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La liturgie au Pays de Liège

LA LITURGIE AU PAYS DE LIEGE

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Nous donnons ici, sans son appareil de notes, un chapitre de l'introduction à notre édition du « Missel selon l'ancien rit liégeois prétridentin », qui sera disponible sous peu. (Pour être tenu au courant de la parution, envoyer un simple courriel à : nexuslatin@yahoo.fr.)

QUELQUES REPÈRES

DANS L’HISTOIRE DU RIT LIÉGEOIS

  1. Les origines

Héritière à sa naissance, dès l’aube du viiie siècle, de la liturgie célébrée depuis le ive siècle dans l’antique cité de Tongres, l’Eglise de Liège conserva et développa pendant un millénaire environ son rit propre.

On cite comme premier évêque de Tongres saint Materne ; il semble que cela doive s’entendre au sens que Tongres relevait de lui en sa qualité d’évêque de toute la Germanie seconde.

Ce n’est probablement pas avant sa mort que la cité fut érigée en évêché, et saint Servais est le premier pontife dont il soit historiquement bien établi qu’il ait occupé ce siège, aux environs de 340. Sans doute est-ce à lui que le diocèse, dont le centre passera de Tongres à Maastricht puis à Liège, est redevable de sa première organisation et de l’ordonnance de sa tradition liturgique, semée un peu plus tôt, au cours de l’évangélisation par Materne. En dehors de son rôle dans la résistance à l’arianisme, on n’a toutefois guère plus de renseignements sur cet évêque, sinon que son nom, Serbatios, indique une origine orientale.

Cette maigre information s’inscrit parfaitement dans la ligne de ce que l’on sait par ailleurs des plus anciens vestiges liturgiques des Eglises transalpines : ils révèlent qu’elles ont en commun de s’apparenter à « un type d’inspiration et de forme orientales, introduit en Occident vers le milieu du ive siècle » (H. Leclercq).

Le souvenir du premier substrat du Missel liégeois s’est vraisemblablement perpétué dans l’appellation « usage de Saint-Materne » dont fut qualifié autrefois le rit primitif de l’ancien diocèse

  1. La touche carolingienne

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Dans la mouvance de la « renaissance » carolingienne, sous le règne de Pépin le Bref, de Charlemagne et de ses successeurs, la liturgie liégeoise s’imprègne d’éléments romains. Il semble que l’intérêt porté au chant de la chapelle pontificale ait engagé le processus.

Originaire de la Hesbaye au pays de Liège où il fit ses études, sans doute à l’abbaye de Saint-Trond, le fondateur de l’école messine, saint Chrodegang (évêque de Metz de 742 à 766, conseiller et homme de confiance de Pépin le Bref), est impressionné par la qualité des mélodies de la tradition romaine : il les introduit d’abord dans son diocèse ; et comme il procède à l’ordination de fort nombreux évêques et clercs, les usages romains qu’il entend propager pénètrent aussi dans plusieurs autres sièges épiscopaux (civitates).

Un capitulaire ecclésiastique édicté par Charlemagne en 789 impose aux clercs l’étude du chant romain et mentionne que Pépin avait abrogé le chant gallican. La mesure de son père avait donc rencontré des résistances ; lui-même insiste en octobre 802 sur l’obligation pour le clergé de pouvoir célébrer selon le cursus romain, et prescrit, comme condition d’admission au sacerdoce, un examen de chant selon le rit romain. En décembre 805, il revient encore sur l’obligation d’enseigner le chant et de l’exécuter d’après l’usage romain, tant pour l’ordo que pour la manière.

Charles demeure néanmoins ouvert à d’autres formes de tradition, comme l’atteste fort bien, par exemple, l’anecdote que voici : « Au jour octave de l’Epiphanie, comme des Grecs psalmodiaient à l’écart en leur langue, et que, restant inaperçu à proximité, il était charmé par la douceur de leurs chants, il ordonna à ses clercs de lui procurer ces mêmes antiennes traduites en latin » (Gesta Caroli Magni).

On ne sera pas surpris, à la lecture de ce trait, que la liturgie romaine n’ait pas purement et simplement éliminé les rites et chants en usage au Nord des Alpes, mais se soit plutôt fondue avec eux pour aboutir aux diverses liturgies gallo-romaines, qui enrichirent réciproquement la liturgie de Rome elle-même. « Les personnes que les rois francs, Pépin, Charlemagne et Louis le Pieux, chargèrent d’assurer l’exécution de la réforme liturgique, ne se crurent pas interdits de compléter les livres romains et même de les combiner avec ce qui, dans la liturgie gallicane, leur parut bon à conserver. De là naquit une liturgie quelque peu composite, qui, propagée par la chapelle impériale dans toutes les églises de l’empire franc, trouva le chemin de Rome et y supplanta peu à peu l’ancien usage » (L. Duchesne).

Ainsi fut alors constitué ce que les liturgistes appellent aujourd’hui le « Grégorien de type III », au départ du Grégorien de type I, purement romain ― qu’Adrien Ier avait fait parvenir à Charlemagne vers 791 ―, complété grâce à diverses versions du Gélasien du viiie siècle, et intégrant de nombreux apports gaulois anciens.

En ces apports assimilés par les livres romains, et en d’autres vestiges, on aperçoit que, moins sobre sans doute que la liturgie romaine, celle des Gaules pouvait être tout autant admirable, et splendide son chant. « Au témoignage d’Amalaire, [...] les chantres francs auraient conservé plus fidèlement que les romains le répertoire intégral des cantilènes » (A. Auda). Aussi bien le motif allégué par les sources pour justifier l’adoption générale du rit romain, ou plus exactement romano-gaulois, est-il seulement celui du souci d’unité.

Ce rit mixte prévalut également à Liège, car il est hors de doute que les dispositions prises par Charlemagne y furent d’application. Comme il célébrait fréquemment les plus grandes fêtes liturgiques près du tombeau de saint Lambert, on imagine mal le clergé liégeois contrevenant à ses volontés ! Sa résidence d’Aix-la-Chapelle faisait d’ailleurs partie du diocèse.

Une fois consommé le partage de son Empire, les papes n’en continuent pas moins de veiller à l’unité liturgique, et leurs directives ne restent pas lettre morte : en 835, par exemple, à la demande du pape Grégoire IV, Pirard (/Eirard) est le premier évêque du diocèse à célébrer la Toussaint.

  1. La touche insulaire

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La liturgie liégeoise est tributaire aussi des apports hiberno-saxons : en effet, nombreux furent les Scoti à émigrer par vagues sur le continent, dans l’espoir de se mettre à l’abri des incursions scandinaves. Ils y ramenaient une riche et antique tradition, qui s’était perpétuée sur leurs îles, épargnées au cours des précédents siècles par les grandes invasions barbares. Ces réfugiés ne seront donc aucunement perçus comme des novateurs, mais bien au contraire comme les dépositaires d’un mos genuinus, auquel on s’appliquait toujours de se conformer pour le mieux. Leur présence dans le diocèse de Liège est bien attestée, notamment par la fondation des monastères de Waulsort et de Fosses.

La romanisation liturgique aiguillonnée par le Palais impérial est l’œuvre, principalement, d’un Anglo-Saxon formé à l’école d’York : Alcuin.

Le Missel liégeois garde trace de son intervention, particulièrement dans les messes votives attribuées aux jours de la semaine, qui s’apparentent à celles de son supplément, et aussi dans la mention au canon de « et Antistite nostro » inconnu de l’Hadrianum, et de « et omnibus orthodoxis, etc. » qui ne figurait ni dans le Grégorien, ni dans le Gélasien, mais seulement dans les manuscrits irlandais.

Sedulius Scotus (mort après 874, dit aussi « Sedulius le Jeune »), surnommé le « Virgile de Liège », fin lettré qui connaissait le grec, s’établit à la cour de l’évêque Hartgar vers 845 avec plusieurs de ses compatriotes. Une lettre de l’un d’eux, Otveus, adressée à un certain Amud, témoigne de la préoccupation que l’on avait alors à Liège de disposer de manuscrits liturgiques fiables : « Je demande à votre cœur charitable de bien vouloir nous procurer un antiphonaire nocturnal corrigé et expurgé de toute erreur ».

A cette même époque, entre 841 et 855, était réalisé à Liège le manuscrit aujourd’hui répertorié sous l’intitulé de « codex de Padoue D 47 », qui conserve le plus ancien état actuellement connu du sacramentaire grégorien.

  1. Etienne de Liège

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Un nom surtout se détache au xe siècle à Liège en matière de liturgie : celui de l’évêque Etienne (901-920). Ce pontife, qui fut parmi les plus distingués à occuper le siège de saint Lambert, reçut à Metz son éducation. Il la paracheva à l’école du Palais, vers 864, en compagnie de Radbod, sous la direction de Mannon.

Etienne composa de nombreux ouvrages se rapportant à la liturgie, aux lettres et à la musique. Outre un « très remarquable » Traité sur la Musique, que l’anonyme de Melk, moine de Prüfnung au xiie siècle, lui attribue, on lui doit un Liber capitularis, un Missel, une Vie de saint Lambert, un Office de l’Invention de saint Etienne, un Office de la Sainte Trinité et un Office de saint Lambert.

La production d’Etienne ne nous éclaire pas sur le Missel liégeos. Le Liber capitularis préfigurait ce qui deviendra plus tard le bréviaire ; il ne reste hélas aucune trace du Missale Stephani, répertorié dans le catalogue de la bibliothèque de l’abbaye de Stavelot ; quant à ses trois Offices, ils ne comportent pas d’indication sur la messe. C’est au viiie siècle, en effet, que les formulaires de la messe atteignent leur pleine maturité : la règle prévalut dès lors de s’en tenir au corpus existant, en y puisant les pièces convenant aux célébrations nouvelles.

  1. Une célébration nouvelle : la Fête-Dieu

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En 1246, à la suite d’une révélation reçue par sainte Julienne du Mont-Cornillon, l’évêque de Liège, Robert de Thourotte, instaurait dans son diocèse une fête en l’honneur du saint sacrement ; le cardinal-légat Hugues de Saint-Cher la promulgua, avec octave, dans toute l’étendue de sa légation, le 29 décembre 1252 ; peu après, le pape Urbain IV, qui avait été archidiacre de Campine à Liège de 1243 à 1248, l’adopta pour l’Eglise universelle, par la bulle Transiturus, datée du 11 août 1264.

L’Office primitif de la Fête-Dieu avait été composé, à la demande de l’évêque Robert, par un simple clerc, Jean du Mont-Cornillon Il semble assez établi que sainte Julienne, qui maîtrisait bien le latin, y ait mis elle-même la main. D’une grande beauté, il fut néanmoins assez vite supplanté par l’Office romain, à peine plus récent et tout aussi remarquable. Ce dernier fut commandé par le Pape, pour l’insertion de la fête au calendrier universel. L’attribution à saint Thomas d’Aquin est discutée.

  1. Depuis les statuts de Jean de Flandre jusqu’à nos incunables

 

Transféré par le pape Martin IV du siège de Metz à celui de Liège, l’évêque Jean de Flandre (1282-1292) ne pouvait qu’y prolonger les traditions messines. Docteur ès décrets de l’Université de Paris, il dota en 1288 son diocèse de statuts qui restèrent en vigueur jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Ils constituent comme un abrégé représentatif des lois de l’Eglise universelle et des dispositions proprement liégeoises. Jean de Heinsberg (1419-1455) les renouvela, après quelques retouches, au synode de 1445.

On peut y relever notamment, en ce qui concerne la liturgie, que l’Office était chanté en entier, matines comprises, dans toutes les églises du diocèse. Les statuts énumèrent en outre, sans compter les dimanches, quarante-huit fêtes chômées et quinze vigiles : l’examen des incunables liégeois montre qu’ils sont, à très peu de chose près, conformes à cette disposition des statuts. En 1532, Erard de la Marck réduira le nombre des fêtes chômées à vingt-sept.

En 1311, la bulle Transiturus fut confirmée au concile de Vienne, et nous savons par un témoignage ancien que la procession du saint Sacrement était déjà organisée dans le diocèse de Liège en 1318, l’année même où elle fut prescrite par Jean XXII.

De nouveaux Offices continuent d’apparaître : après avoir recommandé pour rappel la fête de l’Immaculée Conception déjà obligatoire dans le diocèse, Englebert de la Marck (1345-1363) introduit la fête de la sainte Lance et des saints Clous, le vendredi après l’octave de Pâques ; son successeur, Jean d’Arckel, approuve en 1365 un Office de sainte Barbe, composé (texte et plain-chant) par Louis de Montenacken ; en 1425, le concile de Cologne (métropole de Liège) établit la fête de la Compassion de la Vierge en la fixant au vendredi après le dimanche Iubilate.

La majeure partie du patrimoine de Liège périt dans la mise à sac et l’incendie de la ville par Charles le Téméraire, en novembre 1468 ; le duc avait certes interdit d’incendier les églises et les abbayes, mais elles furent néanmoins pillées. La perte est énorme pour notre connaissance du passé liégeois et en particulier de sa liturgie.

  1. Parmi les livres liturgiques conservés (xe-xive s.)

Quelques livres nous ont toutefois été conservés, qui servirent aux célébrations dans le pays de Liège, avant les incunables : ils proviennent des abbayes de Stavelot-Malmédy, de Saint-Hubert (Andage), de Saint-Laurent à Liège, de Saint-Trond, de Tongerloo ; du Val-Sainte-Marie lez Huy ; de la collégiale Sainte-Croix à Liège et de Notre-Dame de Tongres ainsi que de Saint-Odulphe de Looz.

Les notations musicales représentées dans ces manuscrits sont extrêmement variées : la française, l’aquitaine, la messine, l’anglo-saxonne, la romaine et la gothique.

  1. Vers l’adoption du rit romain post-tridentin

En promulguant le bréviaire (1568) puis le missel (1570) de rit romain restaurés d’après les meilleurs manuscrits, en application des volontés du concile de Trente (XXVe et dernière session), le pape saint Pie V n’entendait pas abroger les rits qui pouvaient se prévaloir d’au moins deux siècles d’ancienneté. Le rit liégeois remplissait très largement cette condition : il pouvait donc être conservé.

VE PN 106 Bréviaire Liégeois timthumb.php.jpgBréviaire — On observe alors quelques flottements parmi le clergé. Reconnaissant de bons mérites à la révision effectuée, ou simplement dans l’intention de favoriser l’uniformité liturgique, un certain nombre d’ecclésiastiques adoptèrent assez rapidement, tel quel, le bréviaire romain, qui avait été imprimé à Liège en 1572.

Le 27 février 1604, le Chapitre cathédral opta pour une voie moyenne et décida de se contenter de rendre son bréviaire plus conforme au bréviaire romain. En 1608, Daniel Raymondi et Lambert Scronx, chanoines de Saint-Materne, furent chargés de ce travail, dont ils soumirent le résultat au Chapitre, en séance du 6 mars 1615.

L’examen ne fut pas de simple formalité : on institua une commission ; elle formula des observations entraînant des retouches. La version remaniée fut présentée le 20 février 1619 et approuvée le 25 septembre. La promulgation suscita au Chapitre de nouvelles objections : certains proposaient d’adopter tout simplement le bréviaire romain, mais la majorité résolut, le 23 juin 1620, d’adopter le bréviaire liégeois retouché, ou, si cela ne pouvait se faire, de réimprimer l’ancien bréviaire liégeois. La décision fut prise finalement, le 15 juillet, de faire imprimer le bréviaire liégeois romanisé, qui parut en 1622. Il fut adopté par toutes les églises collégiales en 1623 et par le clergé paroissial en 1624.

Le 9 août 1661, le nonce Marc Gallio fit pression sur le Chapitre pour le pousser à adopter le bréviaire et le missel romains. Les chanoines cédèrent le 19 septembre, après un vote qui n’obtint qu’une faible majorité, mais ils revinrent bientôt sur cette décision pour la rejeter définitivement le 6 mars 1662.

En 1687, l’évêque voulut déplacer la fête du Saint Nom de Jésus à la date où elle se célébrait au calendrier romain, pour y donner l’indulgence plénière que le pape lui avait concédée. Le Chapitre n’accepta, après un premier refus, qu’à la condition de la célébrer selon le rit liégeois « plus beau, avec des chants plus suaves et plus pieux »...

Le bréviaire liégeois fut encore imprimé à Liège par Christian Bourguignon en 1815 (Bohatta, 2343).

VE PN 106 Missel_liégeois_1513.jpgMissel — Le Missel romain ne fut introduit que tardivement à Liège. La tentative du nonce Gallio en vue de l’imposer aux chanoines resta sans lendemain et, vingt-cinq ans plus tard, l’affaire du déplacement la fête du Saint Nom de Jésus témoigne assez de la détermination du Chapitre à défendre fermement le maintien du rit liégeois, renâclant même à adopter une harmonisation ponctuelle dans le calendrier.

On pense d’ordinaire que c’est peu après les troubles révolutionnaires, vers 1805, que le rit romain fut adopté à Liège. Sans doute convient-il d’apporter quelque nuance, au moins quant au caractère contraignant du changement : une édition liégeoise du plain-chant de la messe pour les défunts datée de 1834 (et munie de l’approbation ecclésiastique) porte en effet cette mention significative : « ad usum omnium ecclesiarum, tam urbium quam pagorum, in quibus officium celebratur iuxta ritum Ecclesiæ Romanæ » [à l’usage de toutes les églises, tant des villes que des villages, où l’on célèbre l’Office selon le rit de l’Eglise romaine]... La relative limitative laisse entendre que ce n’était pas encore le cas partout, même à cette époque.

Le Rituel liégeois resta en usage jusqu’en 1862 : il fut alors abrogé par Théodore Alexis de Montpellier.

  1. Conclusion

Sans prétendre « faire croire à l’immutabilité absolue du rite liégeois qui serait demeuré par exemple complètement indifférent aux divers mouvements réformistes des Alcuin et des Amalaire », Antoine Auda affirme qu’il « se trouvait, par suite de la conservation de ses usages antiques, plus conforme à l’ancienne liturgie romaine qu’à celle suivie alors [au xvie s.] à Rome même. » Car, poursuit-il, « [lorsque] la chapelle papale et, à son exemple, bon nombre d’églises modifièrent leurs rites, Liège [...] resta fidèle à ses traditions séculaires, acceptant seulement les modifications nécessitées par les besoins nouveaux. »

Force est de reconnaître qu’à défaut de témoignages suffisamment explicites et par manque surtout de livres liturgiques permettant de retracer exactement pour chaque époque l’état des liturgies particulières, il est parfois malaisé d’en cerner l’évolution avec la précision que l’on souhaiterait. A Liège, cette évolution semble en tout cas n’avoir obéi à d’autre souci que d’unité et d’authenticité : on n’y décèle rien qui ressemble aux aventures néo-gallicanes.

Dans un mémoire rédigé à la fin du xviiie siècle, l’abbé De Vaux, doyen du chapitre de Saint-Pierre à Liège, donne l’information suivante : « Tongres eut sa liturgie propre et un bréviaire particulier, qu’il nommait usage de Saint-Materne ― usage commun alors à tout le diocèse de Liège. Cette ville, au contraire, se soumit à l’usage introduit par le prince et qu’on nomme aujourd’hui l’ancien romain. Tongres a depuis cinquante ou soixante ans abandonné l’usage de Saint-Materne et pris l’usage de Liège ».

L’auteur distingue donc bien. Une liturgie primitive se répand depuis Tongres, le siège premier, partout dans le diocèse : c’est l’usage dit de « Saint-Materne ». Le prince ― Pépin ou Charlemagne ― introduit ensuite l’usage « ancien romain », dont De Vaux dit qu’il fut adopté à Liège, mais seulement dans la ville, qu’il a soin de mentionner à part du diocèse (« au contraire »). Tongres au moins, selon son témoignage [peut-être mis à mal par le Liber ordinarius Tungrensis ecclesiæ (xve siècle)...], aurait conservé l’usage de Saint-Materne jusqu’aux débuts du xviiie siècle, en raison sans doute de l’attachement particulier qu’elle avait pour le patronage de son évangélisateur ; rien n’est dit du reste du diocèse, mais on peut raisonnablement supposer qu’ailleurs la transition se fit peu à peu, non sans mélange, sans doute, entre les deux usages. L’« usage de Liège » représente ainsi cet « ancien romain » qui est plutôt, comme nous l’avons vu plus haut, un « gallo-romain » voire, sur les terres de saint Lambert, un « materno-romain ».

Voilà pourquoi il semble approprié d’affecter l’appellation d’« ancien rit liégeois » au Missel que reproduisent les incunables liégeois : de cette façon, on le distingue à la fois du pur usage de Saint-Materne, qu’on désignerait sous le nom d’« antique rit liégeois » (suivi à Liège jusqu’à la fin du viiie siècle environ, et à Tongres peut-être jusqu’aux débuts du xviiie), et aussi des usages de l’« ancien rit [gallo-]romain », pratiqués ailleurs dans les Eglises transalpines jusqu’à l’adoption du Missale Romanum de 1570.

Jean-Baptiste Thibaux.

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Vérité et Espérance - Pâque Nouvelle, n° 106, printemps 2018

 

 

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