Sur le blog du « Petit Placide », ce texte (extraits) du Père Garrigou-Lagrange (1877-1964) ) :
« Parmi les formes habituelles de la dévotion mariale, comme le sont l'Angelus, l'office de la Sainte Vierge, le Rosaire, nous parlerons spécialement de ce dernier, en tant qu'il nous dispose et nous conduit à la contemplation des grands mystères du salut.
C'est, après le sacrifice de la messe, une des plus belles prières et des plus efficaces, à condition de la bien entendre et d'en vivre véritablement (…)
On peut sans doute faire déjà une bonne prière, en pensant confusément à la bonté de Dieu et à la grâce demandée, mais pour rendre au chapelet son âme et sa vie, il faut se rappeler qu'il n'est qu'une des trois parties du Rosaire, et qu'il doit s'accompagner de la méditation, facile du reste, des mystères joyeux, douloureux et glorieux, qui nous rappellent toute la vie de Notre-Seigneur, celle de sa sainte Mère et leur élévation au ciel.
Les quinze mystères du Rosaire, ainsi divisés en trois groupes ne sont autre chose que les divers aspects des trois grands mystères du salut : celui de l'Incarnation, celui de la Rédemption et celui de la vie éternelle.
Le mystère de l'Incarnation nous est rappelé par les joies de l'Annonciation, de la Visitation, de la Nativité de Jésus, par sa présentation au temple et son recouvrement parmi les docteurs de la synagogue.
Le mystère de la Rédemption nous est rapporté par les divers moments de la Passion : l'agonie au jardin des Oliviers, la flagellation, le couronnement d'épines, le portement de la croix, le crucifiement.
Le mystère de la vie éternelle nous est redit par la résurrection, l'ascension, la pentecôte, l'assomption de Marie et son couronnement au ciel.
C'est tout le Credo qui passe sous nos yeux, non pas d'une façon abstraite, par des formules dogmatiques, mais d'une façon concrète par la vie du Christ, qui descend vers nous et remonte vers son Père pour nous conduire à lui. C'est tout le dogme chrétien dans son élévation et sa splendeur, pour que nous puissions ainsi tous les jours le pénétrer, le savourer et en nourrir notre âme.
Par là, le Rosaire est une école de contemplation, car il nous élève peu à peu au-dessus de la prière vocale et de la méditation raisonnée ou discursive. Les anciens théologiens ont comparé ce mouvement de contemplation au mouvement en spirale que décrivent certains oiseaux comme l'hirondelle pour s'élever très haut. Ce mouvement en spirale est aussi comme un chemin qui serpente pour faire sans fatigue l'ascension d'une montagne. Les mystères joyeux de l'enfance du Sauveur conduisent à sa Passion et sa Passion au ciel.
C'est donc une prière très élevée, si on l'entend bien, puisqu'elle remet tout le dogme sous nos yeux de façon accessible à tous.
Elle est aussi très pratique, parce qu'elle nous rappelle toute la morale et la spiritualité chrétienne vues d'en haut par l'imitation de Jésus rédempteur et de Marie médiatrice, qui sont nos grands modèles.(…)
Le Rosaire bien compris est ainsi non pas seulement une prière de demande, mais une prière d'adoration à la pensée du mystère de l'Incarnation, une prière de réparation, en souvenir de la Passion du Sauveur, une prière d'action de grâces, en pensant aux mystères glorieux qui continuent de se reproduire incessamment par l'entrée au ciel des élus.(…)
Pour mieux voir ce que doit être le Rosaire, il faut se rappeler comment saint Dominique l'a conçu sous l'inspiration de la Sainte Vierge, à un moment où le midi de la France était ravagé par l'hérésie des Albigeois, imbus des erreurs manichéennes, qui niaient la bonté infinie et la toute-puissance de Dieu, par l'affirmation d'un principe du mal souvent victorieux.
Ce n'était pas seulement la morale chrétienne qui était attaquée; mais le dogme, les grands mystères de la création, de l'Incarnation rédemptrice, de la descente du Saint-Esprit, de la vie éternelle à laquelle nous sommes tous appelés.
C'est alors que la Sainte Vierge fit connaître à saint Dominique un mode de prédication inconnu jusqu'alors, qu'elle lui affirma être pour l'avenir une des armes les plus puissantes contre l'erreur et l'adversité. Arme très humble, qui fait sourire l'incrédule; car il ne comprend pas les mystères de Dieu.
Sous l'inspiration qu'il avait reçue, saint Dominique s'en allait par les villages hérétiques, rassemblait le peuple, et il prêchait sur les mystères du salut, sur ceux de l'Incarnation, de la Rédemption, de la vie éternelle. Comme le lui avait inspiré Marie, il distinguait les divers mystères joyeux, douloureux et glorieux. Il prêchait quelques instants sur chacun de ces quinze mystères, et après la prédication de chacun, il faisait réciter une dizaine d'Ave Maria, un peu comme on prêche aujourd'hui l'heure sainte en plusieurs parties intercalées de prières ou de chants religieux.
Alors ce que la parole du prédicateur ne parvenait pas à faire admettre, la douce prière de l'Ave Maria l'insinuait au fond des cœurs. Ce genre de prédication fut des plus fructueux.(…)
Si nous vivons de cette prière, nos joies, nos tristesses et nos espoirs seront purifiés, élevés, surnaturalisés; nous verrons de mieux en mieux, en contemplant ces mystères, que Jésus, notre Sauveur et notre modèle, veut nous assimiler à lui, nous communiquer d'abord quelque chose de sa vie d'enfance et de sa vie cachée, puis quelque ressemblance avec sa vie douloureuse, pour nous faire participer ensuite à sa vie glorieuse pour l'éternité. »