Plus de 300 personnes ont assisté à la Solennité de la Fête-Dieu célébrée selon la liturgie traditionnelle par Mgr Jean-Pierre Delville en l’église du Saint-Sacrement à Liège au Boulevard d’Avroy, à quelques mètres du lieu tragique des tueries de la semaine dernière, que le prélat à largement évoquées dans son homélie ci-jointe. La cérémonie était rehaussée par une très belle messe polyphonique interprétée par le chœur liégeois « Praeludium » et le chant grégorien de la Schola Minor de Bratislava, qui avait fait le déplacement à Liège pour la circonstance.
Voici le texte de l’homélie prononcée par l’évêque de Liège :
" Chers Frères et Sœurs,
La Fête-Dieu, c’est la Pâque aujourd’hui, la Pâques pour moi, pour nous, dans la commuion au corps du Christ. Pâque, c’est la vie du Christ. C’est la Fête-Dieu, c’est notre vie dans le Christ. Comme le dit Jésus : « celui qui me mange vivra par moi ; celui qui mange ce pain vivra éternellement » (Jn 6,56-58).
Le pape Urbain IV dans la bulle d’institution de la Fête Dieu écrivait en 1264 en insistant sur cette dimension de repas de l’eucharistie : « Sur le point de quitter (« Transiturus », en latin) le monde pour retourner à son Père, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, comme le moment de sa passion approchait, après avoir mangé la Cène en mémoire de sa mort, institua le souverain et magnifique sacrement de son Corps et de son Sang, donnant son corps en nourriture et son sang en breuvage ».
Il ajoute une phrase, qui m’inspire beaucoup cette année, où j’ai écrit une lettre pastorale intitulée L’arbre de vie : « Ô très digne mémoire, dans laquelle nous célébrons celui qui est véritablement l’arbre de vie, et qui étant attaché sur l’arbre de la croix, a fait germer pour nous le fruit du salut ! » Donc pour le pape Urbain IV, le Christ est l’arbre de vie qui est attaché sur l’arbre de la croix. Le pape lie l’arbre de vie à l’arbre de la croix. Il conclut que cela fait germer pour nous le fruit du salut. Nous évoquons donc la passion et les souffrances du Christ. Et nous découvrons que ce don de soi nous donne des fruits de vie. Le pape continue en disant : « En cette fête, la douceur de la joie se mêle avec l’effusion des larmes : car nous nous réjouissons en pleurant, et nous pleurons de tendresse et de dévotion en nous réjouissant ; nos larmes sont des larmes de joie, et notre joie s’exprime et se fait paraître par des larmes. » Il ajoute que cette célébration manifeste « la mort de notre propre mort, et la destruction de notre propre destruction ».
Cette année, la Fête-Dieu nous renvoie à la passion du Christ et au lavement des pieds. Après ce que nous avons vécu à Liège, ce mardi 29 mai, avec l’assassinat terroriste de trois personnes, l’assassinat d’une quatrième personne et la mort de l’assaillant, c’est la passion du Christ qui se renouvelle et la mort des innocents que l’on retrouve. Nos pensées et nos prières vont vers les victimes : les deux policières de la ville de Liège et l’étudiant de l’école supérieure. Nous sommes d’autant plus frappés que la tuerie à eu lieu à quelques mètres d’ici, devant le café Aux Augustins, qui tire son nom de notre église, autrefois l’église des augustins de Liège. Nous portons dans la prière les policiers blessés, leurs familles et leurs amis, ainsi que tous ceux qui ont été touchés de près ou de loin par cette tuerie, en particulier les membres des services d’ordre, qui ont fait montre de courage et de détermination, ainsi que les enfants, les jeunes et le personnel des écoles voisines. Je voudrais souligner aussi le courage de la femme d’ouvrage musulmane qui a discuté longtemps avec le terroriste pour le calmer et qui a donné le temps d’évacuer l’école et d’éviter un massacre.
L’eucharistie comme nourriture est liée au don de soi que réalise le Christ : « Il s’est offert à être notre nourriture […]. Ô prodigalité sans mesure, quand quelqu’un se donne soi-même. Il s’est donc donné à nous en nourriture, afin que l’homme, parce qu’il s’était effondré par la mort, fût aussi par la nourriture rappelé lui-même à la vie. » Le don de soi est donc manifesté comme un don de nourriture, qui donne la vie. Le pape fait le parallèle entre deux nourritures : celle de la chute de l’homme (Genèse 2-3) et celle de l’eucharistie : « L’homme est tombé par la nourriture de l’arbre empoisonné, l’homme a été relevé par la nourriture de l’arbre de vie. Là était suspendu l’appât de la mort, ici était suspendu l’aliment de la vie. Le repas de l’un causa la blessure, le goût de l’autre apporta la santé. Le goût a blessé et le goût a guéri ». À ce parallèle, le pape ajoute un paradoxe de cette nourriture : « Ce pain est mangé, mais il n’est pas vraiment consommé, car il ne se transforme nullement en celui qui le mange, mais, s’il est reçu dignement, celui qui le reçoit lui devient conforme ! » Donc l’eucharistie n’est pas transformée en celui qui la consomme, mais c’est celui qui la consomme qui est transformé en elle.
Ce mystère de vie est aussi un mystère d’amour, l’amour de Dieu pour nous, qui se manifeste dans le don que Jésus nous fait de son corps et de son sang, c’est-à-dire le don de toute sa vie. Nous découvrons que nous sommes des gens qui sont aimés, et non pas des gens lancés dans la vie par le hasard des choses. Répondre à cet amour, c’est communier dignement. « Celui qui mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le Corps et le Sang du Seigneur », dit S. Paul.
Le partage du pain, devenu corps du Christ, nous fait communier avec lui et nous incite à communier avec nos frères et sœurs. Chaque communauté chrétienne est appelée à vivre cette communion fraternelle. Je vois qu’on vit cela en particulier dans cette église du Saint-Sacrement. On y pratique la liturgie ancienne, sous la forme extraordinaire. C’est un retour aux sources, aux textes, aux chants et aux gestes originaux de la liturgie, qui nous font découvrir avec soin la grandeur du mystère de vie et de mort qui se dévoilent dans la liturgie. Je remercie cette communauté pour cette mission qu’elle a assumée. C’est primordial d’être en communion les uns avec les autres, pour être des témoins authentiques de l’amour de Jésus dans notre monde. Si nous ne nous aimons pas les uns les autres, qui nous croira ? , qui nous fera confiance ?
Oui, Frères et Sœurs, nous allons célébrer maintenant avec joie le sacrifice du Christ, c’est-à-dire le don de soi du Christ, qui se consacre à nous pour que nous nous consacrions à lui et à nos frères dans la joie. Amen. Alleluia !"
JPSC