« […] nous faisons mémoire au terme du temps de l’Avent de la naissance de Jésus, il y a une vingtaine de siècles, c’est parce que cette première venue est pour nous la garantie de sa nouvelle venue dans la gloire. Tout ce temps liturgique est tourné vers l’avant, en latin, la parousie en grec, le nouvel avènement dans la gloire de Jésus à la fin de l’histoire et à la fin de ce monde. Et nous osons espérer fermement que cette nouvelle venue aura lieu, puisque la première a eu lieu. Les espérances d’Israël ont été exaucées par le premier avènement de Jésus dans l’humilité et dans l’humiliation, et l’espérance du nouveau peuple de l’alliance, à savoir l’Eglise, sera elle aussi espérée par la nouvelle venue de Jésus, cette fois, dans la gloire. Lors du premier avènement, il a été jugé et condamné par les hommes. Quand il viendra de nouveau dans la gloire, c’est lui qui jugera les vivants et les morts avec justice et avec miséricorde.
L’évangile qui vient d’être proclamé m’impressionnait beaucoup dans mon enfance, parce que, quand j’avais sept ou huit ans, je ne connaissais pas encore l’histoire de l’Empire romain, je ne connaissais pas la situation religieuse ni politique de la Terre sainte, n’empêche, j’étais impressionné par la précision de la date: la quinzième année du règne de Tibère-César. Et je pressentais que c’était important, que nous étions marqués dans notre foi par un événement repérable dans l’histoire. La foi chrétienne n’a rien à voir avec une mythologie intemporelle, elle est liée à un événement historique daté, alors que Ponce Pilate était gouverneur de Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe tétrarque d’Iturie, à ce moment-là, la parole de Dieu a fondu à la verticale sur Jean-Baptiste, fils de Zacharie. Autrement dit, la parole de Dieu est entrée dans l’histoire humaine. L’amour de Dieu s’est infiltré au coeur de l’histoire et finalement, au coeur de chaque homme. La Parole de Dieu fut adressée par Jean, fils de Zacharie, dans le désert. Et ensuite, l’évangile relate la prédication de Jean-Baptiste en y voyant l’accomplissement de l’oracle d’Isaïe. Une voix crie dans le désert. Préparez la route du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
Je voudrais profiter ce cet évangile à quelques jours de Noël pour insister sur cet aspect de la foi, à savoir que la foi chrétienne n’est pas seulement un cri du coeur, une aspiration du coeur humain qui aurait projeté devant elle un événement illusoire. Notre foi nous a été, si je puis dire, arrachée, extorquée par un événement qui s’est imposé à nous historiquement. Et cela est infiniment précieux.
Nous allons dans un instant proclamer la foi de Nicée-Constantinople, foi qui a été rédigée par les pères de deux conciles: Nicée en 325, Constantinople en 381 et dans ce texte du credo, il y a des envolées extraordinaires, qui dépassent notre capacité de comprendre. Nous affirmons d’abord notre foi en Dieu, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible, mais aussi de l’univers invisible, des anges, des archanges, des séraphins. Et puis nous parlons de Jésus comme étant notre seul Seigneur. A l’époque, quand ce texte a été rédigé, on avait derrière soi quelques siècles de l’Empire romain, où il avait fallu, si on n’était pas solide dans la foi, offrir de l’encens devant une statue de l'empereur romain qui se faisait considérer comme un dieu présent sur la terre, qui se faisait traiter donc de Kyrios, de seigneur. Et on dit dans le credo: “en un seul Seigneur, Fils unique de Dieu, né du père avant tous les siècles”. Car il a fallu résister aux hérésies qui voulaient simplifier notre foi, la mettre à mesure humaine, en disant que Jésus n’était pas vraiment Dieu. Il est un homme sublime, exceptionnel dont Dieu a fait son porte-parole, mais il est une créature. Il a fallu se battre grâce au courage d'Athanase d'Alexandrie pour dire non il est Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu engendré de toute éternité au sein de la Trinité et pas comme nous, créés dans le temps, et de même nature, en substance, que le Père, et par Lui, tout a été fait. Alors, devant de telles envolées métaphysiques, on pourrait se demander si ce n’est pas un rêve ou du délire. Mais aussitôt après vient la vie historique de Jésus, conçu de l’Esprit-Saint, né de la Vierge Marie et qui a souffert sa Passion sous Ponce Pilate. La mention de Ponce Pilate dans le credo est très précieuse, même si, paraît-il, en Allemagne, quand quelqu’un arrive comme un cheveu dans la soupe, on dit “il arrive comme Ponce Pilate dans le credo”. Mais la venue de Ponce Pilate dans le credo, autant un personnage falot, lâche, elle est très précieuse. Elle atteste que nous ne sommes pas dans un mythe, une projection psychologique, mais nous sommes dans un événement historique. Et après cette nouvelle garantie recommence une nouvelle envolée: il fut mis au tombeau, mais le troisième jour, il ressuscita d’entre les morts conformément aux écritures. Il est assis à le droite du Père. Au même moment que Dieu, car il est Dieu tout autant que le Père. Et il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin. Le credo de Nicée reprend ce que Daniel avait dit dans la vision du chapitre sept qui a tellement inspiré Jésus dans sa mission humaine: son règne n’aura pas de fin. Et puis nous proclamons notre foi dans l’Esprit-Saint. Et nous y croyons, dans l’Esprit-Saint, parce que Jésus nous en a parlé, nous a promis de l’envoyer. Et ici aussi, il nous a fallu résister aux hérétiques qu’on appelait des Pneumatomaques, ça veut dire en grec ceux qui se battent contre l’Esprit-Saint, qui considèrent que l’Esprit-Saint n’est pas vraiment Dieu, au contraire du Christ. Pour ces hérétiques, l’Esprit-Saint est un souffle anonyme, une respiration, mais pas vraiment quelqu’un, il n’est pas vraiment Dieu, Seigneur qui donne la vie. Il est un principe vital anonyme qui nous habite, qui nous inspire. Alors, il a fallu résister aux Pneumatomaques et dire non, l’Esprit-Saint, il est Seigneur et il donne la vie. Il procède du Père et du Fils ou, selon les Grecs, du Père par le Fils, mais cela revient pratiquement au même. Il procède du Père et du Fils et, avec le Père et le Fils, il reçoit, s’il vous plaît, même adoration et même gloire. Nous le vénérons et nous l’adorons tout autant que le Père et le Fils. Et après cette envolée, on poursuit avec le mystère de l’Eglise: je crois en l’Eglise, une. Rappelez-vous le filet qui est rempli de poissons (Luc, ch. 5) au point que les filets menacent de se déchirer. La pêche miraculeuse (Jean, ch. 21), et malgré la grande quantité de poissons, dit Jean, le filet ne se déchira pas. L’Eglise a beau être multiple, le filet comptait 153 gros poissons. Toutes les cultures, toutes les races, toutes les langues, et il ne se déchire pas. L’Eglise est une dans sa diversité, sainte, pas par elle-même, mais par le sein de Dieu, Jésus, qui est sa tête. Par l’Esprit-Saint, qui est son âme, par la Sainte Vierge Marie, qui est son coeur, par la Tradition sainte, qui vient des apôtres, par l’Ecriture sainte, qui éclaire le chemin dans cette vie et par le très saint Sacrement de l’Eucharistie qui est sa nourriture et le principe de sa vie. En ce sens, l’Eglise est sainte, même si elle est composée des pécheurs que nous sommes. Mais heureusement, elle produit aussi à travers l’histoire des saints et des saintes en grand nombre. Et après cela, après le mystère de l’Eglise, le baptême pour la rémission des péchés, et on termine avec une nouvelle envolée de foi et d’espérance: je crois en la résurrection des morts, je crois que Dieu recréera nos corps qui, ici-bas, sur cette terre, vont inévitablement vers la dissolution, la putréfaction ou la crémation et les cendres. Je crois en la recréation de nos corps, en la résurrection des corps et à la vie éternelle, amen.
Alors, devant un texte bourré à craquer de foi en des réalités qui sont pour une bonne part invisibles, nous n’avons pas vu la création du ciel, ni de la terre, nous n’avons pas vu l’Esprit-Saint, on n’a pas vu la résurrection du Seigneur, on n’a pas vu encore la vie éternelle qui nous attend. Et heureusement, au milieu de tout cela, il y a Ponce Pilate, et la référence à l’histoire. Il y a l’an quinze, du règne de Tibère-César, il y a le procurateur de la Judée, à l’époque, et les différents tétrarques, et les grands prêtres de l’époque. Nous ne sommes pas dans le rêve, nous ne sommes pas dans l’imagination, nous ne sommes pas dans la mythologie, nous ne sommes pas dans la psychanalyse freudienne, nous sommes dans un événement historique qui s’impose à nous et qui est riche de sens et qui nous fait vivre pour toute cette vie et qui va faire vivre l’histoire humaine jusqu’à son accomplissement”.
Extrait de l’homélie de Mgr Léonard lors de sa messe d'au revoir (suivant la forme extraordinaire du rite romain) à la Paroisse des Minimes à Bruxelles, le dimanche 20 décembre.