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Réflexion faite - Page 32

  • Brève histoire du Sacrement de Pénitence II . Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, autom 2016

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    BREVE HISTOIRE DU SACREMENT DE PENITENCE (II)

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    Pour construire l’étude qu’il consacre à cette  « Une brève histoire du sacrement de pénitence »,  Pierre-René Mélon a  choisi, comme guide privilégié de son voyage dans le temps, la monumentale « Histoire des sacrements/ De sacramentis in genere », de Dom Charles-Mathias Chardon, osb, parue à Paris en 1745 et rééditée en 1841 chez Drouin (dernière édition connue) : elle est accessible sur le site de la Bibliothèque nationale de France http://gallica.bnf.fr

     Pour une approche plus théologique, notre collaborateur se réfère aussi à Henri Rondet, s.j. « Esquisse d’une histoire du sacrement de  la pénitence », in « Nouvelle revue théologique », Bruxelles, 1958, tome 80/6, pp.562-584, également disponible à l’adresse http://www.nrt.be  ainsi qu’à Paul Galtier,s.j. : « Aux origines du sacrement de pénitence », Rome, Université grégorienne, 1951.

    Dans une première partie de son exposé, publiée dans le n° précédent de « Vérité et Espérance –Pâque Nouvelle (n° 99, 2e trim. 2016, pp. 8 à 12), Pierre-René Mélon s’est attaché aux sources scripturaires du sacrement, à ses fondements théologiques et à leurs premières contestations (hérésies et déviances). Puis il aborde  l’histoire du premier élément qui le constitue : l’aveu de la faute, sa « confession », dont il poursuit l’analyse  dans le présent numéro. Viendront ensuite  la démarche de repentir et de pénitence, l’absolution sacramentelle qui accorde  le pardon  au pécheur  et l’amour de Dieu qui réconcilie. 

    Jean-Paul Schyns

    Où et comment se confessait-on ?

    Aux premiers temps de l’Eglise, la confession publique se fait dans l’église, la chapelle ou l’oratoire, à genoux ou prosterné par terre, couvert de sac et de cendre, face à l’autel, en présence de l’évêque et des prêtres, et quelquefois même du clergé et du peuple aux prières duquel le pénitent se recommandait. L’aspect extérieur de cette pratique manifeste bien que la pénitence est considérée comme une espèce de tribunal. Avant d’absoudre les pécheurs, l’évêque commence par les ranger au nombre des accusés ; avant de les délier, il commence par les lier (comme on l’a vu faire par S. Paul). Cette procédure pourrait nous déconcerter si un Augustin ne nous expliquait que les médecins aussi font des ligatures, lorsqu’ils veulent guérir un membre malade.[1]

    La confession auriculaire se faisait assis, de préférence dans l’église ou dans un lieu consacré ; elle était suivie et précédée de génuflexions et de prostrations tant du pénitent que du confesseur. La position assise était nécessaire en ce temps où les confessions duraient longtemps (n’étant pas aussi fréquentes qu’aujourd'hui), tant à cause du détail des mauvaises actions qui était très précis, qu’à cause des peines que l’on imposait suivant les canons à chaque espèce de péché, comme nous le verrons par la suite. Ceux qui avaient été une fois soumis à la pénitence publique pour des crimes soit notoires, soit cachés, ce qui était ordinaire avant le septième siècle, n’y étaient plus reçus ; ce qui rendait la confession assez rare, les chrétiens étant sur leur garde pour ne pas tomber dans ce malheur.

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    Précisons que les confessionnaux ne sont apparus dans les églises qu’à partir du XVIe siècle, suite au concile de Trente (1545-1563) et au grand mouvement de fond de la Contre-réforme catholique ; il s’agissait de revaloriser le sacrement de pénitence contesté par le protestantisme. Le confessional est ainsi devenu le lieu privilégié (mais pas unique) du sacrement de pénitence ; en fonction des circonstances (campagne militaire, navigation, pèlerinage, etc.) les confessions pouvaient être aussi entendues en plein air.

    Alcuin, précepteur de Charlemagne, a inséré dans son Livre des divins offices un long chapitre qui peut tenir lieu de pénitentiel abrégé. Dans ce précieux document, on trouve plusieurs particularités remarquables sur la manière dont le sacrement de pénitence était vécu au VIIIe siècle. Le pénitent doit approcher du prêtre à qui il veut se confesser « avec un air modeste, faisant paraître l’humilité et la componction dans tout son extérieur ; il doit mettre bas le bâton qu’il tient à la main (cela doit s'entendre aussi d’une épée et de toute autre chose qui donne du relief) ». [On n’est jamais assez prudent.] Arrivé à portée du prêtre, le pénitent s’inclinait profondément devant lui, celui-ci disait sur lui des prières ; après quoi il le faisait asseoir près de lui et entendait sa confession. La confession étant achevée, le prêtre donnait au pénitent les avis dont il avait besoin, et l’interrogeait ensuite sur sa foi et sa connaissance du catéchisme. Ensuite, poursuit Alcuin, « le pénitent mettant les genoux en terre, étendant les mains, et regardant le prêtre avec un visage qui marquait la douleur de ses fautes, il le conjurait, comme ministre de la réconciliation des hommes avec Dieu, d’intercéder pour lui. Puis il se prosternait entièrement en terre, pleurait et gémissait autant que Dieu lui en faisait la grâce : le prêtre le laissait quelque temps en cet état le voyant touché de l’esprit de componction ; après quoi il lui ordonnait de se lever et de se tenir debout et lui prescrivait les jeûnes et les abstinences par lesquelles il devait expier ses péchés » ; cela fait, le pénitent se prosternait de nouveau aux pieds du confesseur, le priant de demander à Dieu pour lui la force et le courage nécessaires pour accomplir la pénitence qui lui était imposée. Le prêtre aussitôt récitait plusieurs prières, au nombre de sept, dont Alcuin ne rapporte que le commencement parce qu’elles étaient alors connues et d’un usage ordinaire, étant à peu près les mêmes dans tous les livres pénitentiaux reçus en Occident. Ces prières achevées, il faisait lever le pénitent, se levait lui-même de son siège et si le temps et le lieu étaient convenables, l’un et l’autre fléchissant les genoux, ou appuyés sur les coudes, récitaient plusieurs psaumes et prières.

    La coutume de se confesser à genoux fut introduite vers le XIIe siècle, à l’exemple principalement des Chartreux. On pourrait y ajouter celui des moines de Cîteaux qui ne se confessaient qu’avec les épaules nues, et des verges à la main, dont le confesseur frappait parfois le pénitent – souvent à sa demande – avant de l’absoudre.

    Confessions écrites

    En cas de nécessité, il n’était pas rare qu’un pénitent rédige une confession écrite de ses fautes et l’adresse au confesseur.

    Robert, évêque du Mans au IXe siècle, mortellement malade, confesse par écrit ses péchés aux Pères du concile de Douzi, qui était assemblé sous le pape Jean VIII et leur demande l’absolution, étant éloigné d’eux de vingt milles (environ cent km). Voici les dernières paroles de l’écrit qu’il leur envoie : J'implore avec des sanglots votre miséricorde, afin que vous me délivriez des liens de mes péchés, par le pouvoir qui vous a été donné du ciel, et que par vos prières vous m'obteniez l'expiation de mes fautes, et que je ne sois pas conduit avec les réprouvés aux enfers, mais que j'entre dans la joie céleste avec les bienheureux. Les Pères du concile lui accordèrent ce qu’il demandait, et lui envoyèrent une lettre d’absolution, epistola absolutionis, dans laquelle, après avoir parlé de la vertu et de l’efficacité de la confession des péchés, ils lui donnèrent l’absolution.

    Le pape Grégoire VII (1073-1085), écrivant à l’évêque de Liège suite à quelques plaintes sur des pratiques de simonie, après l’avoir exhorté à extirper la fornication de son clergé, conclut sa lettre en ces termes : « Et parce que vous êtes à l’extrémité, touchés de la compassion paternelle, nous vous donnons l’absolution par l’autorité des apôtres S. Pierre et S. Paul, et prions le Seigneur que par leur intercession vous soyez digne d’entrer dans la compagnie des élus ».

    Saint Thomas Becket en 1164, en pleine querelle avec le roi Henri II d’Angleterre, reçoit par lettre l’absolution du pape Alexandre III alors à Sens.

    C’est le pape Clément VIII (1592-1605) qui mettra un terme définif aux confessions par écrit, car il craignait avec raison qu’on fasse insensiblement passer en coutume ce qui ne s’était fait que rarement autrefois, et que par là on affaiblisse le sacrement de la pénitence.

    Quand devait-on se confesser ?

    La période privilégiée pour se confesser était évidemment le début du carême, de préférence le dimanche et à l’église. Certains évêques ont obligé leur ouailles à se confesser trois fois pendant l'année. Ainsi Crodegrand, évêque de Metz au huitième siècle, ordonne au peuple de faire sa confession aux prêtres trois fois par an, au moins.

    On se confessait aussi chaque fois que la vie était en danger : avant d’entreprendre de longs voyages ou pèlerinages ou, pour les soldats, avant les batailles, voire avant de s’engager dans l’état militaire. Ingulphe, abbé de Crowland (+1109), nous en assure en ces termes : C’était l’usage en Angleterre que celui qui devait se consacrer à une milice légitime, vint trouver la veille sur le soir, l’évêque, un abbé, un moine ou quelque prêtre ; qu’il lui fît une confession de tous ses péchés avec des sentiments de componction, et qu’ayant été absous, il passât la nuit dans l’église à prier et à s’affliger dévotement devant Dieu. Le lendemain avant d’entendre la messe, il posait son épée sur l’autel, et le prêtre après l’évangile, la lui mettait au col en le bénissant. Il communiait ensuite à la messe, et il devenait ainsi soldat MILES LEGITIMUS MANERET. Ingulphe remarque que cet usage déplaisait aux Normands qui conquirent l’Angleterre...

    Autres exemples : Saint-Omer étant assiégée par les Normands (en 861), les habitants pour obtenir le secours de Dieu se purifièrent par la confession et la communion.

    Guillaume de Malmesbury, moine bénédictin (+1143), loue la piété des soldats Normands, qui avant de combattre les Anglais, passèrent toute la nuit à confesser leurs péchés.

    Le duc Conrad, étant sur le point de livrer bataille aux Hongrois en l’an 955, entendit la messe et reçut la communion de la main d’Odelric son confesseur, après quoi il marcha contre l’ennemi, comme le témoigne la chronique de Magdebourg. On pense aussi bien sûr à Sainte Jeanne d’Arc (+1431) qui, en campagne militaire, ne manquait jamais de se confesser et d’assister à la messe dès qu’elle le pouvait.

    La confession des femmes 

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    A propos de la confession des femmes, il est bon de préciser qu’elle devait se tenir dans un lieu à portée de vue de tout le monde, afin d’éloigner tout soupçon. S. Edmond de Cantorbéry (+ 1242), dans ses constitutions, ordonne qu’on entende les confessions des femmes dans un endroit public, à portée de la vue et non de l’ouïe. Le concile de Béziers (can. 46) en 1246 défend d’entendre les confessions dans un lieu caché ou hors de portée de la vue.

    Guigue le Chartreux (+1136) remarque dans la vie de S. Hugues, évêque de Grenoble (1132), qu’il recevait les confessions des femmes avec autant de précaution que de bonté, non dans des coins ou dans des endroits secrets et obscurs, mais dans ceux où il pouvait être vu de tout le monde. « Il leur prêtait familièrement l’oreille, mais il détournait sa vue d’elles et la portait au côté opposé, disant qu’il ne fallait se servir que de l’ouïe en ces occasions, pour éviter les pièges du diable. »

    Un concile à Cologne en 1280 va plus loin. Il défend, sous peine d’excommunication, d’entendre les confessions d’une femme qui serait seule dans l’église, ou dans un endroit obscur et ténébreux ; il exige que les prêtres, quand ils confessent, soient assis, revêtus de leur surpli ou de leur chape, ayant l’étole par-dessus ; de plus, il leur interdit de confesser avant le lever du soleil et après son coucher, sinon en cas d’urgence, mais dans un lieu éclairé et en présence de témoins.

    Nécessité faisant loi, un concile de Paris, en 829, permet, en cas d’infirmité qui empêche de se déplacer jusqu’à l’église, qu’on puisse se confesser dans les maisons particulières, mais toujours en présence de témoins qui ne soient pas éloignés.

    À qui se confessait-on?

    Il semble évident aujourd’hui qui faille se confesser à un prêtre (qu’il soit évêque, moine ou séculier) et à personne d’autre. Il n’en fut pas toujours ainsi. Jacques de Baradée[2] et ses disciples pensaient qu’il n’est pas nécessaire de se confesser à un prêtre, il suffit de se confier à Dieu. Cette hérésie née au VIe siècle sera reprise à la fin du VIIIe siècle et réfutée par Alcuin. Sous le pontificat de Zacharie (de 741 à 752), un certain Adalbert disait à ceux qui venaient se prosterner à ses pieds pour confesser leurs péchés : « Je sais vos péchés, parce que le fond de vos coeurs m’est connu ; c'est pourquoi il n’est pas besoin que vous les confessiez : retournez donc dans vos maisons avec assurance et avec l’absolution de vos fautes passées ».

    Plus tard, cette opinion fut partagée par les Albigeois, les Vaudois et les protestants. Certains prêtres anglais, au début du XIVe siècle, prétendaient que la confession générale du début de la messe suffisait pour effacer les péchés mortels.

    Quoique la puissance de lier et de délier soit inséparable du sacerdoce, tous les prêtres ne sont pas en droit de l’exercer, car si c’est de Jésus-Christ que les prêtres tiennent cette puissance, c’est à l’Église qu’il revient d’en régler l’usage. Ainsi le code de droit canonique en vigueur depuis 1983 précise que la faculté d’entendre les confessions ne sera concédée qu’à des prêtres qui auront été reconnus idoines par un examen (can. 970). Par ailleurs, la faculté d’entendre les confessions est concédée par écrit (can. 973) ; elle peut être aussi retirée par l’évêque pour une juste cause (ou supposée telle)[3].

    Origène, quant à lui, liait expressément le pouvoir de donner l’absolution à la sainteté personnelle du prêtre ; si le prêtre est indigne, le sacrement n’est pas valide. Voici son argument : Ceux qui revendiquent la dignité de l’épiscopat enseignent que ce qu’ils lient est lié dans les cieux, et ce qu’ils remettent est remis dans les cieux. Mais nous disons qu’ils parlent saintement à condition qu’ils fassent l’œuvre pour laquelle il a été dit à Pierre : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Les portes de l’Enfer ne prévaudront pas sur celui qui veut lier et délier. Mais s’il est lui-même lié des liens du péché, c’est en vain qu’il lie et délie.[4]

    Dans la primitive Église, c’était devant l’évêque, comme nous l’avons vu, et quelquefois devant lui et toute la communauté des prêtres (qu’on appelait le sénat ou le presbytérium) que se faisait la confession. Cet usage de se confesser à plusieurs prêtres ensemble a été progressivement abandonné, car l’évêque et le sénat des prêtres étant trop accaparés par d’autres occupations, on établit un prêtre, le pénitencier, dont l’emploi spécifique était d’entendre les confessions.

    C’est à Constantinople au IVe siècle que l’institution du prêtre pénitencier est attestée ; il était chargé de recevoir les aveux des pénitents et de diriger leurs exercices de pénitence pour la « satisfaction » des péchés. Pour la confession secrète, les pénitents devaient donc s’adresser obligatoirement au pénitencier local, et à nul autre prêtre. En occident, le recours à l’évêque seul pour recevoir l’aveu des péché et donner la réconciliation a persisté jusqu’au Ve siècle.

    Ahyton, évêque de Bâle au temps de Charlemagne, était si pointilleux sur ce point qu’il voulait que ceux qui vont en pèlerinage à Rome, confessent leurs péchés avant leur départ : parce que, ajoute-t-il, ils doivent être liés ou déliés par leur propre évêque ou par leur propre pasteur, et non par un étranger ; mettant ainsi le pape lui-même au nombre des étrangers.

    C’est des moines bénédictins que viendra le changement. En effet, en Irlande, les abbés des monastères, qui étaient de simples prêtres, avaient le pouvoir de confesser leurs moines ; saint Colomban (+615), évangélisateur des Gaules, qui confessa beaucoup, n’était pas évêque, mais prêtre, comme le rappelle Bède le Vénérable.[5] A l’époque carolingienne, sous l’influence de ces moines irlandais le prêtre est devenu le ministre ordinaire de la pénitence, et c’est lui qui absout les pécheurs, mais l’évêque reste le ministre ordinaire de la pénitence publique, qui se fait toutefois de plus en plus rare 

    Querelles avec les confesseurs itinérants 

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    Mais les croisades (accompagnées par des prêtres) et surtout la naissance au XIIIe siècle des ordres mendiants (donc itinérants) ont introduit des changements notables dans cette pratique. Le zèle apostolique des franciscains et surtout des dominicains les poussait à vouloir entendre les confessions des fidèles sans avoir besoin pour cela de l’agrément des pénitenciers, dont la formation théologique, pastorale (et psychologique, comme nous dirions aujourd’hui) laissait souvent fortement à désirer... Les frères Prêcheurs (dominicains) sollicitèrent pour cela une bulle du pape Grégoire IX. Elle leur fut accordée en 1227. Cette bulle est adressée à tous les évêques et aux clercs supérieurs ecclésiastiques : Nous vous prions et vous enjoignons de recevoir favorablement les frères de cet ordre pour la prédication à laquelle ils sont destinés ; et d'exhorter les peuples, dont vous avez la conduite, à les écouler, puisque par notre autorité il leur est permis d'entendre les confessions et d'imposer des pénitences.

    Cet empressement des frères Prêcheurs pour la prédication et les confessions, aussi bien que la bulle du Pape qu’ils venaient d'obtenir, déplurent à beaucoup d’hommes d’Eglise importants ; il leur semblait que par ces nouveaux privilèges on troublait l’ordre établi dans l’Eglise par les saints apôtres et les docteurs des siècles passés, et que l’on détruisait l’autorité des pasteurs en donnant d’eux l’image d’hommes incapables ou incompétents. De plus, les décisions du 4e concile du Latran (1215) semblaient leur donner raison en confirmant les droits des prêtres locaux dans leurs prérogatives[6]. Les frictions n’étaient donc pas rares entre les autorités locales et les frères prêcheurs qui se prévalaient fièrement de leurs droits et privilèges accordés par le Saint-Siège.

    L’historien Matthieu Paris[7] rapporte que « les frères Prêcheurs, se sentant ainsi appuyés par la cour de Rome, montraient avec ostentation ces privilèges, et demandaient qu’on en fît la lecture dans les églises ». Il raconte aussi qu’ils « demandaient avec impudence à ceux qu’ils rencontraient : Avez-vous été à confesse ? Et si on leur répondait qu’oui, ils reprenaient : A qui ? Que si on leur disait, à mon pasteur, ils traitaient le curé d’idiot, qui n’avait jamais étudié dans les écoles de théologie, ni dans celles de droit, qui n’était pas capable de résoudre une seule question, et disaient : « Venez à nous qui avons appris à distinguer la lèpre de la lèpre, à qui les choses les plus difficiles et les secrets de Dieu ont été découverts. Confessez-vous sans crainte à nous, à qui on a accordé, comme vous voyez, une si grande puissance. Il arrivait donc, poursuit l’historien Anglais, que plusieurs, surtout des nobles et des dames, se confessaient aux frères Prêcheurs, méprisant leurs propres pasteurs, et même les prélats ».

    L’historien relate aussi un vif incident survenu dans une église en Angleterre.

    « Il arriva que quelques-uns des frères Prêcheurs entrèrent dans l’église de S. Alban, pendant que l’archidiacre tenait un synode à l’ordinaire. Ils avaient entre les mains des copies de leurs privilèges, et l’un d’entre eux, qui paraissait quelque chose de plus que les autres, fit signe d’un air impérieux qu’on eût à écouter sa prédication. L’archidiacre lui répondit : Agissez, mon frère, avec plus de modération, attendez un peu que je vous fasse connaître ce que je pense. Nous qui sommes simples et accoutumés aux mœurs antiques, nous ne pouvons qu’être surpris de cette nouveauté ; et il n’est pas surprenant que de telles nouveautés nous étonnent. Pourquoi dites-vous sans pudeur que nous sommes indignes des emplois qui nous ont été confiés ? Vous vous imaginez être les seuls du nombre des élus, cependant personne ne sait s’il est digne d’amour ou de haine. Vous vous ingérez non seulement dans la prédication, mais encore dans les confessions que vous extorquez des fidèles, en sorte qu’il semble qu’il faudra vous appeler dans la suite non seulement Frères Prêcheur, mais encore Frères Confesseurs. Mes frères, je ne crois pas qu’il soit à propos de quitter le certain pour l’incertain, et que vous deviez, sans une mûre délibération et sans le conseil de votre prieur, prêcher et entendre les confessions de ceux sur lesquels l’abbé de ce monastère m’a préposé. Cela est constant par les décrets qui ont été publiés dans le concile général célébré sous Innocent III, lesquels doivent être inviolablement observés dans tous les temps. L’archidiacre ayant ainsi parlé ouvrit le Livre, et lit la Décrétale qui contient le règlement du concile de Latran, avec ces paroles qui suivent immédiatement : C'est pourquoi nous voulons que ce décret salutaire soit souvent publié dans l’église, afin que personne ne puisse s’en excuser sous prétexte d'ignorance. Que si quelqu’un pour de justes raisons veut se confesser à un prêtre étranger, alieno sacerdoti, qu’il demande auparavant la permission, et qu’il l’obtienne de son propre prêtre, a proprio sacerdote, puisqu’autrement il ne peut l’absoudre ni le lier. » 

    Ces incessantes querelles de pouvoir – hélas fréquentes dans l’Eglise – ne s’apaiseront que peu à peu au fil des siècles : les « prêtres étrangers » ne seront admis à confesser qu’en accord (implicite ou explicite) avec le curé ou l’évêque local. Que de troubles inutiles pour en arriver à des dispositions de simple bon sens et de charité !

    Diacres, baptisé(e)s, reliques...

    Pour terminer ce long chapitre sur les ministres de la pénitence, précisons qu’en cas de nécessité, avec l’accord de l’évêque, un diacre pouvait entendre la confession et donner l’absolution. « Il faut aller au-devant des besoins de nos frères, dit S. Cyprien (épître 13); nous permettons donc que ceux qui ont reçu des libelles de recommandation des martyrs, et qui peuvent être aidés par là auprès de Dieu, s’ils viennent à être attaqués de quelques maladies ou infirmités dangereuses, puissent, sans attendre notre arrivée, confesser leurs fautes auprès de quelque prêtre que ce puisse être, et même d’un diacre, si le danger est pressant, afin que leur ayant imposé la main pour la pénitence, ils aillent ainsi en paix au Seigneur ».

    Il résulte de plusieurs témoignages semblables que les diacres ont pu entendre les confessions dans l’église d’Occident jusqu’à la fin du treizième siècle en cas de nécessité. Suite à des abus, des évêques et des synodes ont pris des mesures pour interdire cette pratique.

    Plus étonnant, il était permis, en cas d’urgence ou de nécessité, de se confesser à un simple baptisé.

    Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, écrit que « s’il ne se trouve point d’ecclésiastique à qui l’on puisse se confesser, on doit s’adresser à un homme de bien dans quelque endroit qu’il soit ».

    Ainsi un soldat, blessé à la guerre, peut se confesser à ses compagnons ; des voyageurs en péril sur la mer, se confessent les uns aux autres.

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    Le sire de Joinville[8] raconte, au chapitre 45 de la vie de saint Louis, que l’armée chrétienne ayant été mise en fuite par les Sarrasins, et l’ennemi s’approchant, chacun se confessa au prêtre qu’il put trouver, et, qu’en cette occasion, Gui d’Ébelin, connétable de Chypre, s’étant confessé à lui, il lui avait donné l'absolution.

    Dans la même logique théologique, il ne faut pas s’étonner qu’un chevalier en danger de mort pût se confesser à son épée si celle-ci contenait la relique d’un saint.

    On rapporte aussi d’étranges coutumes pratiquées en Afrique. Les Coptes et les Ethiopiens, sous l’influence de l’hérésie jacobite[9], ne confessaient pas leurs péchés aux prêtres, mais à Dieu seul et en secret ; pour ce faire, ils déposaient de l’encens sur une braise, et s’imaginant que leurs péchés montaient devant le Seigneur avec le parfum de l’encens brûlé, ils se confessaient sur la fumée qui montait vers le ciel...

                                                                                                                          Pierre René Mélon

    (à suivre...)

    [1] H. Rouget, op. cit. p. 569.

    [2] Evêque d’Edesse au VIe siècle (aujourd’hui Urfa, en Turquie orientale).

    [3] On ne peut s’empêcher d’évoquer le cas de S. Pio, à qui il fut interdit de confesser pendant trois ans...

    [4] Commentaires sur Matthieu, XII, 14, cité par J. Daniélou, op. cit., p. 83.

    [5] Bède, dans son Histoire ecclésiastique du peuple anglais, III, 4.

    [6] En voici le texte principal : Que tous les fidèles de l’un et de l’autre sexe, sitôt qu'ils auront atteint l'âge de discrétion, confessent fidèlement tous leurs péchés à leur propre pasteur, en particulier, au moins une fois chaque année, s’appliquant à accomplir, autant que leur force leur permet, la pénitence qui leur est jointe, et recevant avec respect, au moins à Pâques, le sacrement d’Eucharistie, s’ils ne s’en abstiennent pour quelque cause raisonnable par l’avis de leur pasteur, autrement que l’entrée de l’Église leur soit défendue pendant leur vie, et qu’ils soient privés de la pulture des chrétiens après leur mort  (can. 21).

    [7] Historia Angliæ, ad ann. 1246.

    [8] Joinville : 1224-1317.

    [9] Issue de Jacques Baradée, évêque d’Edesse au VIe siècle.

  • Brève histoire du Sacrement de Pénitence.III. Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n° 101, hiver 2016

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    Les deux livraisons précédentes de Pâque nouvelle (n° 99 et 100) ont rappelé les fondements scripturaires du pardon sacramentel et décrit les différentes manières de se confesser. Nous abordons la troisième partie de ce sacrement : la pénitence proprement dite.

     Pour les Anciens, nous l’avons vu, le baptême était considéré comme une espèce de création de l’homme nouveau, qui se faisait en un instant, comme l’univers – croyait-on – avait été tiré du néant en un instant ; la pénitence, par contre, était considérée comme une guérison qui ne s’opère que peu à peu et exige beaucoup de temps.

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    Or, quand il demande la conversion des pécheurs, Jésus ne fait aucune allusion aux liturgies pénitentielles juives, aux expiations, aux délais ; il se défie même des signes trop voyants (Mt 6, 1-6;16-18). Ce qui compte pour lui, c’est le retournement du cœur qui fait redevenir comme un petit enfant; c’est ensuite l’effort continu pour chercher le royaume de Dieu et sa justice.[1] Dans les évangiles, Jésus accorde le pardon de Dieu immédiatement, gratuitement, sans contrepartie, sans pénitence physique, morale ni pécuniaire : le paralytique descendu par un trou dans le toit est pardonné grâce à sa foi (Voyant leur foi, il dit : “Homme, tes péchés te sont remis”, Lc 5, 17-20), la pécheresse qui verse des larmes de repentir sur les pieds de Jésus, les essuie de ses cheveux et les couvre de parfum est pardonnée «parce qu’elle a montré beaucoup d’amour» (Lc 7, 36-50), le publicain qui se frappe la poitrine et n’ose pas lever les yeux au ciel est pardonné grâce à son humilité (Lc 18, 9-14), Zachée est pardonné non parce qu’il promet spontanément de réparer ses escroqueries (Jésus ne lui a rien demandé), mais «parce que lui aussi est un fils d’Abraham» (Lc 19, 9), la femme adultère, menacée de lapidation, est délivrée par ces simples mots de Jésus : «Je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus» (Jn 8, 11). Même le sévère Jean-Baptiste qui prodiguait un baptême de repentir pour la rémission des péchés (Lc 3, 3) ne donnait à ceux qui l’interrogeaient que des conseils pratiques et de bon sens : partager sa tunique, nourrir celui qui a faim, ne rien exiger au-delà du prescrit, ne molester personne, se contenter de sa solde (Lc 3, 10-14).

    Si l’on compare la mansuétude du Christ aux rigueurs parfois ahurissantes des pénitences imposées ultérieurement aux pécheurs repentants, on est en droit de se poser des questions sur le bien-fondé théologique des souffrances physiques et morales exigées par les confesseurs en expiation des fautes.

    Pénitence intérieure, pénitence extérieure

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    L’idée de départ est celle de réparation. Citons en entier le n° 1459 du Catéchisme de l’Église catholique : Beaucoup de péchés causent du tort au prochain. Il faut faire le possible pour le réparer (par exemple restituer des choses volées, rétablir la réputation de celui qui a été calomnié, compenser des blessures). La simple justice exige cela. Mais en plus, le péché blesse et affaiblit le pécheur lui-même, ainsi que ses relations avec Dieu et avec le prochain. L’absolution enlève le péché, mais elle ne remédie pas à tous les désordres que le péché a causés. Relevé du péché, le pécheur doit aussi recouvrer la pleine santé spirituelle. Il doit donc faire quelque chose de plus pour réparer ses péchés : il doit «satisfaire» de manière appropriée ou «expier» ses péchés. Cette satisfaction s’appelle aussi «pénitence». 

    Il existe donc deux formes de pénitence : la pénitence intérieure et la pénitence extérieure. La pénitence intérieure est la plus importante, c’est la conversion du cœur, celle qui est requise par Jésus lorsqu’il pardonne les péchés, sans elle, les œuvres de pénitence restent stériles et mensongères ; par contre, la conversion intérieure pousse à l’expression de cette attitude en des signes visibles, des gestes et des œuvres de pénitence.[2]

    Ce sont ces signes et ces gestes de la pénitence extérieure dont nous allons maintenant décrire brièvement l’histoire. Selon quelles règles, suivant quels critères sont-ils appliqués ? Dans les premiers temps, les confesseurs s’inspiraient des décisions de conciles locaux et de l’avis des papes, des évêques et des maîtres spirituels réputés à qui l’on demandait souvent conseil, au cas par cas. Ainsi S. Grégoire le Thaumaturge (+270) répond aux demandes des églises de la province du Pont (côte méridionale de la Mer Noire); S. Pierre d’Alexandrie (+311) est l’auteur d’une lettre canonique dans laquelle il énumère quatorze canons pénitentiaux dans lesquels il examine les diverses sortes de péché en y joignant les peines par lesquelles on doit les expier, le tout en suivant la lumière des Écritures. S. Athanase, S. Basile, S. Grégoire de Nysse suivent la même méthode : leurs réponses aux solliciteurs sont toutes fondées sur la Sainte Écriture, sur les coutumes et les traditions de leurs églises. En occident, par exemple, on apprend dans les actes du concile des Gaules pour l’année 538 que le roi de Reims Théodebert Ier (+548), sollicite le pape Vigile (537-555) pour apprendre de lui quelle pénitence mérite celui qui a épousé la femme de son frère (c’est le péché que S. Jean-Baptiste reprocha au roi Hérode). C’est donc sur ces décisions et ces conseils (eux-mêmes fondés sur les règles de l’Écriture sainte et de la tradition apostolique) que les prêtres qui entendaient les confessions devaient se régler dans l’imposition de la pénitence, qu’elle fût publique ou secrète. Or, nous allons voir que ces bonnes dispositions seront souvent dépassées dans les faits et que des confesseurs particulièrement «zélés» tomberont malheureusement dans l’excès, l’arbitraire, voire la cruauté.

    Les livres pénitentiaux

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    Quand la pénitence publique fut abolie – et réservée seulement aux péchés publics – c’est-à-dire à partir du Ve siècle en orient et vers la fin du VIIe ou au début du VIIIe siècle en occident, on composa des livres pénitentiaux afin que les prêtres eussent des règles certaines de conduite à l’égard des pécheurs de toute espèce qui se présentaient à eux.

    Ces livres pénitentiaux (aussi appelés pénitentiels) différaient des ouvrages antérieurs en ce qu’ils étaient essentiellement pratiques et destinés à la confession secrète ou auriculaire. Outre des conseils concrets, ils contenaient aussi des prières, des formules liturgiques, le rituel de la confession et de l’absolution, toutes les espèces de péché, avec les peines par lesquelles on devait les expier, le tout tiré des canons des conciles et des coutumes autorisées dans les principales églises. On y trouvait aussi toutes sortes d’exhortations, des avis à donner aux fidèles pour les aider à se confesser, à rentrer en eux-mêmes, à faire leur examen de conscience, etc. Ainsi, il suffisait à tout confesseur d’ouvrir son pénitentiel pour y trouver sur le champ ce qu’il avait à dire et à faire. Les plus célèbres et plus estimés pénitentiels étaient, en orient, celui de Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople au VIe siècle et, en occident, celui de Théodore, archevêque de Cantorbéry (moine grec, que le pape Vitalien consacra lui-même en 668 et envoya en Angleterre), et de Bède le Vénérable (+735), célèbre auteur de l’Histoire ecclésiastique du peuple anglais, sans oublier, bien sûr, le Pénitentiel romain.

    Par la suite, plusieurs évêques composèrent eux-mêmes leur propre pénitentiel, ainsi Halitgaire, évêque de Cambrai (+830), Raban Maur, archevêque de Mayence (+856), Isaac de Langres (+891), Burchard, évêque de Worms (+1025), qui déclare avoir rédigé son ouvrage «afin que le prêtre de Jésus-Christ règle tout, non suivant son sens, mais selon la disposition des canons, faisant attention à la différence des sexes, à l’âge, à la pauvreté, à la cause, à l’état, à la personne des pénitents, à la disposition de leur cœur, et que sans s’écarter de ces règles, il juge de toutes choses suivant ses lumières comme un sage médecin». Ce Burchard était vétilleux jusqu’à l’obsession sur les questions sexuelles : il consacre pas moins de cinquante-cinq chapitres très documentés aux détails sordides, aux questions scabreuses et aux déviations qui peuvent accompagner les actes sexuels.

    Circulaient donc des livres pénitentiaires peu recommandables en raison de leur laxisme, de leur sévérité excessive ou de leur fixation sur tel ou tel péché… au point que les autorités de l’Église durent régulièrement mettre les confesseurs en garde contre les excès de toutes sortes ; ainsi un concile réuni à Paris ordonne «que chaque évêque recherche avec soin dans son diocèse ces Livres pénitentiels corrompus, et qu’après les avoir trouvés, il les jette au feu (et inventos igni tradat) afin que dans la suite les prêtres ignorants ne trompent plus les hommes». Téodulphe, évêque d’Orléans de 787 à 821, écrit : « Bien des crimes sont énumérés dans les pénitentiels, crimes qu’il ne convient pas de faire connaître aux hommes. Aussi le prêtre ne doit pas l’interroger sur tout, de peur que le pénitent en s’éloignant ne tombe, sur l’instigation du diable, dans un vice dont il ignorait auparavant l’existence. »

    L’action de la pénitence

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    Si l’Esprit-Saint qui dirige l’Église est toujours le même, les hommes sont inconstants, et la discipline varie selon les temps, les lieux et les occasions. Aussi diviserons-nous cette section en quatre parties.

    1. Des temps apostoliques à la paix constantinienne (IVe s.)

    La manière de faire pénitence pendant les deux premiers siècles de l’Église ne nous est pas bien connue. Les plus anciens auteurs nous apprennent que les premiers chrétiens distinguaient les péchés selon trois classes : les péchés légers, les péchés graves et les péchés très graves (gravissima). À ces trois sortes de péchés correspondent trois remèdes : la privation de l’eucharistie pour les péchés légers ; pour les péchés graves, la privation de toute participation à la messe et aux prières communes, l’interdiction d’entrer dans les églises, des jeûnes et des macérations ; pour les péchés très graves, ainsi qualifiés en raison du refus de repentance et de la persévérance dans le mal, le pécheur était tout simplement chassé de l’Église, c’est-à-dire excommunié et «regardé comme un  juif et un païen» ; s’il manifestait quelque souhait de réintégrer l’Église, on lui permettait de venir aux assemblées pour y entendre la parole, «comme on le permettait aux païens et aux infidèles», puis s’il persévérait dans le repentir, il était admis peu à peu à participer aux prières, mais on le congédiait – en même temps que les cathéchumènes – avant l’oblation du sacrifice. Ces dispositions persisteront longtemps, comme nous le verrons.

    Les païens et les juifs pouvaient venir à l’église, mais seulement pour entendre la Parole ; ils se tenaient debout, derrière les fidèles, dans le vestibule de l’église ; Tertullien les appelle les audientes, les auditeurs.

    Les péchés graves et véniels étaient expiés par la pratique des œuvres opposées à celles par lesquelles ils avaient violé la loi de Dieu. On prescrivait ainsi aux avares de faire des aumônes, aux orgueilleux des humiliations, aux voleurs de restituer les biens, etc. On leur imposait aussi des jeûnes propres à réprimer les passions et des œuvres de miséricorde : visiter les malades, assister les prisonniers, accomplir des exercices de piété, etc. Pour les péchés véniels, dits journaliers, la pénitence était plus légère : réciter des Notre Père, aiguiser la patience, entretenir la componction du cœur…

    Quelques exemples de pénitence aux premiers siècles

    Que l’évêque, le prêtre ou le diacre ne chasse pas sa femme hors de chez lui sous prétexte de piété; que s’il le fait il soit séparé, que s’il persiste il soit déposé (réduit à l’état laïque).

    Un évêque, un prêtre ou un diacre qui a été convaincu de fornication, de parjure ou de vol sera déposé mais pas ségrégé.[3]

    Si quelqu’un véritablement clerc ou laïc mange avec les juifs, il doit s’abstenir de la communion.[4] 

    Les filles qui n’ont pas gardé leur virginité, si elles épousent et tiennent pour mari ceux avec qui elles ont eu commerce, seront reçues à la réconciliation après un an, sans pénitence.[5]

    Outre les marques d’humilité et de tristesse que l’on exigeait des pénitents, il était coutume en plusieurs endroits de tondre les cheveux des pénitents. Le 3ème concile de Tolède (589) décrète ceci : Quiconque, soit en santé, soit en maladie demande la pénitence à l’évêque, il faut avant toute chose que l’évêque ou le prêtre le tonde et lui fasse changer d’habit dans la cendre et le cilice et qu’ensuite il lui donne la pénitence. Cette pratique était déjà en usage du temps de S. Ambroise au IVème siècle, car il commande à «une vierge qui s’est laissé corrompre» : Il faut vous revêtir d’un habit de deuil et punir sévèrement votre esprit et vos membres. Que l’on coupe ces cheveux qui, par la vaine gloire, ont donné occasion au péché, que votre corps soit soumis aux macérations, qu’on en néglige le soin et qu’il fasse horreur, étant couvert de sac et de poussière.

    Cet usage de tondre les cheveux n’était pas universel, car en certains endroits, il fallait au contraire se laisser pousser la barbe et les cheveux en signe de pénitence, mais en négligeant d’en prendre soin…  

    Les libelles des martyrs

    Au temps des persécutions, naquit une coutume touchante qui voulait que les péchés graves ou répétés (et les pénitences dues) pussent être remis par l’intermédiaire de lettres de recommandation, appelées libelles des martyrs. Ces lettres écrites en prison par les futurs martyrs au bénéfice de ceux de leurs frères qui avaient apostasié ou fui, S. Cyprien les appelle le «désir des martyrs». On considérait que les souffrances endurées par les martyrs rendaient ceux-ci prêtres ipso facto et donc aptes à donner le pardon par le fait même de verser leur sang comme le Rédempteur. Ces futurs martyrs étaient visités en prison par des diacres qui leur fournissaient la nourriture, la consolation et les nombreuses requêtes spirituelles des pécheurs. Pour les fidèles qui avaient renié leur foi par peur ou par lâcheté, la tentation était forte de recevoir ce type d’absolution qui leur permettait d’échapper aux nombreuses pénitences liées à l’apostasie. Dans sa 11ème lettre adressée aux (futurs) Martyrs, S. Cyprien leur recommande d’examiner attentivement les requêtes et de discerner la nature des crimes avant d’accorder la grâce demandée. Ailleurs, il se plaint amèrement d’un certain Lucien qui, avant d’être martyrisé, avait rédigé «une lettre au nom de tous les confesseurs, par laquelle il rompt presque entièrement le lien de la foi, affaiblit la crainte de Dieu, le commandement du Seigneur, la sainteté et la vigueur évangélique, ayant écrit au nom de tous, pour donner la paix à tous» (cette paix valait absolution des péchés…). Cette absolution générale et collective court-circuitait pour ainsi dire le clergé; ce qui fit réagir vivement le grand évêque africain : il demanda que désormais on désigne par leur nom, dans les libelles, ceux dont les martyrs connaissaient et savaient la pénitence.

    À la faveur de ces libelles, un très grand nombre de ceux qui étaient tombés dans l’apostasie durant  la persécution de Dèce (en 250) furent reçus à la communion «sans subir les lois de la pénitence» ; parmi les bénéficiaires des libelles figuraient cinq prêtres qui, après la persécution, accueillirent généreusement les pénitents sans maintenir la vigueur de la discipline, ce qui courrouça l’évêque Cyprien, qui fulmine : Si quelqu’un s’imagine pouvoir donner à tous la rémission de leurs péchés avec une précipitation téméraire, ou qu’il ose enfreindre les commandements du Seigneur, non seulement il ne sera d’aucun secours aux tombés mais il leur nuira beaucoup.[6]

    Il faut aussi préciser que, durant ces siècles tourmentés (contrairement aux pratiques ultérieures), la réconciliation n’était séparée d’aucun espace de temps de la participation à l’eucharistie, car la persécution menaçait toujours : «Comment les rendons-nous propres à boire le calice du martyre, si auparavant nous ne les admettons pas, par le droit de la communion, à boire dans l’Église la coupe du Seigneur?» (S. Cyprien, épître 54).

    1. Du IVe au VIIe siècle

    La paix constantinienne permet d’organiser la pénitence publique en quatre classes, degrés ou stations. S. Basile (+ 379) est le premier qui fait mention distinctement de ces quatre degrés de la pénitence (canon 56) : Celui qui a fait un homicide volontaire et veut en faire pénitence, sera pendant vingt ans séparé de la communion, et ces vingt ans seront distribués de cette sorte : il doit pleurer quatre ans hors des portes de l’Oratoire, suppliant ceux qui y entrent de prier pour lui, s’accusant en même temps de son péché. Après ces quatre ans, il sera reçu dans les auditeurs, et sortira pendant cinq ans avec eux. Il passera sept ans avec ceux qui sont prosternés, et sortira après la prière. Durant quatre ans, il sera debout avec les fidèles, mais il n’aura point part à l’oblation. Ce terme étant expiré, il participera aux sacrements.

    Cette distinction en quatre classes est surtout d’application en orient.

    Les pleurants

    Comment les choses se passent-elles concrètement? Les pleurants se tiennent dehors, à l’entrée de l’église, «comme des mendiants qui montrent les plaies dont ils sont couverts» afin d’engager par leurs prières ceux qui entrent d’intercéder pour eux. S. Ambroise leur recommande même de se jeter aux genoux de ceux qui vont à l’assemblée, qu’ils baisent leurs pas, afin de les avoir comme protecteurs auprès de Dieu.[7]

    Les malheureux pleurants doivent en outre s’habiller «dans un appareil lugubre, couverts de cendre et de cilice, ayant des habits sales, les cheveux coupés ou négligés» suivant les différentes coutumes des pays. La durée de cette pénitence dépend de la gravité des péchés et peut varier selon les diocèses et les confesseurs. Par exemple saint Basile impose aux adultères quinze ans de pénitence, dont quatre ans comme pleurants ; saint Grégoire de Nysse est plus rigide : il condamne l’homicide à vingt-sept ans de pénitence dont neuf parmi les pleurants !

    Les auditeurs 

    La place des auditeurs est derrière la porte d’entrée, dans le narthex, où ils doivent se tenir debout, derrière les catéchumènes, afin de pouvoir écouter les Écritures, les instructions, le chant des psaumes. Mais les auditeurs doivent être «chassés» avant les prières qui clôturent la liturgie de la parole. Ils ne peuvent recevoir ni l’imposition des mains ni être l’objet d’aucune prière personnelle. Remarquons que les juifs et les païens pouvaient, eux aussi, assister à cette partie de la messe, c’est-à-dire écouter les Écritures, les instructions et les chants sacrés. Après quoi, ils devaient quitter les lieux.

    Les personnes à qui la communion était interdite devaient aussi se retirer à ce moment. D’ailleurs, le diacre les prévenaient à haute voix  : «Si quelqu’un ne communie pas, qu’il quitte la place!»

    Énergumènes et prosternants

    Les deux premières stations étaient comme des préparations à la troisième qui est à proprement parler la pénitence expiatoire et satisfactoire. Dans la première, les pleurants, on séparait les pénitents du reste des fidèles, comme des gens infectés et capables de porter la contagion dans l’Église; dans la deuxième, les auditeurs, on les réintroduisait dans l’oratoire pour apprendre ou réapprendre les éléments de la foi qu’ils avaient ignorés. Pour passer dans la classe des prosternés ou prosternants, l’auditeur devait le demander avec «contrition de cœur, larmes et grande humilité» selon S. Basile (can. 75), sans que cette demande prenne l’aspect d’une cérémonie particulière. L’évêque pouvait prolonger le temps des stations ou le diminuer, en fonction des dispositions personnelles de chaque pénitent.

    La station du prosternement était la plus longue et la plus laborieuse. Les prosternants pouvaient assister aux prières qui suivent les lectures; on pouvait leur imposer les mains et prier sur eux, puis ils quittaient l’église avec les catéchumènes, avant la liturgie eucharistique. On les appelait prosternés parce que l’évêque leur imposait les mains tandis qu’ils étaient à genoux ou prosternés. 

    C’est aussi à ce moment de la liturgie que l’on chassait les énergumènes, c’est-à-dire tous ceux sur qui le démon exerçait visiblement sa puissance, soit continuellement, soit par intervalle. Dans ses Constitutions[8], saint Clément décrit avec précision ce moment de la liturgie. Après les saintes lectures et l’exhortation de l’évêque, un diacre demandait à haute voix, d’un lieu élevé, que les auditeurs et les infidèles se retirassent. Ceux-ci étant sortis, et l’oraison faite sur les catéchumènes, on en venait aux énergumènes : on priait sur eux pour introduire aux prières de l’exorcisme. Le diacre (ce sont les paroles de cette liturgie) disait : «Priez avec attention, vous qui êtes en pénitence. Faisons des prières pour ceux qui sont en pénitence, afin que le Dieu de miséricorde leur montre la voie qu’ils doivent suivre dans cet état, qu’il agrée leur repentir et leur confession, qu’il brise Satan sous leurs pieds, qu’il les délivre des embûches du diable et de ses attaques, qu’il ne permette pas qu’ils pèchent ni par leurs discours, ni par pensées, ni par actions, etc... Prions encore Dieu pour eux avec plus de ferveur afin que s’éloignant de toute mauvaise action, ils s’appliquent à toute bonne œuvre. Disons encore pour eux : Kyrie eleyson, sauvez-les, Seigneur, etc. Vous qui êtes ressuscités à Dieu par Jésus-Christ, baissez la tête et recevez la bénédiction. Que l’évêque fasse donc l’oraison en cette sorte». Suit l’oraison dont le titre porte Imposition de la main, et prière pour ceux qui sont en pénitence.

    Une fois les énergumènes sortis, on fermait les portes et l’on récitait dans la plupart des églises le credo, qui était comme le signal ou le mot de passe qui réunissait entre eux les fidèles et dont on ne donnait pas connaissance aux autres.

    Les consistants  

    La classe de la pénitence appellée consistance était ainsi nommée non parce que ceux qui y étaient soumis devaient se tenir debout dans l’église, comme le terme consistentia semble le signifier (stare = être debout), mais parce qu’ils avaient l’avantage d’être unis avec le reste des fidèles pendant la célébration de la messe. En effet, les consistants pouvaient assister à la messe entière, faire corps avec l’assemblée, qui, pour ainsi dire, devient consistante, ayant intégré tous ses éléments. Notons que si les consistants avaient le droit d’assister à toute la messe, il leur était interdit d’offrir leurs dons à l’autel et leurs noms n’y étaient pas cités, comme ceux des autres fidèles. Les consistants étaient-ils mêlés sans distinction aux autres fidèles ? Il semble que non. En effet, saint Basile (can. 4), parlant de ceux qui ont contracté un troisième mariage, déclare : «Il ne faut pas leur interdire tout à fait l’entrée de l’église, mais les admettre parmi les auditeurs, deux ou trois ans. Après cela, on leur accordera la consistance, et lorsqu’ils auront donné des marques de pénitence, on les rétablira dans le lieu de la communion».

    On notera la méticuleuse organisation des cérémonies et le grand ordre qui régnait apparemment dans les assemblées. Les hommes étaient séparés des femmes, ils n’entraient d’ailleurs pas par la même porte si les lieux s’y prêtaient – les hommes occupaient la partie méridionale de l’église (à droite) et les femmes la partie septentrionale (à gauche); les pénitents étaient séparés des autres fidèles ; en outre, les moines, les vierges consacrées et les veuves se tenaient aux premières places, tandis que des diacres et les diaconesses circulaient dans l’église pour veiller à ce que tout se passe dans l’ordre et la bienséance. Rappelons que tout ceci se passe avant le VIIIème siècle, mais bien des éléments de cette organisation subsisteront, notamment la séparation des hommes et des femmes jusqu’au début des années 1960. 

    Il faut noter aussi que tous ceux qui étaient soumis à une pénitence publique ne passaient pas par les quatre stations que nous venons de décrire, seuls les crimes énormes ou scandaleux y conduisaient. Nous l’avons vu, les évêques avaient le pouvoir d’abréger ou d’alléger les pénitences. Il arrivait aussi que des fidèles se joignissent aux pénitents publics pour expier des péchés secrets, soit sur l’avis de leur confesseur, soit de leur propre mouvement, soit en raison d’un zèle ou d’une dévotion particulière.

    La pénitence des clercs

    Le premier concile de Tolède (400) contient des disposition disciplinaires qui nous semblent aujourd’hui choquantes, notamment celles qui concernent les prêtres mariés… trompés par leur épouse. Le canon 7 de ce concile énonce ceci : Nous avons ordonné que si les femmes de quelques-uns des clercs ont péché (de peur qu'elles n'aient licence de continuer leurs désordres), leurs maris se mettent en devoir de les garder et de les lier dans leurs maisons, les assujetissant à des jeûnes salutaires qui ne soient pas capables néanmoins de leur causer la mort, en sorte que les pauvres clercs se prêtent pour cela les uns aux autres un secours réciproque, s'ils manquent de gens de service en cette occasion.

    En l’année 742, se tint un synode composé des évêques de France, auquel présida S. Boniface, archevêque de Mayence. Parmi les décrets de ce concile : Nous avons ordonné qu’après ce synode, qui a été tenu le onzième des calendes de mai, quiconque des serviteurs ou des servantes de Dieu tomberait dans le crime de fornication, ferait pénitence au pain et à l’eau dans la prison ; que si quelqu’un a été ordonné prêtre, il y demeure deux ans après avoir été fustigé; que si un clerc ou un moine est tombé dans le même crime, après avoir été frappé de verges trois fois, il soit mis en prison, et qu'il y demeure l’espace d'un an ; que l’on impose la même peine aux religieuses voilées, et qu’on leur rase tous les cheveux de la tête.

    Certaines maisons religieuses abritaient une prison ou du moins une cellule spéciale où étaient jetés les malheureux moines coupables de désordres. Le P. Mabillon dans un petit traité posthume sur les prisons des ordres religieux[9] écrit ceci : la dureté de quelques abbés alla jusqu'à un tel excès (on aurait peine à le croire), qu'ils mutilaient les membres et crevaient quelquefois les yeux à ceux de leurs religieux qui étaient tombés dans des fautes considérables. C'est ce qui obligea les religieux de Fulda d'avoir recours à Charlemagne pour réprimer à l'avenir de tels excès. Tous les abbés de l'ordre, étant assemblés en 817 à Aix-la-Chapelle, ordonnèrent que dans chaque monastère il y aurait un logis séparé pour les coupables, c'est-à-dire, une chambre à feu et une antichambre pour le travail. Ils défendirent aussi d'exposer aux yeux des autres religieux ces pauvres misérables tout nus pour être fustigés, comme il s'était pratiqué auparavant.

    Il fallait mentionner ces scandaleux excès pour être fidèle à l’histoire. Combien, en comparaison, la règle de Saint Benoît apparaît pleine de mansuétude. Au chapitre 44 de sa Règle, il recommande pour les moines une discipline qui, pour être sévère, n’en reste pas moins humaine et supportable (on y reconnaîtra certaines stations de la pénitence appliquées aux laïcs) :

    1. Celui qui, pour faute grave, aura été excommunié de l'oratoire et de la table commune, demeurera prosterné, devant la porte de l'oratoire, pendant qu'on y célèbrera l'Œuvre de Dieu, et ne dira mot ;
    2. mais il se tiendra le visage contre terre et le corps étendu, aux pieds de tous ceux qui sortent de l'oratoire.
    3. Il continuera cette pratique jusqu'à ce que l'abbé juge la satisfaction suffisante.
    4. Et lorsque l'abbé le lui aura commandé, il viendra se jeter à ses pieds et à ceux de tous les frères, afin qu'ils prient pour lui.
    5. Alors, si l'abbé l'ordonne, il sera reçu au chœur et occupera le rang que l'abbé aura déterminé.
    6. Il ne lui sera cependant pas permis, sans un nouvel ordre de l'abbé, ni d'entonner un psaume, ni de lire une leçon ou quoi que ce soit.
    7. De plus, à toutes les Heures, au moment où s'achève l'Œuvre de Dieu, il se prosternera à terre, à la place qu'il occupe,
    8. et fera ainsi satisfaction jusqu'à ce que l'abbé lui ordonne de cesser.
    9. Ceux qui, pour des fautes légères, sont excommuniés seulement de la table, satisferont dans l'oratoire ; ils le feront jusqu'à ce que l'abbé les en dispense,
    10. en leur donnant sa bénédiction, et en disant : "Cela suffit."

    Le prochain numéro de Pâque nouvelle décrira les pénitences appliquées par les confesseurs entre le VIIIème et le XXème siècle. Enfin, la cinquième et dernière partie de ce survol historique du sacrement de la réconciliation s’achèvera sur une description de l’absolution, des origines à nos jours.

                                                                                                                       (À suivre)

                                                                                                              Pierre René Mélon

    [1] Vocabulaire de théologie biblique, Cerf, 1962, p. 794.

    [2] CEC, n° 1430.

    [3] Concile d’Elvire (306), canon 18.

    [4] idem, canon 50. Cette disposition étonnante est à l’opposé de l’attitude de Jésus à qui l’on reprochait de "manger avec les publicains et les pécheurs" (Mc 2, 16).

    [5] idem, canon 14.

    [6] S. Cyprien, De Lapsis.

    [7] Saint Ambroise, Livre de la Pénitence, chapitre 10.

    [8] Livre 8, chap. 5 et suivants.

    [9] Tome 3, p. 321 (pas d'autre référence).

  • Brève histoire du sacrement de pénitence IV. Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n°102, printemps 2017

    contrat Delta ingenieur stabilité339.jpgDans le numéro précédent de Pâque nouvelle (n° 101), nous avons décrit la sévérité des pénitences infligées aux pécheurs durant les premiers siècles ; celles-ci ne vont pas s’adoucir avec le temps… Nous avions découpé ces vingt siècles de pénitence en cinq parties. Voici les trois dernières.

     

    1. Du VIIIème s. à la fin du XIème siècle

    De plus en plus de pécheurs refusaient de se soumettre aux pénitences très sévères qui leur étaient imposées en échange de l’absolution et de leur réintégration dans la pleine communion avec l’Église. Pour faire plier les réfractaires, les évêques usèrent abondamment de la menace de l’excommunication ; mais comme ces menaces ne suffisaient plus, la puissance publique fut sollicitée pour contraindre les fortes têtes à se soumettre : le pénitent était pris ainsi entre les mâchoires du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Il n’est pas exagéré de dire qu’au rebours des enseignements évangéliques la pénitence a pu quelquefois se transformer en démonstration de force des détenteurs du pouvoir.

    Le pouvoir temporel en soutien des évêques

    Le Concile des Gaules de l’an 853 rapporte ce capitulaire du roi Charles le Chauve[1] : Que nos envoyés, missi nostri, fassent savoir à tous les ministres de l'État, que le comte et les officiers publics se trouvent avec l'évêque de chaque diocèse pour l'aider quand il fait ses visites, aussitôt qu'il le leur aura fait savoir, et qu'ils contraignent par l'autorité et la puissance royale à se soumettre à la pénitence et à une satisfaction convenable, ceux que l'évêque n'y pourra réduire par l'excommunication.

    C’était à la demande des évêques que les rois employaient ainsi leur puissance politique pour contraindre les pénitents récalcitrants à se soumettre à la pénitence canonique. Par exemple, dans le canon 10 du concile de Pavie, tenu en 850, les évêques supplient le roi Louis le Jeune[2] d’ordonner à ses comtes de leur prêter secours pour contraindre les incestueux à faire pénitence publique. Au synode de Thionville (en 835), les évêques de Gaule et de Germanie prient l’empereur Louis le Pieux d’ajouter par ses lois une amende pécuniaire à l’imposition de la pénitence (ces évêques avaient été très affligés par le meurtre d’un évêque d’Aquitaine nommé Jean).

    Canossa

    VE PN 102 article pénitence 1 Canossa.jpgCes connivences contre-nature entre le trône et l’autel ne vont pas manquer de susciter des tensions, des luttes de pouvoirs. La puissance temporelle de la papauté culminera en 1077 lors du célèbre épisode de Canossa. Excommunié, l’empereur Henri IV[3] vient à Canossa, lieu de résidence du pape, s’humilier devant Grégoire VII qui savoure tranquillement sa victoire. Avec une joie ronronnante, il décrit la scène de l’humiliation de l’empereur dans une lettre adressée à ses évêques et aux notables:

    Enfin il [Henri] vint de lui-même dans la ville de Canossa où nous étions, sans aucun appareil de guerre et avec peu de gens ; et là pendant trois jours étant à la porte du château, et s'étant défait de toutes les marques de sa dignité, nu pieds, et revêtu d’habits de laine, il ne cessa point d’implorer avec beaucoup de larmes la miséricorde du S. Siège qu’il n'eût ému la compassion de tous ceux qui étaient présents, lesquels intercédèrent pour lui avec beaucoup de prières et de larmes, en sorte qu'ils s’étonnaient de la dureté dont nous usions avec lui, et que quelques-uns s’écriaient que nous ne montrions pas en cette occasion une sévérité apostolique, mais une cruauté excessive…

    Le pape finit par lever l’excommunication.

    L’entourage de l’empereur est également humilié selon le témoignage d’un chroniqueur contemporain des événements[4] : Le pape ayant séparé les évêques les uns des autres, les fit enfermer chacun à part dans une cellule, leur interdisant toute sorte d’entretien entre eux, et leur faisant donner vers le soir à manger et à boire en petite quantité. Il imposa aussi aux laïques une pénitence convenable, ayant égard à l’âge et aux forces d’un chacun; et après les avoir ainsi éprouvés quelques jours, il leur donna l’absolution.

    Les pénitences publiques, sauf exception (Canossa en est une) seront peu à peu abandonnées dans le courant des VIIIe et IXe siècles. «De plus en plus, les pasteurs auront tendance à traiter plus ou moins secrètement tels ou tels pécheurs qui, sans être de grands coupables, ne sont pas des saints. On est ainsi en marche à travers une espèce de pénitence semi-publique, vers la pénitence privée et la pratique de la confession.»[5]

    Pénitences privée 

    Qu’en est-il justement des pénitences privées, moins spectaculaires, mais plus fréquentes ?

    Les peines sont plus rigoureuses que dans les siècles précédents. Ainsi le pape Grégoire III, répondant à une question de S. Boniface (qui se trouve dans le premier tome des Conciles des Gaules en l’année 731), décide ainsi touchant la pénitence imposée à certains homicides : A l'égard de ceux qui ont tué leur père, leur mère, leur frère ou leur sœur, nous disons qu'ils doivent passer toute leur vie sans recevoir le corps du Seigneur, sinon à la mort en forme de viatique, qu'ils s'abstiennent aussi de manger de la chair et de boire du vin durant toute leur vie. Qu'ils jeûnent la deuxième, la quatrième et la sixième férie [lundi, mercredi et vendredi], afin que, pleurant ainsi leur péché, ils puissent en obtenir le pardon.

    Plus d’un siècle et demi plus tard, la même sévérité est toujours d'application. Témoin, en 895, le concile de Tibur (ville rhénane), qui prescrit ceci comme pénitence privée pour un homicide volontaire : Si quelqu'un a commis volontairement un homicide, qu'on lui interdise pendant quarante jours l'entrée de l'église, et durant ce temps, qu'il ne mange que du pain avec du sel, et ne boive que de l'eau pure, qu'il aille pieds nus, qu'il ne se serve que d'habits de lin, sans fémoraux[6]; qu'il ne porte point d'armes; qu'il ne se serve point de voiture ; qu'il n'approche d'aucune femme, non pas même de la sienne ; qu'il n'ait pendant ces quarante jours aucune communication avec les chrétiens, non pas même avec les autres pénitents, ni pour le boire, ni pour le manger, ni pour quelqu'autre chose que ce puisse être… Après ces quarante jours, l'entrée de l'église lui sera interdite pendant l'espace d'une année, durant laquelle il s'abstiendra de chair et de vin, d'hydromel et de bière emmiellée, excepté les jours de dimanche et fêtes chômées; et s'il se trouve à l'armée ou dans quelques grands voyages, à la cour de son seigneur ou malade, il lui sera permis de racheter la troisième, la cinquième férie [mardi et jeudi] et le samedi pour un denier, de façon néanmoins que des trois choses qui sont interdites, la chair, le vin et l'hydromel, il ne puisse faire usage que d'une seule. Mais quand il sera de retour de son voyage ou rétabli de sa maladie, il ne pourra racheter ces jours. Ce terme étant expiré, il sera introduit dans l'église en la manière des pénitents. La seconde et la troisième année, il est soumis aux mêmes observances; excepté qu'on lui accorde la faculté de racheter les trois jours dont on vient de parler, lors même qu'il est chez lui dans sa maison… etc.

    On épargne la suite au lecteur.

    VE PN 102 article pénitence 2 S. Pierre Damien.jpgL’un des prélats les plus impitoyables en matière de pénitence fut sans doute S. Pierre Damien (+1072). On reste abasourdi par la dureté des sanctions qu’il impose aux pécheurs. Il s’en prend particulièrement à l’homosexualité ; selon lui, le vice de sodomie «surpasse l’énormité de tous les autres». Il lui consacre même tout un ouvrage, Le Livre de Gomorrhe, où l’on peut lire ceci :

    «À coup sûr, le vice de sodomie apporte la mort au corps et détruit l’âme. Il pollue la chair, éteint la lumière de la pensée, expulse le Saint Esprit du temple du cœur humain, et ouvre la porte au diable, le stimulateur de la luxure. Il mène à l’erreur, supprime totalement la vérité de l’esprit trompé... il ouvre l’enfer et ferme les portes du paradis... c’est ce vice qui outrage la tempérance, assassine la modestie, étrangle la chasteté, et massacre la virginité... il salit toutes choses, souille toutes choses, pollue toutes choses...»

    «Ce vice retranche un homme du chœur réuni de l’Église... il sépare l’âme de Dieu pour l’associer aux démons. Cette reine de Sodome totalement malade rend celui qui obéit aux lois de sa tyrannie infâme aux hommes et odieux à Dieu... Elle dépouille ses chevaliers de l’armure de la vertu, les exposant à être transpercés par tous les vices... Elle humilie son esclave dans l’église et le condamne au jugement ; elle le souille en secret et le déshonore en public ; elle ronge sa conscience comme un ver et consume sa chair comme le feu... cet homme infortuné est privé de tout sens moral, sa mémoire défaille, et la vision de sa pensée est obscurcie. Ne se souciant que peu de Dieu, il oublie également sa propre identité. Ce mal érode les fondements de la foi, sape l’ardeur de l’espoir, dissout le lien d’amour. Il outrepasse la justice, démolit la force morale, fait disparaître la tempérance et émousse les arêtes de la prudence. Dois-je en dire plus ? » Non, sans doute.

    Vade in pace

    Les peines infligées aux consacrés peuvent être d’une sévérité extrême. Autour de l’an mil, on inventa une espèce de prison sans lumière, destinée à ceux qui devaient y finir leur vie : on appelait cyniquement cet endroit Vade in pace (Vas en paix). Il semble que le premier qui ait inventé cette sorte de supplice ait été un certain Matthieu, prieur de Saint-Martin-des-Champs à Paris, suivant le rapport qu’en fait Pierre le Vénérable (+1156), qui nous apprend aussi que ce supérieur, homme de bien par ailleurs, mais d’une sévérité outrancière, fit construire une cave souterraine en forme de sépulcre, où il condamna, pour le reste de ses jours, un misérable qui lui paraissait incorrigible. Pierre le Vénérable ajoute, consterné : «Quelque respect que j’aie pour la mémoire de ce grand homme, je ne craindrai pas de dire qu’il semble avoir passé, en cela, les bornes de l’humanité».
    C’est le moins que l’on puisse dire.

    Autres pénitences

    * La flagellation

    En plus des privations déjà décrites, plusieurs nouvelles sortes de pénitence sont inventées : la flagellation, les voyages, les pèlerinages, la retraite forcée en monastère.

    L’un des champions de l’auto-flagellation fut sans doute Dominique Loricat (+1060). On le surnommait L’Encuirassé parce qu’il portait sur sa chair une chemise de mailles en fer dont il ne se défaisait que pour se fouetter ; il y joignait des jeûnes, des veilles, des génuflexions à n’en plus finir et toutes sortes d’austérités invraisemblables. Nous sommes aujourd’hui effrayés du récit que nous en a laissé S. Pierre Damien : cet homme perpétuellement ensanglanté se sacrifiait pour l’expiation de ses propres péchés, mais surtout pour faire pénitence au nom des pécheurs impénitents… Selon Pierre Damien, son directeur spirituel, Dominique accomplissait en six jours une pénitence de cent ans en se donnant la discipline et en récitant des psaumes.

    Certes, la flagellation comme punition était déjà en usage longtemps auparavant, puisque dans la règle de S. Colomban (fin du VIe s.) on punissait la plupart des fautes des moines par un certain nombre de coups de fouets. Mais au XIe siècle, l’auto-flagellation volontaire était comprise comme une espèce de purgatoire anticipé. C’est apparemment de ce Dominique que vient la coutume de se flageller, de se «donner la discipline», selon le jargon religieux. Cette pénitence trouvera une extension sous forme de compensation : ainsi les moines qui ne pouvaient pas racheter leurs peines par des aumônes (puisqu’ils ne possédaient aucun bien en propre) les payaient en coups de fouet qu’ils se faisaient donner ou se donnaient eux-mêmes, ou bien par des génuflexions, des prostrations prolongées, des coups sur la paume des mains, qu’ils appelaient palmatae.

    Nous n’évoquons pas ici les cilices, les diverses entraves physiques et les autres formes d’astreintes corporelles, car ces petits moyens matériels ont essentiellement pour but de prévenir le péché et non de l’expier, sauf avis contraire du confesseur.

    * Voyages, retraites…

    Subis comme pénitence, les voyages forcés (le plus souvent hors de sa patrie) n’ont rien de touristique; ils tiennent plutôt de l’errance et du vagabondage. Qu’on imagine les routes et les chemins à cette époque : insécurité, mendicité, inconfort, dangers des bêtes et des brigands… Des gens de toutes conditions y étaient soumis, mais surtout les grands seigneurs et les clercs. Le pénitentiel de Théodore (au VIIe siècle) condamne un évêque pour crime de pédérastie à vingt ans de pénitence, dont il doit passer cinq en jeûnant au pain et à l’eau et à voyager… jusqu’à la fin de sa vie ! Dans la suite, on transforma ces voyages et vie vagabonde en pèlerinage aux lieux saints, à Rome, à St Martin de Tours, à St Jacques de Compostelle, etc. Durant les IXe, Xe, et XIe siècles, les pénitents couraient volontiers à Rome dans l’espérance d’obtenir du pape quelque adoucissement à des peines si rigoureuses. Il arrivait au pape de céder, mais rarement, pour ne pas mettre en péril l’autorité des confesseurs locaux.

    * Rachats 

    Aux plus fortunés s’offrait la possibilité de racheter leurs pénitences par des aumônes. De cette permission découla naturellement une tarification pour le rachat les peines. Bède le Vénérable (+734) écrit ceci dans son pénitentiaire : Celui qui ne peut faire pénitence de la manière que nous avons dit, donnera en aumônes la première année 23 sols; pour une année au pain et à l'eau, qu'il donne en aumônes 22 sols, et que chaque semaine il jeûne une fois jusqu'à nones, une autre fois jusqu'à vêpres, et trois carêmes. La seconde année il donnera 20 sols. Pour la troisième 18 sols, etc.

    Ces dispositions restent raisonnables, mais vers la fin du Xe siècle se développa en Angleterre la coutume de taxer séparément chaque péché, de sorte que si le péché était répété, la pénitence était augmentée, et comme cette pénitence pouvait être rachetée, les sommes dues pouvaient devenir considérables. Par exemple, celui qui était tombé deux fois dans la fornication devait faire pénitence deux fois autant de temps que s’il y était tombé une fois seulement ; s’il avait commis ce péché dix fois, il devait être taxé dix fois… Par ce moyen malhonnête, certains confesseurs en arrivaient à s’enrichir (ou à enrichir l'Eglise) en se nourrissant du péché d’autrui, pour ainsi dire. 

    Ces façons de faire passèrent sur le continent : on infligeait aux pénitents des peines plus dures et plus sévères, non suivant la proportion arithmétique, mais suivant la proportion géométrique, si bien que plusieurs pécheurs se trouvaient dans l’impossibilité absolue de satisfaire pour leurs péchés, sinon par la voie de rachat dont nous venons de parler, et qui fut surtout en vogue en Italie au XIe siècle, par le soin que prit Pierre Damien de la répandre et de la faire valoir…

    Un archevêque de Milan ayant accepté de l’argent en échange d’ordinations sacerdotales, les légats du pape imposèrent à ce prélat (qui avait avoué et s’était prosterné aux pieds de ses juges) une pénitence de cent ans (!), mais il lui permirent en même temps de racheter cette longue période pour une certaine somme d’argent… 

    Cette possibilité du rachat des peines dues aux péchés dégénéra en abus intolérables : on se mit à racheter les crimes à prix d’or et d’argent, de sorte que les coupables bien souvent, moyennant les sommes qu’ils répandaient, étaient exempts de faire pénitence.

    1. Relâchement (ou adoucissement) de la pénitence du XIIe au XIIIe s.

    On identifie trois causes principales au mouvement de fond qui conduisit à l’adoucissement progressif des pénitences.

    1. L’extension du rachat des peines

    Au commencement, on ne rachetait pas la pénitence entière, mais une partie seulement. Par exemple, si un pénitent devait s’abstenir de viande et de vin ou de liqueurs fortes un certain jour, il pouvait racheter l’abstinence d’une de ces choses seulement, en sorte que s’il buvait du vin, il ne pouvait pas manger de la viande, et réciproquement, s’il mangeait de la viande, il ne pouvait pas boire de vin (même s’il avait donné de quoi nourrir un pauvre ce jour-là). Mais ces modestes dispositions ne durèrent pas, et les choses tournèrent autrement que prévu. Ainsi dans la suite, non seulement on racheta les jours, mais aussi les mois et les années entières ; et on fixa les sommes correspondant à ces rachats. 

    La conversion du cœur semblait secondaire par rapport à la compensation matérielle du tort occasionné, car le pénitent, principalement si c’était un prince fortuné, était pressé de faire cesser les effets de l’excommunication ou de l’interdit : il commençait donc par se faire absoudre en promettant de satisfaire à l’Eglise dans un certain délai, sous peine d’être excommunié de nouveau.

    Cette pratique de racheter les pénitences moyennant quelques aumônes ou à prix d'argent (au profit des ecclésiastiques) n’était d’usage que pour les riches ; les pauvres et les moines les rachetaient, comme nous avons dit, par la récitation des psaumes, par des coups de fouet ou d’autres coups qu’ils recevaient ou qu’ils se donnaient eux-même sur la paume de la main. Cent sols rachetaient une année de pénitence ; réciter tant de fois le Psautier[7], en se donnant tant de coups, faisait le même effet. On évaluait ainsi les mois et les années de pénitence, et de là se forma une nouvelle doctrine jusqu’alors inouïe dans l’Église, à savoir qu’une même personne pouvait, en multipliant les coups de fouets ou de férule, et en récitant tant de fois le Psautier, racheter cent ans et mille ans de pénitence… Ces évaluations n’avaient évidemment de fondement que dans l’imagination de certains théologiens.

    Les pécheurs pouvaient aussi racheter les pénitences par de légères aumônes, la visite ou la décoration d’une église, car les évêques du douzième et du treizième siècle accordaient des indulgences à toutes sortes d’œuvres pieuses, comme la construction ou la rénovation d’une église, l’entretien d’un hôpital, ou plus largement de tout ouvrage public (un pont, une chaussée, le pavage d’un chemin…). Ces indulgences ne recouvraient qu’une partie de la pénitence, mais si l’on en réunissaient plusieurs, on pouvait racheter toute la pénitence. Ainsi les pécheurs les plus fortunés étaient le plus vite délivrés du poids de leurs fautes… Ces indulgences – qui adoucissent les pénitences mais les vident de leur substance théologique – le quatrième concile de Latran (1215) les appelle «indiscrètes et superflues» et les pères conciliaires vont les dénoncer.

    1. La croisade

    VE PN 102 article pénitence 3 Croisade rachat des péchés.jpgCe sont les indulgences liées aux croisades qui vont insensiblement faire péricliter les anciennes pénitences canoniques. Cela n’entrait évidemment pas dans les intentions du pape Urbain II ni du concile de Clermont, car ils croyaient faire deux biens à la fois : délivrer les lieux saints et faciliter la pénitence à une infinité de pécheurs qui ne l’auraient jamais faite autrement.

    Le pape Victor III (1086-1087), auparavant abbé du Mont-Cassin, est le premier pape qui a promis une absolution générale de tous les péchés à ceux qui feraient la guerre aux Infidèles (musulmans). Il ne s’agissait pas encore de délivrer Jérusalem du joug des Turcs (qui refusaient depuis 1078 de laisser libre le passage aux pèlerins chrétiens vers la Ville Sainte), mais de combattre les Sarrasins d’Afrique qui depuis plus d’un siècle ravageaient l’Italie : ils avaient entre autres pillé le monastère du Mont-Cassin. Après avoir fait rebâtir son monastère, Victor rassembla une armée de presque tous les peuples d’Italie ; avec la promesse de la rémission de tous leurs péchés, il les envoya attaquer la ville maritime de Mehdia (Maroc). Les combattants (qui ne s’appelaient pas encore "croisés") prirent la ville et défirent cent mille Sarrasins ; cette victoire passa pour un miracle. Ce n’est qu’en 1095 que la croisade fut proclamée par le pape Urbain II au concile de Clermont.

    Nous avons vu qu’autrefois faire partie d’une milice était l’une des activités interdites aux pénitents, car il était difficile aux pécheurs d’éviter les occasions de chute dans des entreprises de cette nature. Mais à la fin du XIe siècle, on estima que cette défense n’était pertinente que pour les guerres entre chrétiens et non quand il s’agissait de combattre les Infidèles et les autres ennemis de l’Église ; une multitude de personnes n’entreprirent donc ces voyages ou pèlerinages, comme on appelait alors les croisades, qu’en vue d’expier par cette espèce de pénitence publique, les péchés dont ils se sentaient coupables, quoique le public n’eût aucune connaissance de leurs fautes. C’est ainsi que l’engagement dans la croisade donna lieu au renouvellement temporaire d’une partie de l’ancienne discipline de la pénitence qui était hors d’usage depuis quatre siècles.

    Les engagés qui passaient en Palestine pour faire la guerre aux Sarrasins recevaient la promesse d’une absolution générale de leurs péchés ; cette grâce fut étendue à ceux qui allaient en Espagne pour en chasser les Maures, à ceux qui firent la guerre aux Cathares dans le Languedoc, et à ceux qui allaient au secours des chrétiens d’Orient. Enfin cette même indulgence se communiqua non seulement à ceux qui se rendaient en personne à ces expéditions, mais encore à tous ceux qui contribuaient à leur financement. De là vint la coutume de donner l’absolution avant l’accomplissement de la pénitence, et même avant que l’on se fût mis en devoir de l’accomplir, sur la simple promesse de faire le voyage de la croisade…

    Si les pèlerinages particuliers, en usage depuis le VIIIe s., pouvaient être quelquefois des occasions de distractions ou de rechutes, ils étaient bien moins dangereux que les croisades. En effet, un pénitent marchant seul ou avec un autre pénitent pouvait observer certaines règles, jeûner ou du moins vivre sobrement, avoir des moments de recueillement et de silence, chanter des psaumes, s’occuper l'esprit avec de bonnes pensées, avoir des conversations édifiantes, etc. A l’inverse, toutes ces pratiques de piété étaient difficilement possibles à des troupes assemblées en corps d’armée. Si beaucoup de croisés se préparaient sérieusement à la mort en payant leurs dettes, en restituant le bien mal acquis, en réparant le mal fait, etc. il faut avouer que la croisade servait aussi de prétexte à d’autres pour ne pas payer leurs dettes, aux malfaiteurs pour éviter la punition de leurs crimes, aux moines indociles pour quitter leurs cloîtres, etc. Le voyage était très long jusqu’en Terre Sainte, et les croisés, du moins certains d’entre eux, cherchaient à se divertir chemin faisant, emmenaient des chiens et des oiseaux pour chasser[8], des prostituées se mêlaient aussi à ces armées, quelques-unes déguisées en hommes. Même dans l’armée de S. Louis, dans son quartier, près de sa tente, on trouvait des lieux de débauche… Le saint roi sévissait exemplairement contre ces excès, mais il ne pouvait tout contrôler.

    La fin des croisades aurait pu permettre de revenir aux anciennes pratiques, mais l’usage en avait été interrompu depuis deux cents ans au moins, et les pénitences étaient devenues arbitraires : les évêques ne s’occupaient plus guère des détails de l’administration des sacrements. Les frères Mendiants (franciscains, dominicains) étaient devenus les ministres les plus ordinaires de la pénitence, et ces missionnaires passagers ne pouvaient suivre pendant assez longtemps la conduite des pénitents afin d’examiner le progrès et la solidité de leur conversion, comme faisaient autrefois les pasteurs sédentaires : ces religieux itinérants étaient obligés d’expédier promptement les pécheurs pour passer à d’autres. Ce fut aussi l’une des causes du relâchement de la discipline.

    1. La remise des peines canoniques

    Dès la fin du XIIe siècle et durant le XIIIe siècle, non seulement on accorda l’absolution des péchés à ceux qui faisaient, comme on disait alors, «le service de la Terre Sainte», mais on appliqua cette indulgence à ceux qui contribuaient de quelque manière à l’entretien ou à la construction d’une église ou de quelque autre ouvrage en rapport à la religion. Concrètement, les peines canoniques dues aux péchés étaient réduites d’un tiers ou d’un quart pour ceux qui avaient contribué financièrement à la construction de ces édifices ; mais par une autre invention, on obtenait facilement l’indulgence entière en contribuant à la construction ou à la réparation de trois ou quatre de ces ouvrages... C’est par le moyen de ces contributions qu’un bon nombre des principales églises de France furent bâties ou réparées. Cette méthode si commode de racheter ses péchés et de se dispenser d’en faire pénitence fut tellement du goût des pécheurs que Maurice[9], évêque de Paris qui succéda à Pierre Lombard, acheva ainsi de bâtir le superbe édifice de la cathédrale Notre-Dame et de quatre abbayes. L’indulgence s’étendit à tous ceux qui contribueraient à la réparation de toutes sortes d’ouvrages publics, comme ponts, chaussées, etc.

    1. Le concile de Trente (1542-1563)

    VE PN 102 article pénitence 4 Concile de Trente.jpgAu XVIe siècle, la révolte de Luther et de ses disciples va conduire l’Église à une reprise en main doctrinale et disciplinaire. «Seule la foi sauve», prétendait Luther, dispensant ainsi les pécheurs de confession et de réparation. Le concile de Trente répond ceci en janvier 1547 (décret sur la justification) :

    Si quelqu'un dit que l'impie est justifié par la seule foi, entendant par là que rien d'autre n'est requis pour coopérer à l'obtention de la grâce, et qu'il ne lui est en aucune manière nécessaire de se préparer et disposer par un mouvement de sa volonté : qu'il soit anathème (can. 9).

    Si quelqu’un dit que celui qui est tombé après le baptême ne peut pas se relever avec la grâce de Dieu, ou qu’il peut certes recouvrer la justice perdue, mais par la seule foi, sans le sacrement de pénitence, comme l’a jusqu’ici professé, gardé et enseigné la sainte Église romaine universelle, instruite par notre Seigneur et ses apôtres  : qu’il soit anathème (can. 29).

    En novembre 1551, la doctrine sur le sacrement de pénitence est définie de manière plus exacte et plus complète (de eo exactiorem et pleniorem definitionem tradidisse). Sont notamment clairement décrites les parties et les fruits du sacrement de pénitence : outre l’absolution, indispensable, sont quasi-matières de ce sacrement les actes du pénitent lui-même : la contrition, la confession et la satisfaction. Le concile condamne les affirmations de ceux qui prétendent que les terreurs qui s’emparent de la conscience et la foi sont des parties de la pénitence (chap. 3, can. 4). De plus, affirme le concile (recadrant ainsi les excès des athlètes et champions de la morbidité), les pénitences ou satisfactions n’ont de valeur que dans les mérites infinis acquis pour nous par la Rédemption du Christ : ainsi l’homme n’a rien dont il se glorifie, mais toute notre glorification est dans le Christ en qui nous vivons, en qui nous méritons, en qui nous satisfaisons, faisant de dignes fruits de pénitence qui tirent de lui leur force… (chap. 8).

    Enfin, le concile de Trente libère les pécheurs du poids des pénitences ciblées et tarifées en étendant la pénitence aux «œuvres satisfactoires», reconnaissant comme la plus grande marque d’amour divin les épreuves temporelles infligées par Dieu et supportées par nous dans la patience (can. 13). On discerne ici déjà l’ébauche de la doctrine spirituelle de la «petite voie» développée et vécue par sainte Thérèse de Lisieux à la fin du XIXe siècle et dont nous sommes aujourd’hui encore les heureux héritiers.

    Dans la prochaine livraison de Pâque nouvelle, nous clôturerons cette brève histoire de la pénitence en survolant la dernière partie de ce sacrement : l’absolution.

                                                                                                              Pierre René Mélon

                                                                                                              (à suivre…)

    [1] Charles II dit le Chauve, petit-fils de Charlemagne, (823-877).

    [2] Louis le Jeune (825-875), fils de Lothaire Ier, roi d’Italie.

    [3] Depuis Charlemagne, c’étaient les rois et les empereurs qui nommaient les évêques. En 1075, le pape conteste cette disposition et veut reprendre son droit. Le roi Henri conteste la volonté du pape et le fait "déposer" par une assemblée d’évêques allemands et italiens. Le pape riposte en excommuniant Henri qui est aussitôt abandonné par la plupart de ses vassaux. Sa situation devenant précaire, il décide d’aller demander pardon au pape qui séjourne alors au château de Canossa, dans le nord de l’Italie… Henri IV meurt à Liège en 1106, sur les terres de son vassal, le prince-évêque Otbert.

    [4] Lambert d’Hersfeld (v. 1028-v. 1085), prêtre allemand, chroniqueur de son temps (appelé aussi Lambertus Schaffnaburgensis).

    [5] H. Rondet, op. cit. p. 572.

    [6] Fémoraux : sortes de hauts-de-chausses portés par certains religieux.

    [7] Le psautier complet ou uniquement les 7 psaumes pénitentiels choisis par S. Augustin : ps. 6, 31 (32), 37 (38), 50 (51) Miserere, 101 (102), 129 (130) De profundis, 142 (143).

    [8] On le sait par l'interdiction de ces pratiques à la seconde croisade.

    [9] Pierre Lombard, évêque de Paris de 1159-1160 ; Maurice de Sully, évêque de Paris de 1160 à 1196.