la figure tout angélique d’Emmerich et surtout de son sourire céleste. Ce sourire vraiment céleste, joint à un regard vif, mais plein de douceur et d’aménité, nous fit tous pleurer, je n’ai pas honte de le dire, et Messieurs les archiprêtres en feront l’aveu comme moi. Nous éprouvâmes alors au dedans de nous je ne sais quelle joie, quelle consolation, quel sentiment délicieux qu’il est impossible de décrire. Faut-il en être surpris ? Des experts forts, un médecin entr’autres, qui s’était vanté de guérir cette visionnaire, ne purent soutenir, dès leur entrée dans la chambre, ce regard sublime, ils en furent atterrés, se jetèrent à ses pieds, y puisèrent des conseils de salut, se convertirent et mènent actuellement une vie exemplaire. [...]

    « Monseigneur, avant de s’en aller, me chargea de lui dire qu’il était si content de son état, qu’il voudrait bien être à sa place et qu’il rendrait fidèlement compte au Saint-Siège des merveilles qu’il avait vues en elle. Je fus obligé de mettre mon oreille contre sa bouche pour entendre sa réponse, mais je n’en perdis pas une syllabe. Écoutez-la, elle est pleine de foi : « Je ne suis, me dit-elle, qu’un pur instrument entre les mains de Dieu pour servir à sa gloire. Je ne suis tout ce que je suis que par la grâce de Dieu et, sans cette grâce, je ne suis rien. » Alors, Monseigneur, lui ayant recommandé de prier pour l’Église et pour le Souverain Pontife, elle me dit avec vivacité qu’elle n’avait rien tant à cœur que le bien de l’Église et du Souverain Pontife, qu’elle priait sans cesse à cet effet et qu’elle continuerait à le faire de tout son cœur et cela est bien juste, ajouta-t-elle, le Saint Père[6] a tant fait et tant souffert pour la cause de la foi ! Monseigneur et les assistants me chargèrent après cela de les recommander eux-mêmes à ses prières, à quoi elle répondit gracieusement par son sourire et en me disant à chaque fois : « Et moi je me recommande bien sincèrement aux leurs » ; puis, prenant occasion de me parler des ecclésiastiques, elle me dit que « son vœu le plus ardent est que le bon Dieu en suscite de bons, qu’il n’y a plus que ce moyen de tirer le monde de la corruption où il est et qu’elle a la confiance que cela arrivera bientôt ». Ces paroles me remplirent l’âme de consolation. M. Balerdens l’ayant prié, toujours par mon organe, de demander à Dieu qu’il daignât lui faciliter les moyens d’entrer dans la Société de Jésus où son attrait le porte[7], elle me parla avec affection des Jésuites. Je ne lui cachai pas l’estime que je leur porte et lui dis que le matin même j’avais eu le bonheur de recevoir la Ste Communion dans leur église à Munster en l’honneur de St Ignace dont c’était la fête. « Et moi aussi », repartit-elle avec un air de jubilation qui me parut déceler toute la joie dont son âme se remplit au seul souvenir de la divine Eucharistie. C’est là son unique nourriture ; tous les jours elle mange le pain des anges et vous jugez aisément avec quelle foi et quel amour. Chose admirable ! Jamais il ne lui est arrivé de rendre les espèces sacrées, tandis que, depuis dix-huit mois surtout, une seule goutte de vin mise dans son eau la contraint à vomir.

    « Comme ces Messieurs se retiraient, elle me pria instamment et avec vivacité de leur bien recommander de ne parler d’elle à qui que ce soit. « Le peu de temps, me dit-elle, que j’ai encore à vivre, je dois le passer uniquement avec mon Dieu et quand on vient me voir on m’interrompt dans ce repos et on me nuit ». Sur cela je l’exhortai à la soumission aux dispositions de la Divine Providence. « Je m’y soumets, dit-elle, autant que je puis ». Cette soumission parfaite à la divine volonté pour endurer toutes sortes de peines, de souffrances et de contradictions et l’amour de la croix paraissent avoir été, dès sa première jeunesse, ses vertus favorites. Un ecclésiastique de mes amis lui demanda si elle souffrait de ses plaies. « Plus, lui répondit-elle, que je ne pourrais supporter, mais, ajouta-t-elle, il est si doux de souffrir et de vivre pour Dieu et en Dieu ».

    « Toutes ses réponses sont remplies de simplicité, de candeur, de bonté et de douceur. Jamais je n’oublierai les paroles qu’elle m’a dites. (Son haleine était très pure et douce, mais si faible qu’à peine pouvais-je en sentir le souffle.) J’estimerai toujours le jour où j’ai eu le bonheur de m’entretenir avec cette ange comme un des plus beaux jours de ma vie et je puis bien assurer que sa vue et ses paroles ont fait sur moi des impressions telles que je n’en avais encore guère ressentie jusqu’à présent. Au reste, on a égard à la prière qu’elle a tant de fois renouvelée de rester cachée et on n’admet pour la voir que ceux qui sont munis d’une permission expresse du Grand Vicariat. Sa vie est d’être avec Dieu, la vue des hommes la gêne et l’importune. Jamais elle ne reçoit la plus petite aumône et ce désintéressement est quelque chose qui a caractérisé sa vertu dès le principe. La visite qu’elle a reçue de personnes du plus haut rang, de Monseigneur l’Évêque suffragant de Munster, de Mme la Princesse de Gallitzin, de Mme la Duchesse de Croÿ (que j’ai été voir avec Monseigneur à Dülmen, dont son mari, avait, il y a quelques années la souveraineté) et de beaucoup d’autres, n’a jamais rien changé à son état de pauvreté et de dénuement et elle n’est pas plus surprise de voir entrer dans son petit appartement ces personnes distinguées que d’y voir entrer sa consœur qui la soigne. Elle les congédie avec la même indifférence, mais toujours avec cet air de bonté et ce sourire inimitable qui pénètre jusqu’au cœur.

    « On ne peut considérer d’un œil attentif une pauvre fille de paysan, devenue un spectacle pour tous les anges et les hommes, sans admirer la toute puissance de Dieu, qui aime à se manifester dans les instruments les plus faibles et sans concevoir de l’estime pour les souffrances, pour les croix, pour la pauvreté, pour l’humilité dont cette sainte fille donna des exemples si sublimes à l’imitation de Jésus Christ, son divin époux, son trésor et l’unique objet de son amour. »

    Il faudra encore attendre trois ans pour que la religieuse stigmatisée rencontre le célèbre écrivain et poète Clemens Brentano, arrivé là par curiosité. Subjugué, il abandonnera tout pour vivre dans le voisinage d’Anne-Catherine Emmerich jusqu’à la mort de celle-ci (en 1824) et recueillir le récit de ses visions et contemplations[8] ; celles-ci illuminent et vivifient encore la foi de nombreux lecteurs. La religieuse de Dülmen sera béatifiée par le pape St Jean-Paul II en 2004.

    b01844x.jpgQuant à Corneille, il est ordonné prêtre l’année qui suit cette visite bouleversante, le 8 juin 1816. Le Royaume des Pays-Bas est maintenant libéré de l’occupation française et le Congrès de Vienne (1815) a même étendu ses limites jusqu’à lui incorporer la Belgique. Corneille peut donc quitter l’Allemagne et retourner au pays. Soucieux de se vouer à l’éducation de la jeunesse sacerdotale, le jeune prêtre décide avec deux anciens condisciples (dont l’abbé van Niel qui l’avait accompagné au chevet d’Anne-Catherine Emmerich) d’ouvrir un collège catholique à Hageveld, en Hollande septentrionale. L’expérience ne durera que huit ans puisqu’en juin 1825, sous la pression des protestants et des francs-maçons, le roi des Pays-Bas décrète la fermeture des collèges et petits séminaires.

    En 1829, le roi Guillaume promulgue le concordat conclu depuis quelque temps avec le pape Léon XII et agrée trois nouveaux évêques pour les provinces méridionales des Pays-Bas.

    C’est ainsi qu’à trente-neuf ans, le 15 novembre 1829, Corneille van Bommel devient le 84e évêque de Liège[9].

    Pierre René Mélon

     

    Anne-Catherine Emmerich

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    « Les livres qui m’ont le plus aidé, à l’époque de ma conversion, sont l’Écriture sainte, le poème de Dante et les merveilleux récits de la sœur Emmerick » (Paul Claudel).

    Claudel situe la désormais Bienheureuse Anna-Katharina Emmerich à la place qu’elle aurait sans doute choisie, la dernière : après l’Écriture sainte et derrière le génie humain. Sa vie fut comme une illustration vivante de l’Écriture, non seulement par ses nombreuses visions sur l’histoire sainte, mais aussi par « les charismes extraordinaires qu'elle utilisa pour consoler de nombreux visiteurs. De son lit elle réalisa un apostolat important et fructueux », déclare en 2004 le préfet de la Congrégation pour les causes des saints, le cardinal José Saraiva Martins.

    Née en 1774 dans une famille paysanne de Westphalie (au pays de Munster), elle ne fréquente l’école que pendant quatre mois. Encore enfant, elle est douée d’une sensibilité extraordinaire au divin ; les saints et les saintes lui sont familiers. Son désir de vie religieuse, longtemps contrarié, se réalise à vingt-neuf ans seulement. Mais moins de dix ans plus tard, son couvent est fermé en application des lois antireligieuses de Napoléon.

    L’Église la vénère pour l’héroïcité de sa vie spirituelle et pour ses incomparables dons de mystique et de visionnaire. Elle a aussi reçu – en plus d’une charité incomparable - le don de reconnaître les objets bénis et les reliques authentiques ; par bilocation, elle est transportée ici ou là par un « guide » angélique pour aider son prochain au gré des besoins. Toute sa vie en témoigne : elle fait partie intégrante du Corps mystique du Christ, physiquement et spirituellement ; elle représente comme une parabole vivante de la communion des saints. On reste admiratif et comblé par la lecture des merveilles que Dieu a faites dans sa vie. Sa connaissance des Écritures est stupéfiante, notamment par les rapprochements inattendus qu’elle établit entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, jusqu’aux détails.

    « Pourquoi faut-il que je voie tout cela, moi, misérable pécheresse qui ne puis le raconter et n'en comprends presque rien ? » Alors mon guide me dit: « Tu diras ce que tu pourras. Tu ne peux pas calculer le nombre de gens qui liront cela un jour, et dont les âmes seront consolées, ranimées et portées au bien. Ce que tu pourras raconter sera mis en œuvre d'une façon suffisante et pourra faire beaucoup de bien dont tu n'as pas l'idée. »

     P.M.

     

     

    Corneille van Bommel

    M142065.jpgAprès son ordination sacerdotale, Corneille van Bommel quitte l’Allemagne pour les Pays-Bas. Il fonde à Hageveld (près de Harlem) une école pour la formation des prêtres. C’est à cette époque qu’il visite une nouvelle fois Anne-Catherine Emmerich. La veille de son arrivée, celle-ci confie à Clemens Brentano : « Demain, je reçois la visite d’un prêtre accompagné de deux de ses amis. Ce prêtre sera un jour évêque et fera beaucoup de bien pour la foi ». La prophétie se réalise quelques années plus tard, quand Corneille van Bommel est installé évêque de Liège en 1829. Il sera un témoin direct de la révolution belge de juillet 1830. Pendant ces événements dramatiques, son comportement apaisant est celui d’un véritable pasteur.

    L’œuvre de sa vie sera celle d’un pédagogue de la foi. Il organise un enseignement clérical de qualité ainsi que les écoles élémentaires qu’il confie à des corporations religieuses. Il compose différents catéchismes, adaptés à l’âge des enfants. Il renouvelle le clergé après la saignée des années révolutionnaires, forme un personnel enseignant. Il prêche fréquemment à Liège et dans les églises rurales qu’il parcourt dans ses tournées de confirmation ; en 1846, il célèbre avec une grande solennité l’anniversaire de l’institution de la Fête-Dieu, établie primitivement à Liège. Un tel homme de caractère ne peut que susciter la contradiction. Voici une anecdote qui en dit long sur le prélat. Un jour que des émeutiers se présentent devant le palais épiscopal pour le piller, il va au devant d’eux et leur adresse ces paroles : « Que voulez-vous ? Est-ce à ma demeure que vos menaces s’adressent ? elle ne m’appartient pas. Est-ce à ma personne ? La voici. » Et les émeutiers se retirent.

    Le pape Pie IX dira de lui : « L’Évêque de Liège pourrait être proposé en modèle aux évêques du monde catholique ».

     A l’occasion du 225ème anniversaire de sa naissance, un colloque lui sera consacré dans les locaux de l’évêché de Liège, le vendredi 13 novembre 2015 (*) Que cet événement soit l’occasion de découvrir la vie et l’œuvre d’un homme providentiel.

    P.M.

    (*)Séminaire épiscopal, salle Saint-Lambert, 40, rue des Prémontrés Liège, Belgique (B-4000).

    Contacts : christian.dury@skynet.be ou archives.eveche @ evechedeliege.be

     

     


    [1] Limberg, prêtre dominicain et confesseur de A-C Emmerich.

    [2] Jean-Martin Lambert, prêtre du diocèse d’Amiens, refuse de prêter le serment constitutionnel. Accueilli à Dülmen par le duc de Croÿ, il devient chapelain du couvent d’Agnetenberg où il rencontre la sœur Emmerich. Il décède dans son exil en février 1821.

    [3] Suivent deux pages qui relatent et commentent les rapports médicaux et ecclésiastiques.

    [4] Mgr L. Ciamberlani, supérieur des Missions de Hollande de 1795 à 1828.

    [5] Franz Ferdinand von Drüffel, professeur de médecine et conseiller de la Faculté de Munster.

    [6] Pie VII, pape de 1800 à 1823.

    [7] Supprimée en 1773 par Clément XIV dans l’ensemble du monde (sauf en Russie et en Prusse où Catherine II et Frédéric II refusent de promulger le décret pontifical), la Compagnie de Jésus venait d’être restaurée par Pie VII un an plus tôt (le 7 août 1814).

    [8] Collationnées par le P. Duley, dominicain, et publiées avec imprimatur en 1864. Réédité en trois volumes aux éditions Tequi sous le titre : Visions d’Anne-Catherine Emmerich.

    [9] Corneille van Bommel (Leyde 1790 - Liège 1852). Les extraits de lettres sont tirés de Analecta ecclesiastica Leodiensa, “Mélanges liégeois”, fasc. VI, J. Paquay, 1937, pp. 29-36. Les archives du diocèse de Liège abritent un considérable Fonds van Bommel où, entre autres richesses, l’on peut lire les originaux des lettres ici reproduites. Qu’il me soit permis de remercier M. Christian Dury, archiviste au diocèse de Liège, pour son chaleureux accueil (café et biscuits!), et M. Philippe Dieudonné, historien, pour ses avisés conseils de lecture.

  • La prière comme école de l’espérance

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    La prière comme école de l'espérance (*)

     

    Une méditation du pape Benoît XVI extraite de « Spe salvi », la plus personnelle de ses trois encycliques consacrées aux vertus théologales : la charité (« Deus caritas est », 25 janvier 2006), l’espérance (« Spe salvi », 30 novembre 2007) et la foi (« Lumen fidei », en collaboration avec son successeur François auquel elle est officiellement attribuée, 5 juillet 2013). JPSC.

    « Celui qui prie n’est jamais seul

    Pope Benedict and the Holy Face Stefano Spaziani.JPGUn premier lieu essentiel d'apprentissage de l'espérance est la prière. Si personne ne m'écoute plus, Dieu m'écoute encore. Si je ne peux plus parler avec personne, si je ne peux plus invoquer personne, je peux toujours parler à Dieu. S'il n'y a plus personne qui peut m'aider, là où il s'agit d'une nécessité ou d'une attente qui dépasse la capacité humaine d'espérer, Lui peut m'aider. Si je suis relégué dans une extrême solitude...

    Celui qui prie n'est jamais totalement seul. De ses treize années de prison, dont neuf en isolement, l'inoubliable Cardinal Nguyên Van Thuan (**) nous a laissé un précieux petit livre: Prières d'espérance. Durant treize années de prison, dans une situation de désespoir apparemment total, l'écoute de Dieu, le fait de pouvoir lui parler, devint pour lui une force croissante d'espérance qui, après sa libération, lui a permis de devenir pour les hommes, dans le monde entier, un témoin de l'espérance – de la grande espérance qui ne passe pas, même dans les nuits de la solitude.

    Le cœur doit d’abord être élargi

    De façon très belle, saint Augustin a illustré la relation profonde entre prière et espérance dans une homélie sur la Première lettre de Jean. Il définit la prière comme un exercice du désir. L'homme a été créé pour une grande réalité – pour Dieu lui-même, pour être rempli de Lui. Mais son cœur est trop étroit pour la grande réalité qui lui est assignée. Il doit être élargi. « C'est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir; en faisant désirer, il élargit l'âme; en l'élargissant, il augmente sa capacité de recevoir ».

     Augustin renvoie à saint Paul qui dit lui-même qu'il vit tendu vers les choses qui doivent venir (cf. Ph 3, 13). Puis il utilise une très belle image pour décrire ce processus d'élargissement et de préparation du cœur humain. « Suppose que Dieu veut te remplir de miel [symbole de la tendresse de Dieu et de sa bonté]: si tu es rempli de vinaigre, où mettras-tu ce miel? » Le vase, c'est-à-dire le cœur, doit d'abord être élargi et ensuite nettoyé: libéré du vinaigre et de sa saveur. Cela requiert de l'effort, coûte de la souffrance, mais c'est seulement ainsi que se réalise l'adaptation à ce à quoi nous sommes destinés. Même si Augustin ne parle directement que de la réceptivité pour Dieu, il semble toutefois clair que dans cet effort, par lequel il se libère du vinaigre et de la saveur du vinaigre, l'homme ne devient pas libre seulement pour Dieu, mais il s'ouvre aussi aux autres. En effet, c'est uniquement en devenant fils de Dieu, que nous pouvons être avec notre Père commun. Prier ne signifie pas sortir de l'histoire et se retirer dans l'espace privé de son propre bonheur. La façon juste de prier est un processus de purification intérieure qui nous rend capables de Dieu et de la sorte capables aussi des hommes.

    Purifier ses désirs et ses espérances

    Dans la prière, l'homme doit apprendre ce qu'il peut vraiment demander à Dieu – ce qui est aussi digne de Dieu. Il doit apprendre qu'on ne peut pas prier contre autrui. Il doit apprendre qu'on ne peut pas demander des choses superficielles et commodes que l'on désire dans l'instant – la fausse petite espérance qui le conduit loin de Dieu. Il doit purifier ses désirs et ses espérances. Il doit se libérer des mensonges secrets par lesquels il se trompe lui-même: Dieu les scrute, et la confrontation avec Dieu oblige l'homme à les reconnaître lui aussi. « Qui peut discerner ses erreurs? Purifie-moi de celles qui m'échappent », prie le Psalmiste (18 [19], 13. La non-reconnaissance de la faute, l'illusion d'innocence ne me justifient pas et ne me sauvent pas, parce que l'engourdissement de la conscience, l'incapacité de reconnaître le mal comme tel en moi, telle est ma faute. S'il n'y a pas de Dieu, je dois peut-être me réfugier dans de tels mensonges, parce qu'il n'y a personne qui puisse me pardonner, personne qui soit la mesure véritable. Au contraire, la rencontre avec Dieu réveille ma conscience parce qu'elle ne me fournit plus d'auto-justification, qu'elle n'est plus une influence de moi-même et de mes contemporains qui me conditionnent, mais qu'elle devient capacité d'écoute du Bien lui-même.

    Une association entre prière publique et prière personnelle

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    Afin que la prière développe cette force purificatrice, elle doit, d'une part, être très personnelle, une confrontation de mon moi avec Dieu, avec le Dieu vivant. D'autre part, cependant, elle doit toujours être à nouveau guidée et éclairée par les grandes prières de l'Église et des saints, par la prière liturgique, dans laquelle le Seigneur nous enseigne continuellement à prier de façon juste. Dans son livre d'Exercices spirituels, le Cardinal Nguyên Van Thuan (**) a raconté comment dans sa vie il y avait eu de longues périodes d'incapacité de prier et comment il s'était accroché aux paroles de la prière de l'Église: au Notre Père, à l'Ave Maria et aux prières de la liturgie. Dans la prière, il doit toujours y avoir une association entre prière publique et prière personnelle. Ainsi nous pouvons parler à Dieu, ainsi Dieu nous parle. De cette façon se réalisent en nous les purifications grâce auxquelles nous devenons capables de Dieu et aptes au service des hommes.

    Devenir ministres de l’espérance pour les autres

    Ainsi, nous devenons capables de la grande espérance et nous devenons ministres de l'espérance pour les autres: l'espérance dans le sens chrétien est toujours aussi espérance pour les autres. Et elle est une espérance active, par laquelle nous luttons pour que les choses n'aillent pas vers « une issue perverse ». Elle est aussi une espérance active dans le sens que nous maintenons le monde ouvert à Dieu. C'est seulement dans cette perspective qu'elle demeure également une espérance véritablement humaine. »

    __________

    (*) Extrait de : Benoît XVI, encyclique « Spe Salvi », 30. 11. 2007, n°s  32 à 34

    (**) François-Xavier Nguyên Van Thuan (1928-2002) fut évêque (1967) de NhaTrangnguyen-van-thuan.jpg au Vietnam, puis nommé (1975) par Paul VI archevêque coadjuteur de Saïgon et arrêté la même année par le pouvoir communiste qui l’emprisonne jusqu’en 1988. Il est ensuite assigné à résidence à Hanoï qu’il quitte en 1991 pour un séjour à Rome à la suite duquel le Vietnam lui interdit de revenir au pays. Il est alors nommé vice-président (1994) puis président (1998) du Conseil pontifical « Justice et Paix », par Jean-Paul II qui le crée cardinal (2001). Il décède l’année suivante. La cause de sa béatification a été introduite en 2007 sous le pontificat de Benoît XVI.

      

     Ref. Encyclique Spe Salvi

     

  • Qu’en est-il de la messe aujourd’hui ? Réflexions sur l’Esprit de toute liturgie

    Ce ne sont pas les rites par eux-mêmes qui sauvent, contrairement à ce que pensaient les religions anciennes. Le culte en esprit et en vérité qu’institue Jésus-Christ n’annule cependant pas l’acte rituel mais il le vivifie, pour en faire un don qui sanctifie : un sacrement qui procure la grâce.  

    L’eucharistie est ce sacrement par excellence puisqu’il contient l’Auteur même de la grâce qu'il procure, offrant au Père la « kénose » par laquelle le Fils nous a  apporté le salut. Et, avec le pain et le vin, tous les saints configurés à l’image de Jésus-Christ apportent à l’offertoire de la sainte messe la goutte d’eau pure qui se mêlera au sang du Christ humilié rendu présent par la consécration des espèces eucharistiques : seul don parfait à Dieu, auquel nous sommes invités à  joindre celui de nos pauvres mérites, pour communier en retour à la vie même de Dieu. Tel est l’ « admirabile commercium », le merveilleux échange, que réalise chaque messe.

    L’abbé Claude Germeau, directeur du Foyer d’accueil de Herstal et prêtre auxiliaire à l’église du Saint-Sacrement à Liège développe ici quelques considérations sur l’incarnation de la messe dans la vie des saints que l’Eglise nous offre en modèles :

     

    Qu’en est-il de la messe aujourd’hui ?

    Réflexions sur l’Esprit de toute liturgie

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    Depuis plus de cinquante ans, on a fait beaucoup pour rendre la messe plus actuelle, plus compréhensible, plus communautaire. Pourtant, on se rend bien compte qu’il y a moins de monde aux messes dominicales, moins de jeunes, moins de prêtres, moins de vocations sacerdotales…

    Ne pourrait-on pas se poser la question de savoir comment nos aînés ont compris et vécu la sainte messe ?

    La sainte messe est d’abord une mémoire. Quand on a aimé quelqu’un qui fut un exemple de générosité, de dévouement, d’honnêteté, de service aux autres, on tient à garder  un souvenir de cette personne : une photo, une lettre, un objet qui lui appartenait.

    Afin de nous rappeler toute sa vie –les trente ans à Nazareth, les trois ans de son message et les trois jours de sa passion et de sa mort- Jésus a institué la sainte messe. Et cela afin de Le connaître et de L’imiter, pour que le Christ devienne notre idéal de vie.

    En quelques mots, saint Paul a résumé la vie du Christ : « Le Christ, alors qu’il était le Fils de Dieu, n’a pas voulu se réclamer de son égalité avec Dieu, mais il s’est humilié (en latin : humiliavit semetipsum), dépouillé (en grec : eauton ekenôsen), prenant la condition de serviteur, et il s’humilia plus encore jusqu’à mourir sur une croix » (Phil. II, 6-9).  Ce dont le Christ fait homme s’est dépouillé, ce n’est pas la nature divine mais la gloire qu’elle lui valait de droit, qu’il possédait dans sa préexistence et qui aurait dû normalement rejaillir sur son humanité. Il a choisi de s’en priver pour ne la recevoir que du Père, comme prix de son Sacrifice. C’est le mystère de la kénose du Christ : il est impossible de comprendre la messe sans entrer dans ce mystère.

    La kénose de Jésus, ce sont les vertus cachées de sa vie à Nazareth : vie de soumission et d’humble obéissance :

    -      vie ordinaire : modeste, monotone, humble, travaux manuels et ordinaires ;

    -      aucun miracle : rien de merveilleux, de sensationnel ;

    -      aucune organisation : sociale, économique, politique, religieuse, aucune institution ;

    -      solitude : Jésus est seul.

    Jésus vit donc les vertus cachées et inutiles : silence, devoir, pauvreté, humilité, travail manuel, effacement, obscurité, inutilité.

    Aujourd’hui, la kénose de Jésus veut dire :

    1. Silence 

    Aujourd’hui, on vit dans le bruit, le trafic, la voiture, le stress, les images, la musique, la télévision, l’ordinateur.

    Or, pour rencontrer le Christ, il est impératif de faire l’expérience du silence et de la prière. Parce que le Christ est tout différent de nous. En effet, la rencontre avec le Christ est un bouleversement, un éblouissement. La rencontre avec le Christ n’est pas le fruit de mes idées, de mes sentiments, de mes activités.

    Rencontrer le Christ, c’est faire la même expérience que Moïse dans le désert : « Moïse, n’approche pas d’ici, retire tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte…Alors, Moïse se voile la face car il craignait de fixer son regard sur Dieu » ( Ex III, 5-6).

    Rencontrer le Christ, c’est faire la même expérience que Jacob qui, dans un songe, rencontra Dieu dans la plaine de Haran : « En vérité, Dieu est dans ce lieu et je ne le savais pas ». Il eut peur et dit : « Que ce lieu est redoutable ! C’est vraiment la maison de Dieu et la porte du Ciel » (Gen. XXVIII, 17). 

    Rencontrer le Christ, c’est faire la même expérience qu’Isaïe : « L’année du Roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose : sa traîne remplissait le sanctuaire. Deux séraphins se trouvaient près de Lui et criaient : ‘Saint, saint, saint est le Seigneur, sa gloire emplit toute la terre…’ Et je dis : malheur à moi, je suis perdu car je suis un homme aux lèvres impures » (Is. VI, 1-5)

    Rencontrer le Christ, c’est comme Pierre lorsqu’il fut témoin du miracle des poissons : « Il se jeta aux genoux de Jésus en disant : ‘éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur’. La crainte l’avait envahi et ses compagnons avec lui » (Lc, V, 8-9).

    Dans la rencontre avec Dieu, on est saisi par la grandeur et la puissance du Créateur et par la tendresse de Jésus. Cette rencontre avec Dieu m’oblige à changer mes idées, mes conceptions, mes raisonnements ainsi que mon style de vie. C’est au cours de la messe que Thérèse s’offrit à l’amour de Jésus et qu’elle composa son acte d’abandon à Son amour.

    Elle écrit : « Depuis cet heureux jour, il me semble qu’à chaque instant, cet Amour me pénètre et m’environne, qu’à chaque instant cet Amour me renouvelle, purifie mon âme  et n’y laisse aucune trace de péché » (Thérèse de Lisieux, O.C., p.212).

    « Ici bas, je ne puis concevoir une plus grande immensité d’amour que celui qu’il Vous a plu de me prodiguer gratuitement, sans aucun mérite de ma part » (Thérèse de Lisieux, O.C. p.283).

    Et Charles de Foucauld dira : « Comme le bon Dieu, dès ce monde rend au centuple en grâces intérieures ce qu’on Lui donne ! Plus j’ai abandonné ce qui faisait ma consolation, plus j’ai trouvé le bonheur ! Je bénis Dieu chaque jour de la vie qu’Il m’a faite et je me confonds en reconnaissance » (Vie de Charles de Foucauld par René Bazin, p. 156).

    Dans le silence de la prière, Dieu les a comblés.

    2. Petitesse

    Aujourd’hui, on juge l’homme en fonction de sa performance : efficacité, rentabilité, agir c’est être ! Mais Jésus  et les saints pensent tout le contraire :

    « La plus grande grâce que Jésus m’ait faite, c’est de m’avoir montré ma petitesse et mon impuissance à tout bien » (Thérèse de Lisieux, O.C., p. 239).

    « Je n’ai pas besoin de grandir. Au contraire, il faut que je reste petite et que je le devienne de plus en plus » (Thérèse de Lisieux, O.C., p.238).

    « Plus on est faible, sans désir ni vertu, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant » (Thérèse de Lisieux, O.C., p.226)

    A la dernière place et dans la petitesse, le Christ me comble au-delà de toute mesure, à la mesure de l’Infini !

    3. Quels sont les outils pour construire l’Eglise de demain ?

    Aujourd’hui, on fait des réunions, des discussions, des rapports, des papiers…Tout cela a son importance. Pourtant, chez les Saints, on utilise d’autres moyens.

    Charles de Foucauld écrira :

    «Les moyens dont Jésus s’est servi à la Crèche, à Nazareth et sur la Croix sont : pauvreté, abjection, humiliation, délaissement, persécution, souffrance, croix. Voilà nos armes, celles de notre Epoux divin qui nous demande de Le laisser continuer en nous Sa vie. Nous ne trouverons pas mieux que lui. Il n’est pas vieilli. Suivons ce modèle unique et nous sommes sûrs de faire beaucoup de bien, car dès lors ce n’est plus nous qui vivons, mais Lui qui vit en nous, nos actes ne sont plus nos actes à nous, humains et misérables, mes les Siens divinement efficaces » (Jean-François Six, p. 333).

    Thérèse écrira :

    « Ah, c’est la prière et le sacrifice qui font toute ma force, ce sont des armes invincibles que Jésus m’a données. Elles peuvent, bien plus que les paroles, toucher les âmes, j’en ai bien souvent fait l’expérience » (Thérèse de Lisieux, O.C., p. 267).

    « Comme le visage de Jésus était caché, moi aussi je voulais que mon visage soit caché, que sur la terre personne ne me reconnaisse, j’avais soif de souffrir et d’être oubliée » (Thérèse de Lisieux, O.C., p.189).

    Au mois de mai 1897, l’infirmière lui avait conseillé de faire une petite promenade d’un quart d’heure dans le jardin . Une sœur de Thérèse dit : je la rencontrai, marchant péniblement et pour ainsi dire à bout de force : « Vous feriez bien mieux de vous reposer, cette promenade ne peut vous faire aucun bien dans de pareilles conditions, vous vous épuisez, c’est tout ! ». Mais Thérèse répond : « C’est vrai, mais savez-vous ce qui me donne des forces ? Eh bien, je marche pour un missionnaire. Je pense que là-bas, bien loin, l’un d’eux est peut être épuisé dans ses courses apostoliques et, pour diminuer ses fatigues, j’offre les miennes au bon Dieu » (Thérèse de Lisieux, O.C., p.1182).

    A l’enterrement de Thérèse de Lisieux, il n’y avait que 30 personnes. A sa canonisation, à Rome en 1925, il y avait 500.000 personnes, 28 ans après sa mort ! Le 14 décembre 1927, le pape Pie XI proclame Thérèse  « patronne de tous les missionnaires », elle qui n’avait jamais quitté son cloître, qui n’a vécu que 9 ans de vie religieuse, qui n’a accompli que de petites actions ordinaires et banales.

    Ainsi donc, Thérèse et Charles trouvent dans les moyens pauvres la force de sauver des âmes !...

    4. L’enthousiasme de la foi

    Qu’en est-il, aujourd’hui ? N’a-t-on pas perdu la conviction ? Il y a une morosité, on n’y croit plus ! Pourtant, Thérèse dira : « Je voudrais en même temps annoncer l’Evangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées. Je voudrais être missionnaire non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et l’être jusqu’à la consommation des siècles » (Thérèse de Lisieux, O.C., p.224).

    Comment Thérèse peut-elle avoir un tel enthousiasme pour le Christ alors qu’elle est malade et qu’elle sait qu’elle va mourir jeune ? C’est sa vie de silence et de prière, d’adoration du Saint-Sacrement, de lecture et de méditation de l’Evangile qui lui permettent d’être unie au Christ et de laisser le Christ agir en elle.

    Le 17 juillet 1697, à l’infirmerie, deux mois et demi avant sa mort, Thérèse, suite à la tuberculose, avait craché du sang à 2h00 du matin. N’importe quel malade constatant cela, éprouverait tristesse, désolation, angoisse, parce qu’il se rend compte que sa vie se termine et qu’il est proche de la mort. Cracher le sang est avilissant. On comprendrait que Thérèse désespère du bon Dieu. Or, peu après, elle dira à sa soeur : « Je sens que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime…Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu’à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la Terre » (Thérèse de Lisieux, O.C., p. 1050).

    Et Charles de Foucauld écrira : «  Pour l’extension du saint Evangile, je suis prêt à aller au bout du monde et à vivre jusqu’au Jugement dernier » (Ecrits spirituels, p.693).

    Tous deux connaissent les limites du temps et de l’espace : Thérèse ne connaît que neuf ans de vie religieuse, dans le même monastère, avec une vingtaine de religieuses et deux missionnaires auxquels elle écrit de temps en temps. Et Charles, après avoir beaucoup voyagé en France pour avoir de l’aide pour son apostolat et après avoir rencontré des milliers de musulmans, sera toujours seul dans sa vocation, et pas de conversions. Dès lors, il faut bien reconnaître que, plus leur enfouissement et leur solitude sont profonds, plus ils auront un rayonnement extraordinaire. C’est un réel paradoxe. Si Charles et Thérèse ont pu avoir ce sens d’éternité dans une vocation solitaire et une mission apparemment vouée à l’échec, c’est parce qu’ils furent fidèles à la prière eucharistique : la sainte messe et l’adoration du Saint-Sacrement.

    5. Le Christ est le Fils de Dieu

    Aujourd’hui, n’a-t-on pas trop tendance à ne voir que le Christ homme et à oublier qu’il est le Fils de Dieu ? Dès lors, on ne voit plus que l’homme livré à lui-même ; ce qui nous conduit à nous dire que l’homme est une passion inutile condamnée à l’absurde : la vie n’a pas de sens. C’est ce qui explique beaucoup de ménages cassés, de jeunes qui tombent dans la drogue,  l’alcool, le suicide. Mais la foi nous dit que l’homme est une soif d’absolu appelé à l’Infini (Dieu).

    Aujourd’hui, on ne croit plus que l’homme est appelé à être transfiguré par le Christ pour devenir un « homme nouveau ». Et cependant, Thérèse et Charles sont tout à fait transfigurés par le Christ. Thérèse écrira : « Si je quitte déjà le champ de bataille (c'est-à-dire le Carmel), ce n’est pas avec le désir égoïste de jouir de la béatitude éternelle ; cette pensée fait à peine réjouir mon âme. Je me demande parfois comment il me sera possible d’être heureuse sans souffrir. Il faudra que Jésus change ma nature  sinon je regretterai la souffrance et la vallée des larmes » (Thérèse, O.C., p.614). « La joie que les mondains cherchent au sein des plaisirs n’est qu’une ombre fugitive, mais notre joie cherchée et goûtée dans les travaux et la souffrance, c’est une bien douce  réalité, un avant-goût du bonheur du Ciel » (Thérèse, O.C., p.578).

    Dans la prière eucharistique (la messe et l’adoration du Saint-Sacrement), Thérèse et Charles deviennent Eucharistie. Il y a un phénomène d’osmose, de transformation : d’égocentriques, ils deviennent christocentriques.

    6. Le Christ est réellement présent dans l’Eucharistie

    Aujourd’hui, la présence réelle du Christ dans l’hostie consacrée est remise en question : on affirme souvent que le Christ n’est présent dans l’Eucharistie que quand il y a communauté de fidèles. Et pourtant, Charles célèbre la sainte messe seul, fait l’adoration du Saint-Sacrement seul, accueille des pauvres musulmans seul. Et Thérèse découvre  sa mission de sauver des âmes  pendant la prière eucharistique.

     « C’est ce mystérieux regard échangé entre Jésus [dans l’Eucharistie] et sa petite fleur [Thérèse] qui fera des merveilles et qui donnera à Jésus une multitude d’autres fleurs » (Thérèse, O.C., p.437).

    « Un savant a dit : ‘Donnez-moi un levier, un point d’appui, et je soulèverai le monde’. Ce qu’Archimède n’a pas pu obtenir parce que sa demande n’était faite qu’au point de vue matériel, les saints l’ont obtenu dans toute sa plénitude. Le Tout-Puissant leur a donné pour point d’appui Lui-même, et Lui seul. Pour levier, l’oraison qui embrase d’un feu d’amour. C’est ainsi qu’ils ont soulevé le monde ; c’est ainsi que les saints encore militants le soulèvent et que, jusqu’à la fin du monde, les saints à venir le soulèveront aussi » (Thérèse, O.C., p.284).

    « Je préfère l’insuccès total, la perpétuelle solitude et les échecs en tout. Il y a là une union à la Croix de Jésus qui me semble désirable entre toutes » (Ecr.sp., p. 683).

    Oui, l’amour de la dernière place soulève le monde. C’est en apprenant à être solitaire qu’on devient effectivement solidaire. C’est le paradoxe de la prière eucharistique.

    En conclusion, la sainte messe est le renouvellement non sanglant du sacrifice du Christ. La sainte messe, c’est comme si j’étais présent au moment où Jésus meurt sur la Croix. C’est comme si j’étais présent au moment où Thérèse va mourir de tuberculose, où Charles de Foucauld va être assassiné, où le Père Damien va mourir de la lèpre, où le Père Kolbe va mourir de faim et de soif à la place d’un autre. Pour chacun, c’est chaque fois le Christ qui continue à donner sa vie. Alors, tous les meubles (mon égoïsme, mon orgueil, mes passions) volent en éclat par la fenêtre pour laisser en moi un grand vide qu’occupe entièrement  Notre-Seigneur avec toute sa Lumière, sa Grâce, sa Sainteté, son Amour. A travers eux, je découvre tout le mystère de la kénose de Jésus.

    Voilà pourquoi l’action de grâce de la sainte messe est importante : parce que le Christ a soif d’irradier son Amour dans mon cœur. Tous les saints l’ont compris : un Charles de Foucauld, un Curé d’Ars, un Ignace de Loyola, un Père Kolbe et tant d’autres. Lorsqu’ils célébraient une simple messe, celle-ci durait une heure, parfois deux et même parfois trois heures, parce qu’ils étaient tout à fait émerveillés, transfigurés, transformés par la lumière et l’amour du Christ.

    Oui, en ces temps tumultueux, plus que jamais, nous avons besoin de nouvelles Thérèse de Lisieux, de nouveaux Père Kolbe, de nouveaux Charles de Foucauld, non pas pour faire comme eux, mais pour avoir dans notre esprit la même compréhension qu’ils avaient du Christ, de sa vie, de son message et d’avoir dans notre cœur le même feu d’amour qui brûlait leur cœur.

    « Je suis venu allumer un feu, et comme je voudrais qu’il brûle ! » (Luc, 12, 49).

  • Liège : dimanche convivial en musique au Saint-Sacrement

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    Bravant la pluie diluvienne, la célébration du millénaire de Saint-Jacques et la course Liège-Bastogne-Liège, plus de cent vingt personnes se sont retrouvées l’après-midi de ce dimanche 26 avril à l’église du Saint-Sacrement au Boulevard d’Avroy pour écouter, sous la direction de Charlotte Messiaen, les jeunes de l’Ensemble vocal du Brabant wallon, l’Ensemble instrumental  Darius et Guillaume Houcke à l’orgue : une excellente prestation, qui fit honneur au « Gloria » de Vivaldi et aux maîtres de l’art baroque, sans oublier l’échantillon du plain-chant que les jeunes brabançons vont interpréter tout prochainement au Festival grégorien de Watou. On en redemande !

  • Regard sur la croix et la gloire

    Témoins

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    Le regard porté sur le Christ ressuscité tout comme le regard porté sur le Christ en croix, nous incitent à penser : " le mal est ce qui n'aurait pas dû être ".  Semblablement, le regard porté sur le Christ en gloire nous invite à penser que le mal n'est pas lié métaphysiquement à la finitude de l'existence humaine.

    ∂ 

    Le regard porté sur le Christ glorifié nous enseigne plutôt, à mon sens, que le mal n'est pas lié à la finitude, puisque nous contemplons en Jésus glorifié une nature humaine qui reste toujours marquée par la finitude ; nous ne sommes ni des anges, ni des éléphants, ni des tulipes, nous sommes une nature humaine circonscrite, déterminée, nous ne sommes pas n'importe quoi, et Jésus ressuscité n'a pas perdu les contours qui déterminent la nature humaine. Et pourtant " le Christ ressuscité ne meurt plus, la mort n'a plus sur lui aucun pouvoir ", c'est une humanité qui n'est plus infectée par le mal. 
    Ce regard nous enseigne, me semble-t-il, la contingence du mal : le mal est ce qui aurait dû ne pas être, ce qui, espérons le, ne sera plus. 
    A partir du Christ en gloire, nous espérons être délivrés du mal. 
    Je sais que le problème demeure, il est lancinant, du mal qui semble irrécupérable, celui de Satan, celui des anges mauvais, celui des damnés ; mais nous espérons et nous prions chaque jour pour être libérés du mal, nous espérons un ciel nouveau, une terre nouvelle où il n'y aura plus ni pleurs, ni cris, ni deuil, ni mort, parce que l'ancien monde s'en sera allé. 
    Donc, la contingence du mal laisse place à l'espérance eschatologique d'un univers réconcilié ; et, dans l'autre direction, la contingence du mal permet de penser - pourquoi pas ? - une existence humaine et un monde originellement intègre.

    Actuellement, la théologie manque de perspectives eschatologiques et cosmiques, et elle manque d'audace également dans la manière d'aborder le drame du mal.  Or, tout ce que la théologie écarte de son regard, de son champ de vision est, pour le meilleur et le plus souvent pour le pire, récupéré par d'autres visions du monde.  Quand les théologiens ne parlent plus du destin de l'individu au delà de la mort, qui va en parler sinon les spirites, les voyants et les adeptes des sciences occultes ? 

    Dans ma vie de prêtre et de philosophe, théologien (tout cela avec beaucoup de guillemets), ce fut l'éblouissement quand il m'a été donné de mieux saisir, grâce, notamment, à Hans-Urs von Balthazar qu'avec la résurrection de Jésus a commencé un univers nouveau et que cet univers existe. 
    On perçoit aussitôt qu'il y a différents champs dans la profondeur du réel ; ce que nous expérimentons actuellement du réel n'est qu'une mince pellicule... 
    Comme disait Newman, le monde que nous percevons est la frange inférieure de la parure des anges, une formule poétique, sans doute, mais hautement significative: il y a une profondeur du réel que nous ne soupçonnons pas. 
    Je dois dire que cette appréhension du monde nouveau existant depuis Pâques réellement m'a aidé à accueillir avec prudence, mais quand même avec sympathie, toute une série de réalités dont la théologie généralement ne parle pas ou parle de manière gênée, par exemple le miracle.

     Est-ce que le miracle n'est pas une petite échappée, un petit clin d'œil adressé à l'ancien monde, comme dirait l'Apocalypse, par le nouveau ? 
    Les apparitions - je sais bien qu'il faut du discernement pour voir celles qui sont authentiques et celles qui ne sont que des créations purement humaines - les apparitions, celles qui sont reconnues, et celles qui peuvent encore l'être, ne sont-elles pas à l'intérieur de ce monde-ci, un regard qui s'ouvre vers nous à partir de la réalité du monde nouveau ?

    Et, soit dit en passant, ce qui fait la beauté de l'eucharistie qu'on célèbre chaque jour, c'est que l'eucharistie est à l'intérieur de ce monde la présence réelle et réalisante du monde nouveau. Chaque fois que nous célébrons l'eucharistie, nous débarquons en quelque sorte pour un temps dans ce qui est au-delà du temps, nous débarquons sur le sol ferme de l'éternité, un petit peu comme dans le dernier chapitre de l'évangile de Jean, les disciples qui sont sur les eaux mouvantes de l'existence terrestre débarquent sur le sol ferme où se tient le ressuscité qui leur a préparé la nourriture : " Venez déjeuner ".

     Extrait de la conférence donnée par Monseigneur Léonard à la réunion inaugurale du  Projet Nouveau Regard,  à l’abbaye bénédictine Saint-Paul de Wisques (Nord-Pas de Calais).

  • Monseigneur Léonard à l'Université de Liège: Enjeux des synodes sur la famille

     

     

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    SYNODES SUR LA FAMILLE : ECHOS ET PERSPECTIVES

    Compte rendu du lunch débat avec Monseigneur André Joseph LÉONARD

    Archevêque de Malines-Bruxelles,

    membre du Synode extraordinaire sur la famille

    à l'Université de Liège, salle des Professeurs, mercredi 28 janvier 2015 

    Leonard.jpgLe mercredi 28 janvier dernier, Mgr André-Joseph Léonard, Archevêque de Malines-Bruxelles était l’invité d’un lunch-débat organisé à l’Université de Liège par l’Union des étudiants catholiques de Liège et le Groupe éthique sociale, associés au forum de conférences Calpurnia. Le thème de son exposé portait sur les enjeux du synode extraordinaire des évêques réunis à Rome du 5 au 19 octobre 2014.Il s’inscrit dans le cadre d’un cycle de rencontres intitulé « La Famille : solution ou problème Voici la transcription des propos de l’orateur (les intertitres sont de notre fait) :

    LA CONFÉRENCE 

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    « Je vais peut-être vous décevoir : malgré le titre annoncé de ma conférence je ne parlerai pas beaucoup du synode sur la famille, ni passé, ni futur.  S’agissant du synode passé, on trouve facilement sur internet les 58 paragraphes du rapport final que sert maintenant de lineamenta pour une consultation qui va se faire à tous les niveaux afin de produire l’ instrument de travail  du synode futur d’octobre 2015 et il est difficile de parler de celui-ci maintenant. Si, tout à l’heure, vous m’y invitez ou si vous m’y contraignez, je pourrai parler un peu de ce qui s’est passé au synode extraordinaire d’octobre 2014, mais je pense que le plus important est dit dans les 58 propositions finales de celui-ci.

    Il m’est difficile de vous parler des enjeux, des joies, des épreuves, des peines  de la famille -car c’est là l’objet de ma conférence- sur base de ces courts paragraphes. Par nature, par instinct, je préfère me situer dans un contexte plus large et plus structuré. 

    La question de la famille se pose parce que nous sommes des esprits incarnés

    La question de la famille se pose parce que nous sommes des esprits incarnés. Je ne sais pas s’il y a un esprit de famille qui unit les anges et les archanges, mais si c’était le cas, ce devrait être très différent de ce que nous vivons. Les animaux présentent certains phénomènes qui ressemblent à ce que nous vivons dans nos familles mais avec une énorme différence, car nous vivons les réalités de la famille en tant qu’esprits incarnés : le corps et l’esprit  -le corps aussi- font partie de notre destinée. Si nous étions de purs esprits, la famille n’existerait pas : il y aurait des affinités purement spirituelles entre nous.

    Le corps est une réalité extraordinaire et, pour en parler, l’Eglise est particulièrement  bien outillée par la révélation biblique. D’abord parce que dans l’ensemble de l’univers physique le corps humain est ce qu’il y a de plus prestigieux, le corps c’est le cheval de Troie de l’esprit  à l’intérieur du cosmos, c’est par là que l’esprit s’introduit dans la matière. Le corps est un merveilleux instrument de communication, de production. On peut travailler avec son corps, communiquer avec son corps. Avec la main on peut communiquer la colère, la vengeance, l’amitié, la tendresse. On peut communiquer tant de choses par les mimiques, les gestes. Sans oublier ces extraordinaires cordes vocales humaines qui nous permettent de produire des sons articulés qui abritent du sens : c’est un phénomène infiniment plus complexe que le roucoulement des oiseaux, le gazouillis des pinsons ou le grognement des porcs. C’est un instrument de communication exceptionnel. Il y a tout un langage du corps qui est une pure merveille.

    La sexualité fait partie de ce langage avec une dimension tout à fait unique au sein de la sexualité animale et végétale. Je ne suis pas biologiste mais je pense que l’espèce humaine est la seule où la rencontre sexuelle peut se faire visage contre visage. Il y a dans l’agencement même de la complémentarité de l’homme et de la femme la promesse d’une union interpersonnelle, visage contre visage et, en même temps, un langage de la sexualité qui est en même temps un langage qui signifie la procréation. Car la sexualité humaine, ou la sexualité animale, est organisée comme un laboratoire riche en ressources pour permettre la transmission de la vie, qui fait partie du langage objectif de la sexualité. Sans la dimension sexuelle de notre corps, il n’y aurait pas ce phénomène merveilleux de la famille. Mais cette dimension s’accompagne d’une part d’obscurité, comme tout notre corps.

    Notre corps est un instrument d’action performant. C’est aussi un instrument et un lieu de passion. Le corps nous expose à la souffrance. Il est vulnérable : il fleurit, il s’épanouit, il vieillit, il se déglingue, il s’en va, il périt. Toute chair est comme l’herbe des champs, disait déjà le prophète Isaïe. Le corps  nous expose à la violence, à la souffrance, à la maladie. Il est aussi un lien d’opacité. Dans la plus agréable union, tu seras toi, je serai moi et nous ne serons jamais un. Il y aura toujours le mur infranchissable de notre corporéité. Les esprits peuvent fusionner, les corps pas totalement. La sexualité humaine est une promesse de plaisir, de joie, de bonheur, de vie mais elle est aussi habitée par de l’aveuglement, de la sauvagerie, de la brutalité. Elle est un lieu de plaisir, de joie, de fécondité  mais aussi de souffrance, de domination, d’exploitation et de mort. Il y a une ambiguité dans la sexualité comme dans le corps.

    La foi chrétienne est particulièrement douée pour prendre la mesure de la grandeur et de la fragilité du corps

    La foi chrétienne est  particulièrement douée pour prendre la mesure de la grandeur et de la fragilité du corps. 

    Témoins de sa grandeur, nous sommes, avec le judaïsme -pour une part aussi l’islam, je pense- une religion du corps.  Mais il n’y a aucune philosophie, ni aucune religion autre que le christianisme qui ait osé penser, sur base de faits qui se sont inscrits dans l’histoire, qu’il y a un corps humain  qui est celui d’une personne divine, qui est le corps de Dieu : le Corps de Jésus qui est maintenant encore  et plus que jamais, le corps d’une personne divine.

    Et nous vénérons une femme qui a mis Dieu au monde : elle n’a pas mis au monde la divinité, mais elle a mis au monde Quelqu’un qui est Dieu, parce qu’elle est une femme et qu’elle a un corps.

    Le salut du monde s’est joué sur la croix,  dans le corps humilié, dépouillé, blessé, outragé, crucifié de Jésus et du corps ressuscité qui a traversé la mort et inauguré un monde nouveau où le corps n’a plus la pesanteur qu’il a maintenant : il n’est plus voué à la mort comme il l’est présentement.

    Et nous pensons que cette réalité, le corps humain de Jésus, crucifié, ressuscité, qui traverse la mort, qui inaugure un monde nouveau, est parmi nous. Ce matin, j’ai célébré l’eucharistie : eh bien, la croix de Jésus ressuscité était là, présente et quand nous communion au corps de Jésus, nous communions, nous qui allons mourir dans quelques temps, à la vie impérissable du Ressuscité et nous croyons non seulement en la résurrection de Jésus, à sa présence dans la parole de Dieu et dans l’eucharistie mais nous croyons aussi que nous-mêmes nous allons ressusciter.

    Enfin, je dis nous, mais il y a des enquêtes qui montrent qu’il y a une majorité de catholiques qui n’y croient pas vraiment, qui croient que notre corps va se dissoudre en pourriture, en poussière ou en cendre mais qu’après cela, c’est fini. Il y a peut-être bien l’âme qui subsiste mais le corps, lui, est envoyé à la poubelle pour toujours.  Or le Credo se termine par ces mots : je crois à la résurrection des morts -ou de la chair- et à la vie éternelle. Bien sûr, cette carcasse va périr et se dissoudre dans quelques temps mais Dieu, c’est ce que nous promet Jésus et il y a des raisons de croire à ses promesses, va recréer nos corps : nous serons recréer dans notre être corporel, un corps plus beau encore, plus performant et plus durable que le corps présent. 

    Il y a des pisse-vinaigres partout : je sais bien qu’à certaines  périodes de l’histoire, des théologiens et même des Pères de l’Eglise ont parlé un peu négativement du corps, en raison de l’opacité présente de celui-ci. Nous ne sommes plus au paradis terrestre  pour évoquer la condition originelle de la création, avant le big bang etc. ni au paradis céleste où la vie est impérissable. Nous sommes dans l’entre-deux de cet univers où, comme dit saint Paul, nous gémissons dans l’attente de la pleine rédemption de notre corps et nous sommes encore, comme toute la création, asservis à l’esclavage  de la corruption, comme Paul dit dans la Lettre aux Romains, chapitre 8e, versets 18 et suivants. Mais, ceci étant, nous jetons un regard  positif -exceptionnel dans l’histoire humaine- sur la destinée du corps humain. 

    La sexualité et le mariage ont une dimension théologique 

    C’est la même chose pour la sexualité. Dès la première page de la Bible, il y a cette affirmation : Dieu créa l’homme à son image, à son image il le créa, homme et femme il les créa. Notez ce délicieux passage du singulier au pluriel. Donc, la différence sexuelle n’est pas seulement anatomique, physiologique, biologique, psychologique ou spirituelle, elle a aussi une dimension théologique, elle a un rapport avec notre être créé à la ressemblance de Dieu : homme et femme il les créa. Il y a  aussi tout un livre  de la Bible, le « Cantique des cantiques » : si vous ne l’avez pas lu, il faut vous l’imposer comme douce pénitence pendant le carême qui va venir. Ce n’est même pas une pénitence, c’est une joie de le lire. C’est un poème d’amour avec un érotisme de bonne qualité, de bon aloi, bien sensuel et charnel autant que spirituel, avec toutes les comparaisons dont on peut rêver pour exprimer la beauté du corps féminin et la beauté un peu plus relative du corps masculin.  C’est un splendide poème d’amour  qui fait partie de la Parole de Dieu  et jette une lumière sur ce que nous appelons l’Ancien Testament, la première alliance, qui est une alliance conjugale : Dieu déclare son amour à son peuple dans les termes de l’amour passionné d’un homme pour sa femme. Quand Dieu parle de son amour pour son peuple, il parle le langage de ce que vous vivez, vous qui êtes mariés. Il prend au sérieux la différence sexuelle, en parlant le langage de l’homme pour sa bien-aimée. Le prophète Osée l’exprime encore ainsi  «ma fiancée infidèle, je vais la conduire au désert et là je parlerai à son cœur : d’un amour éternel je t’ai aimé, je te fiancerai à moi pour toujours ». C’est le langage de Dieu quand il parle  à son peuple bien-aimé.

    Et quand vient le temps de l’Alliance nouvelle et éternelle, quand Jésus vient  parachever, couronner la première Alliance dans la nouvelle et éternelle Alliance, il le fait dans le même langage. Il se présente comme l’Epoux. Quand on lui demande : pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils ? Nous, les pharisiens, jeûnons deux fois par semaine tandis que tes disciples et, sous-entendu, toi vous ne jeûnez pas, Jésus répond : mais, quand vous allez à une noce, est-ce que vous jeûnez ? Aussi longtemps que l’Epoux est là (il parle de Lui) ils ne vont pas jeûner, mais un jour viendra où l’Epoux leur sera retiré : allusion, dans un premier temps à sa mort, mais aussi à ce que nous vivons maintenant car depuis  l’Ascension, Jésus est bien là, il est présent à la vie de l’Eglise, dans sa Parole et le Sacrement de l’Eucharistie, mais, en même temps à chaque eucharistie, après la consécration, on lui demande : viens, Seigneur Jésus. Donc, il est là et, en même temps, il n’est pas là et il y a place pour le jeûne comme pour l’alimentation normale, mais c’est à cause de Lui : parce que c’est lui qui est l’Epoux. Grâce à  Jean, dans son Evangile au chapitre 2eme, on voit très bien qui est l’épouse, par la présence de Marie qui symbolise là ce que sera l’Eglise. Et saint Paul en parle explicitement au chapitre 5e de la Lettre aux Ephésiens, quand il dit aux hommes : maris, aimez vous femmes comme le Christ a aimé l’Eglise, donc ne soyez pas des despotes, mêmes pas éclairés, mais soyez des amants de votre épouse, à la manière dont le Christ aime l’Eglise, son épouse bien-aimée. Pour Jésus, l’Eglise n’est pas quelque chose, c’est quelqu’un, ce n’est pas une institution (instituut, comme on dit en néerlandais), c’est une personne, la fiancée de son amour, son épouse bien-aimée. 

    Vous avez là un regard très positif sur la sexualité humaine et sur le mariage qui sera reconnu comme un sacrement, de manière officielle assez tardivement mais qui était vécu par les chrétiens, dès le principe (même si le rite était civil uniquement, au début) comme un mariage -saint Paul y invite explicitement-  où homme et femme confient la beauté et aussi la fragilité de leur amour à l’Amour fidèle, indéfectible, indissoluble, qui ne se reprendra jamais, de Dieu pour l’humanité, du Christ pour son Eglise et pour chacun d’entre nous.

    Pourquoi le mariage chrétien doit-il être indissoluble ?

    Jésus est, dans sa personne, le mariage indissoluble de Dieu et de l’humanité qui, en Lui, ne font qu’un dans l’unité de sa Personne. Je vais parler des enjeux du mariage et de la famille d’abord pour les chrétiens, même si cela a beaucoup de retombées sociales. Se marier, pour des chrétiens, c’est, pour reprendre une expression de saint Paul, « se marier dans le Seigneur » (je raffole de cette expression, beaucoup plus riche que « se marier à l’église ») : s’aimer l’un l’autre à la manière dont Jésus nous aime, à la manière dont le Seigneur aime son Eglise, à la manière dont Dieu aime l’humanité.

    C’est donc un pari d’une beauté mais aussi d’une exigence extraordinaires que de se marier « dans le Seigneur ».  Cela veut dire, une formule de mariage le disais jadis explicitement, qu’un homme se lie à une femme, une femme à un homme, en lui disant : je vais t’aimer comme le Seigneur nous aime. Je vais t’aimer pour le meilleur et pour le moins bon, éventuellement pour le pire. Je vais t’aimer comme le Seigneur nous aime : fidèlement, même si nous le lâchons, même si nous l’oublions ou le trahissons.  Même si nous lui sommes infidèles, lui nous demeurera fidèle car il ne peut pas se renier lui-même : il nous aimera fidèlement. Et on fait le pari de dire la même chose à son conjoint : toi, je t’aimerai fidèlement, même si tu vieillis mal, même si tu es moins joli, ou moins jolie, dans vingt ans que maintenant, même si ta santé s’étiole, même quand tu vas commencer à grisonner et, à la limite, même si tu m’abandonnais, je te resterai fidèle.

    C’est un pari considérable mais c’est un pari très beau, redoutable aussi et la manière dont Jésus a parlé de cette fidélité est, dans un premier temps, déconcertante.  Il est notable que les apôtres, quand ils entendent la manière dont Jésus parle du mariage et de la fidélité aient réagi comme lorsque Jésus parle de la richesse. Quand Jésus dit : ah, mes enfants, comme il est difficile à un riche accroché à sa richesse d’entrer dans le royaume des cieux ! Il est plus facile à un chameau de passer par le chas de l’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Vous ne pouvez pas avoir deux maîtres, Dieu et l’argent. Alors les apôtres, qui raisonnent comme dans le judaïsme traditionnel où la richesse est le signe de la bénédiction de Dieu, rétorquent : mais, à ce compte-là, qui peut être sauvé ? Le Christ répond : aux hommes, c’est impossible mais tout est possible pour celui qui met sa confiance en Dieu  car pour Lui, tout est possible.

    Et quand des autorités religieuses viennent trouver Jésus pour le prendre dans un piège sur le  mariage, en lui posant une question très machiste : voilà, pouvons-nous répudier nos femmes, pour quelque raison que ce soit ? Jésus demande : que dit la Loi à ce sujet ? Et ces autorités répondent que Moïse a permis de rédiger un libelle, un acte pour répudier sa  femme pour diverses raisons : parce qu’elle ne peut avoir d’enfant, qu’elle est stérile et de ce fait n’intéresse plus ou bien parce qu’elle a tel ou tel défaut. Jésus déclare alors : c’est à cause de la sclérose et de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis ce genre de chose, mais à l’origine il n’en était pas ainsi. A l’origine, Il les créa  homme et femme et c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera  à sa femme : les deux ne feront plus qu’une seule chair et donc ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. En entendant ce langage, les apôtres sont interloqués, comme à propos des richesses, en disant : mais à ce compte-là, si tu mets la barre si haut, est-ce encore intéressant de se marier ? Cette réflexion montre un peu leur état d’esprit. Et dans un passage de saint Marc, parallèle à celui de saint Matthieu que je viens de citer, Jésus met l’homme et la femme à égalité, ce qui  est remarquable dans les sociétés antiques : si un homme, dit-il, répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère.

    Jésus a employé une petite parabole que j’évoque parfois quand j’essaie de faire comprendre ce langage très élevé de Jésus, choquant, même pour ses propres disciples. C’est la petite parabole du roi qui part en guerre, ou celle de l’homme qui construit une tour, où Jésus dit:faites attention avant d’être de mes disciples et de marcher à ma suite. Prenez le temps de vous asseoir. Ne faites pas comme cet homme qui commence à construire une tour sans avoir prévu les dépenses et doit  s’arrêter. Alors, tout le monde se moque de lui : il a commencé et n’a pas pu aller jusqu’au bout. Ou encore : le roi qui part en guerre et doit affronter avec 10.000 hommes son adversaire qui en a 20.000, qu’il s’asseye d’abord et voie s’il n’est pas préférable de lui envoyer une ambassade pour conclure la paix. Donc, dit Jésus, pour devenir mes disciples, réfléchissez bien. Et c’est vrai que Jésus met la barre très haut : soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. A cet égard, la fin du chapitre 10 de l’évangile selon saint Matthieu est littéralement insupportable, à la première audition : si quelqu’un ne me préfère pas moi à son père et à sa mère, il ne peut pas être mon disciple ; si quelqu’un ne me préfère pas moi à son fils et à sa fille, il ne peut pas être mon disciple ; si quelqu’un veut préserver sa vie, il la perdra, si quelqu’un perd sa vie à cause de moi, il la sauvera !

    L’Eglise doit être plus attentive à la préparation du mariage chrétien

    J’en tire la conclusion pratique et pastorale que nous devons être attentifs plus que jamais, dans l’Eglise, à la préparation au mariage. C’est un des points dont on aurait pu parler au Synode. On ne l’a pas pu parce qu’on a été pris par les questions d’actualité occidentale qui ont été imposées à un synode de l’Eglise universelle. A cause de cela, certains sujets n’ont pas pu y être creusés, notamment celui-là. Il est cependant à l’ordre du jour, de manière très variable selon les régions.  

    En Occident, la préparation au mariage doit être renforcée. En Belgique, nous sommes dans un des pays les plus laxistes au monde à ce point de vue. Nos voisins français sont déjà plus exigeants et aux Etats-Unis on est très exigeant. Un diocèse qui voudrait faire ici la même chose qu’aux Etats-Unis  serait traité de dictatorial. Et pourtant, on ne peut pas, en conscience, engager des gens dans le mariage sacramentel tel que Jésus et son Eglise le proposent sans une préparation solide : pas seulement juridique, psychologique, technique mais une préparation spirituelle. 

    On trouve tout à fait normal que pour s’engager dans la vie consacrée on fasse un an de postulat, deux ans de noviciat, des vœux temporaires et puis après définitifs et que pour devenir curé il faille un ou deux ans de propédeutique, deux ans de philosophie, quatre ans de théologie. Et pour entrer dans le mariage tel que Jésus en parle cela pourrait se faire en un tournemain avec quelques rencontres : en Belgique, au maximum une session qu’on parvient  à proposer ou à imposer. Bien sûr, la vocation au mariage est plus dans la ligne spontanée de l’épanouissement d’une vie humaine accomplie et, donc, il ne viendrait jamais à l’idée de personne de préconiser trois ans ou six ans de séminaire pour se préparer au mariage, mais, tout de même, plus de préparation qu’aujourd’hui, pour prendre conscience de la beauté du mariage dans le Seigneur, sur le roc qu’est le Seigneur : quelle assurance, quelle garantie , quelle source  de force, de régénération mais aussi quelle exigence il comporte.  Je remercie tous ceux et celles qui assurent la préparation au mariage : les communautés, groupes,  prêtres, diacres, assistants paroissiaux etc.  Ils rencontrent souvent beaucoup de résistance, du genre : on ne vous demande pas tout cela, on ne vous demande pas de sessions, on a convenu de se marier à tel moment, on a réservé la salle, quand pouvez-vous faire la célébration ? Et bien, il faut oser proposer plus et demander plus.

    Parfois, on rêverait d’avoir, comme cela existe dans d’autres cultures, non pas une étape dans le mariage mais une étape vers le mariage.  Je connais des prêtres qui aimeraient parfois dissuader des gens de contracter trop vite un mariage sacramentel. Mais ce n’est pas facile : on est taxé alors de discrimination. Avoir une étape vers le mariage, dans les cultures africaines cela existe. Le mariage chrétien s’y entrelace avec le mariage coutumier par étape. Mais l’harmonisation entre les deux n’est pas très facile et il y a des points de non convergence. C’est délicat. Comme pour l’Eglise, pour les baptisés, la seule forme de vie conjugale juste c’est le mariage sacramentel, si on déconseille à des gens de se marier, ou si on valorise des fiançailles qui sont une étape vers le mariage mais en sachant que la plupart vivent déjà ensemble, on donne l’impression qu’on encourage le concubinage, ce qui n’est évidemment pas l’intention de l’Eglise. Vous comprenez : nous ne voulons pas encourager les concubinages qui existent dans la majorité de ces unions de fait mais, parfois, on voudrait, par souci de respect et de vérité, surseoir au mariage ou bien prévoir des étapes  vers le mariage sacramentel.

    Pour vivre leur mariage chrétien les époux doivent être soutenus et encouragés

    Ensuite -on n’en a guère parlé au synode, espérons qu’on en parlera plus au prochain- nous devons accorder une plus grande importance à ce que j’appellerais, familièrement, le service après vente :

    On a préparé un mariage le mieux possible avec profondeur, souhaitons-le, ensuite il faudrait pouvoir continuer le chemin parce qu’aucun sacrement n’a une efficacité magique et le mariage n’est pas une assurance tous risques contre les échecs conjugaux. Il ne va pas épargner les tempêtes et les secousses que tout couple vit, un jour ou l’autre. Et ici, reconnaissons que pour beaucoup de chrétiens le mariage sacramentel, un peu comme le baptême d’un enfant, c’est une parenthèse : on demande un mariage à l’église, on s’y prépare le mieux possible, espérons-le, et souvent après on referme la parenthèse. On s’est marié dans le Seigneur puis, après, on ne vit pas tout à fait dans le Seigneur, mais en marge.

    C’est exactement comme pour mon sacerdoce. Il y a dans mon ordination sacerdotale de quoi faire de moi un saint, vaste programme, il y a des ressources dans mon ordination : à condition que je vive la grâce de mon sacrement. Mais si, après avoir été ordonné validement, je deviens ensuite, comme dit saint Paul, une « cymbale retentissante », si je n’ai plus de vie intérieure, si je ne prie plus, si je cours tout le temps, si je ne me ressource plus dans le Seigneur, je puis encore faire des choses mais mon sacerdoce va devenir infructueux spirituellement : oui, je vais faire des sacrements valides, mais il me manquera la flamme, l’âme.

    Et bien, le sacrement de mariage s’use, lui aussi, si on ne s’en sert pas, si on en n’use pas : il y a en lui de quoi faire des saints avec un homme et une femme. C’est le but.  Le mariage c’est un lieu de sanctification, pas seulement un contrat, c’est un lieu de sanctification : à condition qu’on s’en serve, qu’on prie, qu’on se nourrisse de l’eucharistie, qu’on vive le pardon, le pardon reçu du Seigneur mais aussi le pardon partagé. Que de couples auraient pu traverser des tempêtes s’ils avaient été initiés au pardon mutuel et aussi au pardon reçu d’En-Haut.  

    Donc, il faut des piqûres de rappel, il faut inviter les gens qui sont mariés  à se retrouver, une pastorale de l’encouragement, du soutien et de l’accompagnement du couple. Il faut avoir aussi des antennes de conseil conjugal d’inspiration chrétienne, qui peuvent aider à traverser les tempêtes, surtout dans la culture que nous vivons aujourd’hui, culture de l’immédiat, culture où on ne vit presque rien dans la durée, du temps recyclable : tout change, votre ordinateur est périmé après quelques mois et déjà un autre est là, rien ne tient la route longtemps. Mais, dans le mariage, il faut tenir la route dans la durée du temps, donc cela demande un accompagnement. Ne lâchons pas les couples dans la nature sans que la grâce les accompagne. Là, il faut beaucoup d’imagination et j’espère qu’au prochain synode on en  aura pour tout ce qu’on peut faire afin d’encourager les couples, les aider à surmonter les moments difficiles inévitable car ce n’est pas rien de mettre un homme et une femme ensemble pour des années et, comme on vit actuellement assez vieux, des décennies.

    Quelle pastorale dans les situations d’échec  

    A côté du grand lieu de bonheur qu’est la famille – dans les enquêtes, la famille tient souvent le haut du hit-parade des valeurs appréciées par les Belges, peut-être à la mesure des difficultés qu’elle rencontre, de sa fragilité- nous devons avoir aussi toute une pastorale pour les situations d’impasse.

    Auparavant, j’ai insisté sur la pastorale  des couples qui sont toujours bien ensemble. Parce que j’avais entrepris beaucoup de rencontres pour les couples séparés, divorcés, remariés lorsque j’étais évêque de Namur, je me suis souvent fait interpellé par des couples qui n’étaient ni séparés, ni divorcés, ni remariés, qui me disaient : et nous, est-ce qu’on a une place dans votre pastorale ? Ceci étant dit, il faut avoir aussi beaucoup de cœur pour les situations d’impasse : certaines d’entre elles seraient franchies si on avait tous les moyens humains et spirituels pour les traverser, mais  il  y a, de  fait, des situations d’impasse qui aboutissent  à la séparation, à un divorce, pour des raisons aussi parfois économiques ou fiscales.

    Divorce

    Je dois réitérer ici ce que j’ai déjà répété dans une paroisse de Bruxelles dimanche dernier. J’étais abordé par deux personnes désolées parce qu’elles pensaient devoir divorcer bientôt et elles me disaient : maintenant je ne pourrai plus recevoir la communion à la messe. Donc, il y a encore des gens qui pensent -peut-être ici aussi-  que le divorce par lui-même empêche de communier lors de la célébration eucharistique. Mais non : pas par lui-même. Si, étant divorcé, vous menez une vie de Don Juan ou de Dona Juana, il y aura une raison de ne pas communier à la messe, mais le divorce, comme tel, ne pose pas de problème pour l’accès au sacrement de l’Eucharistie : sauf si vous-même, du fait de votre libertinage, avez été la cause délibérée d’un divorce : là, vous avez un problème à régler avec votre conscience.

    Que d’attention on doit avoir pour les personnes divorcées. La première chose que le Seigneur leur demande, si elles le consultent, c’est d’assumer la fidélité au mariage et au conjoint, même s’il n’est plus là, si on a été « plaqué » par lui. Mais aucune solitude ne peut être vécue si l’on est seul. Il y a beaucoup de solitudes. On peut vivre une situation de solitude d’abord avec le Seigneur, et avec des frères et sœurs qui nous soutiennent.  

    Il y a une certaine solitude dans le célibat du prêtre. Pas dans mon cas : comme beaucoup de confrères, je souffrirais plutôt du manque de solitude, mais certains souffrent aussi de solitudes. On ne peut la vivre positivement qu’avec le Seigneur et si vous aimez vos prêtres, d’une manière adaptée à leur situation de célibataires. Les prêtres ont besoin de votre affection, de votre soutien pour vivre positivement leur célibat sacerdotal, avec la compagnie de leurs confrères et celle du Seigneur.  C’est la même chose pour une personne qui se retrouve veuf, veuve ou célibataire sans l’avoir choisi, parce que la vie n’a pas présenté une âme sœur, ou séparé ou divorcé. On ne peut assumer cette solitude qu’avec le Seigneur dans la solitude de la croix. Jésus est mort dans la solitude, abandonné des hommes et abandonné, apparemment, de Dieu son Père. On ne peut vivre cette solitude qu’avec le soutien de frères et sœurs ou dans une communauté, sinon ce n’est pas tenable.

    Au synode, on a un peu parlé -on en reparlera certainement-  de la solution que l’on trouve dans une déclaration, une reconnaissance de nullité de mariage. Cela existe, bien sûr. Il y a 50.000 cas de déclaration de nullité de mariage chaque année dans l’Eglise catholique et il y en aurait plus, peut-être, si les gens étaient mieux informés. A ce propos, je vous le garantis, tous ne sont pas des princes de Monaco  et des gens fortunés qui paient cher leurs frais de procédure. Je suis heureux que le pape plaide pour la gratuité de toutes les causes de déclaration de nullité de mariage. Ce serait très bien : si c’est possible, car il y a aussi les avocats qui travaillent etc.  Une question qui se pose est de savoir s’il y a un lien entre la validité d’un mariage sacramentel  et la foi de ceux qui le contractent. C’est un problème très délicat, qui a été soulevé avec insistance par Benoît XVI, le premier pape qui a osé poser cette question. Je ne vais pas la traiter ici, c’est trop complexe. Mais, il y a des cas où on pourrait se demander, lorsque la foi fait presque totalement défaut, s’il y a eu un mariage vraiment valide.  Donc, je résume : l’Eglise n’annule jamais un mariage validement contracté et qui a été consommé non seulement dans le cœur mais dans la chair -jamais-  mais elle reconnait que, parfois, malgré les apparences, même si on a joué la marche de Mendelssohn à la fin de la célébration à l’église, le mariage n’était pas valide parce qu’un élément a manqué pour la validité de l’engagement.

    Concubinage et remariage

    J’ai déjà parlé un instant du soutien à apporter aux couples et aux personnes qui se retrouvent seules dans la vie. Je voudrais dire un mot  -cela reviendra peut-être dans les questions tout à l’heure- sur le fait que je suis partisan d’une pastorale très chaleureuse et proactive à l’égard des personnes qui se sont remariées civilement après un divorce civil ou qui vivent en concubinage. L’Eglise doit chercher le contact avec ces personnes, comprendre ce qui s’est passé dans leur vie et les aider à assumer leur situation, en conjoignant, comme le fait un psaume, amour et vérité.  

    Autrement dit, je décourage les pastorales qui font comme si cette nouvelle union civile ou ce concubinage étaient ou pouvaient être un mariage sacramentel : non. Et il ne faut pas faire des choses qui y ressemblent  car c’est autre chose. Oui, il y a, bien sûr, des éléments positifs qui se vivent mais ce ne sont pas des situations qu’il faut demander au Seigneur de bénir sacramentellement.

    Il n’y a que deux manières de répondre à ce que le Seigneur attend. Lorsqu’on se trouve dans une situation qui ne correspond pas à ce qu’il demande, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvions, pécheurs que nous sommes, il y a toujours un chemin de salut. Mais il n’y a que deux manières tout à fait  acceptables, comme chrétiens, de vivre cette situation  

    D’abord,  c’est de se dire : au fond, l’homme ou la femme avec qui je vis n’est pas mon conjoint dans le Seigneur puisque mon conjoint, avec lequel je suis marié sacramentellement, est toujours là. Je ne peux pas en avoir deux. Cette seconde union ne peut pas être un signe sacramentel de l’alliance nouvelle et éternelle.

    Alors, première solution possible : j’en tire les conséquences. Je suis un chrétien à part entière, je participe à l’Eucharistie mais au moment d’exprimer sacramentellement, publiquement, objectivement, l’alliance nouvelle et éternelle, librement je m’abstiens de poser le geste sacramentel, parce que celui-ci est un geste objectif que contredit publiquement ma situation objective d’alliance rompue. Et je connais des gens qui font cela en sachant pourquoi, qui le font par amour et qui, dans cette abstention même, communient à la personne du Seigneur avec une intensité qui souvent m’émeut. En voyant cela, je me dis qu’ils communient au Seigneur peut-être plus profondément que moi quand il m’arrive (le plus rarement possible) d’être distrait en communiant et de me rendre compte que j’ai communié au Corps du Seigneur en pensant à ce qui allait suivre dans l’heure prochaine. Et bien, cela, c’est une conclusion qu’on peut tirer : si elle est tirée avec amour, en ayant compris la profondeur de ce geste d’abstention, elle porte du fruit. J’en ai fait l’expérience chez toutes les personnes qui vivent cela.

    Il existe une autre voie possible, plus exceptionnelle et qui n’est pas recommandable sans une grande préparation, mais je la cite parce que cela existe  et je connais des couples qui ont en effet tiré cette conclusion : après une conversion, ils se sont dit voilà, je vis avec une personne qui n’est pas mon conjoint dans le Seigneur.  Je vais continuer de vivre avec cette personne,  car on ne peut pas se séparer, il y a les enfants etc., mais je vais vivre avec mon conjoint une amitié qui s’exprime autrement que si c’était ma femme ou mon mari, qui trouve une autre forme d’expression, une tendresse qui n’est pas typiquement conjugale. Mais pour cela, il faut être bien préparé, bien motivé.

    Être dans d’autres situations qui ne sont pas telles que le Seigneur et l’Eglise le demandent cela ne veut pas dire que l’on est abandonné. Quand je reçois des personnes que ne peuvent vivre aucune des deux choses  que j’ai évoquées, je vis avec ces personnes avec respect, car je suis aussi un pécheur et je vis avec elles un chemin de conversion, d’espérance et de supplication adressée à la miséricorde de Dieu dans ma vie. Cela peut aussi se vivre positivement.

    J’arrête ici, en attendant les questions qui, probablement, ne manqueront pas.

     

    L’ECHANGE

    Questions et réponses 

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    -Peut-on concevoir une bénédiction pour ceux qui ne sont pas prêts à vivre le sacrement de mariage ? 

    -La question rejoint ce que j’ai dit tout à l’heure en parlant d’étape, non pas dans le mariage mais vers le mariage sacramentel et, au fond, cela existe déjà sous la forme des fiançailles, même si ce n’est plus guère utilisé. Oui, c’est possible mais toujours en vue du mariage sacramentel. Il ne faut pas concevoir une bénédiction comme un terminus. Ce serait un chemin « vers » le mariage, parce qu’on ne se sent pas mûr pour un engagement plus radical, plus définitif. Comprise de la sorte, je serais assez favorable à une bénédiction non sacramentelle, pourvu que l’on aide ensuite à aller vers le mariage.

    -L’ Evangile selon saint Matthieu ne parle-t-il pas de répudiation possible pour motif de « porneia » ? 

    -Le sens du mot  « porneia », en grec,  est assez vague. Au synode j’ai appris du cardinal Ravasi, président du conseil pontifical de la culture, et en lisant des livres dans les moments creux, quel était l’accord du plus grand nombre d’exégètes sur l’expression « porneia » au chapitre 19 de l’évangile de saint Matthieu, quand celui-ci rapporte les paroles de Jésus à ce sujet. Cela vise les situations où, au fond, il n’y a pas de véritable union, notamment le cas d’inceste et d’autres cas d’union irrégulière : en fait, il n’y pas là matière à répudiation ou divorce parce que ce sont des cas où il n’existe pas d’union reconnaissable par la loi, déjà au temps de Jésus. Je ne suis pas exégète et je fais confiance à des gens qui le sont ou qui ont la réputation de l’être. Dans l'Orthodoxie, on a parfois compris cela autrement, comme visant l’adultère du conjoint mais l’interprétation la plus probable du texte de saint Matthieu c’est que cela permet de séparer une union qui n’en était pas une : un pur concubinage, de la prostitution ou une relation incestueuse. 

    -Comment concilier les positions de l’Eglise catholique et des Eglises orthodoxes à propos du divorce ? 

    -Au synode, on a entendu la position des Eglises orthodoxes disant, d’une part, que le mariage est indissoluble mais que, d’autre part, par l’application de l’économie (au sens de disposition) de la « miséricorde » on permet, avec une dimension pénitentielle, un second et même éventuellement un troisième remariage. Cela se fait après une décision où l’évêque doit intervenir en personne ou par des intermédiaires avec une sorte de tribunal qui évalue les situations. Je suis très ami avec le métropolite orthodoxe de Belgique,  Athenagoras  Peckstadt, comme je l’étais avec son prédécesseur Pantaleimon, mais je lui ai dit : pour moi, c’est une manière de faire comme si le mariage n’était pas indissoluble. On dit  qu’il est indissoluble mais on trouve un chemin pour permettre le remariage avec ce genre d’argument : l’amour n’est plus là, alors le mariage est comme mort. A mon sens cela revient à introduire une nouveauté par rapport à la parole de Jésus. On dit : je te serai fidèle en vertu d’un lien indissoluble sauf, par exemple, si tu commets l’adultère car, alors, je reprends mes billes. C’est plus raisonnable mais on n’a plus, je trouve, la folie de l’Evangile, laquelle, je le reconnais, est très exigeante. Je note aussi que cela pose un gros problème œcuménique  dans des Eglises comme celles de l’Ukraine ou de la Roumanie, par exemple, où on trouve, à la fois, des catholiques et des orthodoxes. Là, vous avez le cas de catholiques qui font un petit passage par l’orthodoxie, le temps de se remarier, et puis qui reviennent à l’Eglise catholique…

    -Quelle est la position de l’Eglise vis-à-vis des homosexuels qui souhaitent voir leur union bénie par l’Eglise ?

    - L’amitié est plus large que l’amour sous sa forme sexuelle et il y a un langage de la sexualité, non pas parce qu’on y parlerait nécessairement beaucoup mais parce que, par elle-même, elle dit l’union des époux et l’ouverture à la vie. J’ai peu parlé tout à l’heure de cette dimension de la sexualité : l’ouverture à la vie, la fécondité, l’importance des enfants. Je signale que le synode, dans son dernier paragraphe, a invité à une relecture positive, bienveillante et fructueuse de l’encyclique « Humanae vitae ». J’ai trouvé cela assez original et c’était proposé par des gens dont je ne me serais pas attendu à ce qu’ils fassent une publicité pour cette encyclique. Je ferme la parenthèse.

    Pour en revenir au langage, je trouve que si l’on emploie celui de la sexualité, il faut en respecter la grammaire. Quand je parle français, j’essaie de respecter la grammaire française, pas toujours mais alors je reconnais que je fais une faute. Quand je parle néerlandais, j’essaie de respecter la grammaire du néerlandais. Je n’y arrive pas toujours et je reconnais que je fais une faute parce que je ne respecte pas la grammaire de ce langage. Or, la grammaire de la sexualité, dans l’espèce humaine comme dans toute la nature, c’est la différenciation et la polarité du masculin et du féminin. Si l’on veut avoir des petits veaux, il faut tout de même avoir une vache et un taureau…ou un vétérinaire, enfin vous me comprenez ! La sexualité c’est, comme le nom l’indique : secare (couper), section, secteur, sexe, sécante : elle repose sur la polarité du masculin et du féminin.

    Je vous dis en résumé ce que je dis en une heure ou deux quand je rencontre des personnes dans ce cas. Quand j’ai été professeur à Louvain, j’ai tout de même consacré un certain nombre de soirées à accompagner des étudiants dans cette situation et je les ai aidés à comprendre que, comme chrétiens en tout cas, ils étaient invités et je les invitais  au nom du Seigneur à respecter, avec sa grâce, le langage de la sexualité. Et, s’ils aimaient une personne du même sexe, où il n’y a pas cette complémentarité que requiert la sexualité par sa définition même, je leur recommandais : eh bien, essaie de vivre dans la chasteté et si tu as un garçon, car c’était souvent des jeunes, que tu aimes beaucoup, vis avec lui une amitié, mais comme beaucoup de gens vivent une amitié. Moi, j’ai de l’amitié pour beaucoup de gens, hommes et femmes, je l’exprime affectivement mais pas sexuellement parce que ce n’est pas dans la manière dont je suis appelé à vivre la sexualité. Je la vis autrement, sur un autre registre. Donc, j’invitais ces personnes, avec patience, respect et délicatesse, à respecter le langage de la sexualité et à ne pas exprimer sexuellement leur amitié pour un autre homme, ou une autre femme dans le cas des filles, en découvrant que le langage affectif est plus large que le langage sexuel. Alors, quand on dit cela, tel que je viens de le résumer, cela fait un beau titre dans les journaux, mais quand on prend le temps, quand c’est dit avec respect, c’est autre chose.

    J’ai été touché, même si je ne l’ai pas entendu mais lu, par le  témoignage d’un homosexuel chrétien, Philippe Ariño, si j’ai bon souvenir, qui au nom de son expérience –il a vécu dans l’homosexualité- dit non, ce n’était pas juste et, avec respect, il dit à tous ceux qui, sans l’avoir choisie, ont cette orientation : ne vous engagez pas dans cette voie-là.  Mais il faut une forte motivation pour cela, comme il faut aussi parfois une forte motivation chez un homme marié avec une femme pour résister aux attraits d’une autre femme, ou d’un autre homme. Il faut aussi savoir exprimer l’amitié sur un registre autre que le registre sexuel.

    C’est une erreur, sur le plan social et sur le plan chrétien, de vouloir instituer la relation homosexuelle comme si c’était un mariage. C’est, je pense,  une erreur politique et sociale. Qu’on reconnaisse une forme de partenariat pour deux hommes qui vivent ensemble ou deux femmes qui vivent ensemble, comme une mère et sa fille ou une dame et sa gouvernante, dans le but d’assurer une sécurité  patrimoniale, économique ou de logement, cela je peux le comprendre mais nous ne devons pas, je pense, instituer sur le plan civil un mariage homosexuel et, au synode, je pense que tout le monde était d’accord là-dessus. Et nous ne devons pas non plus effectuer une sorte de reconnaissance ecclésiale de cet état de vie. Cela ne me parait pas correct. Maintenant, si l’Esprit-Saint pense autrement, eh bien, qu’il en convainque le synode prochain, mais je doute fort du succès de l’opération. A long terme, tout ce mouvement inspiré par la théorie du « genre » -qui dissocie totalement la culture sexuelle de la sexualité physique, corporelle- est pernicieux : c’est une nouvelle forme de dualisme, comme s’il y avait une identité sexuelle au niveau de la volonté qui soit déconnectée de ce que nous sommes par notre physique, notre incarnation.

    Je dis ceci avec beaucoup de respect des personnes, en excluant toutes les formes de moquerie, de discrimination injuste. Mais ce n’est pas une discrimination injuste de dire qu’on ne marie pas deux femmes ensemble ou deux hommes ensemble : ce n’est pas une discrimination injuste parce que les situations sont objectivement différentes.

    -Comment sanctifier son époux dans le mariage, en agissant dans la vérité de la foi ?  

    -C’est une chose dont saint Paul a parlé lorsqu’il disait à des chrétiens convertis alors que leur conjoint était païen : ne quitte pas celui-ci parce que peut-être bien que, par ton exemple, tu vas être l’instrument de sa sanctification et de sa conversion. Et c’est une réalité que j’ai souvent vécue par expérience, en rencontrant des couples où un homme a beaucoup contribué à la croissance spirituelle  de sa femme et inversement. L’inverse et même un peu plus fréquent. 

    Je suis très heureux que, grâce au concile Vatican II, on ait envisagé le sacrement de mariage comme un lieu de sanctification. Longtemps l’Eglise a considéré le mariage seulement comme un contrat que le Seigneur bénit, mais sans en faire un lieu de salut et de sanctification. L’apport de ce regard est un bel acquis personnaliste de la conception du mariage prônée par ce concile. C’est un lieu de sanctification. Je le dis en pensant à vous qui êtes mariés : le Seigneur s’est uni à votre couple -vous faites un couple à trois, je parlerai plus loin des enfants- et là, je rejoins une autre question : il ne fera jamais défaut. Vous pourrez toujours compter sur la grâce de votre sacrement.

    Nous allons avoir enfin, même si c’est encore un peu exceptionnel, un couple qui va être canonisé : les parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Et un autre couple est en piste. C’est une bonne chose qu’on puisse canoniser des couples, non pas l’homme et la femme séparément mais ensemble.

    -Pouvez-vous dire quelque chose de la famille comme lieu d’accueil de la vocation d’un enfant à la vie consacrée ? 

    -Pour avoir des vocations sacerdotales et religieuses, il faut d’abord des familles. Jadis, la famille était le lieu, avec la paroisse, l’école et les mouvements de jeunesse, où naissaient les vocations. Souvent aujourd’hui, le Seigneur doit s’organiser autrement pour « pêcher à la ligne ». Il doit trouver d’autres moyens. Mais les familles devraient être un lieu où les vocations peuvent naître. Si on s’aime dans le Seigneur, on s’aime d’autant plus l’un et l’autre que l’on aime le Seigneur par-dessus tout. C’est un paradoxe : plus deux époux aiment le Seigneur par-dessus tout, plus ils s’aiment profondément entre eux. Dès lors que le Seigneur occupe la première place  dans la vie du couple et de la famille, ceci ouvre évidemment la possibilité à ce qu’Il puisse appeler l’un des enfants à la vie consacrée ou au sacerdoce. 

    -Vous avez beaucoup et bien parlé du couple, mais moins de la famille et comment peut-on parler de la famille sans évoquer les enfants ?

    -J’ai beaucoup parlé tout à l’heure du couple. J’aurais du parler aussi, mais on ne peut pas tout faire en l’espace de trois-quarts d’heure, de l’autre dimension du mariage. Dans le mariage et dans la sexualité comme telle, il y a une dimension d’union et une dimension d’ouverture à la vie. Et là, nous avons  effectivement, en Occident, à redécouvrir  cela.  Les enfants sont d’abord  une richesse en eux-mêmes. Donner la vie à un enfant, c’est donner  à un nouvel être humain la chance d’exister dans le temps et dans l’éternité. Quand, à la sortie des messes, je salue les gens et je vois parfois une femme manifestement enceinte ou bien une maman, avec le père qui est là aussi, mais avec trois, quatre ou cinq enfants parfois, je dis familièrement à ces personnes : eh bien, ma fille, tu as fait un bel investissement. Tous les autres investissements que l’on peut faire, surtout en temps de crise économique, sont un peu précaires, mais là, tu as fait un investissement pour le temps et pour l’éternité et on se réjouit qu’ils existent, qu’ils participent à cette fabuleuse aventure dans le temps et pour l’éternité. Et puis, ils sont l’expression même de la beauté de l’amour de l’homme et de la femme. Ils sont l’incarnation de cet amour, l’expression de cet amour et il y a là aussi une image trinitaire, à l’image de Dieu.

    J’ai été heureux qu’au synode des voix se soient élevées pour dire : nous devons rappeler cela et nous devons relire « Humanae Vitae » et y voir son appel prophétique à une parenté responsable. Il ne s’agit pas d’avoir autant d’enfants qu’il est biologiquement possible d’en concevoir. Le pape a invité (je le faisais aussi parfois dans mes causeries, mais pas dans des interviews télévisées) à ne pas proliférer comme des lapins. C’est ce que disait Paul VI, dans un langage plus châtié, en invitant à la parenté responsable. C’est au couple de décider, généreusement, du nombre d’enfants qu’il peut ou ne peut pas avoir, selon les circonstances. Mais en Occident, on est globalement un peu en panne : nous survivons grâce à l’immigration. Aucun pays européen, surtout si on fait la soustraction de l’apport de l’immigration, n’atteint le taux nécessaire pour le simple maintien de la population : nous avons donc des sociétés vieillissantes, grisonnantes, respectables mais qui ne font pas assez confiance à la vie.

    Il y a donc eu un appel à relire honnêtement l’encyclique « Humanae Vitae » dont l’idée centrale est que le lien, non seulement physiologique et biologique mais psychologique et spirituel entre les époux -leur union spirituelle et charnelle- et le don de la vie est un lien très profond dont nous sommes les gardiens responsables mais non pas les maîtres et seigneurs : c’est cela l’idée maitresse de l’encyclique, alors que l’idée principalement véhiculée aujourd’hui c’est que nous sommes des maîtres et seigneurs. Nous déconnectons les deux aspects l’un de l’autre : d’une part, la sexualité pour elle-même, sans ouverture à la vie ou avec une ouverture à la vie minimale et, d’autre part, la procréation, une reproduction sans lien avec l’amour incarné des époux.  Or, il y a les deux et cette déconnexion représente un risque  sur le plan de la perception de l’humanité.

    Avec pas mal d’autres, comme je l’ai fait souvent dans ma vie et dans un de mes livres que j’ai apporté ici, je suis prêt à plaider pour une relecture d’ « Humanae Vitae » à la lumière de ce que Jean-Paul II a apporté comme amélioration de la présentation, pour faire saisir la beauté d’une parenté responsable non contraceptive : aussi fiable que la contraception mais qui ne déconnecte pas les deux aspects et se comporte  comme le gardien responsable  de ce lien : d’une manière efficace, pour avoir des enfants quand on le veut et aux moments les plus favorables pour en avoir, et ne pas en avoir quand il vaut mieux d’éviter une grossesse, mais cela sans déconnecter les deux dimensions. L’enjeu est spirituel. Il n’est pas de respecter les rythmes biologiques comme tels, non, l’enjeu est d’ordre spirituel : c’est l’attitude qu’on doit avoir vis-à-vis de ce lien.

    De plus, mais je ne peux pas être trop long sur le sujet, ce comportement met l’homme et la femme à égalité. La contraception a été vécue, et je le comprends, par beaucoup de femmes comme une libération par rapport à des grossesses imposées, non désirées, mais c’était tout de même lié à une servitude, car, qui pratique la contraception ? Ce n’est pas monsieur.  La plupart du temps, c’est madame, qui est soumise à une tutelle pharmaceutique, hormonale, pendant des années de sa vie, avec les conséquences connues et inconnues de cette perturbation durable des rythmes profonds sur les plans biologique et psychologique. La parenté responsable, comme la présentent « Humanae Vitae », Jean-Paul II et d’autres à leur suite, met la femme à égalité, suppose qu’on se parle, qu’on se respecte, qu’on se connaisse, que l’homme connaisse comment fonctionne son épouse et l’épouse comment fonctionne son mari. C’est moins facile évidemment que d’absorber des hormones.

    -Quid du  « tsunami » de l’idéologie du « gender » ?

    -C’est la transposition sur le plan de la sexualité des formes les plus exacerbées d’un idéalisme absolu et d’un existentialisme radical, consistant à dire je suis ce que je décide d’être : l’existentialisme sartrien à l’état pur, ou une version existentielle de l’idéalisme absolu : je me crée moi-même. Eh bien, à terme cela ne marche pas. Un jeune philosophe belge, Drieu Godfridi,  a publié un petit bouquin sur la théorie du genre, avec un humour féroce à l’égard de Judith Butler, mais il a  admirablement démonté, décortiqué cette théorie qui est la transposition à la sexualité d’un existentialisme échevelé : je suis ce que je décide d’être. Peu importe ce qu’est mon corps. C’est moi qui décide si je suis du genre (un mot qui n’a plus rien à voir avec le sexe, le même qu’en grammaire ou en logique) masculin ou féminin, suivant ma décision. C’est purement culturel. Cachez ce sexe que je ne saurais voir : c’est un peu la définition de la théorie du genre. 

    -Est-il vrai qu’après la mort d’un conjoint la grâce de ce sacrement n’existe plus sur cette terre ? 

    -Il est vrai que le mariage est dissout par la mort du conjoint et que cela ouvre la porte à un éventuel remariage sacramentel. Saint Paul a néanmoins exprimé une préférence pour que l’on reste fidèle à son conjoint décédé, mais il n’interdisait pas les secondes noces et l’Eglise ne les interdit certainement pas.

    Donc, il est vrai que la mort permet un remariage. Mais, j’admire les gens qui, comme ma propre mère, sans exclure ceux qui se remarient, font le choix de la fidélité parce que quelque chose restera du mariage terrestre dans la vie éternelle.

    Jésus dit clairement qu’au ciel on ne doit plus se marier, prendre homme ou prendre femme, parce qu’on est alors aussi immortel que les anges et on n’a plus à  conjurer la mort  par la reproduction. D’après ce que Jésus laisse entendre, il y a une sexualité génitale et reproductive qui n’aura plus sa place dans la vie éternelle mais, pour ceux qui ont été unis ici bas par le mariage, il en restera quelque chose, même s’il ne faut pas tomber dans la casuistique des sadducéens qui demandaient : si vous avez collectionné les veuvages et vous êtes remarié après chacun d’eux, de qui serez-vous le mari ou l’épouse ? C’est une question qui n’a aucune pertinence.

    -Qu’en est-il, en Belgique, des consultations préparatoires au synode ? Comment éviter les divisions, parfois très dures, que provoque tout débat de fond ? Pourquoi les évêques africains sont-ils les seuls qui soient encore prophétiques : « sel de la terre » et « signe de contradiction » ? 

    -Dans la consultation qui va avoir lieu pour le synode ordinaire d’octobre 2015, quelque quarante-huit questions sont posées. L’évêque de Liège, Jean-Pierre Delville, les a fait parvenir, je pense, à tous nos évêques mais, lors d’une rencontre récente, il nous a fait part de celles qui lui paraissent les meilleures à traiter dans des groupes de réflexion. A côté de questions auxquelles seules les conférences épiscopales peuvent répondre, il en a repéré vingt et une qu’il est prêt, je pense, à diffuser et devraient être discutées prioritairement parce qu’elles se réfèrent à l’expérience que vivent les gens.

    Lors du synode extraordinaire d’octobre dernier, des voix se sont fait entendre auxquelles un relief particulier a été donné pour des raisons médiatiques alors qu’objectivement elles n’étaient pas le fait de très nombreux Pères. Elles étaient aussi très situées géographiquement. A la suite des petits remous qu’il y a eu pendant ce synode et du remodelage du texte final, j’espère qu’il y aura une réaction de santé, qu’il y aura, à côté des évêques latino-américains, asiatiques ou africains qui ont déjà fait entendre leur voix, d’autres évêques qui le feront : non pas pour supprimer tout débat mais parce qu’il y a des questions sur lesquelles, je pense, on ne va pas pouvoir s’orienter autrement, parce que la réponse est liée à la substance même de la foi chrétienne concernant l’amour, la sexualité, le mariage, la famille, les enfants. Il y a des points sur lesquels le magistère de l’Eglise est constant et il est impensable qu’on fasse tout à coup volte-face.

    Cela ne veut pas dire qu’on se contente de dire aux gens : c’est comme cela. Non, il faut toute une pastorale d’accompagnement, qui permette de comprendre, de saisir les enjeux en profondeur et pas seulement sous forme de slogans : cela rejoint ce qu’un synode doit faire et c’est, je l’espère, ce que fera le prochain synode, en évitant les pièges médiatiques qui focalisent indûment l’attention sur quelques points, très important en Occident, beaucoup moins importants dans d’autres pays et ceci renforce la nécessité d’une formation, soulignées par beaucoup de questions.  

    -Comment expliquer le discours laxiste de nombreux prêtres en ces matières ? Que dire aussi de l’enseignement à l’école ? Qui va s’occuper de la pastorale des couples, alors qu’il y a déjà pénurie dans le clergé ? 

    -La prédication chrétienne sur ces questions est très déficiente. Beaucoup de prêtres me disent : depuis des années, je n’ai jamais pu toucher à ces problèmes de morale conjugale dans une prédication : silence total. Les gens sont renvoyés simplement à leurs questions, leur expérience, à ce qu’ils entendent et à ce qu’ils lisent. Mais, il y a un manque de parole sur ces problèmes. 

    Personnellement, pour ne pas toujours devoir revenir  sur les mêmes questions, j’ai écrit deux livres (c’est ainsi que je passe mes vacances). J’en ai écrit un lorsque j’étais encore professeur à Louvain et je  l’ai retravaillé ensuite. Il s’appelle  « Ton corps pour aimer : la morale sexuelle expliquée aux jeunes ».Mais ce qui est expliqué pour les jeunes de manière très simple, d’ordinaire les adultes peuvent le comprendre également. C’est publié aux éditions Mame/Edifa et cela fait partie de mon enseignement : je ne peux pas toujours répondre de longues lettres aux questions que les gens me posent et je me permets d’y renvoyer. L’autre concerne la préparation au mariage, les exigences du mariage chrétien et ses échecs également. Je l’ai écrit avec le peu de culture que j’ai mais surtout avec le cœur et l’expérience, parfois dans les larmes. Ce livre s’appelle : « L’Eglise vous aime : un chemin d’espérance pour les séparés, divorcés, remariés » et il est publié aux éditions de l’Emmanuel.

    Après ce moment de publicité gratuite, j’ajoute que vous avez raison de poser des questions sur la formation. Il y a des mouvements, des communautés qui font cela très bien, de manière très exigeante. Je ne vais pas citer de noms mais je pense que vous les connaissez : exigeantes mais, en même temps, aimables, exigeantes mais chaleureuses, attirantes. Les gens sont peut-être venus avec des pieds de plomb aux rencontres qu’ils organisent mais ils repartent heureux, joyeux d’avoir fait la démarche et prêts à faire de la « pub » auprès d’autres. Tout ce qui peut se faire dans ces formations, en paroisse ou dans un diocèse et tous les lieux qui préparent au mariage, c’est du pain bénit.

    Toujours, il faut l’amour et la vérité. L’amour sans la vérité flatte les gens mais cela ne les construit pas et la vérité sans l’amour les détruit, les écrase et ce n’est pas bon non plus. Tout l’art dans ces formations, c’est de conjuguer les deux : le cœur et la vérité, avec cela je pense qu’on peut aller loin ».

    JPSC

  • La famille en débat à l’Université de Liège (ULg). Nature et culture : l’équivoque freudo-marxiste

     

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    Invitation  

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    La famille, nature et culture : l’équivoque freudo-marxiste

    Lunch débat à l’Université de Liège, le mercredi 4 mars 2015 à 18h00  

    Famille, solution ou problème ? Après le succès de la rencontre organisée le 28 janvier dernier avec Mgr André-Joseph Léonard, l’Union des étudiants catholiques de Liège et le Groupe Ethique sociale accueillent à l’Ulg, le mercredi 4 mars 2015 à 18hPaolo Sorbi, professeur à l’Università Europea de Rome. Réponse, cette fois, d’un sociologue catholique italien qui avait adhéré à l’idéologie marxiste dans les années ’60  et redécouvrit les valeurs sociales chrétiennes et de la famille naturelle, à la lumière de ses affinités intellectuelles avec le magistère de Benoît XVI .

    PROGRAMME 

    « La famille, nature et culture : l’équivoque freudo-marxiste », 

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    par le sociologue Paolo Sorbi

    professeur ordinaire à l’Università Europea de Rome

                
    Apéritif à 18h00
    Exposé suivi du lunch-débat de 18h15 à 20h30 

    La rencontre se tient à la salle des professeurs dans le bâtiment du Rectorat (photo) de l’Université de Liège, place du XX août, 7, 1er étage (accès par la grande entrée : parcours fléché). 

    Participation aux frais : 10 € (à régler sur place); 2 € pour les étudiants 

    Inscription nécessaire au plus tard le 27 février 2015:

    soit par téléphone : 04 344 10 89 (de l’étranger +32.4.344.10.89)
    soit par email : info@ethiquesociale.org
    soit via le site internet : http://www.ethiquesociale.org/conference/la-famille-nature-et-culture-lequivoque-freudo-marxiste/

      

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    Paolo Sorbi : de Marx à Ratzinger

    Extrait de l’interview accordée par Paolo Sorbi à l’Agence Zenit (2013): 

    « […]  la vie du sociologue italien Paolo Sorbi se définit comme « une révolution » continue, passée à courir derrière de grands idéaux fondant l’humanité, « conquis » à travers les protestations de 68 ou les doctrines sociales de l’Eglise catholique. Et aujourd’hui encore, après avoir quitté l'negagement militant, et s’être « assagi », il continue à se faire entendre, « s’exprimant librement sur la situation politique et sociale de l’Italie et du monde aujourd’hui.

    Paolo Sorbi fait partie du mouvement italien appelé avec humour par un quotidien « marxistes ratzingeriens », dont les membres sont tous des «  convertis »  à la « vision anthropologique » du pape Benoît XVI, en faveur de la défense de la vie « depuis la conception jusqu’à la mort naturelle » et du mariage comme union entre un  homme et une femme.

    Il donne ici son diagnostic sur les prochaines élections politiques en Italie mais aussi sur la « Manif pour Tous » organisée dimanche dernier, 13 janvier, à Paris et dans de nombreuses villes du monde.

    Zenit – Plus de 800.000 personnes sont descendues dans la rue dimanche, à Paris, pour manifester « contre » le projet de loi du gouvernement de M. Hollande sur le mariage entre personnes du même sexe et l’adoption d'enfants. En tant qu’expert des mouvements collectifs, quel est votre regard sur cet événement ?

    Paolo Sorbi – Je trouve très original le fait qu’une grande manifestation pour des idéaux ou des valeurs émerge d’une situation européenne en grande dépression sociale (…). Cette manifestation est en fait une bouffée d’air, avant tout par l’importance du nombre des participants, mais aussi par l’originalité de la participation laïque, non homophobe et anti-radicale, c’est-à-dire contre une proposition sans valeurs issue du parti socialiste. C’est un événement très positif aussi parce qu’y participent des mouvements homosexuels qui ne veulent rien savoir du mariage gay - qui est d’ailleurs une contradiction de termes – sans compter de nombreuses forces laïques et environ 27 représentants du parti socialiste qui n’acceptent pas « les yeux fermés » cette proposition nihiliste. Enfin, la forte présence de musulmans, a été très manifeste, de même que la communauté juive, en la présence du grand Rabbin de France, Gilles Bernheim.

    Ce dernier point confirme qu’il ne s’agit pas d’une protestation « pieuse » des catholiques, comme le suggèrent de nombreux media, mais qu’il s’agit de l’affirmation de valeurs universelles qui vont au-delà des croyances de chacun ? 

    Certainement. La Manif pour tous se déroule sur un plan laïque et rationnel, où le discours catholique n’entre pas en ligne de compte. Les catholiques y sont présents en tant que citoyens et hommes de bonne volonté, et de même pour les musulmans, les juifs, etc. Les valeurs en question ne sont pas exclusives de la foi ou de la religion d’appartenance, mais elles ont un caractère anthropologique et humain. Il y a toute une instrumentalisation de la culture majoritaire, répandue en Europe, de type radical-nihiliste, c’est-à-dire sans valeurs. Nous devons comprendre que nous sommes une minorité au-delà des 800.000 participants, qui est un chiffre élevé pour une manifestation, mais pas pour des élections ou des votes (…).

    Je reviens sur une expression que vous venez d’utiliser : « le mariage gay est une contradiction de termes ». Que voulez-vous dire ?

    Je veux dire que si deux personnes homosexuelles veulent avoir une vie en commun, c’est tout-à-fait légitime, même si, personnellement, je ne suis pas d’accord parce que je ne partage pas l’idée de l’homosexualité. Mais importer cela dans le mariage, vraiment, non ! C’est une contradiction dans la mesure où il est prévu, en France aussi, qu’un mariage ne soit pas entre le « géniteur 1 » et le « géniteur 2 », comme l’indique le projet de loi, mais qu’il soit composé d’un homme et d’une femme en vue de la procréation. Et, toujours en France, le droit civil souligne très bien cela. C’est un principe naturel qui ne doit pas être déformé par des projets et des désirs d’une communauté minoritaire comme la communauté homosexuelle. 

    Comment expliquez-vous le récent jugement de la Cour de cassation italienne, qui a établi qu’un mineur peut grandir de manière équilibrée, même dans une famille homoparentale ?

    Nous expliquons cela comme de l’irrationalisme et une mauvaise interprétation des recherches et des sondages de la part des magistrats qui, comme tout le monde, peuvent se tromper. J’estime beaucoup la magistrature italienne, mais dans ce cas-ci, je crois qu’il s’agit vraiment d’une énorme « bourde » juridique.

    En ce qui concerne les élections du mois prochain, en Italie, nombreux sont les catholiques qui regardent le panorama que leur offre la politique italienne et qui se sentent « désorientés ». A votre avis, sur la base de quels critères un catholique devrait-il voter ? 

    Liberté de conscience ! Un catholique doit faire un discours d’identité publique, non intégriste, mais à partir de son identité de chrétien. Les critères sont subjectifs, le chrétien doit faire une médiation… Je ne suis pas d’accord, et je ne l’ai jamais été, avec l’unité politique des catholiques ; en revanche je partage pleinement l’idée qu’ils soient répartis sur tous les fronts.

    Vous faites partie du fameux groupe des « marxistes-ratzingériens ». De quoi s’agit-il précisément ?

    Expliquons tout d’abord que ceci est une étiquette sympathique de « marketing politique » que nous a collée le Corriere della Sera, mais qui ne reflète pas la réalité. Nous sommes un groupe composé de quatre personnes : moi-même et les professeurs Tronti, Vacca et Barcellona, tous issus du parti communiste et qui ont témoigné – trois en tant que non-croyants et moi-même en tant que croyant – le primat de la personne humaine depuis toujours, même dans les décennies pendant lesquelles j’étais un militant actif. On nous appelle « ratzingériens » parce que nous estimons (personnellement, pour des raisons de foi, mes amis par grand respect) l’élaboration doctrinale et anthropologique de Joseph Ratzinger.

    Nous pensons, en particulier, que le rapport entre foi et raison, élaboré par ce grand intellectuel européen qu’est le Saint-Père, tout comme les réflexions sur l’actualité de la crise économique qu’il a formulées dans Caritas in veritate, sont une contribution fondamentale aux perspectives futures de l’humanité et de la nouvelle évangélisation […] ».

     Salvatore Cernuzio

    Traduction d'Hélène Ginabat, avec Isabelle Cousturié 

    Zenit.org