[1] St Thomas, I, IIae, q. 97 a. 3
Cette nouvelle mentalité, dont il ne serait pas difficile de retracer les origines troubles, et sur laquelle cette démolition du culte catholique authentique essaye de se fonder, implique de tels bouleversements doctrinaux, disciplinaires et pastoraux, que Nous n'hésitons pas à la considérer comme aberrante. Nous avons le regret de devoir dire cela, non seulement à cause de l'esprit anticanonique et radical qu'elle professe gratuitement, mais bien davantage à cause de la désintégration qu'elle comporte fatalement”.
Tradition et développement organique
La tradition a une tendance naturelle à se maintenir intacte, mais elle suppose en même temps un certain développement. Voilà qui nous paraît à première vue contradictoire, mais qui ne l'est pas en réalité, si on ne perd pas de vue qu'il faut distinguer d'une part le dépôt divin de la Tradition révélée et de l'autre la tradition ecclésiastique humaine.
La première, puisque révélée par Dieu, est immuable et commune à l'Eglise de tous les temps, de tous les lieux, et n'admet de progrès que pour ce qui est de la "compréhension, la connaissance et la sagesse de la foi, sur le plan individuel et communautaire, en chacun des chrétiens et dans l'Eglise toute entière: cette croissance de la foi doit se réaliser en respectant toujours sa propre nature, c'est à dire dans le cadre du dogme, ayant le même sens et la même formulation: in eo dumtaxat genere, in eodem scilicet dogmate, eodem sensu eademque sententia".
La tradition ecclésiastique humaine suit les lois de la tradition culturelle et exige un certain progrès: celui qui reçoit une tradition peut et doit l'enrichir dans la mesure de ses possibilités, souvent en laissant de côté quelques-uns des éléments reçus, pour les remplacer par d'autres, plus parfaits. Cela découle de la façon naturelle de procéder de la raison humaine, qui passe de l'imparfait au parfait.
Il est évident que la sélection d'éléments d'une tradition ne peut être arbitraire, mais doit suivre un développement homogène dans les parties qui la composent; c'est ainsi qu'elle se garde inviolée. Toute modification de la tradition doit obéir à ces lois de la croissance organique. Dans le cas contraire, elle courrait le risque de devenir une création artificielle; or une tradition ne se "fabrique" point.
Par conséquent, un usage reçu ne peut être changé par caprice, ni même être dédaigné sous prétexte qu'il provient d'un développement humain. Même la tradition humaine simplement culturelle ne peut être abandonnée sans conséquences graves. Rappelons ici les paroles de Paul VI: "Nous mettons en garde au sujet du danger et des dégâts qui résultent du rejet aveugle de l'héritage que le passé a légué aux nouvelles générations à travers une tradition sage et sélective. Si nous n'avions pas à l'égard de ce processus de transmission toute la considération méritée, nous pourrions alors perdre le trésor accumulé par la civilisation". La tradition prise dans ce sens est proprement l'expérience sociale et historique de l'humanité.
C'est à la lumière de tout cela que l'on comprend, en profondeur, les normes du Concile Vatican II, en matière de réforme liturgique: “Afin que soit maintenue la saine tradition, et que pourtant la voie soit ouverte à un progrès légitime, […] on ne fera des innovations que si l'utilité de l'Eglise les exige vraiment et certainement, et après s'être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique” (SC23).
Un autre aspect, qu’il est aussi très important de noter, est la conception « analogique » du culte : la multiplicité rituelle était une caractéristique importante de l’Occident médiéval, de sorte que, soutenue par une profonde unité de foi mais aussi fortement enracinée dans des traditions vénérables, on trouvait une énorme variété de rites, usages et coutumes liturgiques. Cette variété était, justement, le fondement de l’analogie de l’interprétation allégorique, au point de permettre plusieurs explications différentes d’un même geste liturgique.
Encore une fois, Guillaume Durand nous éclaire sur ce point: « Nous devons prendre soigneusement en considération la variété des rites employés dans le service divin. Chaque Église, pour ainsi dire, a ses propres observances, auxquelles elle donne un sens particulier. Personne ne devrait reprocher cette diversité dans la manière de louer Dieu, de chanter les psaumes et cantiques, de pratiquer différentes cérémonies, puisque l’Église triomphante elle-même, d’après les mots du prophète, ‘ manifeste une mystérieuse diversité’ et que l’Église admet jusque dans l’administration même des sacrements, une grande variété de formules ».
Une étude comparative des différents rites de la liturgie catholique réalisée en profondeur devrait inclure tous les aspects qu’ils comportent ou qui, d’une quelconque manière, sont en rapport avec eux, c’est-à-dire, non seulement les cérémonies de la Messe, mais aussi l’office, la célébration des sacrements et jusqu'à la spiritualité elle-même. De fait, dans le sens plein du terme, un rite n’est pas uniquement un rituel liturgique, mais “une tradition catholique complète, le mode singulier par lequel une communauté particulière de fidèles perçoit, exprime et vit sa vie catholique au sein de l’unique corps mystique du Christ…” [] Dans ce même sens, Pie XII, dans son encyclique Orientalis ecclesia, inclut dans le rite “tout ce qui concerne la liturgie sacrée et les ordres hiérarchiques, ainsi que les autres états de la vie chrétienne...”.
Ceci englobe tous les aspects de la culture catholique: écoles théologiques avec leurs Pères et Docteursdiscipline canonique, écoles de spiritualité, dévotions, traditions monastiques, art, architecture, hymnes, musique, etc.
D’un autre côté, on a souvent recours aux textes les plus anciens, en prétendant y trouver ce qui est le plus “traditionnel”, ce à quoi on ne parvient qu’après un patient travail archéologique, dont les résultats par sont d'ailleurs généralement incertains. Ici, nous tâcherons de faire le contraire, c’est-à-dire d’étudier et d’analyser le “traditum”, ce qui a été transmis: à savoir, ce qui est arrivé jusqu'à nous et tel qu’il est parvenu jusqu'à nous, car la tradition est par définition quelque chose que l’on reçoit et non quelque chose que l’on déterre. Il n’y a pas de similitude entre le "grain de sénevé" et l'arbre pleinement développé. Pour ceux qui assistent au développement de sa frondaison, c'est bien de l'arbre qu'il est question, puisque l'histoire d'un être vivant fait partie de sa vie, et l'histoire d'une chose divine est sacrée. Les savants peuvent savoir que l’arbre est né d’un simple grain, mais il est vain de vouloir creuser pour le déterrer, car il n'existe déjà plus : la vertu et les puissances qu'il contenait se trouvent maintenant dans l'arbre. Pour ce qui est de la culture, les autorités qui ont charge de l'arbre doivent s'en occuper conformément à la sagesse dont elles disposent : le tailler, le guérir de ses chancres, lui retirer ses parasites etc. (et ce non sans scrupules, sachant bien que leur connaissance du développement est, somme toute, bien peu étendue). Il est certain, en tout cas, que s’obstiner dans le désir de revenir à la semence ou même à la prime jeunesse de l’arbre – beau et sans défaut comme on se l’imagine – serait lui occasionner un dommage ».
L’objet fondamental de l’acte liturgique
Toute célébration des saints mystères est avant tout action de louange à la souveraine majesté de Dieu, Un et Trine, et l’expression voulue par Dieu lui-même... “Toute célébration liturgique est un acte de la vertu de religion qui, en cohérence avec sa nature, doit se caractériser par un sens profond du sacré. En elle, l'homme et la communauté doivent être conscients de se trouver devant Celui qui est trois fois saint et transcendant. En conséquence, l’attitude requise ne peut qu’être pénétrée de respect et du sens de la stupéfaction qui provient du fait de se savoir en présence de la majesté de Dieu. Ne voulait-elle pas exprimer ce Dieu en commandant à Moïse de retirer ses sandales devant le buisson ardent, ne naissait pas de cette conscience, l’attitude de Moïse et d’Elie qui n’osèrent pas regarder Dieu face à face ? [...] Le Peuple de Dieu a besoin de voir dans les prêtres et les diacres un comportement plein de révérence et de dignité, capable de l’aider à pénétrer les choses invisibles, même sans beaucoup de paroles et d’explications. Dans le Missel Romain dit de Saint Pie V, comme dans diverses liturgies orientales, on trouve de très belles prières par lesquelles le prêtre exprime le plus profond sens d’humilité et de respect face aux saints mystères : celles-ci révèlent la substance même de la Liturgie, quelle qu’elle soit. La célébration liturgique présidée par le prêtre est une assemblée priante, rassemblée dans la foi et l’attente de la Parole de Dieu. Celle-ci a comme but premier celui de présenter à la divine Majesté le Sacrifice vivant, pur et saint, offert sur le Calvaire autrefois et pour toujours par le Seigneur Jésus, qui se rend présent chaque fois que l’Eglise célèbre la Sainte Messe pour exprimer le culte dû à Dieu en esprit et vérité. ”