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  • Eglise du Saint-Sacrement à Liège : joie pascale pour le premier dimanche du mois de mai 2018, cinquième après Pâques

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    Introït du Ve dimanche après Pâques :

    quand une  paroisse se met au chant grégorien (ici, Saint-Georges, de Lyon)…

    Vocem jucunditatis annuntiate et audiatur alleluia : nuntiate usque ad extremum terrae : liberavit Dominus populum suum alleluia, alleluia. Ps. Jubilate Deo omnis terra. Psalmum dicite nomini ejus, date gloriam nomini ejus. Gloria Patri…

    Avec des cris de joie, annoncez-le et qu’on l’entende, alleluia. Publiez jusqu’aux extrémités de la terre que le Seigneur a délivré son peuple. Ps. Acclamez Dieu, vous, toute la terre : célébrez la gloire de son nom, donnez de l’éclat à sa louange. Gloire au Père…

     Au programme de l’Ensemble instrumental Darius: Vivaldi, Haendel, Piazzola

     L’antienne mariale « Regina Caeli » pour conclure les chants de la messe

  • Eglise du Saint-Sacrement à Liège, le vendredi 4 mai à 20h : visitez le monde de Jean-Sébastien Bach

     

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    Le Quatuor Darius, le Choeur de Chambre Praeludium et Patrick Wilwerth (orgue et direction) vous feront visiter le monde de Jean-Sébastien Bach, ses maîtres et ses disciples. Au programme, Bach, Krebs, Kuhnau, Zelenka, Buxtehude,Graupner…

    Internet : http://www.praeludium.be

    Adresse : église du Saint-Sacrement, Bd d’Avroy, 132, 4000 Liège

    Tarif : 10€ (pas de réservation)

    Tel. 0495 79 80 38

    Jour et heure : vendredi 4 mai 2018 à 20 heures

  • Vient de paraître : le magazine trimestriel « Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle », n° 106, printemps 2018

    Le magazine trimestriel « Vérité & Espérance – Pâque Nouvelle » édité par l’association « Sursum Corda » (responsable de l'église du Saint-Sacrement à Liège) a publié sa livraison du printemps 2018. Tiré à 4.000 exemplaires, ce magazine abondamment illustré parcourt pour vous l’actualité religieuse et vous livre quelques sujets de méditation.Les articles mentionnés en bleu sont disponibles sur le blog de l'église du Saint-Sacrement (cliquez sur les titres ci-dessous pour y accéder).

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    Au sommaire de ce numéro n° 106 (printemps 2018) : 

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    Liturgie au Pays de Liège

    La réception de l’Eucharistie à travers le temps

    Eclipse de Dieu, éclipse de l’homme

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    Rome et le monde : 

    Comment vivre en chrétien dans un monde qui ne l’est pas ?

    Comment notre monde a cessé d’être chrétien

    RDC : une Eglise qui dérange le pouvoir

    Belgique :

    Le débat sur la laïcité est relancé

    De passage à Bruxelles, le Cardinal Sarah pointe les dérives du monde occidental 

     

    Secrétaires de Rédaction : Jean-Paul Schyns et Ghislain Lahaye

    Editeur responsable: SURSUM CORDA a.s.b.l. ,

    Rue Vinâve d’île, 20 bte 64 à B- 4000 LIEGE.

     

    La revue est disponible gratuitement sur simple demande :

    Tél. 04.344.10.89  e-mail : sursumcorda@skynet.be 

    Les dons de soutien à la revue sont reçus  avec gratitude au compte IBAN:

     BE58 0016 3718 3679   BIC: GEBABEBB de Vérité et Espérance 3000, B-4000 Liège

     

  • La liturgie au Pays de Liège

    LA LITURGIE AU PAYS DE LIEGE

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    Nous donnons ici, sans son appareil de notes, un chapitre de l'introduction à notre édition du « Missel selon l'ancien rit liégeois prétridentin », qui sera disponible sous peu. (Pour être tenu au courant de la parution, envoyer un simple courriel à : nexuslatin@yahoo.fr.)

    QUELQUES REPÈRES

    DANS L’HISTOIRE DU RIT LIÉGEOIS

    1. Les origines

    Héritière à sa naissance, dès l’aube du viiie siècle, de la liturgie célébrée depuis le ive siècle dans l’antique cité de Tongres, l’Eglise de Liège conserva et développa pendant un millénaire environ son rit propre.

    On cite comme premier évêque de Tongres saint Materne ; il semble que cela doive s’entendre au sens que Tongres relevait de lui en sa qualité d’évêque de toute la Germanie seconde.

    Ce n’est probablement pas avant sa mort que la cité fut érigée en évêché, et saint Servais est le premier pontife dont il soit historiquement bien établi qu’il ait occupé ce siège, aux environs de 340. Sans doute est-ce à lui que le diocèse, dont le centre passera de Tongres à Maastricht puis à Liège, est redevable de sa première organisation et de l’ordonnance de sa tradition liturgique, semée un peu plus tôt, au cours de l’évangélisation par Materne. En dehors de son rôle dans la résistance à l’arianisme, on n’a toutefois guère plus de renseignements sur cet évêque, sinon que son nom, Serbatios, indique une origine orientale.

    Cette maigre information s’inscrit parfaitement dans la ligne de ce que l’on sait par ailleurs des plus anciens vestiges liturgiques des Eglises transalpines : ils révèlent qu’elles ont en commun de s’apparenter à « un type d’inspiration et de forme orientales, introduit en Occident vers le milieu du ive siècle » (H. Leclercq).

    Le souvenir du premier substrat du Missel liégeois s’est vraisemblablement perpétué dans l’appellation « usage de Saint-Materne » dont fut qualifié autrefois le rit primitif de l’ancien diocèse

    1. La touche carolingienne

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    Dans la mouvance de la « renaissance » carolingienne, sous le règne de Pépin le Bref, de Charlemagne et de ses successeurs, la liturgie liégeoise s’imprègne d’éléments romains. Il semble que l’intérêt porté au chant de la chapelle pontificale ait engagé le processus.

    Originaire de la Hesbaye au pays de Liège où il fit ses études, sans doute à l’abbaye de Saint-Trond, le fondateur de l’école messine, saint Chrodegang (évêque de Metz de 742 à 766, conseiller et homme de confiance de Pépin le Bref), est impressionné par la qualité des mélodies de la tradition romaine : il les introduit d’abord dans son diocèse ; et comme il procède à l’ordination de fort nombreux évêques et clercs, les usages romains qu’il entend propager pénètrent aussi dans plusieurs autres sièges épiscopaux (civitates).

    Un capitulaire ecclésiastique édicté par Charlemagne en 789 impose aux clercs l’étude du chant romain et mentionne que Pépin avait abrogé le chant gallican. La mesure de son père avait donc rencontré des résistances ; lui-même insiste en octobre 802 sur l’obligation pour le clergé de pouvoir célébrer selon le cursus romain, et prescrit, comme condition d’admission au sacerdoce, un examen de chant selon le rit romain. En décembre 805, il revient encore sur l’obligation d’enseigner le chant et de l’exécuter d’après l’usage romain, tant pour l’ordo que pour la manière.

    Charles demeure néanmoins ouvert à d’autres formes de tradition, comme l’atteste fort bien, par exemple, l’anecdote que voici : « Au jour octave de l’Epiphanie, comme des Grecs psalmodiaient à l’écart en leur langue, et que, restant inaperçu à proximité, il était charmé par la douceur de leurs chants, il ordonna à ses clercs de lui procurer ces mêmes antiennes traduites en latin » (Gesta Caroli Magni).

    On ne sera pas surpris, à la lecture de ce trait, que la liturgie romaine n’ait pas purement et simplement éliminé les rites et chants en usage au Nord des Alpes, mais se soit plutôt fondue avec eux pour aboutir aux diverses liturgies gallo-romaines, qui enrichirent réciproquement la liturgie de Rome elle-même. « Les personnes que les rois francs, Pépin, Charlemagne et Louis le Pieux, chargèrent d’assurer l’exécution de la réforme liturgique, ne se crurent pas interdits de compléter les livres romains et même de les combiner avec ce qui, dans la liturgie gallicane, leur parut bon à conserver. De là naquit une liturgie quelque peu composite, qui, propagée par la chapelle impériale dans toutes les églises de l’empire franc, trouva le chemin de Rome et y supplanta peu à peu l’ancien usage » (L. Duchesne).

    Ainsi fut alors constitué ce que les liturgistes appellent aujourd’hui le « Grégorien de type III », au départ du Grégorien de type I, purement romain ― qu’Adrien Ier avait fait parvenir à Charlemagne vers 791 ―, complété grâce à diverses versions du Gélasien du viiie siècle, et intégrant de nombreux apports gaulois anciens.

    En ces apports assimilés par les livres romains, et en d’autres vestiges, on aperçoit que, moins sobre sans doute que la liturgie romaine, celle des Gaules pouvait être tout autant admirable, et splendide son chant. « Au témoignage d’Amalaire, [...] les chantres francs auraient conservé plus fidèlement que les romains le répertoire intégral des cantilènes » (A. Auda). Aussi bien le motif allégué par les sources pour justifier l’adoption générale du rit romain, ou plus exactement romano-gaulois, est-il seulement celui du souci d’unité.

    Ce rit mixte prévalut également à Liège, car il est hors de doute que les dispositions prises par Charlemagne y furent d’application. Comme il célébrait fréquemment les plus grandes fêtes liturgiques près du tombeau de saint Lambert, on imagine mal le clergé liégeois contrevenant à ses volontés ! Sa résidence d’Aix-la-Chapelle faisait d’ailleurs partie du diocèse.

    Une fois consommé le partage de son Empire, les papes n’en continuent pas moins de veiller à l’unité liturgique, et leurs directives ne restent pas lettre morte : en 835, par exemple, à la demande du pape Grégoire IV, Pirard (/Eirard) est le premier évêque du diocèse à célébrer la Toussaint.

    1. La touche insulaire

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    La liturgie liégeoise est tributaire aussi des apports hiberno-saxons : en effet, nombreux furent les Scoti à émigrer par vagues sur le continent, dans l’espoir de se mettre à l’abri des incursions scandinaves. Ils y ramenaient une riche et antique tradition, qui s’était perpétuée sur leurs îles, épargnées au cours des précédents siècles par les grandes invasions barbares. Ces réfugiés ne seront donc aucunement perçus comme des novateurs, mais bien au contraire comme les dépositaires d’un mos genuinus, auquel on s’appliquait toujours de se conformer pour le mieux. Leur présence dans le diocèse de Liège est bien attestée, notamment par la fondation des monastères de Waulsort et de Fosses.

    La romanisation liturgique aiguillonnée par le Palais impérial est l’œuvre, principalement, d’un Anglo-Saxon formé à l’école d’York : Alcuin.

    Le Missel liégeois garde trace de son intervention, particulièrement dans les messes votives attribuées aux jours de la semaine, qui s’apparentent à celles de son supplément, et aussi dans la mention au canon de « et Antistite nostro » inconnu de l’Hadrianum, et de « et omnibus orthodoxis, etc. » qui ne figurait ni dans le Grégorien, ni dans le Gélasien, mais seulement dans les manuscrits irlandais.

    Sedulius Scotus (mort après 874, dit aussi « Sedulius le Jeune »), surnommé le « Virgile de Liège », fin lettré qui connaissait le grec, s’établit à la cour de l’évêque Hartgar vers 845 avec plusieurs de ses compatriotes. Une lettre de l’un d’eux, Otveus, adressée à un certain Amud, témoigne de la préoccupation que l’on avait alors à Liège de disposer de manuscrits liturgiques fiables : « Je demande à votre cœur charitable de bien vouloir nous procurer un antiphonaire nocturnal corrigé et expurgé de toute erreur ».

    A cette même époque, entre 841 et 855, était réalisé à Liège le manuscrit aujourd’hui répertorié sous l’intitulé de « codex de Padoue D 47 », qui conserve le plus ancien état actuellement connu du sacramentaire grégorien.

    1. Etienne de Liège

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    Un nom surtout se détache au xe siècle à Liège en matière de liturgie : celui de l’évêque Etienne (901-920). Ce pontife, qui fut parmi les plus distingués à occuper le siège de saint Lambert, reçut à Metz son éducation. Il la paracheva à l’école du Palais, vers 864, en compagnie de Radbod, sous la direction de Mannon.

    Etienne composa de nombreux ouvrages se rapportant à la liturgie, aux lettres et à la musique. Outre un « très remarquable » Traité sur la Musique, que l’anonyme de Melk, moine de Prüfnung au xiie siècle, lui attribue, on lui doit un Liber capitularis, un Missel, une Vie de saint Lambert, un Office de l’Invention de saint Etienne, un Office de la Sainte Trinité et un Office de saint Lambert.

    La production d’Etienne ne nous éclaire pas sur le Missel liégeos. Le Liber capitularis préfigurait ce qui deviendra plus tard le bréviaire ; il ne reste hélas aucune trace du Missale Stephani, répertorié dans le catalogue de la bibliothèque de l’abbaye de Stavelot ; quant à ses trois Offices, ils ne comportent pas d’indication sur la messe. C’est au viiie siècle, en effet, que les formulaires de la messe atteignent leur pleine maturité : la règle prévalut dès lors de s’en tenir au corpus existant, en y puisant les pièces convenant aux célébrations nouvelles.

    1. Une célébration nouvelle : la Fête-Dieu

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    En 1246, à la suite d’une révélation reçue par sainte Julienne du Mont-Cornillon, l’évêque de Liège, Robert de Thourotte, instaurait dans son diocèse une fête en l’honneur du saint sacrement ; le cardinal-légat Hugues de Saint-Cher la promulgua, avec octave, dans toute l’étendue de sa légation, le 29 décembre 1252 ; peu après, le pape Urbain IV, qui avait été archidiacre de Campine à Liège de 1243 à 1248, l’adopta pour l’Eglise universelle, par la bulle Transiturus, datée du 11 août 1264.

    L’Office primitif de la Fête-Dieu avait été composé, à la demande de l’évêque Robert, par un simple clerc, Jean du Mont-Cornillon Il semble assez établi que sainte Julienne, qui maîtrisait bien le latin, y ait mis elle-même la main. D’une grande beauté, il fut néanmoins assez vite supplanté par l’Office romain, à peine plus récent et tout aussi remarquable. Ce dernier fut commandé par le Pape, pour l’insertion de la fête au calendrier universel. L’attribution à saint Thomas d’Aquin est discutée.

    1. Depuis les statuts de Jean de Flandre jusqu’à nos incunables

     

    Transféré par le pape Martin IV du siège de Metz à celui de Liège, l’évêque Jean de Flandre (1282-1292) ne pouvait qu’y prolonger les traditions messines. Docteur ès décrets de l’Université de Paris, il dota en 1288 son diocèse de statuts qui restèrent en vigueur jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Ils constituent comme un abrégé représentatif des lois de l’Eglise universelle et des dispositions proprement liégeoises. Jean de Heinsberg (1419-1455) les renouvela, après quelques retouches, au synode de 1445.

    On peut y relever notamment, en ce qui concerne la liturgie, que l’Office était chanté en entier, matines comprises, dans toutes les églises du diocèse. Les statuts énumèrent en outre, sans compter les dimanches, quarante-huit fêtes chômées et quinze vigiles : l’examen des incunables liégeois montre qu’ils sont, à très peu de chose près, conformes à cette disposition des statuts. En 1532, Erard de la Marck réduira le nombre des fêtes chômées à vingt-sept.

    En 1311, la bulle Transiturus fut confirmée au concile de Vienne, et nous savons par un témoignage ancien que la procession du saint Sacrement était déjà organisée dans le diocèse de Liège en 1318, l’année même où elle fut prescrite par Jean XXII.

    De nouveaux Offices continuent d’apparaître : après avoir recommandé pour rappel la fête de l’Immaculée Conception déjà obligatoire dans le diocèse, Englebert de la Marck (1345-1363) introduit la fête de la sainte Lance et des saints Clous, le vendredi après l’octave de Pâques ; son successeur, Jean d’Arckel, approuve en 1365 un Office de sainte Barbe, composé (texte et plain-chant) par Louis de Montenacken ; en 1425, le concile de Cologne (métropole de Liège) établit la fête de la Compassion de la Vierge en la fixant au vendredi après le dimanche Iubilate.

    La majeure partie du patrimoine de Liège périt dans la mise à sac et l’incendie de la ville par Charles le Téméraire, en novembre 1468 ; le duc avait certes interdit d’incendier les églises et les abbayes, mais elles furent néanmoins pillées. La perte est énorme pour notre connaissance du passé liégeois et en particulier de sa liturgie.

    1. Parmi les livres liturgiques conservés (xe-xive s.)

    Quelques livres nous ont toutefois été conservés, qui servirent aux célébrations dans le pays de Liège, avant les incunables : ils proviennent des abbayes de Stavelot-Malmédy, de Saint-Hubert (Andage), de Saint-Laurent à Liège, de Saint-Trond, de Tongerloo ; du Val-Sainte-Marie lez Huy ; de la collégiale Sainte-Croix à Liège et de Notre-Dame de Tongres ainsi que de Saint-Odulphe de Looz.

    Les notations musicales représentées dans ces manuscrits sont extrêmement variées : la française, l’aquitaine, la messine, l’anglo-saxonne, la romaine et la gothique.

    1. Vers l’adoption du rit romain post-tridentin

    En promulguant le bréviaire (1568) puis le missel (1570) de rit romain restaurés d’après les meilleurs manuscrits, en application des volontés du concile de Trente (XXVe et dernière session), le pape saint Pie V n’entendait pas abroger les rits qui pouvaient se prévaloir d’au moins deux siècles d’ancienneté. Le rit liégeois remplissait très largement cette condition : il pouvait donc être conservé.

    VE PN 106 Bréviaire Liégeois timthumb.php.jpgBréviaire — On observe alors quelques flottements parmi le clergé. Reconnaissant de bons mérites à la révision effectuée, ou simplement dans l’intention de favoriser l’uniformité liturgique, un certain nombre d’ecclésiastiques adoptèrent assez rapidement, tel quel, le bréviaire romain, qui avait été imprimé à Liège en 1572.

    Le 27 février 1604, le Chapitre cathédral opta pour une voie moyenne et décida de se contenter de rendre son bréviaire plus conforme au bréviaire romain. En 1608, Daniel Raymondi et Lambert Scronx, chanoines de Saint-Materne, furent chargés de ce travail, dont ils soumirent le résultat au Chapitre, en séance du 6 mars 1615.

    L’examen ne fut pas de simple formalité : on institua une commission ; elle formula des observations entraînant des retouches. La version remaniée fut présentée le 20 février 1619 et approuvée le 25 septembre. La promulgation suscita au Chapitre de nouvelles objections : certains proposaient d’adopter tout simplement le bréviaire romain, mais la majorité résolut, le 23 juin 1620, d’adopter le bréviaire liégeois retouché, ou, si cela ne pouvait se faire, de réimprimer l’ancien bréviaire liégeois. La décision fut prise finalement, le 15 juillet, de faire imprimer le bréviaire liégeois romanisé, qui parut en 1622. Il fut adopté par toutes les églises collégiales en 1623 et par le clergé paroissial en 1624.

    Le 9 août 1661, le nonce Marc Gallio fit pression sur le Chapitre pour le pousser à adopter le bréviaire et le missel romains. Les chanoines cédèrent le 19 septembre, après un vote qui n’obtint qu’une faible majorité, mais ils revinrent bientôt sur cette décision pour la rejeter définitivement le 6 mars 1662.

    En 1687, l’évêque voulut déplacer la fête du Saint Nom de Jésus à la date où elle se célébrait au calendrier romain, pour y donner l’indulgence plénière que le pape lui avait concédée. Le Chapitre n’accepta, après un premier refus, qu’à la condition de la célébrer selon le rit liégeois « plus beau, avec des chants plus suaves et plus pieux »...

    Le bréviaire liégeois fut encore imprimé à Liège par Christian Bourguignon en 1815 (Bohatta, 2343).

    VE PN 106 Missel_liégeois_1513.jpgMissel — Le Missel romain ne fut introduit que tardivement à Liège. La tentative du nonce Gallio en vue de l’imposer aux chanoines resta sans lendemain et, vingt-cinq ans plus tard, l’affaire du déplacement la fête du Saint Nom de Jésus témoigne assez de la détermination du Chapitre à défendre fermement le maintien du rit liégeois, renâclant même à adopter une harmonisation ponctuelle dans le calendrier.

    On pense d’ordinaire que c’est peu après les troubles révolutionnaires, vers 1805, que le rit romain fut adopté à Liège. Sans doute convient-il d’apporter quelque nuance, au moins quant au caractère contraignant du changement : une édition liégeoise du plain-chant de la messe pour les défunts datée de 1834 (et munie de l’approbation ecclésiastique) porte en effet cette mention significative : « ad usum omnium ecclesiarum, tam urbium quam pagorum, in quibus officium celebratur iuxta ritum Ecclesiæ Romanæ » [à l’usage de toutes les églises, tant des villes que des villages, où l’on célèbre l’Office selon le rit de l’Eglise romaine]... La relative limitative laisse entendre que ce n’était pas encore le cas partout, même à cette époque.

    Le Rituel liégeois resta en usage jusqu’en 1862 : il fut alors abrogé par Théodore Alexis de Montpellier.

    1. Conclusion

    Sans prétendre « faire croire à l’immutabilité absolue du rite liégeois qui serait demeuré par exemple complètement indifférent aux divers mouvements réformistes des Alcuin et des Amalaire », Antoine Auda affirme qu’il « se trouvait, par suite de la conservation de ses usages antiques, plus conforme à l’ancienne liturgie romaine qu’à celle suivie alors [au xvie s.] à Rome même. » Car, poursuit-il, « [lorsque] la chapelle papale et, à son exemple, bon nombre d’églises modifièrent leurs rites, Liège [...] resta fidèle à ses traditions séculaires, acceptant seulement les modifications nécessitées par les besoins nouveaux. »

    Force est de reconnaître qu’à défaut de témoignages suffisamment explicites et par manque surtout de livres liturgiques permettant de retracer exactement pour chaque époque l’état des liturgies particulières, il est parfois malaisé d’en cerner l’évolution avec la précision que l’on souhaiterait. A Liège, cette évolution semble en tout cas n’avoir obéi à d’autre souci que d’unité et d’authenticité : on n’y décèle rien qui ressemble aux aventures néo-gallicanes.

    Dans un mémoire rédigé à la fin du xviiie siècle, l’abbé De Vaux, doyen du chapitre de Saint-Pierre à Liège, donne l’information suivante : « Tongres eut sa liturgie propre et un bréviaire particulier, qu’il nommait usage de Saint-Materne ― usage commun alors à tout le diocèse de Liège. Cette ville, au contraire, se soumit à l’usage introduit par le prince et qu’on nomme aujourd’hui l’ancien romain. Tongres a depuis cinquante ou soixante ans abandonné l’usage de Saint-Materne et pris l’usage de Liège ».

    L’auteur distingue donc bien. Une liturgie primitive se répand depuis Tongres, le siège premier, partout dans le diocèse : c’est l’usage dit de « Saint-Materne ». Le prince ― Pépin ou Charlemagne ― introduit ensuite l’usage « ancien romain », dont De Vaux dit qu’il fut adopté à Liège, mais seulement dans la ville, qu’il a soin de mentionner à part du diocèse (« au contraire »). Tongres au moins, selon son témoignage [peut-être mis à mal par le Liber ordinarius Tungrensis ecclesiæ (xve siècle)...], aurait conservé l’usage de Saint-Materne jusqu’aux débuts du xviiie siècle, en raison sans doute de l’attachement particulier qu’elle avait pour le patronage de son évangélisateur ; rien n’est dit du reste du diocèse, mais on peut raisonnablement supposer qu’ailleurs la transition se fit peu à peu, non sans mélange, sans doute, entre les deux usages. L’« usage de Liège » représente ainsi cet « ancien romain » qui est plutôt, comme nous l’avons vu plus haut, un « gallo-romain » voire, sur les terres de saint Lambert, un « materno-romain ».

    Voilà pourquoi il semble approprié d’affecter l’appellation d’« ancien rit liégeois » au Missel que reproduisent les incunables liégeois : de cette façon, on le distingue à la fois du pur usage de Saint-Materne, qu’on désignerait sous le nom d’« antique rit liégeois » (suivi à Liège jusqu’à la fin du viiie siècle environ, et à Tongres peut-être jusqu’aux débuts du xviiie), et aussi des usages de l’« ancien rit [gallo-]romain », pratiqués ailleurs dans les Eglises transalpines jusqu’à l’adoption du Missale Romanum de 1570.

    Jean-Baptiste Thibaux.

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    Vérité et Espérance - Pâque Nouvelle, n° 106, printemps 2018

     

     

  • La réception de l'Eucharistie à travers le temps

     

    communion_article.jpgDepuis les réformes liturgiques opérées dans le sillage du second concile du Vatican (1962-65), et les dissensions qu’elles ont engendrées, le mode de réception de l’Eucharistie est devenu peu à peu un marqueur de la sensibilité du communiant. Communie-t-on debout, en file indienne et sur la main ? Nous voici dans l’air du temps, moderniste voire réformateur. Reçoit-on l’eucharistie au banc de communion, à genoux et sur la langue ? Nous voilà A310509_4.jpgnostalgique, « tradi » voire réactionnaire !

    Un regard sur les pratiques anciennes[1] permettra sans doute d’élargir les perspectives et de distinguer l’essentiel de l’accessoire : toutes les traditions humaines ne doivent-elles pas s’incliner devant Celui qui est et qui daigne s’abaisser humblement jusqu’à nous ?

    Dans la main et sous les deux Espèces

    Dans les premiers siècles de l’Église, le baptême, la confirmation et l’eucharistie étaient reçus le même jour et successivement. Telle est encore la pratique dans les Églises orientales et dans la tradition orthodoxe.

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    La communion « sous les deux Espèces » a été longtemps la seule manière de communier dans toute la chrétienté. En effet, Jésus n’avait pas seulement dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps », mais aussi, selon le récit de S. Matthieu : Puis, prenant une coupe et rendant grâce, il la leur donna en disant : « Prenez et buvez-en tous, car ceci est mon sang… »[2]. Sous l’épiscopat de Grégoire de Tours (+ 594), on sait que les fidèles communiaient dans un calice spécial, différent de celui du prêtre, un calice à anses, afin que les fidèles pussent le maintenir fermement entre leurs mains ; la patène destinée aux fidèles était également plus grande et creusée comme un saladier. Cette familiarité avec les vases sacrés n’allait pas sans un profond respect du mystère approché de si près.

    Avant la communion, un diacre proclamait : « Sancta sanctis ! Que ceux qui ne sont pas saints se gardent d’approcher de ces saints mystères ». En tendant l’hostie, le prêtre disait : Corpus Christi. Amen, répondait le fidèle. C’est le diacre qui donnait le calice en disant : « Le sang du Christ, breuvage de salut ». Le fidèle répondait encore : Amen. Cet Amen exprimait l’adhésion intime et publique du communiant aux mystères sacrés. Il ne fallait pas le prononcer par simple habitude, avec distraction ou légèreté. Tertullien (+ 220), dans son ouvrage Des Spectacles, critique ceux qui « de la même bouche acclament les gladiateurs et disent Amen à l’eucharistie ».

    VE PN 106 GregoireLeGrand.jpgPlus tard, du temps de S. Grégoire le Grand (+ 604), la formule de réception de l’eucharistie s’est développée : Que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ conserve ton âme. Alcuin, au VIIIe s., rapporte cette formule : Que le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ te conserve pour la vie éternelle. Autre variante : Que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ soit pour toi le salut du corps et de l’âme. Cette formule est quasiment identique à celle qui est prononcée dans toute l’Église jusqu’en 1965 et encore aujourd’hui dans les messes en latin selon le rite dit extraordinaire.

    L’ordre de préséance pour la réception de la communion est resté pratiquement inchangé depuis les origines : d’abord le célébrant se communie lui-même, ensuite les évêques, s’il y en a, puis les prêtres concélébrants selon l’ordre d’ancienneté, enfin les diacres, sous-diacres, clercs, moines, diaconesses, vierges consacrées, enfin le peuple, en commençant par les hommes et en finissant par les femmes. Le même ordre est observé dans la communion au Précieux Sang.

    Pourtant, Jean Moschus (+ 619) dans le Pré spirituel relate une coutume en usage dans l’Église d’orient : on donnait la communion aux petits garçons aussitôt après les clercs ; pour éviter les déplacements, on plaçait ces privilégiés dans l’église à côté de la sacristie, au plus près de l’autel. Cette coutume est attestée à Constantinople au temps de l’empereur Justinien (+ 565). Nicéphore, patriarche de Constantinople (+ 828) raconte qu’étant enfant, il a souvent mangé les restes de l’Eucharistie…[3]

    En France, à la même époque, existait une pratique semblable, puisque le second concile de Mâcon tenu en 585 ordonne que les mercredi et vendredi, on fera venir des enfants innocents, et qu’après les avoir fait jeûner on leur donnera les restes du sacrifice, arrosés de vin. Cet usage a subsisté jusqu’au temps de Charlemagne : en effet, le troisième concile de Tours (813) défend de distribuer indiscrètement l’Eucharistie aux enfants et aux autres personnes (can. 19), ce qui suppose qu’il était permis de leur distribuer avec discrétion et discernement.

    C’est autour des IXe et Xe siècles que ces pratiques – comme beaucoup d’autres – vont être abandonnées. Eudes de Sully, évêque de Paris défend en 1196 aux prêtres de son diocèse de donner des hosties aux enfants, même non consacrées. Les synodes du Mans et de Bayeux (1300) interdisent aux prêtres de donner aucune hostie consacrée aux enfants en-dessous de 7 ans.

    Les documents écrits qui nous sont parvenus montrent toutefois que les usages étaient très variés selon les pays et les régions ; l’autonomie des évêques n’était pas un vain mot… Ainsi, au XIIe siècle, on communiait encore les enfants au moment du baptême, sous l’espèce du vin seule, en quelques endroits (lettre de Gilbert de la Porrée (+ 1154), évêque de Poitiers à Matthieu abbé de St Florent).

    Comment s’organisait la procession de communion ?

    Les fidèles communiaient généralement derrière la balustrade qui sépare le chœur de la nef (l’empereur seul pouvait communier à l’autel, comme il pouvait aussi y faire son offrande personnelle…).

    Par contre, dans les églises de Rome, durant les premiers siècles, les fidèles communiaient à leur place, ce qui évitait les longs mouvements dans l’assemblée : le prêtre donnait le pain, le diacre le vin. En revanche, sous S. Augustin, en Afrique du Nord, les fidèles se déplaçaient jusqu’à la balustrade, comme ils le font de nos jours.

    Il semble que les usages étaient encore différents en Gaule et que les fidèles communiaient… à l’autel. On le sait par 4e canon du 2e concile de Tours, en 567 : Les laïcs (hommes et femmes) doivent entendre l’office dans la partie de l’église qui est séparée du chœur des chantres par un balustre ; mais ils pourront entrer dans le Saint des saints pour y prier en particulier et pour communier suivant l’ancienne coutume.

    Pendant la communion, on chantait les psaumes. À la fin de la communion du peuple le prêtre faisait signe aux chantres et ils entamaient le Gloria Patri.

    Dans quelle attitude communiait-on ?

    Debout, en orient, comme en témoignage manifeste de la résurrection du Christ, qui s’est levé du séjour des morts. On baissait un peu la tête et les yeux en attitude de dévotion et l’on tendait les mains. Denys, évêque d’Alexandrie vers 245, raconte dans une lettre au pape Xyste le témoignage d’un homme qui explique comment il a communié : « Il avait entendu les paroles de l’Eucharistie, il avait répondu l’Amen avec l’assemblée, il s’était tenu debout devant la table et avait tendu les mains pour recevoir cette sainte nourriture… ».[4]

    Pendant mille ans environ, en orient comme en occident, le Corps du Christ se recevait donc dans la main : les témoignages sont nombreux (Tertullien, S. Cyprien, etc.). Entre autres, S. Ambroise, évêque de Milan (+ 397), pour obliger Théodose à faire pénitence du meurtre de Thessalonique, lui écrit : « Comment étendrez-vous vos mains qui dégouttent encore du sang que vous avez injustement répandu ? Comment avec de telles mains recevrez-vous le corps du Seigneur ? »

    VE PN 106 chalumeau communion.jpgEn orient, en témoignent aussi S. Basile, S. Jean Chrysostome ; S. Cyrille de Jérusalem (+ 387), dans ses Catéchèses, instruit précisément les fidèles : « Quand vous approchez pour communier, il ne faut pas y venir les mains étendues ni les doigts ouverts, mais soutenant de la main gauche votre main droite qui doit contenir un si grand Roi, recevez le corps de Jésus-Christ dans le creux de votre main en disant Amen ; alors, après avoir eu soin de sanctifier vos yeux par l’attouchement d’un corps si sain et si vénérable, vous y communierez en le mangeant. Mais prenez bien garde qu’il n’en tombe rien, considérant la perte que vous feriez de la moindre miette, comme si vous perdiez quelqu’un de vos membres. Si l’on vous donnait de l’or, quel soin n’apporteriez-vous pas pour le bien garder et n’en rien perdre ? Quelle précaution ne devez-vous donc pas avoir pour qu’il ne tombe pas la moindre partie d’une chose infiniment plus précieuse que l’or et les diamants. »

    Jean Damascène (+ 749) précise qu’il faut disposer les mains en forme de croix pour recevoir le corps du Crucifié.[5]

    Bède le Vénérable (+ 735) témoigne de la même pratique en occident. Décrivant la mort d’un moine, il dit que sentant sa fin venir, celui-ci demanda à ses frères qu’on lui apportât l’Eucharistie et que l’ayant prise entre ses mains, il demanda aux assistants si personne ne gardait de rancune contre lui, et que s’étant ainsi fortifié par ce viatique, il se prépara à entrer dans l’autre vie.[6

    VE PN 106  communion  avec une cuillère -communion-1.jpgLes hommes lavaient leurs mains avec grand soin avant de communier ; il est établi qu’en France et en Afrique, les femmes se recouvraient la main d’un linge blanc. On appelait ce linge dominicale. Le concile d’Auxerre (can. 36) interdit aux femmes de recevoir l’Eucharistie dans la main nue ; et au canon 42 : Que chaque femme quand elle communie, ait son dominicale, que si quelqu’une ne l’a point, qu’elle ne communie point jusqu’au dimanche suivant.

    Augustin en profite pour exhorter les femmes à la chasteté : « Comme les femmes ont soin d’avoir un linge propre pour y recevoir le corps du Seigneur, qu’elles aient aussi le corps chaste et le cœur pur. ».

    St Odon de Cluny (+ 942) enseigne dans ses conférences que les anciens, pour marquer plus de respect envers le mystère de l’Eucharistie, n’en approchaient qu’à pieds nus.

    Communion dans la bouche

    VE PN 106 communion sur la langue 0f94550ad0b2c43e8dda2e04c38c691b.jpgPeu à peu, à partir du IXe siècle, suite à des abus (détournements d’hosties, vols, communions sacrilèges…), les prélats de l’Église ont commencé à recommander aux prêtres de ne plus donner l’eucharistie dans la main mais directement dans la bouche des fidèles. La première trace écrite de ce changement est datée d’un concile qui se tint à Rouen sous Louis le Pieux (+ 840). Cependant, les coutumes anciennes ont persisté longtemps, par exemple en Bohême, au milieu du XVe siècle, selon le témoignage du cardinal Nicolas de Cues (+1464) dans la septième de ses lettres au clergé de son diocèse.

    Les orientaux ont aussi changé l’usage ancien et ont commencé à recevoir la communion, non plus dans la main, mais dans une petite cuillère où le Corps du Seigneur était mêlé au Précieux Sang (le pain consacré est levé et non azyme).

    Quant à la communion au Saint Sang, elle est restée en usage aussi bien en orient qu’en occident. Avec des audaces qui nous étonneraient aujourd’hui : S. Cyrille de Jérusalem, déjà cité plus haut, en témoigne en détail dans ses Catéchèses mystagogiques : « Après avoir ainsi communié au corps de Jésus-Christ, approchez-vous du calice du sang, non pas en étendant les mains, mais en vous inclinant comme pour l’adorer et lui rendre hommage, en disant Amen ; puis sanctifiez-vous par l’attouchement de ce sang de Jésus-Christ que vous recevez : en pendant que vos lèvres en sont encore trempées, essuyez-les avec la main, et portez-la aussitôt à vos yeux, à votre front et aux autres organes de vos sens pour les consacrer. Enfin, attendant la dernière prière du prêtre, remerciez Dieu de ce qu’il vous a rendu dignes de participer à des mystères si grands et si élevés. »

    Les fidèles étaient donc invités à utiliser le Saint Sang comme un moyen thérapeutique : le Christ n’avait-il pas guéri les hommes de son temps en les touchant de ses mains et même de sa salive (Mc 8, 23) ?

    À Rome, s’est introduite l’habitude de prendre la communion du Sang Précieux par aspiration, avecVE PN 106 communion avec un chalumeau martyrs_uganda18.jpg un… chalumeau : un bout trempait dans le calice et l’autre était dans la bouche du communiant. Les paroles du cérémonial sont les suivantes : Le pape ayant pris le corps de Jésus-Christ, l’évêque cardinal assistant lui présente un chalumeau d’or avec lequel il prend une partie du sang, laissant le reste pour le diacre et le sous-diacre.[7] Le peuple communiait de la même manière après les prêtres. Il s’agissait sans doute d’empêcher que le sang précieux tombe ou se perde ; pour parer à cette éventualité, en plusieurs endroits, le prêtre mettait le pain consacré dans la bouche des communiants, trempé dans le Sang précieux. Dans l’Église latine, on ne communiait pas au Saint Sang le Vendredi-Saint.

    Par contre, le 3e concile de Braga au Portugal (en 675) défend expressément aux prêtres de donner l’Eucharistie trempée dans du vin pour complément de communion.

    Les papes cependant voulaient conserver l’ancien usage de communier sous les deux espèces, car plus conforme au récit évangélique. Les opposants rétorquèrent que c’est ainsi que Judas a communié et donc qu’il faut l’éviter !

    À partir du XIIe siècle on se désaccoutume insensiblement et sans bruit de donner la communion sous les deux espèces. Pour deux raisons : 1. La crainte de répandre le précieux Sang. 2. La rareté du vin dans les pays du Nord qui se convertirent assez tard. On avait parfois même de la peine à trouver du vin pour le prêtre seul.


    Thomas d’Aquin (+ 1274) justifie cette nouvelle manière de communier au seul Corps-hostie en précisant que la perfection du sacrement ne consiste pas dans l’usage qu’en font les fidèles, mais dans la consécration de ce qui en fait la matière ; ainsi, on ne déroge en rien à sa perfection quand le peuple prend le corps sans le sang, pourvu que le prêtre qui consacre prenne l’un et l’autre[8].

    Un siècle avant Thomas, Hugues de Saint Victor (+ 1141) avait résumé la doctrine en quelques mots prudents : « Sous chaque espèce, on prend le corps et le sang et l’espèce du vin ne se peut réserver sûrement ».[9]

    On ne trouve par ailleurs aucun acte authentique qui interdise la coupe aux fidèles avant le concile de Constance (1414-1418). Mais les Bohémiens se singularisent une nouvelle fois en s’opposant à cette disposition. Sous la pression des fidèles, le pape Pie IV (+ 1565) déroge à la règle et accorde de communier au calice aux Églises d’Allemagne. Cette décision sera révoquée par son successeur Pie V. En quoi l’on constate que dans les questions de discipline et de pastorale, un pape peut défaire ce qu’un prédécesseur a fait.

    Le lieu privilégié de la communion était évidemment l’église, mais aux premiers siècles, durant les persécutions, elle pouvait aussi être donnée dans les maisons particulières (Ac 2, 46). Après les persécutions, l’usage s’est gardé de porter la communion aux absents, c’était la tâche des diacres (comme en témoigne S. Justin dans son apologie au sénat).

    On fournissait aussi en hosties les moines d’Égypte, reclus au désert, les anachorètes dans les montagnes, etc. Première restriction connue : en Espagne, le premier concile de Tolède (en 400) oblige les fidèles à communier seulement dans les églises pour empêcher des abus faits à l’extérieur (can. 14).

    Autre usage peu connu : jusqu’au XIIe siècle, il était de coutume de donner aux vierges consacrées, le jour de leur consécration, une hostie entière de laquelle elles se communiaient elles-mêmes pendant les huit jours suivants.

    Le jeûne eucharistique

    VE PN 106 agapes antiques 250px-Cina.jpgLes premiers chrétiens recevaient l’eucharistie après un repas en commun (appelé aussi agapes), comme lors de la dernière Cène. Déjà des abus liturgiques sont constatés et dénoncés par S. Paul.[10] Les communiants n’étaient donc pas à jeun, mais faisaient leur possible pour se rendre digne de participer à la nourriture céleste.

    Le jeûne eucharistique s’introduit peu à peu dans les usages à partir de l’Afrique. Au concile de Carthage (en 397), les évêques réunis décident ceci : « Nous avons ordonné que les sacrements de l’autel ne seraient célébrés qu’à jeun, excepté le jour anniversaire de la Cène du Seigneur. Que s’il faut faire la recommandation de quelque défunt après le dîner, qu’on la fasse par les seules prières, si ceux qui la font, ont pris leur repas (can. 29) ».

    En orient comme en occident, il était aussi recommandé aux couples mariés de s’abstenir de l’union conjugale la veille voire quelques jours avant de communier. S. Isidore en parle comme d’une chose généralement pratiquée de son temps[11].

    Autres usages de l’Eucharistie

    Les évêques des premiers siècles s’envoyaient l’Eucharistie les uns aux autres en signe d’union, non seulement dans leur voisinage mais aussi dans des pays éloignés. S. Irénée en témoigne dans une lettre écrite au pape Victor[12]. Le concile de Laodicée (début du 4e s.) finit par interdire cette pratique. On lui substitua l’usage de s’envoyer réciproquement, en signe d’union et d’amitié, des pains ordinaires qu’on avait bénis et qui exprimaient l’union des chrétiens les uns avec les autres.  On appelait ces pains eulogies, en raison de la bénédiction que l’on y joignait par la prière.  S. Grégoire de Naziance (+ 390) parle des pains blancs marqués d’un signe de croix qu’il avait coutume de bénir. S. Paulin de Nole (+ 431) envoya ainsi un pain à S. Augustin et un autre à S. Alipe, évêque de Tagaste, en lui écrivant qu’en le recevant en esprit de charité il en ferait une eulogie.


    Jusqu’au Moyen Âge, les évêques s’envoyaient mutuellement des eulogies à Noël et à Pâques.

    Le fondement théologique de cette pratique était qu’on désignait Jésus-Christ comme le levain, qui est le principe d’union des parties de la farine avec laquelle il est mêlé, principe d’union des membres de l’Église entre eux. Bien que l’occident n’employait que du pain azyme pour l’eucharistie, on désignait souvent l’eucharistie sous le nom de ferment, symbole de l’union des évêques avec leur troupeau.

    Une autre pratique très ancienne consistait à porter l’Eucharistie sur soi à l’occasion des longs voyages, en guise de défense ou de sauvegarde contre les dangers de la route. En Allemagne, S. Boniface recommande aux moines de ne jamais voyager sans porter avec eux l’huile des infirmes, le chrême et l’Eucharistie. Les disciples de S. Colomban (+ 615), venus d’Irlande, établissent les mêmes coutumes en France.

    Qu’en est-il aujourd’hui ?

    Reprenons la question du début : faut-il communier debout dans la main ou à genoux dans la bouche ? Faut-il en revenir à des pratiques anciennes collectives et relativement codifiées ou bien se laisser guider par le ressenti personnel ? Ou bien faut-il s’adapter à la communauté où l’on communie : ici sur la bouche, là dans la main…

    VE PN 106 I-Grande-31947-encyclique-mediator-dei.net.jpgÀ la fin des années 1960, au nom d’un retour au passé (forcément authentique), beaucoup ont souhaité favoriser un retour à la communion dans la main ; il s’agissait aussi plus globalement de renforcer la participation active des fidèles dans le déroulement de la liturgie. Plus de vingt ans avant les autorisations post-conciliaires allant dans ce sens, Pie XII dénonçait déjà ce qu’il appelait « l’archéologisme liturgique » dans l’encyclique Mediator Dei (20 novembre 1947) : « Quand il s’agit de liturgie sacrée, quiconque voudrait revenir aux antiques rites et coutumes, en rejetant les normes introduites sous l’action de la Providence, à raison du changement des circonstances, celui-là évidemment, ne serait point mû par une sollicitude sage et juste ».

    Quinze ans plus tard s’ouvrait le concile Vatican II dont la réception allait s’avérer à la longue plus problématique que prévu… Concrètement, qu’on dit les pères conciliaires concernant la réception de l’Eucharistie ? La réponse est simple : rien. En effet, le dernier concile ne s’est pas prononcé sur la manière de recevoir l’Eucharistie. Par contre, la Constitution sur la liturgie (4 décembre 1963) a entraîné la création d’une commission chargée de la mise en pratique de « la restauration et du progrès de la liturgie ». Le président de cette commission a clairement demandé aux évêques de rite latin du monde entier (lettre du 29 octobre 1968), s’il fallait garder la communion à genoux et sur les lèvres, ou bien adopter la communion debout dans les mains. Près des deux tiers des évêques latins du monde s’opposèrent à l’introduction de cette manière de communier abandonnée depuis plus de mille ans. La question qui suit est évidente : comment dès lors une minorité agissante a-t-elle pu imposer un tel changement dans la pratique ? En fait, la réforme s’est imposée dans les textes de manière sinueuse et sous les apparences du bien.

    Le 29 mai 1969, la Congrégation pour le Culte Divin publie l’Instruction Memoriale Domini qui énumèreVE PN 106 Memoriale Domini 22ca48fec6332444e56bf10036617741.jpg les avantages de la communion sur la langue ; et elle conclut comme suit : « Compte tenu de la situation actuelle de l’Église dans le monde entier, cette façon de distribuer la sainte communion [sur la langue] doit être conservée, non seulement parce qu’elle a derrière elle une tradition multiséculaire, mais surtout parce qu’elle exprime le respect des fidèles envers l’Eucharistie. [...] De plus, cette façon de faire, qui doit déjà être considérée comme traditionnelle, assure plus efficacement que la sainte communion soit distribuée avec le respect, le décorum et la dignité qui lui conviennent [...]. C’est pourquoi, le Souverain Pontife n’a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la sainte communion aux fidèles. Aussi, le Saint-Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau ».

    C’est ici qu’il faut constater combien les pratiques ont précédé les textes, car dans la majorité des paroisses, dès la fin du concile (1965, 66, 67), dans l’euphorie générale, le curé avait déjà pris les devants et autorisé, voire imposé, la communion dans la main et dans le même mouvement révolutionnaire, retourné l’autel et renvoyé le latin aux amateurs de Cicéron dans le texte.

    Or, tout en maintenant et encourageant la pratique de l’antique tradition de la communion dans la bouche, ce même document donnait aux évêques la possibilité de demander un indult, c’est-à-dire une dérogation au droit commun (même racine qu’« indulgence ») pour que dans leur diocèse la communion fût autorisée dans la main, ce que se sont empressés de faire les évêques européens… L’exception devint ainsi la règle et la concession charitable un droit inaliénable.

    L’argument de fond pour introduire la nouvelle manière de communier avait été avancé dans cette fameuse lettre du 29 octobre 1968 aux évêques du monde entier : « La manière traditionnelle de recevoir la communion sur la langue apparaît de plus en plus à nos contemporains comme un geste infantile ; il rappelle trop la manière de nourrir les petits enfants incapables de manger seuls. Beaucoup d’adultes ressentent de la gêne à faire en public un acte qui n’a aucune beauté extérieure et qui les rabaisse à la petite enfance. » En d’autres termes : le chrétien moderne est un chrétien adulte qui se tient debout face à son Seigneur et qui se communie lui-même !

    On perçoit bien le renversement anthropologique à l’œuvre : l’homme moderne refuse d’être comme un petit enfant que son Seigneur nourrit, il répugne à se trouver dans la position de l’oisillon recevant sa becquée ! Cet homme-là ne veut plus recevoir, il veut prendre !

    Cinquante ans après ce bouleversement, a-t-on constaté dans l’Église un plus grand respect pour la sainte Eucharistie ? une dévotion renouvelée pour le Saint-Sacrement ? une croissance de la pratique religieuse ?... Poser ces questions, c’est y répondre.

    Abus et dérives

    Les abus liturgiques concernant la distribution et la réception de l’Eucharistie se sont multipliés à unVE PN 106 signe-de-paix-messe.jpg point tel que la Sacrée Congrégation pour les sacrements et le culte divin a publié en 1980 une sévère Instruction sur les normes relatives au culte du mystère eucharistique. Y sont notamment dénoncées la distribution abusive de l’eucharistie par des laïcs et la réception indigne de ce sacrement.

    En voici quelques extraits toujours utiles à lire aujourd’hui, alors que ces abus sont devenus permanents et normatifs dans la majorité des lieux de culte.

    La communion est un don du Seigneur, qui est donné aux fidèles par l’intermédiaire du ministre qui a été délégué pour cela. Il n’est pas permis aux fidèles de prendre eux-mêmes le pain consacré et le calice ; et encore moins de se les transmettre les uns aux autres (n° 9).

    Le fidèle, religieux ou laïc, autorisé pour être ministre extraordinaire de l’Eucharistie, pourra distribuer la communion seulement lorsque font défaut le prêtre, le diacre ou l’acolyte, lorsque le prêtre est empêché de le faire à cause d’une infirmité ou de son âge avancé, ou lorsque le nombre des fidèles qui s’approchent de la communion est si grand qu’il prolongerait vraiment trop longtemps la célébration de la messe. Il faut donc réprouver l’attitude des prêtres qui, tout en étant présents à la célébration, s’abstiennent de distribuer la communion et laissent cette tâche aux laïcs  (n° 10).

    Quant à la manière de s’approcher de la communion, les fidèles peuvent la recevoir à genoux ou debout, selon les règles établies par les conférences épiscopales. […] Mais lorsqu’ils communient debout, il est vivement recommandé que, s’avançant en procession, ils fassent un acte de révérence avant la réception du sacrement […] (n° 11).

    Il est donc permis de communier debout et dans la main, et chacun est libre devant sa conscience et devant Dieu, mais en l’absence visible des fruits de cette pratique, on peut aussi ajouter, comme l’écrit S. Paul aux Corinthiens, « ce qui est permis n’est pas forcément profitable »[13].

    « Nous nous prosternons… »

    Nous conclurons par un extrait d’une homélie du pape Benoît XVI ; il invite le croyant à redécouvrir le sens de l’adoration et l’humilité devant le Tout-Puissant et le Verbe qui s’est fait chair[14] :

    VE PN 106 B XVI à genoux img.57.png« Adorer le Dieu de Jésus Christ, qui s’est fait pain rompu par amour, est le remède le plus valable et radical contre les idolâtries d’hier et d’aujourd’hui. S’agenouiller devant l’Eucharistie est une profession de liberté : celui qui s’incline devant Jésus ne peut et ne doit se prosterner devant aucun pouvoir terrestre, aussi fort soit-il. Nous les chrétiens nous ne nous agenouillons que devant Dieu, devant le Très Saint Sacrement, parce qu’en lui nous savons et nous croyons qu’est présent le seul Dieu véritable, qui a créé le monde et l’a tant aimé au point de lui donner son Fils unique (cf. Jn 3, 16). Nous nous prosternons devant un Dieu qui s’est d’abord penché vers l’homme, comme un Bon Samaritain, pour le secourir et lui redonner vie, et il s’est agenouillé devant nous pour laver nos pieds sales. Adorer le Corps du Christ veut dire croire que là, dans ce morceau de pain, se trouve réellement le Christ, qui donne son vrai sens à la vie, à l’univers immense comme à la plus petite créature, à toute l’histoire humaine comme à l’existence la plus courte. L’adoration est une prière qui prolonge la célébration et la communion eucharistique et dans laquelle l’âme continue à se nourrir : elle se nourrit d’amour, de vérité, de paix ; elle se nourrit d’espérance, parce que Celui devant lequel nous nous prosternons ne nous juge pas, ne nous écrase pas, mais nous libère et nous transforme. »

    Pierre René Mélon

    __________

    [1] Source : Charles-Mathias Chardon, Histoire des Sacrements, Drouin, 1841.

    [2] Mt 26, 26-28.

    [3] Histoire ecclésiastique, livre 4, chap. 35.

    [4] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, Cerf, 2003, coll. « Sagesse chrétienne », livre VII, chap. 9, p. 390.

    [5] La foi orthodoxe, livre 4, chap. 14.

    [6] Histoire ecclésiastique du peuple anglais, livre 4, chap. 24.

    [7] Au milieu du XXe siècle, on a encore pu voir le pape Jean XXIII communier de cette manière.

    [8] Somme théologique, 3 part., q. 80, art. 12, ad. 2.

    [9] Hugues de Saint Victor, Traité de la communion sous les deux espèces.

    [10] 1 Cor 11, 17-34. Ces sévères admonestations de S. Paul, réduisent à néant l’argumentation de ceux qui bannissent la communion dans la main en avançant que les anciens chrétiens étaient plus pieux qu’aujourd’hui et donc plus dignes de recevoir l’eucharistie de cette manière.

    [11] Livre des offices divins, ch. 18.

    [12] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, livre 5, chap. 24, § 15.

    [13] « Tout m’est permis, mais tout n’est pas profitable » (1 Cor 6, 12).

    [14] Homélie du pape Benoît XVI, Basilique Saint-Jean-de-Latran, jeudi 22 mai 2008.

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  • Eclipse de Dieu, éclipse de l'homme

    ECLIPSE DE DIEU, ECLIPSE DE L’HOMME

    VE PN 106 Brague.jpgDans le cadre des conférences qu’ils organisent à l’Université de Liège, l’Union des étudiants catholiques liégeois et le Groupe de réflexion sur l’éthique sociale avaient invité, voici quelque temps, le philosophe Rémi Brague, professeur ordinaire à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et à la Ludwig-Maximilian Universität de Munich. Membre de l’Institut, celui-ci a reçu le Prix 2012 de la Fondation Ratzinger-Benoît XVI. Voici une synthèse de son exposé, dont la transcription intégrale est disponible gratuitement sur simple demande, en s’adressant à notre rédaction.

     

    Mort de Dieu, mort de l’homme

    VE PN 106  Frédéric Nietzche 1 PC6VoZllfHFtlYR8p8kPZg.pngLe titre de cette conférence est une métaphore empruntée à l’œuvre du philosophe juif Martin Buber (Vienne 1878-Jérusalem 1965) illustrant  le thème de la mort de Dieu que l’on rencontre aussi chez Max Weber (Le désenchantement du monde, 1917) et, bien sûr, Friedrich Nietzche (le Gai Savoir, 1882) : plus que de triomphe, c’est un cri d’inquiétude auquel répondVE PN 106 Christ mort mantegna andrc3a9a-mantegna-lamentations-sur-le-christ-mort.jpg celui de la mort de l’homme que l’on trouve chez Léon Bloy, Nicolas Berdiaev ou André Malraux. Il a été repris et rendu célèbre par Michel Foucauld (Les mots et les choses, 1966) ramenant cette idée à la critique d’une incohérence logique : si le prototype disparaît, alors la copie doit aussi s’effacer. La thèse de Rémi Brague est moins innocente : selon lui, la disparition de Dieu à l’horizon de l’humanité pourrait entraîner de fait celle de l’humanité elle-même, une disparition sinon physique en tout cas ontologique: la disparition de ce qui fait l’humanité de l’homme.

    Echec de l’athéisme ?

    Pour Rémi Brague, l’athéisme est un échec. Sa faveur croissante dans l’opinion publique n’est pas une objection pertinente. Pour un philosophe, la quantité de gens qui défendent une opinion déterminée n’est pas un argument en soi : ni pour, ni contre. Mais d’autres succès spectaculaires sont à mettre au crédit de l’athéisme :

    grand architecte 58746065_p.jpgAu niveau théorique d’abord, la science moderne de la nature n’a plus besoin d’une religion « bouche-trou » lorsqu’on cherche une explication du monde. Mais, on peut ici se demander si une religion a vraiment jamais prétendu expliquer comment le monde fonctionne. Quoi qu’il en soit, le Dieu horloger de Voltaire a vécu. Cette victoire théorique se complète d’une victoire dans la pratique politique, laquelle montre que les sociétés d’aujourd’hui peuvent s’organiser sans avoir besoin d’un principe supra humain de légitimité. Reste que toutes les religions ne cherchent pas à réglementer la société : on oublie trop à cet égard que le christianisme laïcité francia-laicità-laicité.jpgn’édicte pas de règles de conduite fondamentalement distinctes de celles que la raison naturelle a ou pourrait trouver par ses propres forces.  De fait, le Décalogue qui est ce qu’il a retenu de la Torah des juifs n’est jamais que le « kit » de survie de l’humanité : un minimum.

    Quoi qu’il en soit, les deux « victoires » de l’athéisme sont énormes dans l’histoire de l’humanité. Mais elles appellent tout de même deux observations :

    D’une part, l’athéisme n’est pas nécessairement l’affirmation militante de convictions agressives. Ce peut être d’abord un principe de méthode : une mise entre parenthèses du divin. C’est pourquoi on a inventé des termes comme « agnosticisme », « sécularisme » ou « humanisme » (un parti politique belge d’origine chrétienne a même adopté ce qualificatif). D’autre part, cet agnosticisme lui-même ne concerne pas que les questions religieuses : le positivisme philosophique se contente de connaissances « positives » sur le monde, sans chercher les causes dernières des phénomènes qu’il appréhende.

    Est-il légitime que l’homme existe ?

    Malgré tout cela, l’athéisme contient un défaut mortel, même sous sa forme atténuée de l’ agnosticisme. Il y a, en effet, une question sur laquelle l’athéisme n’a rien à dire dès lors que la racine de l’homme serait l’homme lui-même : s’il n’existe aucune instance supérieure à l’homme, comment celui-ci pourrait-il affirmer sa propre valeur?  Si c’est l’homme lui-même qui se juge, comme dirait Chesterton, c’est le signe du fou, dont l’histoire politique nous montre maints exemples.

    Au tournant des XVIIIe-XIXe siècles, Fichte, radicalisant la philosophie de Kant, croit avoir trouvé la solution : le divin est donné dans la loi morale qui est présente en nous et dont nous aurions tous conscience. Donc, il n’y a pas besoin de foi en Dieu mais, en revanche, il y a quelqu’un en qui nous avons besoin de croire : c’est l’homme.

    VE PN 106 goulag.jpgCroire en l’homme, malgré ce théâtre de grand guignol que représente l’histoire ? Nous avons eu, au XXe siècle, deux régimes explicitement athées : l’un anti-chrétien parce qu’anti-juif, l’autre anti-juif parce qu’anti-chrétien. « J’ai honte d’être un être humain » disait alors la philosophe allemandeVE PN 106 auschwitz.jpg d’origine juive Hanna Arendt. Et aujourd’hui la question de la légitimité de l’être humain se fait encore plus concrète parce que nous avons, à grande échelle, les possibilités techniques d’en finir avec l’humanité. Or, comme disait Leibniz, les possibles ont une tendance à exister.  

    Mais, à supposer même que l’athéisme ne tue personne, est-il capable de donner des raisons de vivre ? L’homme n’est peut-être pas le gentil du film hollywoodien, c’est peut-être le méchant ou, comme disait le philosophe angliciste allemand VE PN 106  explosion nucléaire index.jpgHartmann, la « sale bête » universellement prédatrice, universellement envahissante ne se contentant pas de sa niche écologique mais faisant irruption partout : si l’homme disparaissait, alors tout de même la nature serait libre.

    Que faire avec ce genre d’argument ?  Une réponse serait de dire qu’il y a un instinct de survie et que l’homme peut bien continuer à exister sans s’occuper de sa propre légitimité. Mais alors, le seul animal qui se pose la question des raisons de ce qu’il fait renoncerait à la raison à propos d’un problème qui met en jeu son existence.

    Cette impasse rationnelle n’appelle qu’une issue raisonnable : c’est de trouver un point de référence Cardinal Henri de Lubac, S_J_.jpgextérieur qui puisse dire qu’il est bon qu’il existe des hommes, un levier d’Archimède qui soit en droit de dire, justement parce qu’il n’est pas homme, que celui-ci, malgré tout, doit être sauvegardé et, conclut Rémi Brague, pour nommer ce point de référence extérieur, si vous trouvez un meilleur terme que Dieu, vous me faites signe.

    Dans son célèbre « Drame de l’humanisme athée » publié à la fin de la seconde guerre mondiale, le Père Henri de Lubac estimait que si l’on peut construire une société sans Dieu, elle serait inhumaine. Moins optimiste, Rémi Brague ajoute qu’une telle société serait séculaire au sens propre du terme, c’est-à-dire que raisonnablement, elle ne pourrait donner que la vie d’un individu humain en sa longévité maximale.

    Jean-Paul Schyns

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    Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n° 106, printemps 2018

  • Comment notre monde a cessé d’être chrétien

    VE PN 106 comment notre monde a cessé d'être chrétien 102129_couverture_Hres_0.jpgDans « La Croix » du 8 février, Isabelle  de  Gaulmyn commente  le récent ouvrage  « Comment notre monde a cessé d’être chrétien » (Seuil, 288 p., 21 €) que Guillaume Cuchet a consacré à la rupture ouverte au sein du catholicisme depuis Vatican II . L’auteur montre que la mise en œuvre du Concile a été l’élément déclencheur du décrochage du catholicisme en France (comme ailleurs en Occident), une évolution qui - à son sens- aurait de toute façon eu lieu. Guillaume Cuchet est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Est:

     « Comment le catholicisme français est-il devenu si rapidement une religion minoritaire, avec une chute de la pratique dominicale de près d’un tiers entre 1955 et 1975? La question nest pas nouvelle. Depuis plus de trente ans, deux types de réponses sont avancés: pour les uns, plutôt à droite de l’Église, cest la faute à Mai 68; pour dautres, cest à cause de l’encyclique Humanae vitae, qui, en interdisant la contraception, aurait découragé une génération de croyants. C’est en historien que Guillaume Cuchet cherche à répondre à cette même question, en exploitant les fameuses enquêtes du chanoine Boulard. Grâce à l’appui de l’épiscopat de l’époque, ce prêtre audacieux, féru de sociologie, a réalisé une photographie de la pratique du catholicisme dans tous les diocèses de la France des années 1955-1965. Et s’il a lui-même perçu le décrochage du catholicisme en France, il n’en a pas mesuré l’ampleur, notamment en ce qui concerne la chute massive de la pratique des plus jeunes, entre 12 et 24 ans. En exploitant ces données, et en les confrontant à d’autres enquêtes faites dans les années 1970, Guillaume Cuchet peut affirmer que cette rupture a eu lieu exactement juste après Vatican II en 1965. Donc avant 1968.

    La question est de savoir ce qui, dans le Concile, a pu provoquer la rupture. « A priori, le Concile lui-même n’y est pas pour beaucoup, quoi qu’en ait dit la polémique intégriste ou traditionaliste », écrit Guillaume Cuchet. En revanche, l’historien met en cause une pastorale post-conciliaire, en France, souvent « élitiste », peu adaptée à une pratique plus culturelle. Les prêtres de l’époque ont sans doute un peu vite considéré que le cadre qui permettait de tenir cette pratique (obligation dominicale, piété populaire, communion solennelle…) n’était que sociologique, et n’avait, au fond, pas de valeur. Tout un discours pastoral, qui n’est en rien écrit dans les documents conciliaires, va mettre en place une nouvelle hiérarchie des obligations du fidèle, où l’assiduité à la messe n’a plus la même importance que l’engagement dans la vie sociale ou associative, le respect aussi de la liberté de conscience. Cette « sortie collective de la pratique obligatoire sous peine de péché mortel », ainsi que la désigne Guillaume Cuchet, eut un effet désastreux sur la fréquentation des églises, effet d’autant plus important que ce mouvement s’inscrit dans une mutation plus générale des formes de l’autorité, que ce soit dans le domaine familial ou scolaire. Pour appuyer son propos, Guillaume Cuchet analyse le sacrement de la confession, qui baisse de manière spectaculaire autour de 1965, et l’évolution de la prédication autour des fins dernières et du Salut.

    Pour autant, ce livre n’est pas un réquisitoire contre Vatican II. Au contraire, refusant d’en faire un tabou, il permet de replacer cet événement dans un contexte plus général d’une histoire longue, commencée avec la Révolution française, et que toute l’évolution de notre société, à partir de 1968, a amplifié et démultiplié. Comme le remarque l’historien, la crise était inévitable. Le Concile n’a pas provoqué la rupture, qui aurait de toute façon eu lieu, mais il l’a déclenchée, en lui donnant une intensité particulière. Ce n’est pas tant l’évolution que la manière dont elle a été accompagnée pastoralement qui est ici en cause. Et sans doute la quasi-disparition du catholicisme populaire dans notre pays peut-elle aujourd’hui en partie s’expliquer par cette mise en œuvre d’une pastorale réservée à une élite ultra-formée, ultra-consciente, laissant sur le côté des pratiquants moins investis, qui tenaient à la religion à travers un cadre dressé par des sacrements plus accessibles. Des pratiquants dont on n’aurait pas suffisamment pris en compte les besoins. Voilà un travail qu’il aurait été difficile de mener plus tôt en raison de « la sanctuarisation du concile Vatican II », par crainte de donner des arguments aux intégristes. Il marquera sans aucun doute l’historiographie du catholicisme dans notre pays et devrait susciter des discussions passionnées ».

    Lire dans le n° 106 (Printemps 2018) du magazine Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle.

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  • RDC: une Eglise qui dérange le pouvoir

    VE PN 106 Cardinal-Monsengwo.jpgImage inversée de ses consoeurs occidentales, une jeune Eglise sans complexe, de plus en plus présente sur le terrain et soutenue par la population, est devenue un acteur incontournable en République démocratique du Congo. Elle interpelle le clan Kabila, qui a choisi la répression. Commentaire d’Anne Guion sur le site de l’hebdomadaire « La Vie » (extrait) :

    Les tensions sont de plus en plus fortes entre le pouvoir congolais et l’Église catholique, qui depuis un an ne cesse de demander l’alternance politique. Au pouvoir depuis 2001, Joseph Kabila aurait dû se retirer le 20 décembre 2016, à la fin de son dernier mandat, mais il a bien pris soin de n’organiser aucun scrutin. Pour une raison simple : la Constitution l’autorise à rester en poste jusqu’à l’élection de son successeur. Pour tenter de régler la crise, la CENCO (Conférence Episcopale Nationale du Congo) a mené des pourparlers entre le pouvoir et l’opposition, qui ont abouti à l’accord de la Saint-Sylvestre (signé le 31 décembre 2016). Le texte prévoyait que l’élection présidentielle ait lieu en fin d’année 2017. Finalement, celle-ci ne devrait se tenir que le 23 décembre… 2018. « L’Église, qui s’est sentie flouée, fait tout pour éviter un bain de sang, estime Samuel Pommeret, chargé de mission au CCFD-Terre solidaire. Le pouvoir, qui gère le pays par le chaos, n’hésite pas à réprimer. »

    Pour comprendre ce face à face sanglant, il faut avoir conscience du poids de l'Église en RDC. Cet immense pays de 80 millions d'habitants compte plus de 40% de fidèles catholiques. Dans ce territoire où l’État est devenu inexistant, l'Église est, elle, présente partout avec 41 diocèses et 6 archidiocèses. Très vivante, elle dispose même d’une liturgie propre, adaptée à la culture locale et reconnue comme telle par le Saint-Siège. Surtout, elle pallie presque toutes les déficiences de l’État, par exemple au Kivu, dans l’Est du pays, une région déchirée par un conflit entre groupes armés pour le contrôle des zones minières. Les services diocésains y gèrent la plupart des écoles et des dispensaires, accueillent les femmes victimes de viol – une pratique de terreur utilisée par les milices locales. Quitte à soulager l’État congolais de ses responsabilités. Ainsi, à Bukavu, le Bureau diocésain de développement (BDD) travaillait, il y a quelques années, sur un projet de construction d’une usine de traitement de l’eau. Dans la région d'Uvira, à la frontière avec le Burundi, où les banques sont inexistantes, les salaires des fonctionnaires des écoles de campagne sont acheminés par la Caritas (le réseau à l’international du Secours catholique). « L’Église a même mis au point un système qui facilite les transactions commerciales », témoigne Samuel Pommeret.

    Cette présence sur le terrain s’est peu à peu accompagnée d'un engagement sur la scène politique. « En Europe, après des siècles de culture chrétienne, la société est imprégnée des valeurs du christianisme, comme la recherche du bien commun, mais vous avez oublié Dieu ! Tandis que chez nous, où l’Église catholique est très jeune, le sacré est très présent, mais ce sont les valeurs qui manquent », nous expliquait ainsi François-Xavier Maroy, l’archevêque de Bukavu, à la frontière avec le Rwanda, en 2012. L’engagement est venu naturellement. « Nous recommandons aux habitants de payer leurs impôts, mais si les gouvernants ne refont pas les routes, par exemple, ce discours est impossible à tenir ! La grande question est : qui doit commencer à faire un effort ? » Dans ce pays traumatisé par de nombreuses années de guerre, les commissions Justice et paix militent dans chaque diocèse pour les droits civiques et la réconciliation. L'Église est également très active dans le domaine du contrôle de la gestion des ressources naturelles. « Celle-ci a un rôle politique qu'elle assume tout à fait, affirme Samuel Pommeret. Il s'agit pour elle d'appliquer la doctrine sociale de l'Église. »

    VE PN 106 La CENCO arton8016.jpg

    Lire dans le n° 106 printemps 2018 du magazine Vérité et Espérance-Pâque nouvelle.

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  • Belgique : le débat sur la laïcité est relancé

    « La loi civile prime sur toute loi religieuse »

    De la revue de presse du service interdiocésain, cet extrait du journal Le Soir :

    VE PN 106 laicite-religion-du-nouvel-ordre-mondial.jpg« C’est une petite phrase qui n’a l’air de rien, mais elle rouvre un débat volcanique dans le monde politique. Richard Miller, député fédéral réformateur, propose d’inscrire dans un préambule à la Constitution les mots suivants : « La loi civile prime sur toute loi religieuse. » Par là, et à la suite du chef de groupe VLD Patrick Dewael, il entend relancer le débat sur une laïcité à la belge. … Richard Miller s’explique. Avec cette formulation, il entend permettre à tous de comprendre « que nous évoluons dans un pays où la croyance religieuse ne dicte pas la loi, ceci avec tout le respect que j’ai pour les convictions et les engagements religieux » . Mais la proposition a-t-elle une chance d’aboutir ? Les socialistes sont favorables (les conclusions du Chantier des idées sont explicites) à l’introduction de la laïcité de l’Etat dans la Constitution. Les amarantes de Défi ont également par le passé donné leur aval. Les verts, eux, sont ouverts à la discussion mais craignent un feu de paille, qui ne réglera pas des problèmes plus profonds dans la société. Les centristes-humanistes, eux, se disent ouverts à une révision constitutionnelle sur ce thème. Evidemment, le CD&V est plus réticent, la N-VA faisant preuve de prudence. Les deux partis sont en effet proches du monde catholique au Nord. »

    Et les droits de la conscience ?

    VE PN 106 louis-leon-christians.jpg« Comme citoyen et comme croyant, l'homme est appelé à la responsabilité d’un être de conscience ». Un témoignage de Louis-Léon Christians, professeur ordinaire à l'UCL, titulaire de la chaire Droit et Religions, expert auprès du Conseil de l'Europe, en tribune sur le site du Soir  (26 janvier 2018):

    La conscience comme droit de l’homme

    « La liberté de conscience semble plus que jamais un acquis précieux, à l’heure où les consciences sont de plus en plus fréquemment perçues comme des « signes faibles » de dangerosité potentielle et justifient de nouvelles références à la « raison d’Etat ».

    Qu’il y ait incompatibilité entre les deux projets humains que sont démocratie et théocratie est toujours utile à rappeler : nos lois sont adoptées par les élus de la Nation, dans le respect de la séparation entre l’Etat et toute organisation religieuse ou philosophique. Il est toujours bon de redire à toutes ces organisations qu’elles ne peuvent nullement s’estimer maîtres de l’Etat, comme ne l’est d’ailleurs aucune autre organisation, professionnelle, politique, syndicale, sportive, scientifique, commerciale, etc. La loi civile, de son point de vue, les prime toutes et se borner à évoquer la loi religieuse semblerait bien discriminatoire.

    Seul le Parlement, à la majorité prévue, fixe la Constitution et les Lois. Est-ce toutefois à dire que la volonté de cette majorité élue « prime » réellement « tout » ? Il faut être attentif à l’ambiguïté qui frappe le verbe « primer ». Il appelle quelque prudence : évoque-t-il le champ du droit, le champ de la morale ? s’oppose-t-il à la violation de la loi ou aussi la critique de la loi ? Sans doute faut-il surtout rappeler la primauté des « droits de l’homme ».

    Première sagesse

    Et parmi les différents droits de l’homme garantis, la liberté de religion et de conviction fixe certaines bornes aux « rapports de primauté » en matière religieuse et convictionnelle. Le pouvoir de l’Etat s’y voit limité, comme le sont aussi les abus de tout tiers, envers ce que chaque personne estimera être les exigences de sa conscience. La légère complexité des formules européennes rappellera, même aux non-experts, que la première sagesse des droits de l’homme tient précisément à rechercher un équilibre raisonnable entre les différentes prétentions de pouvoirs et celles de la libre conscience humaine. Cette dernière ayant, elle aussi, à trouver une voie de coexistence pacifique dans une société pluraliste.

    Il est donc bon, au moment où l’on cherche des formules, de rappeler celle de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, que la Cour du même nom veille à garantir aux huit cents millions d’habitants du Conseil de l’Europe :

    1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
    2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

    Une garantie controversée

    Il ne conviendrait pas, sous le vocable lui aussi ambigu de « loi religieuse » de confondre la condamnation européenne de la théocratie avec la protection européenne de la liberté de conscience. Or cette garantie, considérée longtemps comme un progrès des droits, redevient polémique et controversée. Ainsi, les consciences sont de plus en plus fréquemment perçues comme des « signes faibles » de dangerosité potentielle et justifient de nouvelles références à la « raison d’Etat » : une censure discrète à travers des conditions d’accès ou de subventionnement, une extension de l’appareil répressif, une résurgence de nouveaux délits d’opinion. Un ensemble de mesures qui viennent brouiller les frontières entre la libre diversité des convictions et la répression de la violence.

    Un acquis précieux

    Que le passage à la force ou à la violence soit à l’opposé des démocraties est une évidence. De même, les démocraties s’opposent-elles à l’imposition de convictions par la contrainte – physique, psychologique ou économique. Mais en revanche, la libre formation des consciences, y compris dans la diversité de leurs sources d’inspirations et dans la variété de leurs lieux, doit demeurer un acquis précieux, même et surtout en période d’incertitude.

    Aussi bien, la question de la primauté de la loi des hommes sur celle de Dieu, nouveau mantra du débat public, enferme dans des dilemmes et quelques leurres. La question première nous semble avant tout celle de savoir si l’homme, citoyen ou croyant, sera conçu comme un automate soumis à des circuits normatifs qui le téléguideraient, ou s’il est appelé, comme citoyen et comme croyant, à la responsabilité d’un être de conscience, capable d’un décentrement critique et d’une empathie constructive.

    Pour dénoncer certains jeux et abus de pouvoirs religieux ou convictionnels, il conviendrait de les viser tous sans discrimination, et sans prendre le risque d’une limitation subliminale de la liberté des consciences individuelles, religieuses ou convictionnelles. D’autres autorités viendront rappeler le moment venu les règles de primautés des droits de l’homme et l’exercice de proportionnalité qu’ils exigent, loin de toute polarisation facile. »

    Notre commentaire

    Le respect des législations humaines a ses limites et il est regrettable que le droit naturel, depuis la révolution culturelle des années 1970, ne soit plus enseigné dans la plupart de nos facultés de droit. Le respect du droit positif, en ce compris les dispositions internationales relatives aux droits humains fondamentaux, est en effet subordonné à celui de la conscience formée à la lumière de cette loi naturelle qui, dans le patrimoine de l’humanité, représente les valeurs imprescriptibles inscrites dans l'être humain, antérieures à toute juridiction nationale, supra- ou internationale. Pour un croyant, ce patrimoine renvoie finalement au Créateur. Dans son testament spirituel « Mémoire et Identité » (Flammarion , 2005, p. 162), saint Jean-Paul II écrit : « La loi établie par l’homme a des limites précises que l’on ne peut franchir. Ce sont les limites fixées par la loi naturelle, par laquelle c’est Dieu lui-même qui protège les biens fondamentaux de l’homme ». Il rejoint par là toute la tradition antique, immortalisée par l’Antigone de Sophocle et bien sûr, en premier lieu, le Décalogue.

     Lire dans le n° 106 (printemps 2018) du magazine Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle

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  • Dieu ou rien : la conférence du Cardinal Robert Sarah à Bruxelles, le 7 février 2018

    Une parole prophétique venue  du plus jeune continent de la planète :

     

    « L’Afrique représente un immense 'poumon' spirituel pour une humanité qui semble en crise de foi et d’espérance.

    « Cette fraîcheur du oui à la vie qu’il y a en Afrique, cette jeunesse qui existe, qui est pleine d’enthousiasme et d’espérance, et aussi d’humour et de joie, nous montre qu’ici il y a une réserve humaine, il y a encore une fraîcheur du sens religieux et de l’espérance. [...] Je dirais donc qu’un humanisme frais qui se trouve dans l’âme jeune de l’Afrique, malgré tous les problèmes qui existent et qui existeront, montre qu’ici il y a encore une réserve de vie et de vitalité pour l’avenir, sur laquelle nous pouvons compter".

    (Benoît XVI aux journalistes accompagnant son voyage au Bénin en 2011)