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Réflexion faite - Page 55

  • Ecologie: ne pas tomber dans une vision irréelle de la création


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    Ecologie : ne pas tomber dans une vision irréelle de la création

    IStFrancoisdassisevers11811226iconebyzantine1.jpgBien avant Jean-Jacques Rousseau, saint François d’Assise a répandu une conception très optimiste de la création. Interrogé, voici quelque temps par l’hebdomadaire « Le Vif », sur cet aspect de la figure charismatique de François, Monseigneur Léonard avait fait remarquer à son interlocuteur, en citant saint Paul (Epitre aux Romains, 8,8), que la création, dans son état présent, est assujettie à la vanité et livrée à l'esclavage de la corruption. « N'oublions jamais cela », ajoutait-il : « François chante la beauté de la création, alors qu'elle est effroyablement cruelle. La création nous nourrit, mais elle nous tue. Elle contient tous les virus qui nous empoisonnent la vie. Je n'aime pas cet esprit franciscain béat qui célèbre sans nuance la beauté du cosmos. » 

    Cet été, une chaîne de télévision française passait un reportage impressionnant sur les Virunga, une chaîne de montagnes et de volcans située entre le lac Edouard et le lac Kivu, le long de la frontière entre le Congo, le Rwanda et l’Ouganda.Dans cette jungle humide, sanctuaire cynégétique des pygmées batwa, la faune et la flore sont magnifiques. Du  gorille au babouin, une étonnante variété de singes l’occupe aussi. Elle ne se contente pas, comme on pourrait croire, d’y mâcher  gentiment des herbes ou des feuilles : on voit des chimpanzés carnivores faire la guerre à d’autres tribus simiesques et la conclure en dévorant leurs congénères ennemis vaincus. Et dans l’ancien parc national Albert, le Nyiragongo domine  le lac Kivu. A 3.500 mètres d'altitude au sommet de ce volcan, le spectacle du lac de lave au fond du cratère est toujours aussi fascinant. L’ennui c’est que cette lave bouillonnante se transforme quelquefois en une rivière incandescente qui déverse, à l’allure exceptionnelle de 100 km/heure, son magma brûlant dans les villages  jusqu’à Goma, la ville la plus proche, située au bord du lac Kivu : une masse d’eau (superficie 2.700 km2, volume 500 km3) sous laquelle on a découvert, piégés en  profondeur, l’existence de milliards de m³ de gaz méthane d’origine biogénique récente. Si la lave devait  entrer en contact avec ce méthane, le cocktail provoquerait une gigantesque explosion meurtrière qui ruinerait aussi pour longtemps l’écosystème d’une des régions les plus peuplées d’Afrique de l’Est.

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    Ces deux exemples, parmi bien d’autres, illustrent l’ambiguïté de l’état transitoire du monde dans lequel se trouve la création depuis la chute originelle. La pertinence relative de la « franciscomania » qui s’agite autour de la récente encyclique papale sur l’écologie, intitulée « Laudato si » (l’incipit du cantique de François  d’Assise sur les créatures), m’ont remis en mémoire un excellent texte de Monseigneur Léonard situant chaque chose à sa juste place. Il est  extrait de « Agir en chrétien dans sa vie et dans le monde » (Editions Fidélité, Namur, 2011), un petit ouvrage remarquable publié en 2011, aux Editions Fidélité. Notre archevêque y traite (entre autres) de l’écologie : avec un réalisme, une  concision et une clarté qui exclut toute forme d’idolâtrie de la nature ou de notre « mère » la terre. Cela s’intitule : « agir en chrétien pour la sauvegarde de la création. Nécessité d’une révolution métaphysique » (JPS) :

    Agir en chrétien pour la sauvegarde de la création

    9782873565091.jpg « Je n’entrerai pas ici dans les questions controversées, parfois excessivement idéologiques, concernant le réchauffement climatique. Je me limite à un constat qui fait globalement l’unanimité : à plusieurs égards, la terre est en danger. L’humanité est en danger. Parce que, dans la course au profit immédiat et la recherche du confort à tout prix, les pays riches et les pays émergents saccagent la planète bleue. Nous en sommes tous complices. Tous, nous avons interprété, plus ou moins consciemment, le verset de la Genèse : « Emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1,28) comme s’il nous invitait à une tyrannie ignorante de tout respect. Maltraité, l’univers aujourd’hui se venge et malmène ses agresseurs. Il est grand temps de revoir, de fond en comble, notre relation à la création. Et nous ne sommes probablement qu’au début des problèmes. Les ressources pétrolières seront épuisées à moyen, peut-être même à court terme. Les recherches théoriques et pratiques concernant la production d’une énergie nucléaire sûre et propre ont pris du retard. La question de l’eau va devenir à brève échéance gravissime. Sans compter que les pénuries imminentes en fait d’énergie et d’eau risquent d’alimenter des conflits internationaux. La problématique écologique est trop importante pour être seulement un thème électoral, même si les remèdes à la situation périlleuse d’aujourd’hui doivent passer, de toute évidence, par l’action politique à tous les niveaux. Comme souvent, la charité effective passe par la politique. Mais, à plus long terme, l’attitude écologique suppose une révision fondamentale de notre rapport au monde.

    La sauvegarde de la planète ne se réalisera pas sans une révolution métaphysique, celle qui concerne notre conception de la création et de notre rapport au monde. Sur ce point aussi, les chrétiens ont à être les témoins actifs de l’espérance. Quant à la sauvegarde de la planète, les chrétiens ont toutes les raisons de s’y investir puisque leur sens de la création leur donne, à la fois, un sens juste du monde et de la place de l’homme en son sein. Cela se reflète dans l'équilibre de l’anthropologie chrétienne. Celle-ci, en effet, insère humblement l’homme dans l’universalité du cosmos et, conjointement, souligne la transcendance de l’homme par rapport à la nature, en tant qu’il est créé à l’image de Dieu. Pour l’anthropologie chrétienne, l’homme ne sera jamais simplement ni le seigneur de la nature, son « maître et possesseur », comme disait Descartes, ni un « prédateur » qui, par principe, la menace. Reconnaissons que cet équilibre est parfois compromis aujourd’hui par les conceptions antihumanistes du Nouvel Âge, comme c’est le cas dans la « Charte de la Terre » promue par l'ONU. Selon l’authentique vision chrétienne, l’homme est plutôt « le berger » de la création. Il est la lumière en laquelle l’univers matériel accède à la conscience de soi. L’homme est la lumière créée de la création visible. C’est pourquoi il en est le berger. Mais il n’est le berger de la création qu’en étant le serviteur éclairé de sa beauté et le gardien de son mystère. Nous sommes souvent loin du compte. Et c’est redoutable. Dans le combat pour une écologie respectueuse de l’environnement, les chrétiens seront aussi sensibles à l’importance d’une « écologie humaine », selon une expression chère à Benoît XVI, et d’un regard qui s’élargit aux dimensions de toute la création. L’engagement chrétien pour une écologie humaine et réaliste En raison de l’humanisme qui habite la foi chrétienne et du vaste regard qu’elle porte sur la destinée eschatologique de la création, les chrétiens auront à veiller à ce que le souci écologique de la sauvegarde de la terre inclue aussi l’espèce humaine, menacée d’extinction, à moyen terme, en Occident, et, à long terme, sur toute la planète, sous la triple pression de la contraception, de la stérilisation et de l’avortement systématiques. Le respect des glaciers, des arbres, des oiseaux et des phoques est vital, mais il doit s’étendre aux petits d’homme dans le sein maternel. Le souci écologique ne peut rester muet devant le fait que, chaque année dans le monde, des dizaines et des dizaines de millions d'enfants passent à la poubelle. Il serait gravissime de ne voir en eux que de dangereux prédateurs potentiels de la planète. Le fait que nous soyons déjà nés ne justifie pas notre indifférence à l'égard de leur sort.

    Notre position de chrétiens face à la problématique de la sauvegarde de la création sera d’autant plus audacieuse et équilibrée qu’une espérance folle nous habite quant à l’avenir ultime du cosmos. Nous croyons que celui-ci est destiné à la gloire depuis que Dieu a ressuscité Jésus d’entre les morts, inaugurant en lui des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Corrélativement, nous posons un regard réaliste sur la création dans son état présent, où elle est « assujettie à la vanité » (cf. Rm 8,20-22). Elle garde, certes, la marque foncière de sa beauté originelle et elle est traversée par les douleurs d’un enfantement plein d’espérance. Mais cela ne l’empêche pas d’être gravement blessée. Il nous faut donc respecter et aimer la création dans son état présent, mais sans l’idolâtrer, et avec réalisme, conscients de sa beauté foncière, confiants dans sa transfiguration à venir, mais lucides sur sa déchéance actuelle qui n’est pas entièrement surmontable ici-bas. Car le respect le plus rigoureux de la création physique et de l’homme n’empêchera jamais les échecs, les impasses, la souffrance, le vieillissement et la mort, typiques de l'univers déchu. Merci au Seigneur et à l’Église de nous permettre ce regard de foi sur les cieux qui chantent la gloire de Dieu, ce regard réaliste sur la création livrée, durant toute l’histoire, à la servitude de la corruption, et ce regard d’espérance sur un monde nouveau ! Le souci de l’environnement traduit, à l’intérieur de l’histoire, ce respect d’une terre où habite la justice. 

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    En conclusion, je donne la parole à Benoît XVI, si préoccupé par la problématique environnementale : « L’Église a une responsabilité envers la création et doit la faire valoir publiquement aussi. Ce faisant, elle doit préserver non seulement la terre, l’eau et l’air comme dons de la création appartenant à tous, elle doit aussi protéger l’homme de sa propre destruction. Une sorte d’écologie de l’homme, comprise de manière juste, est nécessaire. La dégradation de l’environnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine : quand l’« écologie humaine » est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage ». (…) Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne humaine considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres » (encyclique Caritas in veritate, § 51). »

    Ref. : Mgr A.-J. Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles

    http://info.catho.be/wp-content/uploads/2014/09/12_agir_en_chretien_pour_la_sauvegarde_e_de_la_creation_fr.pdf

    JPSC 

  • La merveilleuse homélie posthume d'un père jésuite pour ses funérailles

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    La merveilleuse homélie posthume d'un père jésuite pour ses funérailles

     

    Tombeau-vide.jpgEn publiant son texte posthume, le blog « Belgicatho » présente ainsi la figure attachante de l’auteur :  «  le père Philippe Deschuyteneer, décédé le 9 août dernier, a été le formateur apprécié de nombreuses générations de rhétoriciens au Collège Saint-Michel à Bruxelles et, précédemment, au Collège Saint-Servais à Liège et aussi à Tournai et à Bujumbura. Personnalité forte aux emportements légendaires, il a marqué ses élèves par la profondeur de son enseignement et la chaleur de sa foi. Il a composé lui-même l'homélie de ses funérailles dont vous trouverez le texte ci-dessous. C'est un témoignage impressionnant où nous le retrouvons égal à lui-même dans toute la vivacité de son engagement au service du Christ et de l'Eglise dans les rangs des compagnons de saint Ignace ». Le rédacteur de « Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle se joint à l’hommage rendu par « Belgicatho » à un éducateur chaleureux, qu’il a connu à l’époque où celui-ci  enseignait au Collège du Saint-Esprit à Bujumbura. 

    « Permettez-moi une dernière extravagance posthume : j’ai souhaité composer l’homélie de mes funérailles. Ce n’est pas pour vérifier, une fois de plus, mon totem scout : furet, soit, mais furet saugrenu.

    En fait, j’ai plusieurs motifs, plus lumineux, de prendre la parole. Tout d’abord éviter à un confrère infortuné le souci de rassembler des souvenirs superficiels. Ensuite, vous faire grâce de l’évocation de mon passé.

    Pourquoi retracer le parcours de mes pas vagabonds, comme s’exprime le verset d’un psaume. Cela pourrait satisfaire une curiosité qui occulterait l’essentiel. Il me semble plus profitable de partager avec vous quelques prières qui m’ont soutenu et arraché à moi-même.

    L’évangile choisi vient de rappeler le cri de Saint Pierre, dans la tempête sur le lac : « Seigneur, si c’est toi, ordonne-moi de venir à toi ». Il m’a fallu longtemps pour découvrir que l’« Anima Christi » a repris cette prière de Pierre : « à l’heure de la mort, commande-moi de venir à toi ». Je la fais mienne en la modifiant légèrement : « Seigneur, PUISQUE c’est toi, donne-moi d’aller à ta rencontre ».

    Si ce n’était pas lui, je n’aurais qu’une ressource : essayer, en vain, de m’échapper. Mais je n’ai pas envie, à cause de ce qu’il est, de lui tourner le dos : près de toi se trouve le pardon, pour que l’on découvre qui tu es.

    La mort est le grand acte d’obéissance, démarche de dépouillement et de confiance. L’occasion de rectifier tous mes dérapages et de m’établir dans la vérité.

    Je suis heureux d’obéir, enfin, avec tout moi-même. Je choisis d’y entrer librement, comme l’exemple du Christ y invite.

    Je suis heureux d’être acculé à une confiance totale. J’ai envie de m’engager dans le sombre passage de la mort, parce que je crois que, dans l’inconnu, brille une lumière : celle d’un visage. « Fais luire sur moi la lumière de ta face ». Plus encore, une main saisira la mienne, comme il est figuré sur tant d’icônes. Jésus, descendu au séjour des morts, s’empare du poignet d’Adam. Et son geste est plus prompt que celui du terreux : « Au-devant de mon impatience, son impatience accourra ».

    C’est le défi que Prométhée enchaîné jette à Zeus, mais je le reprends pour en faire une confession d’espérance dans l’élan de Jésus.

    On dit souvent : dans la mort, nous ne savons pas où nous allons. C’est vrai, mais nous savons vers qui nous allons : « puisque c’est toi, donne-moi l’ordre de me laisser attirer par toi, par la puissance de ta générosité ».

    Une autre prière m’a été fournie par le verset d’un psaume : Qu’ils ne cessent pas d’espérer en toi, ceux pour qui j’ai été un obstacle sur le chemin qui conduit vers toi ». Je l’ajoutais aux répons de Laudes et de Vêpres. Pas par piété, mais par nécessité.

    Inutile de vider le sac de mon passé. Mais je tiens à reconnaître que j’ai été pierre d’achoppement. Je demandais – et je vais le faire plus et mieux – que le Seigneur, plein de tendresse, apporte les réparations, les guérisons dont je n’étais pas capable. J’ai essayé de m’ouvrir à son pardon, mais je le supplie de le faire fructifier chez les autres.

    Confiez-moi à la fidélité du Seigneur : elle est meilleure que la mienne.

    Mais n’oubliez pas de le remercier avec moi pour tout ce qu’il a prodigué au fils prodigue que je suis. 

    Merci pour le privilège de ma famille et de sa précieuse affection.

    Merci pour tant d’amies et d’amis : ils m’ont entouré et encouragé. Je n’ai jamais eu l’impression d’être un moineau solitaire au bord du toit.

    Merci pour la grâce de ma vocation qui m’a atteint à travers eux tous. Elle témoigne de l’humour et de la patience du Seigneur. Elle en a peut-être étonné plus d’un. Elle m’a étonné le premier.

    Merci pour toutes les fois où les paroles du Christ et les textes de la foi sont devenus ardents, comme les braises sur lesquelles l’Esprit souffle.

    Merci pour mes frères jésuites et mes compagnons scouts : ils m’ont aidé à suivre les traces de ses pas.

    Je ne sais pas à l’avance comment je serai mort, mais je voudrais vraiment ne pas m’être débattu.

    Dans le Canon de Vatican II, pour la messe de réconciliation, il y a une formule qui est une magnifique définition de la mort « le jour béni de ta venue et de notre joie ». Ce jour-là, en effet, s’accomplit le vœu ardent que j’emprunte à Ignace d’Antioche : « Theou epituchein » : « obtenir Dieu, obtenir de le rejoindre ». Que de fois, dans le bréviaire, j’ai été amené à souhaiter : « Ne me cache pas ton visage »

    Un mot de l’abbé Pierre m’a frappé : « Mourir c’est rencontrer »Miséricorde de Dieu.jpg

    Rencontrer Dieu, comme on vient de l’augurer. Mais rencontrer aussi, revoir tous les miens, transformés, et reconnaissables, selon le meilleur d’eux-mêmes.

    Grâce à la mort, je vais, enfin, devenir capable d’aimer : unifie mon cœur. Quelle explosion de joies multiples !

    D’autant qu’il nous sera donné de nous associer à l’action de grâce du Christ à jamais vivant.

    Si j’ai dépassé la mesure d’une homélie, ne m’en veuillez pas, cela ne m’arrivera plus.

    Mais j’ai cédé au plaisir de partager ces prières avec vous, avec vous tous qui avons fait route ensemble pour ensemble le trouver. Ainsi soit-il ! »

    JPS

  • La prière comme école de l’espérance

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    La prière comme école de l'espérance (*)

     

    Une méditation du pape Benoît XVI extraite de « Spe salvi », la plus personnelle de ses trois encycliques consacrées aux vertus théologales : la charité (« Deus caritas est », 25 janvier 2006), l’espérance (« Spe salvi », 30 novembre 2007) et la foi (« Lumen fidei », en collaboration avec son successeur François auquel elle est officiellement attribuée, 5 juillet 2013). JPSC.

    « Celui qui prie n’est jamais seul

    Pope Benedict and the Holy Face Stefano Spaziani.JPGUn premier lieu essentiel d'apprentissage de l'espérance est la prière. Si personne ne m'écoute plus, Dieu m'écoute encore. Si je ne peux plus parler avec personne, si je ne peux plus invoquer personne, je peux toujours parler à Dieu. S'il n'y a plus personne qui peut m'aider, là où il s'agit d'une nécessité ou d'une attente qui dépasse la capacité humaine d'espérer, Lui peut m'aider. Si je suis relégué dans une extrême solitude...

    Celui qui prie n'est jamais totalement seul. De ses treize années de prison, dont neuf en isolement, l'inoubliable Cardinal Nguyên Van Thuan (**) nous a laissé un précieux petit livre: Prières d'espérance. Durant treize années de prison, dans une situation de désespoir apparemment total, l'écoute de Dieu, le fait de pouvoir lui parler, devint pour lui une force croissante d'espérance qui, après sa libération, lui a permis de devenir pour les hommes, dans le monde entier, un témoin de l'espérance – de la grande espérance qui ne passe pas, même dans les nuits de la solitude.

    Le cœur doit d’abord être élargi

    De façon très belle, saint Augustin a illustré la relation profonde entre prière et espérance dans une homélie sur la Première lettre de Jean. Il définit la prière comme un exercice du désir. L'homme a été créé pour une grande réalité – pour Dieu lui-même, pour être rempli de Lui. Mais son cœur est trop étroit pour la grande réalité qui lui est assignée. Il doit être élargi. « C'est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir; en faisant désirer, il élargit l'âme; en l'élargissant, il augmente sa capacité de recevoir ».

     Augustin renvoie à saint Paul qui dit lui-même qu'il vit tendu vers les choses qui doivent venir (cf. Ph 3, 13). Puis il utilise une très belle image pour décrire ce processus d'élargissement et de préparation du cœur humain. « Suppose que Dieu veut te remplir de miel [symbole de la tendresse de Dieu et de sa bonté]: si tu es rempli de vinaigre, où mettras-tu ce miel? » Le vase, c'est-à-dire le cœur, doit d'abord être élargi et ensuite nettoyé: libéré du vinaigre et de sa saveur. Cela requiert de l'effort, coûte de la souffrance, mais c'est seulement ainsi que se réalise l'adaptation à ce à quoi nous sommes destinés. Même si Augustin ne parle directement que de la réceptivité pour Dieu, il semble toutefois clair que dans cet effort, par lequel il se libère du vinaigre et de la saveur du vinaigre, l'homme ne devient pas libre seulement pour Dieu, mais il s'ouvre aussi aux autres. En effet, c'est uniquement en devenant fils de Dieu, que nous pouvons être avec notre Père commun. Prier ne signifie pas sortir de l'histoire et se retirer dans l'espace privé de son propre bonheur. La façon juste de prier est un processus de purification intérieure qui nous rend capables de Dieu et de la sorte capables aussi des hommes.

    Purifier ses désirs et ses espérances

    Dans la prière, l'homme doit apprendre ce qu'il peut vraiment demander à Dieu – ce qui est aussi digne de Dieu. Il doit apprendre qu'on ne peut pas prier contre autrui. Il doit apprendre qu'on ne peut pas demander des choses superficielles et commodes que l'on désire dans l'instant – la fausse petite espérance qui le conduit loin de Dieu. Il doit purifier ses désirs et ses espérances. Il doit se libérer des mensonges secrets par lesquels il se trompe lui-même: Dieu les scrute, et la confrontation avec Dieu oblige l'homme à les reconnaître lui aussi. « Qui peut discerner ses erreurs? Purifie-moi de celles qui m'échappent », prie le Psalmiste (18 [19], 13. La non-reconnaissance de la faute, l'illusion d'innocence ne me justifient pas et ne me sauvent pas, parce que l'engourdissement de la conscience, l'incapacité de reconnaître le mal comme tel en moi, telle est ma faute. S'il n'y a pas de Dieu, je dois peut-être me réfugier dans de tels mensonges, parce qu'il n'y a personne qui puisse me pardonner, personne qui soit la mesure véritable. Au contraire, la rencontre avec Dieu réveille ma conscience parce qu'elle ne me fournit plus d'auto-justification, qu'elle n'est plus une influence de moi-même et de mes contemporains qui me conditionnent, mais qu'elle devient capacité d'écoute du Bien lui-même.

    Une association entre prière publique et prière personnelle

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    Afin que la prière développe cette force purificatrice, elle doit, d'une part, être très personnelle, une confrontation de mon moi avec Dieu, avec le Dieu vivant. D'autre part, cependant, elle doit toujours être à nouveau guidée et éclairée par les grandes prières de l'Église et des saints, par la prière liturgique, dans laquelle le Seigneur nous enseigne continuellement à prier de façon juste. Dans son livre d'Exercices spirituels, le Cardinal Nguyên Van Thuan (**) a raconté comment dans sa vie il y avait eu de longues périodes d'incapacité de prier et comment il s'était accroché aux paroles de la prière de l'Église: au Notre Père, à l'Ave Maria et aux prières de la liturgie. Dans la prière, il doit toujours y avoir une association entre prière publique et prière personnelle. Ainsi nous pouvons parler à Dieu, ainsi Dieu nous parle. De cette façon se réalisent en nous les purifications grâce auxquelles nous devenons capables de Dieu et aptes au service des hommes.

    Devenir ministres de l’espérance pour les autres

    Ainsi, nous devenons capables de la grande espérance et nous devenons ministres de l'espérance pour les autres: l'espérance dans le sens chrétien est toujours aussi espérance pour les autres. Et elle est une espérance active, par laquelle nous luttons pour que les choses n'aillent pas vers « une issue perverse ». Elle est aussi une espérance active dans le sens que nous maintenons le monde ouvert à Dieu. C'est seulement dans cette perspective qu'elle demeure également une espérance véritablement humaine. »

    __________

    (*) Extrait de : Benoît XVI, encyclique « Spe Salvi », 30. 11. 2007, n°s  32 à 34

    (**) François-Xavier Nguyên Van Thuan (1928-2002) fut évêque (1967) de NhaTrangnguyen-van-thuan.jpg au Vietnam, puis nommé (1975) par Paul VI archevêque coadjuteur de Saïgon et arrêté la même année par le pouvoir communiste qui l’emprisonne jusqu’en 1988. Il est ensuite assigné à résidence à Hanoï qu’il quitte en 1991 pour un séjour à Rome à la suite duquel le Vietnam lui interdit de revenir au pays. Il est alors nommé vice-président (1994) puis président (1998) du Conseil pontifical « Justice et Paix », par Jean-Paul II qui le crée cardinal (2001). Il décède l’année suivante. La cause de sa béatification a été introduite en 2007 sous le pontificat de Benoît XVI.

      

     Ref. Encyclique Spe Salvi