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Eglise du Saint-Sacrement à Liège - Page 227

  • La Justice, l'Eglise et l'Etat en Belgique

     

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    AUTOPSIE

     D’UNE COMMISSION ECCLÉSIALE CONTROVERSÉE

     

    L’épidémie de révélations concernant les abus sexuels sur mineurs au sein de l’Église n’a pas épargné la Belgique. Elle a même pris cette année un tour spectaculaire après les aveux de l’évêque de Bruges, au mois d’avril 2010. Voici dix ans déjà, la conférence épiscopale avait mis sur pied une «commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans le cadre d’une relation pastorale » dont les membres ont démissionné en bloc le 28 juin dernier, quelques jours après la saisie judiciaire de tous leurs dossiers. Comment cette commission mieux connue sous le nom éponyme de son président, le professeur Peter Adriaenssens (1), se situait-elle par rapport au pouvoir judiciaire, à la méfiance duquel elle a finalement succombé ?

     

    La base juridique

     

    Les statuts de cette commission –aujourd’hui dissoute- relevaient du droit canonique, interne à l’Église. Aux yeux du droit belge, de tels statuts n’ont pas plus de valeur qu’une convention privée : celle-ci fait la loi des parties (2), sans pouvoir déroger aux dispositions légales impératives dont relève, entre autres, l’organisation judiciaire publique.

     

     

    Une commission contestée

     

    Dans un article publié (3) sur le site web « justice en ligne » (4), l’ancien bâtonnier Pierre Legros (5) a contesté la légitimité de cette commission ecclésiale. Selon lui, en la créant, les évêques se seraient immiscés dans un domaine que la loi réserve au pouvoir judiciaire.

     

    De plus, cette création était, à son sens, inutile car :

     

    -        il existe déjà des associations d’aide aux victimes d’abus sexuels qui, précise-t-il, n’interfèrent pas avec le processus judiciaire ;

    -        si les enquêtes de la commission ecclésiale détectaient une infraction possible, cette commission serait, écrit-il, « de toute façon » (6) tenue de saisir la justice.

     

    L’argumentation est un peu courte :

     

    -        pourquoi les organismes existants d’aide aux victimes d’abus sexuels disposeraient-ils d’un monopole ?

    -        en quoi le traitement de la dimension pénale par la justice publique empêcherait-il celui des aspects disciplinaires ou sociaux par les entreprises ou institutions privées sur base de leurs propres règlements intérieurs ?

    -        s’agissant de l’Église, ne serait-ce pas là, en outre, contrevenir à la liberté d’organisation qui lui est garantie par l’article 21 de la constitution (7), dans les limites du respect de la législation d’ordre public légitime ?

    -        last but not least,  en quoi les enquêtes de la commission Adriaenssens auraient elles concurrencé indûment l’action judiciaire publique ou entravé son déroulement, tels qu’ils sont organisés par la loi ?

     

    Poser les trois premières questions, c’est y répondre. En revanche, la quatrième mérite quelques commentaires et une conclusion.

     

    Le champ des compétences de la commission

     

    De la lecture des statuts, il résulte que :

     

    -        ratione materiae, l’objet de l’enquête ecclésiale porte sur les abus sexuels au sens des articles 372 à 378 bis du code pénal belge et le harcèlement sexuel sur les lieux de travail au sens des arrêtés -royaux des 18.09.1992 et 09.03.1995 (arts. 2 et 3 et annexe 2 des statuts).

    -        ratione personae, les auteurs des faits doivent être des prêtres, diacres, religieux ou agents pastoraux, ayant agi dans le cadre d’une relation pastorale au sens défini dans la note 1 annexée aux statuts.

    -        ratione loci, la mission concerne la province ecclésiastique belge (art.3 des statuts) (8)

     

    Son pouvoir et ses procédures

     

    Dévolus par les évêques et les supérieurs majeurs de Belgique, qui l’ont créée et en nomment les membres (arts. 3 et 6 des statuts), les pouvoirs de la commission relevaient uniquement de l’organisation interne de l’Église : nemo dat quod non habet.

     

    Ce qui n’empêchait pas ses statuts de faire appel à une terminologie judiciaire :

     

    Ceux-ci indiquent en effet que la commission est chargée du traitement des plaintes (arts. 1, 5, 11, 13…) déposées par des plaignants (arts.11, 12) ailleurs nommés requérants (art.13) et elle mène des enquêtes  (art. 3). Les dossiers lui sont transmis soit par les victimes présumées elles-mêmes ou leur représentant légal, soit par l’autorité ecclésiastique (évêques, supérieurs majeurs) ou les personnes de contact de la commission (art. 12). Ces personnes de contact accueillent les plaintes et orientent les requérants (art.13). Des équipes de référence instruisent les dossiers. Elles entendent les plaignants, les personnes que celles-ci accusent et les témoins. Elles recueillent les pièces relevantes  (art.17). L’évêque ou le supérieur majeur de celui contre lequel la plainte a été déposée sont tenus informés (art.15). Au cours de la procédure, les personnes de contact ou la commission elle-même peuvent prendre des  mesures  d’urgence (art.13) ou les recommander à l’évêque ou au supérieur majeur concerné (art.16).

     

    En toute hypothèse, les instructions devaient se terminer par des rapports conclus par des avis aux autorités ecclésiales sur la nature des mesures à prendre, « toutes autres dispositions canoniques restant sauves » (arts. 19, 20, 21).  

     

    Quelle peut être la nature des mesures énoncées dans le texte des articles ? Il s’agissait de mesures d’assistance au plaignant (information et orientation), sur le plan psychologique, pastoral, médical ou juridique (art.13) mais également, précise le préambule, « pour que justice soit faite au sein de l’Église » par les instances ecclésiales compétentes : donc, aussi des sanctions et des peines canoniques à infliger selon les règles du droit de l’Église.

                                              

    Ne pas interférer avec l’action judiciaire publique

     

    La justice de l’Église ne se substitue aucunement à celle de l’État. Sauf à ressusciter en droit belge le privilège du for ecclésiastique (9), faire justice au sein de l’Église n’est pas faire justice au sein de la société civile, dont les membres de l’Église font aussi partie : il s’agit de deux ordres distincts.

     

    Quoiqu’une enquête judiciaire publique et celle de la commission ecclésiale aient pu porter sur les mêmes faits, elles n’avaient pas le même objet.

     

    A cet égard, les statuts de la commission manifestent clairement le souci de ne pas interférer avec la justice séculière : dès le début de la cause, la possibilité de s’adresser à celle-ci est signalée au plaignant comme à la personne accusée (art. 17). La commission, précisent-ils en outre (art. 16), tient compte dans tout ce qu’elle fait de la mise en œuvre éventuelle d’une procédure judiciaire publique. Pour prévenir les confusions, le préambule des statuts ajoute (ce qui peut paraître illogique) que "si la personne en quête d’assistance s’adresse à la justice [séculière], l’enquête ecclésiastique interne ne sera pas entreprise. Et si elle l’était déjà, elle sera suspendue jusqu’à la fin de ladite procédure judiciaire". 

    S’agissant des informations susceptibles d’être transmises à la justice séculière, la commission pouvait proposer, à tout moment de la procédure, une mesure à prendre en ce sens par l’évêque ou le supérieur majeur de la personne accusée (art. 16 al. 2 des statuts) et, dans des circonstances exceptionnelles, informer elle-même cette justice (art. 16 al. 3 des statuts).

     

    Tenir compte des lois de l’État

     

    Les lois séculières d’ordre public s’imposent aux citoyens : les catholiques n’y font pas exception, nonobstant la liberté d’organisation que l’article 21 de la constitution garantit à l’Église (10).

     

    A cet égard, il convient notamment de prendre en compte la loi pénale belge qui érige en infractions le fait de :

     

    - ne pas dénoncer certains délits dont on serait le témoin (11) ;

    - ne pas assister une personne en danger grave, dans les conditions d’information et de risque que la loi précise (12) ;

    - révéler des secrets dont on est dépositaire par état ou par profession, hors les cas prévus par la loi : témoignage en justice ou devant une commission parlementaire, obligation légale, danger grave et imminent pour l’intégrité mentale ou physique d’un mineur dont on a reçu les confidences (13)

    Il est à remarquer que :

     

    - pas plus que l’obligation de porter assistance à une personne en danger, les exceptions à l’obligation de garder un secret professionnel ne créent ipso facto un devoir de dénoncer les faits à la justice ;

    - dans les deux cas, toute la question posée est celle du choix, en conscience, de la solution la plus appropriée considérant la gravité des faits, surtout lorsqu’il s’agit de la protection des mineurs ;

    - au regard de la loi belge, le secret ecclésiastique est un secret professionnel soumis aux mêmes règles que les autres : ni plus, ni moins (14).

     

    Coopérer avec la justice séculière

     

    Que la commission saisie d’une plainte entreprenne une enquête relevant de l’ordre interne à l’Église n’empêchait en aucun cas le pouvoir judiciaire d’enquêter sur la nature délictueuse éventuelle des mêmes faits, dans l’ordre et aux fins propres de la société civile. La commission était même tenue d’y coopérer dans la mesure exposée ci-dessus, conformément à la loi et à ses propres statuts.

     

    Suite à l’appel lancé par le nouvel archevêque de Malines-Bruxelles après la révélation des abus sur mineur dont l’évêque de Bruges s’était rendu coupable (15), les plaintes ont brusquement afflué (16) au guichet de la commission Adriaenssens.

    A tel point que des dispositions (17) furent prises le 10 juin 2010 avec le ministre de la Justice et le collège des procureurs généraux pour faciliter le traitement, par le parquet, des informations que la commission déciderait de lui transmettre : création d’un point de contact spécifique, pour la transmission éventuelle de dossiers par la commission au parquet fédéral ainsi que d’un groupe de travail au sein du collège des procureurs généraux, pour définir la politique des poursuites contre les abuseurs ecclésiastiques, en informer le ministre comme le parquet et répondre aux interrogations de la commission ecclésiale. Mais, ainsi que l’a justement déclaré le procureur général de Liège, Cédric Visart de Bocarmé, il n’était pas question de créer un filtre ou des enquêtes à double étage : « si la commission décide de ne pas transmettre certains dossiers à la justice, c’est sa responsabilité mais elle s’expose alors à ce qu’un juge d’instruction en ordonne la saisie » (Het Nieuwsblad, 27 juin 2010).

     

    Nonobstant ces précautions, une saisie spectaculaire de l’ensemble des dossiers a eu lieu le 24 juin, au cours d’une perquisition « tous azimuts » ordonnée par le magistrat instructeur Wim De Troy, paralysant du même coup les activités de la commission (18).

     

    Ces saisies ont-elles été régulières, au regard notamment des conditions de la perquisition chez des détenteurs de secrets professionnels ? À chacun ses secrets : le texte de l’arrêt d’annulation rendu à cet égard, le 13 août 2010, par la chambre des mises en accusation n’est, à ce jour, pas encore officiellement connu, en raison du secret de l’instruction invoqué par le magistrat instructeur. 

    Pour conclure

     

    1.      Les abus sexuels sont une triste réalité, sociologiquement très sensible. A fortiori s’ils sont perpétrés sur des mineurs par un nombre non négligeable de ministres d’un culte voué à la sanctification de ses fidèles.

     

    2.    Certes, les faits incriminés relèvent, dans son ordre propre, de la justice pénale séculière : l’objet de celle-ci consiste à défendre la société civile contre les comportements qu’elle juge anti-sociaux au terme de la loi et sanctionne à ce titre.

     

    3. Mais ces faits concernent aussi l’Église, dans l’ordre spirituel qui    est le sien : celui de la pénitence (sacramentelle et disciplinaire), de la guérison morale, de la compassion et de la charité. Si une commission ecclésiale s’inscrit dans cette perspective, son objet ne peut être confondu avec celui de la justice séculière.

     

    4      L’Église est une réalité distincte de l’État. Leurs compétences ne sont pas les mêmes mais ils ne sont pas séparés, si l’on entend par là qu’ils n’auraient rien à voir ensemble. La constitution belge favorise plutôt leur indépendance dans le respect mutuel. Les statuts de la commission Adriaenssens  comme le protocole du 10 juin 2010 convenu avec le ministre de la justice et le collège des procureurs généraux relèvent de cet esprit. 

     

      5 Mais, dans le climat créé par la révélation des nombreux scandales cléricaux, elle a pâti des soupçons alimentés par : 

      

    o       le fait que l’un des évêques initiateurs de cette commission spéciale s’est lui-même révélé justiciable de ses enquêtes ;

    o       la confusion, du moins apparente, créée par l’emploi, dans ses statuts, d’un vocabulaire de type judiciaire (19) qu’ils appliquent à l’action d’une instance sans juridiction (même canonique).

    o       La mentalité séculariste heurtée par l’ampleur des plaintes déposées devant la seule commission ecclésiale ; 

    o       La crainte des réflexes corporatistes de l’Église, sous le couvert du secret ecclésiastique. 

     

    La commission Adriaenssens était sans doute une « mauvaise bonne idée ». L’histoire montre que les commissions d’exception, spéciales ou « sui generis » suscitent toujours la méfiance et les tensions (20). A fortiori lorsqu’on leur fixe des objectifs ambitieux et quelque peu diffus. Mais si, en vertu de l’annulation possible de leur saisie, les dossiers devaient être rendus à ceux auxquels ils avaient été confiés, qu’en feraient-ils désormais ?

     

    Post scriptum

     

    Les lignes qui précèdent ont été écrites et publiées début septembre, dans le n° 3-2010 de nos modestes « Éphémérides de Saint-Lambert » (21). 

     

    Entre-temps, la controverse a poursuivi son chemin : un arrêt rendu le 9 septembre dernier par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles a invalidé les perquisitions menées le 24 juin 2010 à l’archevêché de Malines et au domicile du cardinal Danneels, comme l’arrêt du 13 août (dont le texte n’a pas été rendu public à la demande du magistrat instructeur) l’avait déjà fait pour celles qui eurent lieu, le même 24 juin, au siège de la commission Adriaenssens. Selon les informations officieuses, la cour a en effet jugé les perquisitions menées par le juge Wim De Troy (22) disproportionnées et les saisies opérées à la commission Adriaenssens  irrégulières au regard des dispositions s’appliquant aux détenteurs de secrets professionnels (23).

     

    Commentant l’arrêt du 9 septembre, le ministre Stefaan De Clerck a alors appelé l’Église et le Pouvoir judiciaire à contribuer, de commun accord, à l’œuvre de justice dans un esprit respectueux des compétences de chacun (24).

     

    Presqu’aussitôt, lors d’un rencontre avec la presse organisée le 13 septembre, la conférence épiscopale (représentée par son président, Mgr Léonard, et deux de ses membres, NN.SS. Harpigny et Bonny) a annoncé la mise sur pied, au plus tôt à la fin de cette année, d’un centre ecclésial destiné à prendre la suite de la commission Adriaenssens, après l’établissement d’une relation de confiance « sur une base plus solide » avec les autorités publiques : judiciaires, sociales et de la santé. Les évêques ont aussi précisé que si les dossiers de la commission Adriaenssens saisis par le juge De Troy étaient rendus aux autorités ecclésiastiques, ils seraient maintenus sous scellé jusqu’à la constitution du centre précité.

     

    Réagissant le 17 septembre à l’annonce faite par la conférence épiscopale, les procureurs généraux ont rappelé qu’ils excluaient toute forme de coopération avec un tel centre donnant à penser que celui-ci détiendrait une prérogative publique, par exemple en faisant lui-même le tri entre les affaires prescrites et les autres, a précisé le procureur général de Mons. Mais en a-t-il jamais été question ?

     

    Le 12 octobre, la cour de cassation a annulé les arrêts de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles des 13 août et 9 septembre invalidant les perquisitions du 24 juin, au motif que la chambre n’avait pas entendu les victimes qui s’étaient constituées parties civiles devant elle et, par conséquent, la cour de cassation a renvoyé l’affaire devant cette même chambre autrement constituée.

     

    Par une déclaration publiée le 20 octobre, la conférence épiscopale a renoncé à la création d’une nouvelle instance ecclésiale « sui generis » pour succéder à la commission Adriaenssens : plus sagement, à mon sens, l’Église exercera désormais les prérogatives pastorales et disciplinaires qui sont les siennes selon les voies ordinaires dont elle dispose dans son organisation interne.

     

    Toutefois, s’agissant des procédures en cours devant la justice étatique, l’épiscopat a introduit devant la cour d’appel de Bruxelles, indépendamment du sort final que la chambre des mises réservera à la demande d’invalidation des perquisitions du 24 juin, une demande de récusation de leur auteur, le juge d’instruction Wim De Troy, sans  en divulguer cependant le motif. La poursuite de l'enquête dont il reste actuellement saisi est donc suspendue au sort qui sera réservé par la cour d'appel du Bruxelles tant aux arrêts des 13 août et 9 septembre qu' à cette la demande de récusation du juge introduite auprès d'elle par les autorités ecclésiastiques.

     

    Par ailleurs, un des organes du pouvoir législatif s’invite aussi maintenant dans le dossier. Après que l’Église eut renoncé à la sienne, la Chambre des Représentants, dans sa séance du 28 octobre 2010, a institué à son tour une Commission spéciale relative, cette fois, « au traitement d’abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’Église ».

     La nature et l’objet des deux commissions diffèrent. Il s’agit ici d’une commission parlementaire, créée par un acte de la puissance publique et non d’une instance privée. A priori, elle ne se limite pas aux seuls abus commis au sein de l’Église. Par ailleurs, elle se défend d’être une commission d’enquête au sens strict mais elle n’exclut pas de le devenir, suite au rapport qu’elle déposera.

     Son objet est défini par l’article 1er de la résolution qui l’institue en vertu de l’article 21 al.2 du Règlement de la Chambre :

     « Il est institué une commission spéciale chargée :

    1° d’examiner la manière dont l’état, plus particulièrement l’appareil judiciaire et les services associés ont traité les faits d’abus sexuels ; à cet égard, la commission spéciale examine les modalités de la collaboration entre l’appareil judiciaire et l’église catholique lors de la découverte de faits d’abus sexuels commis au sein de cette dernière et notamment:

    a) - les raisons pour lesquelles après tant d’années les victimes ont aujourd’hui décidé de parler spécialement dans le cadre ecclésiastique et pourquoi, à l’époque, elles n’ont introduit aucune plainte

    - les facteurs qui ont pu justifier, le cas échéant, des retards dans le traitement de certains faits ou de certaines plaintes d’abus sexuels commis au sein d’une relation pastorale et/ou le non aboutissement de certaines procédures ;

    b) - les échanges entre l’église catholique et la Justice lors de la recherche et lors de la découverte de faits d’abus sexuels commis au sein de cette même église ;

    - les motifs ayant amené le ministère public et la commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans le cadre d'une relation pastorale instituée au sein de l’église catholique à conclure un protocole visant à réguler les flux d’information ;

    - les relations et les modalités effectives de coopération entre la Justice et les autorités de l’église catholique;

    - la conformité de ce protocole, de ces relations et de ces modalités de coopération, aux principes constitutionnels, dont les principes de l’égalité, de la non-discrimination et de l’indépendance du ministère public dans l’exercice des recherches et des poursuites individuelles ;

    2° d’examiner la prise en charge de la victime et rechercher comment les abus sexuels au sein d’une relation d’autorité et spécialement au sein d’une relation pastorale, peuvent être mieux prévenus, détectés et abordés;

    3° d’examiner les différents aspects de la relation entre les services d’aide et la justice et d’analyser de la problématique du secret professionnel ;

    4° d’examiner les solutions à apporter, y compris sur le plan législatif, aux difficultés qu’elle aura identifiées du point de vue de la prise en charge par l’appareil judiciaire et par les services associés des victimes d’abus sexuels commis dans une relation d’autorité ;

    5° de dégager des solutions propres à améliorer les rapports entre l’appareil judiciaire et les services associés »

     L’article 2 précise que « la commission spéciale entend les personnes et demande les documents qu’elle juge nécessaires. Elle pourra faire appel à des experts. Cette commission fixe toutes les règles de fonctionnement qui ne sont pas prévues dans le présent texte, sans porter atteinte au règlement de la Chambre des Représentants ».

     C’est donc bien la manière dont a fonctionné la défunte Commission de l’Eglise pour traiter les abus sexuels commis par des clercs dans le cadre d'une relation pastorale qui sera au centre des « examens » auxquels va procéder cette Commission spéciale de la Chambre des Représentants.

     Affaire à suivre…

     

    Liège, le 28 octobre 2010,

     

    Jean-Paul SCHYNS

    ancien assistant à la faculté de droit de l’université de Liège

     

    Notes:

     

    (1)               Pédopsychiatre, professeur à la faculté de médecine de la Katholieke Universiteit Leuven (K.U.L), chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital universitaire de Leuven.

    (2)             En l’occurrence, les personnes qui y souscrivent : les membres de la commission et de ses organes, ceux qui les nomment (évêques, supérieurs majeurs), les plaignants ; et non l’Église, ni les diocèses ou les ordres religieux qui, comme tels, qui sont dépourvus de la personnalité morale requise.

    (3)             « L’Église belge et le traitement judiciaire de la pédophilie », 14 juillet 2010.

    (4)             Site créé par l’asbl « institut d’étude sur la justice ».

    (5)             Pierre Legros est professeur de déontologie à la faculté de droit de l’Université Libre de Bruxelles (U.L.B.) et ancien bâtonnier de l’ordre français du barreau de Bruxelles, où il est inscrit comme avocat, associé à l’ancien sénateur et ministre d’État Roger Lallemand.

    (6)             De toute façon ? dans les limites et les conditions que la loi pénale spécifie cfr. infra

    (7)             L’article 21 de la constitution vise les activités religieuses au sens strict. La relation  pastorale définie par l’annexe 1 aux statuts (administration des sacrements, catéchèse, prédication de la foi, direction spirituelle etc.) entre dans ce cadre. 

    (8)             Depuis le concordat de 1801 entre l’empire français et le saint-siège, la « province ecclésiastique de Malines » inclut tous les diocèses de l’actuelle Belgique (y compris désormais les diocèse créés [Hasselt] ou recrées [Anvers] en 1961 par la bulle Christi Ecclesia du 8 décembre 1961.) 

    (9)             c'est-à-dire la compétence exclusive des tribunaux de l’Église pour juger les personnes ecclésiastiques et les matières spirituelles (comme les causes matrimoniales).

    (10)          le caractère impératif de la législation pénale ou d’autres dispositions d’ordre public ne peut évidemment pas être interprété comme autorisant pareille législation à s’appliquer si elle limite la liberté religieuse de manière incompatible avec l’article 19 de la constitution ou les dispositions du même ordre incluses dans les conventions internationales souscrites par la Belgique.

    (11)           Délits contre la sûreté publique, la vie ou la propriété des individus. Cette infraction n’est pas assortie d’une peine. Art. 30 du code d’instruction criminelle.

    (12)          Infraction assortie d’une peine d’amende et d’emprisonnement. Arts 422 bis et ter du code pénal.

    (13)          Infraction assortie d’une peine d’amende et d’emprisonnement, renforcées si le péril concerne un mineur. Arts 458 et 458 bis du code pénal.

    (14)          De lege lata, le secret ecclésiastique, au sens le plus large, ne peut pas fonctionner en droit belge comme un « privilège du for ».  Par ailleurs, selon le droit canonique lui-même, seul le secret de la confession est absolu. Cette exigence est, actuellement, conciliable avec la législation de l’État.

    (15)          La publication de l’aveu et de la démission de l’évêque est datée du 23 avril 2010.

    (16)          Selon le professeur Adriaenssens, 200 plaintes ont été enregistrées après la démission de l’évêque de Bruges, portant le nombre total à 475 (La Libre Belgique, 21-22.08.10). Naturellement, 475 plaintes ne signifient pas 475 accusés: nombre de plaintes peuvent concerner un même individu.

    (17)          sous forme de circulaire  (ministérielle ou administrative ?) selon Le Soir du 25.06.06. Dans La Libre Belgique des 21-22.08.10, le professeur Adriaenssens parle de protocole conclu avec les procureurs généraux.

    (18)          Cette perquisition n’est pas la conséquence d’un refus opposé au pouvoir judiciaire par la commission. Celle-ci avait, motu proprio, communiqué à la justice 14 dossiers (sur 475 affaires, la plupart prescrites aux yeux du droit pénal belge). Mais le magistrat a pris l’initiative d’investiguer plus outre ; ce qui est son droit, sous réserve de respecter les procédures requises.

    (19)          plainte, enquête, requérants, témoins, infractions se référant au code pénal (et non canonique) etc.

    (20)        sur l’expérience  des dispositifs canoniques spécifiques face aux cas de délits sexuels du clergé, on peut lire la synthèse publiée par le professeur Louis-Léon Christians, ancien vice-président de la commission Adriaenssens  in Jean-Pierre Schouppe (dir.), Vingt cinq ans après le code. Le droit canon en Belgique, Bruylant, Bruxelles 2008, pp. 239-255.

    (21)          bulletin trimestriel de la communauté catholique suivant le missel de 1962 à la chapelle Saint-Lambert de Verviers

    (22)         sous le nom de code, d’un goût douteux, « opération calice »

    (23)        La Libre Belgique du 10.09.10

    (24)        Le Ministre de la Justice a rappelé l’accord intervenu le 10 juin entre le ministère public et la commission Adriaenssens : « nous devons, a-t-il déclaré, retomber sur cet accord antérieur qui doit servir de base pour aller plus loin », insistant sur le fait que le dossier judiciaire ne pouvait être arrêté, en tenant néanmoins compte des circonstances spécifiques telles que, par exemple, le secret de la confession.

     

     

     

      

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    Pour recevoir le livre à votre adresse, il suffit de verser cette somme au compte IBAN BE15 2400 0748 1330  BIC GEBABEBB de l'Union, Cercle Royal des Etudiants Catholiques de Liège asbl, Rue Vinâve d'île, 20 bte 64 à 4000 Liège. avec la mention "A contretemps".

    moutonsdepanurge.jpg Un essai critique des moeurs contemporaines: familles recomposées, homoparentalité, mort dans la dignité, la parole est aujourd'hui au politiquement correct. Né en 1980, au pays de l'american way of life, le politiquement correct n'a pas tardé à franchir l'Atlantique. Son discours, qui se réclame de la démocratie, est -en réalité- l'arme principale d'une pensée dominante, voire unique. Arme redoutable, la parole, notait déjà Talleyrand, a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. Sous prétexte de promouvoir le "vivre ensemble", la société, qui prône le libre arbitre individuel, devient en réalité liberticide. Pis encore, de contrainte sociétale, le politiquement correct se mue parfois, sournoisement, en contrainte légale: toute opinion politiquement incorrecte est alors bâillonnée par un pouvoir civil "démocratique".

    Avec un humour parfois corrosif, le présent essai dénonce, sans détour, quelques-uns des effets délétères d'une dictature qui s'avance sous le masque du dialogue et de la tolérance. Interdiction au citoyen-électeur de contester la moindre parcelle de la modernité, cette matrice évidente d'un prétendu progrès. Toute remise en question des "avancées" dans les domaines de la bioéthique, de la spiritualité, de l'intelligence artificielle est taxée de rétrograde, réactionnaire, totalitaire, voire néo-fasciste. Examinant ici à contretemps les arguties du "prêt à penser" politiquement correct, l'auteur montre comment, tels les moutons de Panurge ou les aveugles de Bruegel, bien des contemporains "progressent" sur la voie du précipice et de la décadence.

    Mutien-Omer HOUZIAUX, romaniste, a connu un parcours universitaire marqué par l'interdisciplinarité.3790036388.jpg Chercheur et enseignant en plusieurs Facultés. Pionnier dans les domaines de l'enseignement et de l'anamnèse assistés par ordinateur à Liège, en Belgique, ainsi qu'au Canada et en Argentine. Nombreuses publications, dont plusieurs essais touchant à la linguistique, à l'informatique appliquée, à la pédagogie et à la musicologie. L'auteur a été organiste titulaire de la cathédrale de Liège durant 25 ans. Il tient aujourd'hui les orgues à l'église du Saint-Sacrement (Bd d'Avroy, 132 à Liège) tous les dimanches, à la messe de 11h15.

    3528973970_2.jpgLe préfacier de l'ouvrage, Mgr Michel DANGOISSE (décédé au mois d'août de cette année) était doyen du Chapitre cathédral de Namur. Diplômé de l'Université de Louvain, professeur de langues anciennes, de français, d'histoire et de sciences religieuses, il dirigeait la revue Pâque Nouvelle (fondée par Mgr André-Joseph Léonard). Il est aussi l'auteur d'une étude critique, à paraître prochainement, sur la traduction française du missel romain de Paul VI (1970).

     

    Tous renseignements: courriel sursumcorda@skynet.be 

     

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  • les actes de la manifestation du 25 septembre 2010 à l'église du Saint-Sacrement

     

    BENOÎT XVI

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    UNE PENSEE THEOLOGIQUE POUR NOTRE TEMPS

    par l'abbé Eric Iborra

    enseignant au collège des Bernardins et vicaire à l'église Saint-Eugène (Paris) 

    Samedi dernier, 25 septembre 2010, l'Union des Etudiants Catholiques de Liège, en collaboration avec l'asbl Sursum Corda, a réuni près de deux cents personnes dans l'église du Saint-Sacrement pour une conférence de rentrée, sur la pensée théologique de Benoît XVI: exposé magistral de l'abbé Eric Iborra, dont nous reproduisons le texte intégral ci-dessous.

    La conférence fut suivie de la "Messe du Saint-Esprit", célébrée dans la forme extraordinaire du rite romain, avec le concours très apprécié de l'Ensemble vocal "Praeludium" et du Choeur grégorien du Saint-Sacrement (solistes: Erna Verlinden et Patricia Moulan). Le texte de l'homélie qu'a également prononcée l'abbé Iborra est publié à la suite de celui de la conférence.

    Nous remercions encore chaleureusement Monsieur l'abbé Iborra pour la qualité de sa communication. 

    LA CONFERENCE

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                Je vais m'efforcer de répondre aux questions posées à cette conférence en deux étapes : d'abord en étudiant la pensée du théologien Joseph Ratzinger, puis celle du pape Benoît XVI. Cela nous permettra de repérer quelques points d'inflexion. Un temps d'échange pourra, je l'espère, compléter cet exposé.

                Mais tout d'abord une brève présentation de celui dont la pensée nous réunit ce soir. Né en 1927, Joseph Ratzinger est ordonné au lendemain de la guerre, en 1951, pour être précis. Il commence sa carrière en enseignant au séminaire diocésain avant d'être nommé professeur à l'Université de Bonn en 1959. Remarqué par le cardinal Frings, archevêque de Cologne, la grande cité voisine, il l'accompagne à Rome pour participer aux travaux du 2e Concile du Vatican en qualité d'expert. Il enseignera par la suite la théologie dogmatique dans différentes universités allemandes jusqu'en 1977, date à laquelle il accepte la charge d'archevêque de Munich que lui confie Paul VI qui l'élève presque aussitôt au cardinalat. En 1981, le pape Jean-Paul II l'appelle à ses côtés pour présider la Congrégation de la doctrine de la Foi et ses organes annexes, la Commission théologique internationale et la Commission pontificale biblique. Le 19 avril 2005, âgé de 78 ans, il est lui-même élu pape et prend le nom de Benoît XVI.

                L'étudiant qui pour la première fois se plonge dans la bibliographie de Joseph Ratzinger est sans aucun doute déconcerté, voire désemparé, par son volume des dizaines de livres, des centaines d'articles – et par sa diversité – une multitude de thèmes relevant de tous les secteurs philosophiques, théologiques et politiques qui sont connexes à la vie chrétienne dans l'Église. Ce qui frappe aussi, c'est l'absence de ces grandes dogmatiques qui font le renom des professeurs d'Outre-Rhin. Rien de tout cela chez Joseph Ratzinger, mais bien plutôt une approche impressionniste faite d'une multitude de touches. On peine à trouver un écrit dont on puisse dire qu'il renferme le cœur de sa pensée. Certains, au titre trompeur (Principes de la théologie catholique par exemple), sont des compilations d'articles et de conférences, d'autres – aux dires de l'auteur les plus achevés qu'il ait produit (Foi chrétienne hier et aujourd'hui, La mort et l'au-delà) – nous donnent aussitôt à désirer suite et approfondissement. L'œuvre de Joseph Ratzinger apparaît ainsi morcelée, d'un côté inachevée, étroitement liée aux aléas de l'enseignement de la dogmatique dans différentes universités, et en même temps, de l'autre, prolongée par les fulgurances qui émaillent ses nombreux discours et conférences. Mais ce qu'elle aborde, elle le fait avec maîtrise, clarté et sagesse.

      

    I – Les caractéristiques d'une pensée

     

                Est-il cependant possible de ressaisir toute cette diversité dans l'unité ? Un fil rouge, un Leitfaden, relie-t-il ces écrits brillants, mais disparates, qui traitent aussi bien de théologie fondamentale que de spiritualité, de théologie politique que de musique sacrée, de réflexions œcuméniques que d'analyses de la crise que traverse l'Église ?

                Il me semble que l'on puisse dégager trois axes principaux, trois angles qui reviennent à travers la diversité des thèmes abordés. Trois points d'attention qui finalement laissent apparaître une forme théologique. La théologie de Joseph Ratzinger m'apparaît comme une théologie pratique du Verbe, du Logos divin, c'est-à-dire comme une christologie du vrai et du beau dans sa dimension ecclésiale. Voyons cela de plus près.

     

    1– La raison dans le monde postmoderne

     

                La première caractéristique de la pensée de Ratzinger, c'est son recours constant à la raison. Un recours qui n'aboutit cependant pas à ce rationalisme qui a tant marqué, dans un sens ou dans l'autre, la pensée catholique du siècle dernier. Car la raison, pour Ratzinger, ne se situe pas que du côté du sujet, héritier des Lumières. Elle ne se confond pas avec la faculté, nécessairement limitée et même obscurcie à cause du péché originel, par laquelle l'homme cherche à connaître. Renouant en cela avec la grande tradition antique et médiévale, Ratzinger pense que la raison dépasse le sujet par ses deux extrémités, si l'on peut dire : elle lui est extérieure, présente dans le cosmos, parce qu'en fait elle lui est antérieure, présente au plus profond de son être, constituant même le fondement transcendantal de celui-ci. Cette raison, c'est le Logos divin qui habite l'âme produite à son image. C'est le même Logos divin dont tous les objets, dans l'univers, sont comme les foisonnantes effigies à travers la diversité de leurs essences et de leurs individualités. La théologie de Ratzinger, on l'aura compris, est donc avant tout une théologie de la Création, création dont le Verbe est le médiateur et dont nous, nous sommes des éléments privilégiés, à cause de la raison qui nous est donnée en partage. L'intelligence du sujet connaissant, autant que l'intelligibilité qui gît dans l'objet connu, sont deux instances créées, participées, du Logos divin.

                Il en résulte une conséquence importante pour notre époque. Ratzinger ne cesse de déplorer le mauvais usage de la raison par nos contemporains. Fascinés par les progrès techniques de la modernité, ils ont restreint le champ d'application de la raison au domaine des sciences de la nature, abandonnant, entre autres choses, le champ de la métaphysique, et donc aussi celui de l'anthropologie, à l'irrationnel, au subjectivisme, ce qui conduit à l'anomie du relativisme éthique qui caractérise nos malheureuses sociétés modernes et les ronge de l'intérieur avec la complicité de l'esprit démocratique. C'est le constat qu'il faisait encore samedi dernier devant les parlementaires britanniques réunis au Westminster Hall de Londres. Ratzinger déplore cette frilosité de l'esprit moderne pour la capacité qu'a la raison de connaître au-delà de ce qui est purement quantifiable. En exaltant la raison et en la cantonnant dans le domaine où elle a réalisé ses exploits les plus visibles, les modernes l'ont finalement dépréciée en lui interdisant l'exploration des domaines les plus graves, les plus riches de sens, qui sont évidemment aussi les moins quantifiables.

                Cette exploration est possible, mais à condition de l'entendre d'une raison constitutivement ouverte sur l'être en totalité, dont l'objet produit par la technique n'occupe qu'une fraction du spectre. Elle est possible parce que la raison humaine participe du Logos divin. Ce qui laisse aussi entendre que la science telle qu'elle est comprise aujourd'hui n'est qu'une dimension du savoir total, une dimension qui doit se soumettre à une sagesse supérieure, tout aussi rationnelle et peut-être même davantage, qui s'exprime par la loi morale naturelle.

                Et à cet égard, la pensée de Ratzinger se fait incisive. Le théologien marqué par la pensée historique de saint Augustin et de saint Bonaventure sait que l'homme ne peut s'accomplir par lui-même, qu'en outre sa nature est loin d'être indemne. A l'optimisme anthropologique qui avait pu saisir les théologiens néothomistes du Concile, il opposait déjà, celui-ci à peine clos, les considérations réservées de l'augustinien qu'il n'avait jamais cessé d'être. Non, sans Dieu, sans la religion, et une religion inscrite organiquement dans la société, l'homme ne peut parvenir au bonheur, pas même terrestre. Le monde qu'il cherche à édifier s'effondre irrémédiablement, et cela dans un grand fracas, celui des totalitarismes ouverts – celui qu'il a connu dans sa jeunesse – ou sournois – celui que nous connaissons à présent dans nos sociétés démocratiques.

     

               Ce qui semblait alors une marque de manque d'enthousiasme à une époque de modernité triomphante retentit aujourd'hui comme le cri de Cassandre : l'homme postmoderne, désabusé, revenu de toutes les utopies et de toutes les chimères, « déconstruit » de tous côtés, s'il ne veut pas se « divertir » dans le consumérisme a besoin d'une conception rénovée de la raison. La pensée de Ratzinger, nettement antimoderne, peut constituer l'antidote théologique au poison qui ronge le monde actuel. Joseph Ratzinger apparaît ainsi comme le penseur chrétien dont le monde postmoderne a besoin, car il l'interpelle en lui montrant l'issue de secours : sans Dieu, l'homme ne peut subsister. C'est ce qu'il a encore rappelé aux parlementaires britanniques en parlant du « rôle correctif de la religion à l'égard de la raison » et en appelant au moins à un dialogue constructif entre ces deux mondes : « Je voudrais suggérer, disait-il, que le monde de la raison et de la foi, le monde de la rationalité séculière et le monde de la croyance religieuse reconnaissent qu'ils ont besoin l'un de l'autre, qu'ils ne doivent pas craindre d'entrer dans un profond dialogue permanent, et cela pour le bien de notre civilisation ». Soulignons au passage qu'il s'agit d'une aide mutuelle, ce qui suppose que sans la raison la religion s'égare. Ce qui, vous vous en doutez, permet de comprendre que toutes les religions, et même tous les denominations chrétiennes, ne sont pas à mettre sur le même plan. Ce qui m'amène au point suivant : l'Église. 

      

    2 – Un milieu ecclésial

     

                Théologie du Verbe divin, la pensée de Ratzinger est une théologie du Verbe total, c'est-à-dire prolongé dans ses membres qui tous ensemble forment l'Église. A la différence d'Augustin, Ratzinger n'a pas eu à découvrir l'Église puisqu'il a toujours baigné dans ses eaux depuis son enfance bavaroise, mais il a su en saisir l'importance justement à travers la découverte qu'en fit le philosophe d'Afrique du Nord, chercheur solitaire de Dieu, qui finit théologien, pasteur d'âmes, docteur de l'Église dans tous les sens du terme.

                Ratzinger a mis sa pensée et son énergie au service de l'Église, au point de renoncer à l'élaboration d'une théologie originale lorsqu'il finit par accepter, après bien des atermoiements, les lourdes charges ecclésiales que Paul VI puis Jean-Paul II lui confièrent. Ce sacrifice, pour un intellectuel de sa trempe, en dit long sur l'attachement de l'actuel Pape à l'Église et à son peuple.

                Cette dimension ecclésiale de sa pensée est apparue dans le souci constant qu'il a eu, au long de sa mission à la Congrégation pour la doctrine de la foi, de permettre aux « plus petits » d'avoir accès à l'intégralité de la foi authentique de l'Église par delà les recherches – largement médiatisées – de quelques théologiens en mal de renom et aux doctrines aventureuses. Ce souci des faibles, là aussi très augustinien – pensons à la controverse donatiste –, qui s'est centré à un moment sur la question de la « théologie de la libération », trouve son cœur dans la question liturgique. Loin d'être un aspect anecdotique de la vie de l'Église, la liturgie – comme l'a d'ailleurs proclamé le dernier Concile – en est bien plutôt le centre. La liturgie est en effet le lieu où le Verbe est accessible par-delà l'épaisseur de l'histoire : par la liturgie s'actualise la présence de Celui qui est le médiateur et le contenu de la Révélation, l'interlocuteur divin par excellence. C'est ce qui a vivement impressionné des convertis du protestantisme aussi profonds que J.H. Newman ou R.H. Benson. Par la liturgie nous pouvons être rendus participants du dialogue intratrinitaire entre le Père et le Fils, trouver notre véritable « demeure » en tant que chrétiens.

                C'est la communauté liturgique aussi qui permet d'avoir une vision plus juste de la Révélation et de son support, l'Ecriture. Il n'y a en effet pas de compréhension possible des Ecritures en dehors de la communauté qui les a produites et qui, dès lors, est seule apte à les interpréter. C'est ce que Benoît XVI rappelait lors de son discours sur le monachisme bénédictin dans l'enceinte du Collège des Bernardins en septembre 2008. Dans l'acte liturgique les verba multa des livres bibliques deviennent le Verbum unum, à la fois parole et nourriture dans l'eucharistie. La liturgie est ainsi un lieu théologique, sinon le lieu théologique par excellence. Elle est ce qui fait que la doctrine chrétienne ne dégénère pas en idéologie mais fructifie en confession. C'est cette alliance vitale nouée entre l'intelligence et l'agir que Benoît XVI a louée dans la personnalité du bienheureux John Henry Newman, et ce par-delà toutes ses qualités intellectuelles.

     

    3 – Une théologie du culte chrétien

     

                L'existence chrétienne est cultuelle : elle consiste à rendre à Dieu un culte raisonnable, une logikè latreia, un culte selon le Logos, terme que Ratzinger emprunte à S. Paul (Rm 12, 1). Rendre un culte à Dieu, c'est vivre selon le Logos fait chair, selon le Christ qui s'offre au Père dans l'acte central de sa vie, le sacrifice de la croix. Le culte de l'eucharistie est ainsi au centre de la vie chrétienne. La beauté du geste de Dieu qui offre son Fils et la beauté du geste du Christ qui s'offre – avec nous tous – à son Père doit transparaître dans la beauté du culte. Pour Ratzinger, la beauté n'est pas de l'ordre du subjectif ou de l'accidentel. Elle a un fondement dans l'être, elle est rationnelle, elle est « selon le Logos ». Ses écrits sur la liturgie occupent une place importante dans son œuvre, et par leur volume, et par leur diversité, et par leur qualité. Par l'attachement aussi qu'il leur porte : il a voulu que le premier tome de ses Gesamtliche Werke les contienne. Comme il l'a dit un jour à V. Messori ou à P. Seewald, au centre de la crise actuelle de l'Église, il y a la désintégration de la liturgie.

                Toucher en effet à la liturgie, c'est toucher à la relation vitale entre le chrétien et Dieu. C'est pourquoi il a très rapidement déploré le tour pris par l'application de la constitution conciliaire sur la liturgie. Il voit dans la « créativité liturgique » – terme qu'il exècre – l'expression d'une mainmise qui hypertrophie la dimension subjective de l'anthropologie en la déséquilibrant au détriment de ses dimensions cosmologique (dans laquelle elle doit s'insérer) et théologale (qui en est le fondement et le terme). La communauté finit par s'autocélébrer, reproduisant « la danse des Hébreux autour du veau d'or », cherchant ainsi à mettre la main sur Dieu, le ravalant du coup à l'état d'idole. Elle pâtit d'un néocléricalisme qu'autorisent trop souvent les multiples possibilités laissées au choix du célébrant par les livres réformés, néocléricalisme qui touche tant le clergé que les laïcs qui cherchent, avec la complicité de celui-ci parfois, à s'y substituer.

                Ratzinger milite aussi pour une redécouverte de l'orientation. La liturgie eucharistique se célèbre face à l'Orient, face au Christ ressuscité symbolisé cosmiquement par le soleil levant qui dissipe les ténèbres du péché et de la mort. A la rigueur, faute de mieux, par la croix posée sur l'autel. La « participation active des fidèles », voulue par le Mouvement liturgique de l'entre deux guerres, se réalise avant tout par l'union des fidèles à l'action qu'accomplit le Christ représenté sacramentellement par le prêtre et non par des tâches à accomplir pendant les cérémonies. Cette participation requiert une certaine séparation d'avec l'agitation et les habitudes du monde, elle suppose un silence intérieur et extérieur propice à l'union et à la conversion. Elle a besoin du chant, dans ce qu'il a de meilleur, c'est-à-dire de plus contemplatif, pour sublimer la parole – toujours prompte au verbiage – et retrouver le chant secret qui gît au fond des choses – de la mer dirait Tolkien –, la louange muette du cosmos dans laquelle elle a à s'insérer pour la récapituler et l'offrir. La liturgie devient ainsi le lieu de ce colloque spirituel avec le Seigneur. C'est le lieu de rappeler la devise cardinalice de Newman : cor ad cor loquitur.

                C'est ainsi que la pensée théologique de Ratzinger est éminemment christocentrique et ecclésiale en même temps que pratique, c'est-à-dire visant la sanctification des chrétiens. Elle se méfie de l'esprit du temps qui  cherche soit à séculariser la transcendance du salut dans des réalisations utopiques et souvent destructrices (du joachimisme au marxisme ou à l'écologisme), soit à étouffer toute vie intérieure par le matérialisme pratique du consumérisme et de l'hédonisme érigé en unique norme de vie qui aboutit au relativisme éthique, destructeur de toute société humaine véritable. 

     

    II – Les inflexions d'un pontificat

     

                L'élection du doyen du Sacré Collège à la charge de Pontife Romain a inquiété les uns, réjoui les autres. Chacun s'attendait à voir le Préfet de la doctrine de la foi occuper le siège de Pierre. Ce ne fut donc pas sans une certaine surprise que l'on vit Benoît XVI se dégager du rôle que le cardinal Ratzinger avait accepté d'endosser en 1981. Le Panzerkardinal faisait place à « l'humble travailleur dans la vigne du Seigneur ». Bonté et fragilité semblaient se substituer à l'autoritarisme supposé  du Préfet. Au thème de la vérité, si fermement défendu au palais du Saint-Office, succédait, sur la place Saint-Pierre, celui de la charité, de la bonté de Dieu. La défense de la rectitude du dogme semblait faire place à la promotion de ses aspects sociaux, avec une insistance particulière sur la question écologique. Ce qui ne manqua pas de surprendre... un observateur superficiel. Car Benoît XVI pratique pour lui-même « l'herméneutique de la continuité ». C'est pourquoi je parlerais volontiers de persistance et de renouvellement des thèmes centraux de sa théologie.

     

    1 – Persistance des thèmes anciens

     

                Le thème de la raison affrontée à la modernité, et confrontée à la crise postmoderne qui réintroduit la question de la foi dans un monde d'abord désenchanté puis dévasté, constitue la ligne directrice de ses adresses universitaires. Dans le discours de Ratisbonne (12 septembre 2006), relevant l'élément platonicien à l'œuvre dans la raison moderne, il montre que celle-ci ne peut s'exonérer de la question du sens, qui transcende la technique et l'utilitarisme qui en découle, pour renouer avec les réponses que la foi procure à l'interrogation philosophique. A Rome (17 janvier 2008), il rappelait que l'essor de cette même raison a été conditionné par la foi et que, aujourd'hui, « détachée des racines qui lui ont donné vie, elle ne devient pas plus raisonnable et plus pure, mais qu'elle se décompose et se brise ». A Paris (12 septembre 2008), il montrait comment les arts et les techniques, dont la modernité a pu s'enorgueillir, sont en fait les sous-produits de la quête médiévale de Dieu poursuivie dans les monastères.

                Autre thème qui transparaît, la restitution de l'homme dans son environnement, le cosmos. Autrement dit, la théologie de la Création qui resitue la dimension anthropologique dans la dimension cosmologique et qui met ainsi en lumière l'organicité du projet divin. Cela se traduit par son insistance – inédite jusqu'à présent dans l'enseignement pontifical – sur la question écologique, une écologie qui, là aussi, n'en reste pas qu'à la dimension environnementale – au grand dam des modernes –, mais qui s'élève jusqu'à cette écologie humaine qui n'est autre qu'une manière nouvelle d'aborder la loi morale naturelle, fondement de la morale tant individuelle que collective.

                Mentionnons aussi la permanence du thème eschatologique, particulièrement bien mis en valeur dans l'étonnante encyclique Spe salvi, où le disciple de saint Bonaventure traite des formes modernes du millénarisme. Mentionnons encore la persistance de la méthode scripturaire, héritée des Pères, qui lui est familière, jamais réduite à l'historico-critique, et qui se déploie dans Jésus de Nazareth. Son intelligence de l'Ecriture est toujours ecclésiale, conforme à l'analogie de la foi, en vue d'édifier.

                Le patient travail de raccommodage de la tunique déchirée du Christ qu'il a entrepris comme Pontife Romain, tant envers les chrétiens séparés que les catholiques dissidents, s'inscrit lui aussi dans la ligne augustinienne qui n'a jamais cessé de l'habiter. Benoît XVI apparaît comme tout le contraire d'un doctrinaire, mais bien plutôt comme cherchant pragmatiquement le moyen de réconcilier ce qui était divisé, sans pour autant rien renier de la vérité reçue d'en haut. Son travail est celui d'un restaurateur, d'un humble artisan qui cherche à rendre sa splendeur première à une œuvre d'art abimée. Ce souci apparaît dans la manière, là aussi patiente, par laquelle il cherche à réformer la liturgie pour la rendre plus conforme aux vœux des pères conciliaires, dépassés par la tourmente de ce qu'il faudra bien un jour appeler « les années folles » de l'histoire de l'Église. En ce sens, on pourrait dire que toute l'œuvre de Joseph Ratzinger, de ses débuts à Bonn jusqu'à ses prises de position pontificales à Rome, est placée sous le signe de la réception vraie et plénière du dernier Concile.

     

    2 – Le renouvellement des thèmes

     

             Tous les observateurs ont noté un glissement de perspective. C'est que bien souvent ils avaient sous les yeux les travaux du Préfet de la doctrine de la foi. Ce glissement est cependant réel par delà la persistance des thèmes centraux. Tout le monde attendait en effet une encyclique programmatique sur la foi et donc sur la question connexe de la vérité, à tonalité doctrinale. Or la première encyclique fut consacrée à la charité, avec une partie spéculative, certes, mais suivie d'une partie pastorale consacrée précisément à la pratique de la charité dans l'Église. Thème repris et prolongé dans le cadre plus large de la société postmoderne dans la troisième encyclique, Caritas in veritate. Benoît XVI n'abandonne pas le thème de la vérité, mais il le ressitue dans son cadre théologal, dont la source est la parole johannique : « Dieu est Amour ». La vérité, en Dieu, est une instance de l'amour : « Définir la vérité, la proposer avec humilité et conviction et en témoigner dans la vie sont par conséquent des formes exigeantes et irremplaçables de la charité. En effet, celle-ci 'trouve sa joie dans ce qui est vrai' (1 Cor 13,6) ».

                Benoît XVI propose ici une foi intégrale et cohérente, qui part de la confession trinitaire du Dieu révélé et qui descend jusqu'aux détails de l'éthique chrétienne, non seulement dans sa dimension individuelle mais aussi communautaire et sociale, en vue de l'institution de cette « civilisation de l'amour » qui constitue la seule alternative possible dans un monde qui a fait l'expérience des ravages d'une raison livrée à elle-même, aussi bien dans les domaines politiques, économiques que culturels. Pour Benoît XVI, le véritable enjeu est celui du cœur, champ de bataille (ou de décombres) où cherchent à s'édifier deux cités antagonistes, celle du ciel et celle de la terre.

     

                Et comme je l'écrivais dans un périodique catholique il y a quelques mois, avec persévérance et un mépris complet du qu'en dira-t-on, le Pontife ami des chats et de Mozart continue de nous dispenser sa petite musique. Puisse-t-elle encore longtemps nous enchanter, elle qui, à l'instar de la liturgie, « capte l'harmonie cachée de la Création, nous révélant le chant qui sommeille au fond des choses ».

     

    Questions et Réponses

     

     

    Question :

     

    Après les nombreuses encycliques des papes consacrées à la morale sociale, peut-on espérer de Benoît XVI un grand texte mettant au jour les dimensions morales fondamentales d’une écologie véritable ?

     

    Réponse :

     

    Une encyclique, dont le thème m’échappe, est en préparation. Quoiqu’il en soit, souvent chez Joseph Ratzinger, dans ses discours, à travers son regard de contemplatif et de poète, il y a une remarque, une observation sur un paysage, un édifice (par exemple, aux Journées Mondiales de la Jeunesse  de Sydney, il a décrit le paysage qu’il venait de survoler en avion). Chez lui, cela correspond certainement à un goût de la nature qu’il ramène à son créateur : l’homme peut apercevoir le dessein de Dieu à travers sa création, pour le faire remonter vers Dieu comme une offrande. A cet égard, la quatrième prière eucharistique -qu’on n’utilise pas très souvent- parle de « la création qui t’acclame par nos voix ». C’est très juste. Comme l’écrit saint Thomas d’Aquin, nous sommes à l’horizon de deux mondes : celui de la matière et celui de l’esprit. Nous tous, en tant que créatures rationnelles, nous sommes des pontifes, nous faisons le pont entre une création matérielle dénuée de raison mais intelligible en son essence, l’intelligibilité qui gît au fond de chaque chose, bien qu’elle soit incapable de l’exprimer. Mais nous, en connaissant la réalité créée, les objets de la création, nous les lisons et faisons remonter leur louange muette vers le Ciel : d’où l’importance de la liturgie et de son chant.

     

    Il est clair que pour Ratzinger la nature n’est pas simplement un décor. Elle est le lieu de l’exercice de notre humanité, si bien que, comme vous le suggériez, son interprétation de l’écologie ne sera pas simplement subordonnée à des questions économiques du type «  soyons sobres pour avoir plus longtemps du pétrole à brûler » : certes on a raison de le dire pour retrouver ainsi la simplicité d’une vie sobre, très bonne aussi pour la vie chrétienne, mais il y a plus car la création elle-même est un personnage de la « théo-dramatique ». A ce titre on peut espérer de Benoît XVI, ou de l’un de ses successeurs, un texte qui montrerait davantage, de ce point de vue, l’importance de la nature, à laquelle nous appartenons aussi, du reste. A cet égard, il existe un très bon petit livre publié dans les années 1970 chez Communio-Fayard : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». C’est une compilation de discours et homélies de Joseph Ratzinger sur ces questions-là.

     

    Question :

     

     Pourquoi l’œuvre de Joseph Ratzinger n’est-elle pas enseignée dans les séminaires ?

     

    Réponse :

     

    C’est une très bonne question. La difficulté vient de ce que l’œuvre de Joseph Ratzinger est extrêmement éclatée, qu’il n’a pas rédigé de cours ou de grands traités. Ce sont, avant tout, des « flash » sur divers sujets. Il fait le pont entre beaucoup de choses et, du coup, il n’est pas commode à utiliser pour un enseignement systématique de la sacramentaire, de la morale etc.

    C’est plutôt un auteur à lire en parallèle, pas un auteur de manuel mais quelqu’un qui jette de la lumière sur les cours. A la limite, le seul ouvrage qui pourrait faire l’objet d’un cours c’est « La mort et l’au-delà ». Quand j’enseignais au séminaire de Paris, c’est le seul ouvrage de lui que j’ai pu utiliser comme support de cours. J’espérais beaucoup de ses « Principes de la théologie catholique », pour m’apercevoir que c’était, en fait, une collection d’articles et, donc, assez décousu.

     

     Sur sa piété, on a un certain nombre de textes : des méditations pour les jours de la semaine, sur la vie des saints etc. Il a une piété de prêtre diocésain, très centrée sur le ministère et en particulier la liturgie. On se souvient que Jean-Paul II, dans son cœur, était un carme : il avait une théologie et une spiritualité carmélitaine. Ses grands auteurs étaient saint Jean de la Croix sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, sainte Thérèse d’Avila. On ne peut pas dire de Benoît XVI qu’il se rattache à une spiritualité particulière : bénédictine, dominicaine, carme… Celui qui le guide, c’est l’un des plus grands évêques, théologiens et spirituels de l’Eglise : saint Augustin. A partir de là, il intègre, comme doit le faire un prêtre diocésain, ce qu’il y a de meilleur dans les différentes spiritualités mais sa spiritualité à lui passe par la liturgie et son attachement à saint Augustin, non seulement comme maître à penser, mais maître à prier et il l’exprime dans nombre de petits textes. Il s’apparente aussi à saint Bonaventure (auquel il a consacré sa deuxième thèse de doctorat), avec son souci de l’écologie et de la nature propre aux franciscains.

     

    Question :

     

     L’esprit de revanche pourrait-il animer Benoît XVI face aux attaques  qui ont émaillé l’exercice de ses fonctions ?

     

    Réponse :

     

     L’esprit de revanche est étranger à Joseph Ratzinger. C’est un homme foncièrement bon. J’ai eu l’occasion de le rencontrer lorsque j’étais étudiant à Rome. Quand vous êtes face à un cardinal qui vous écoute comme un petit élève, parce qu’il est foncièrement bon et ouvert, c’est impressionnant. Dans son travail à la tête de la congrégation pour la doctrine de la foi, il avait, lui qui est polyglotte, instauré un système selon lequel chaque fonctionnaire, quand il avait quelque chose à présenter, s’exprimait dans sa propre langue et c’est lui, le préfet, qui faisait l’effort de le comprendre en disant : un jeune théologien a sans doute plus de difficulté à s’exprimer dans une langue étrangère à la sienne et c’est moi qui vais faire l’effort.

     

    En fait de revanche, c’est un homme passionné par l’unité. Il n’a jamais cessé de dire que saint Augustin était son maître. Or, l’œuvre de saint Augustin, c’est aussi du raccommodage : il a raccommodé des gens divisés de son temps : les romains avec les kabyles, les chrétiens de la Grande Eglise avec les donatistes ou avec la foule des hérésies et des schismes qui pullulaient en Afrique du Nord, au Ve siècle. Comme lui, Benoît XVI est passionné par l’unité et essaie de toutes ses forces de retrouver déjà cette unité à l’intérieur du catholicisme, d’autant plus qu’il est convaincu qu’un certain nombre de raisons qui ont amené ces dissidences sont valables. Il a le souci de les dépasser mais il est patient  car il sait que cela ne se fera pas en un tournemain. Peut-être avez-vous aussi été frappé par son affabilité avec les orthodoxes et même les anglicans, parce que, là aussi, il a le souci de l’unité de tous les chrétiens et a bien conscience qu’étant le pape de Rome il est le chef spirituel de tous les chrétiens. Le fait que Sa Majesté la Reine Elizabeth II l’ait invité à faire une visite d’Etat au Royaume-Uni pour s’exprimer non seulement devant quatre ou cinq millions de catholiques anglais et écossais mais devant la nation entière, s'explique probablement aussi parce que, dans l’esprit de la Reine, il est plus que le chef de l’Eglise catholique.

     

         

     

     

    LE SERMON DE LA MESSE

     

    Célébrer la messe du Saint-Esprit, au commencement d'une nouvelle année académique par exemple, comme nous aujourd'hui, ce n'est pas d'abord implorer Dieu de bien vouloir nous accorder son Esprit. Car nous accorder son Esprit, c'est précisément le vœu le plus cher du Seigneur. C'est bien plutôt prendre la résolution de vouloir recevoir le don de Dieu, de vouloir se laisser transformer par ce même Esprit, dans toutes les dimensions de sa vie, c'est-à-dire bien sûr dans le domaine intellectuel, mais aussi dans les domaines si divers et parfois si rebelles que sont ceux des affections, des goûts et des choix moraux de l'existence. C'est accepter que le Saint-Esprit devienne l'âme de notre âme, qu'il fasse de chacun de nous une anima ecclesiastica, quelqu'un qui vive toutes les dimensions de sa vie en tant que membre de l'Église, soumis en tout à Dieu, désireux d'étendre le règne du Christ  : à l'extérieur, en témoignant du sens que la foi procure à sa vie, et en profondeur, en laissant évangéliser toutes les strates de son existence, pour parvenir à l'unité intérieure, condition de la véracité du témoignage. Les interventions de Benoît XVI en Grande Bretagne pourront guider notre méditation de ce soir.

    Dieu veut avant tout notre bonheur. C'est ce que Benoît XVI rappelait aux étudiants réunis autour de lui à Londres. Et qui dit bonheur dit aussi sainteté : « Quand je vous invite à devenir des saints, je vous demande de ne pas vous contenter de la seconde place. Je vous demande de ne pas poursuivre un but limité en ignorant tous les autres. L’argent permet d’être généreux et de faire du bien dans le monde, mais à lui seul, il ne suffit pas à nous rendre heureux. La haute qualification dans l’activité professionnelle est une bonne chose, mais elle ne nous satisfait pas si nous n’avons pas en vue quelque chose de bien plus grand. Elle peut nous rendre célèbre, mais elle ne nous rendra pas heureux. Le bonheur est quelque chose que nous voulons tous, mais un des grands drames de ce monde est que tant de personnes ne le trouvent jamais, parce qu’elles le cherchent là où il n’est pas. La clef du bonheur est très simple – le vrai bonheur se trouve en Dieu. Nous devons avoir le courage de mettre nos espérances les plus profondes en Dieu seul, non pas dans l’argent, dans la carrière, dans les succès de ce monde, ou dans nos relations avec d’autres personnes, mais en Dieu. Lui seul peut satisfaire les exigences profondes de nos cœurs ». Cette quête du bonheur, John Henry Newman l'a illustrée par l'itinéraire de sa vie : une vive expérience de conversion dans sa jeunesse à laquelle il a été fidèle toute sa vie en appliquant inlassablement sa raison à scruter les profondeurs de Dieu à travers le donné révélé tel qu'il lui avait été transmis pour, le moment venu, par fidélité à sa conscience, caisse de résonance de la vérité de Dieu, opter pour l'Église romaine, quitte à en subir les conséquences. « La vie de Newman nous enseigne aussi, commentait le Pape, que la passion pour la vérité, l'honnêteté intellectuelle et la conversion authentique ont un prix élevé ».

     L'expérience intérieure de la vérité a pour conséquence logique le témoignage extérieur. Ce témoignage, aujourd'hui, nous expose souvent à l'ironie, voire à l'hostilité. Il heurte notre désir inné de paix. «  À notre époque, le prix à payer pour la fidélité à l’Évangile n’est plus la condamnation à mort par pendaison ou par écartèlement, mais cela entraîne souvent d’être exclus, ridiculisés ou caricaturés. Et cependant, l’Église ne peut renoncer à sa tâche : proclamer le Christ et son Évangile comme vérité salvifique, source de notre bonheur individuel ultime et fondement d’une société juste et humaine ». Et ce témoignage est d'autant plus nécessaire que sans la Vérité révélée que véhicule la religion, la raison laissée à ses seules forces se retourne contre l'homme et le conduit au malheur. C'est une des constantes de l'enseignement de Benoît XVI au sujet de la société postmoderne. C'est l'appel qu'il lançait aux Ecossais à Glasgow : « L’évangélisation de la culture est d’autant plus importante de nos jours, alors qu’une “dictature du relativisme” menace d’obscurcir l’immuable vérité sur la nature humaine, sa destinée et son bien suprême. Certains cherchent aujourd’hui à exclure la croyance religieuse du discours public, à la limiter à la sphère privée ou même à la dépeindre comme une menace pour l’égalité et pour la liberté. Pourtant, la religion est en fait une garantie de liberté et de respect authentiques, car elle nous conduit à considérer chaque personne comme un frère ou une sœur. Pour cette raison, je lance un appel particulier à vous les fidèles laïcs, en accord avec votre vocation et votre mission baptismales, à être non seulement des exemples de foi dans la vie publique, mais aussi à introduire et à promouvoir dans le débat public l’argument d’une sagesse et d’une vision de foi. La société d’aujourd’hui a besoin de voix claires qui prônent notre droit de vivre, non pas dans une jungle de libertés autodestructrices et arbitraires, mais dans une société qui travaille pour le vrai bien-être de ses citoyens et qui, face à leurs fragilités et leurs faiblesses, leur offre conseils et protection ». C'est ce qu'il répètera devant les parlementaires britanniques au palais de Westminster. Si la loi naturelle, de soi, suffit à régir droitement les sociétés, concrètement, nos contemporains sont devenus incapables d'en découvrir et d'en observer les exigences. Ils ont besoin du « correctif » de la religion, qui les aide à purifier leur raison et à fortifier leur volonté. Et après avoir mentionnées les déviations qui menacent également la religion, il concluait par ces mots : « La religion, en d’autres termes, n’est pas un problème que les législateurs doivent résoudre, mais elle est une contribution vitale au dialogue national ».

     Cette contribution que les chrétiens sont les seuls à apporter en plénitude à la société doit être humble, c'est-à-dire émaner non de perroquets qui récitent une leçon, mais de gens ayant fait l'expérience intérieure de la vérité, dans un cœur à cœur avec le Seigneur, cor ad cor loquitur. La collecte de la messe nous invitait à « goûter dans l'Esprit ce qui est bien ». « Finalement, disait le Pape aux fidèles réunis à Hyde Park, Newman nous enseigne que, si nous avons accepté la vérité du Christ et lui avons donné notre vie, il ne peut y avoir de différence entre ce que nous croyons et notre manière de vivre. Toutes nos pensées, nos paroles et nos actions doivent être pour la gloire de Dieu et pour l’avènement de son Royaume. Newman a compris cela et il a été le grand défenseur de la mission prophétique des laïcs chrétiens. Il a vu clairement qu’il ne s’agissait pas tant d’accepter la vérité par un acte purement intellectuel que de l’embrasser dans une dynamique spirituelle qui pénètre jusqu’au cœur de notre être. La vérité est transmise non seulement par un enseignement en bonne et due forme, aussi important soit-il, mais aussi par le témoignage de vies vécues dans l’intégrité, la fidélité et la sainteté. Ceux qui vivent dans et par la vérité reconnaissent instinctivement ce qui est faux et, précisément parce que faux, hostile à la beauté et à la bonté qui sont inhérentes à la splendeur de la vérité, Veritatis splendor ».

    Notre engagement, dès lors, n'est pas un engagement de militants. C'est un engagement spirituel, un engagement de martyrs, c'est-à-dire de témoins de cette splendeur de la vérité. C'est un engagement qui, parce qu'il provient des profondeurs de l'âme, du tréfonds de la conscience, est propre à chacun et, en un sens, unique. « Dieu m’a créé pour un service précis. Il m’a confié un travail qu’il n’a confié à personne d’autre » écrivait-il. Cet engagement, aujourd'hui, se fait pressant : « Pour qui regarde avec réalisme notre monde d’aujourd’hui, continuait le Pape à Hyde Park, il est manifeste que les chrétiens ne peuvent plus se permettre de mener leurs affaires comme avant. Ils ne peuvent ignorer la profonde crise de la foi qui a ébranlé notre société, ni même être sûrs que le patrimoine des valeurs transmises par des siècles de chrétienté, va continuer d’inspirer et de modeler l’avenir de notre société. Nous savons qu’en des temps de crise et de bouleversement, Dieu a suscité de grands saints et prophètes pour le renouveau de l’Église et de la société chrétienne ». Ces saints, ce sont les chrétiens qui prennent au sérieux l'appel de l'Esprit Saint en eux, lui qui utilise aussi bien leurs forces que leurs faiblesses, leurs richesses que leur pauvretés, pour apporter une réponse appropriée aux défis de notre temps. A Birmingham, le Pape citait cet appel de Newman : « Je désire un laïcat qui ne soit pas arrogant, ni âpre dans son langage, ni prompt à la dispute, mais des personnes qui connaissent leur religion, qui pénètrent en ses profondeurs, qui savent précisément où ils sont, qui savent ce qu’ils ont et ce qu’ils n’ont pas, qui connaissent si bien leur foi qu’ils peuvent en rendre compte, qui connaissent assez leur histoire pour pouvoir la défendre ». Et à Hyde Park, il concluait : « À ce point, je désire m’adresser spécialement aux nombreux jeunes ici présents. Chers jeunes amis : seul Jésus sait quel « service précis » il a pensé pour vous. Soyez ouverts à sa voix qui résonne au fond de votre cœur : maintenant encore son cœur parle à votre cœur. Le Christ a besoin de familles qui rappellent au monde la dignité de l’amour humain et la beauté de la vie de famille. Il a besoin d’hommes et de femmes qui consacrent leur vie à la noble tâche de l’éducation, veillant sur les jeunes et les entraînant sur les chemins de l’Évangile. Il a besoin de personnes qui consacrent leur vie à s’efforcer de vivre la charité parfaite, en le suivant dans la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, et en le servant dans le plus petit de nos frères et sœurs. Il a besoin de la force de l’amour des religieux contemplatifs qui soutiennent le témoignage et l’activité de l’Église par leur prière constante. Et il a besoin de prêtres, de bons et saints prêtres, d’hommes prêts à offrir leur vie pour leurs brebis. Demandez au Seigneur ce qu’il a désiré pour vous ! Demandez-lui la générosité pour dire oui ! N’ayez pas peur de vous donner totalement à Jésus. Il vous donnera la grâce dont vous avez besoin pour réaliser votre vocation. Je termine ces quelques mots en vous invitant chaleureusement à vous joindre à moi l’année prochaine à Madrid pour la Journée Mondiale de la Jeunesse ». Ce que je vous invite moi aussi à faire en rejoignant les rangs de l'association internationale Juventutem !

     

                Mais maintenant répondons – cor ad cor loquitur – à la parole que Dieu nous adresse par les paroles qu'à travers la liturgie il met sur nos lèvres.

     

     

     

     

    blason du cardinal Newman avec sa devise :

    "cor ad cor loquitur"

     

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