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« Le » roman catholique réédité

PHO8099aa60-81ba-11e3-acd3-7cac2231ad06-805x453 (1).jpgLes Editions du Cerf rééditent en 2014 Augustin ou Le Maître est  là  (Spes, 1933) (noté dans la suite simplement : Augustin), immense chef d’œuvre. Son auteur, Joseph Malègue (1876-1940), naît dans une famille croyante à une époque où les catholiques sont mis à l’épreuve en France : la laïcisation de l’Etat qui, chez certains républicains (pas tous), est anti- chrétienne, et, surtout, le modernisme, application aux textes chrétiens fondateurs de méthodes historico-critiques qui remettent en cause la foi, la divinité de Jésus au premier chef.(1)

Malègue accumule, au gré de multiples formations, une immense culture, philosophique, théologique, littéraire, économique,... En contact avec les acteurs de toutes obédiences de la crise moderniste (qui éclate en 1907 avec la mise au pas de tout le clergé français par le Vatican), il en saisit l’enjeu, décide de le transposer dans Augustin,  commencé en 1912. Malgré les suites d’une maladie grave, les difficultés professionnelles, la guerre, il va jusqu’au bout et publie le roman chez Spes en 1933. A compte d’auteur ! Mais devient aussitôt un grand de la littérature. Il meurt sept ans après. Augustin est édité 11 fois de 1933 à 1966. Malègue, apparemment oublié, garde de fervents lecteurs dont Jorge Bergoglio qui le cite comme cardinal puis pape, ce qui déclenche la réédition aujourd’hui d’Augustin (pour certains, l’autre roman, posthume, bien entamé, publié en 1958, Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut, est encore supérieur : Malègue a publié aussi des nouvelles et essais nombreux). 

Le roman

Le romancier nous fait pénétrer lentement dans la durée de son héros, Augustin Méridier, enfant grave, intelligent, sensible. Par exemple son émotion lors d’une visite avec son père, professeur au lycée d’Aurillac, à la comtesse de Préfailles. La petite fille de celle-ci, Elisabeth, éclatante beauté de dix-huit ans, prend le jeune garçon de sept ans maternellement dans ses bras, geste chaste qui n’en introduit pas moins Augustin dans le monde féminin et son mystère. L’émoi ressenti alors se reportera plus tard sur la nièce d’Elisabeth, Anne, orpheline de père et de mère qui hérite de la grâce d’Elisabeth. Les deux femmes s’adoptent l’une l’autre, soit comme fille, soit comme mère. Rêveusement amoureux d’Elisabeth depuis ses sept ans, Augustin, vingt-cinq ans plus tard ,va désirer Anne passionnément. Il y a aussi ce qui le lie à son père dont il découvre, au lycée, l’échec face à l’indiscipline de sa classe. Père et fils s’aiment tant qu’ils n’en parlent pas : « Aucun d’eux ne le dit à l’autre, mais il savait qu’il le savait (p.61). »

Avec Largilier, à l’Ecole Normale Supérieure à Paris, c’est la mise à nu réciproque des âmes par la formule magique de l’amitié : « Devant toi, mon vieux, çà m’est égal (p. 335). » Brillant professeur de philosophie à Lyon, Augustin reste fasciné par sa mère, sa sœur, profondément croyantes (comme Anne). Il est « hanté par les femmes » écrit Agathe Châtel. Il l’est aussi par cet amour « qui n’est pas quelque chose de Dieu, mais Dieu lui-même» (2). Le modernisme lui fait cependant perdre la foi.

L’année où il va prendre un poste à la Sorbonne, à trente-cinq ans, il se découvre tuberculeux. Se sachant condamné, il passe en revue sa vie et la divise en trois (p. 756-757): son enfance adhérant naïvement aux dogmes (Acte I),le modernisme et la perte de la foi puis la remise en cause de celui-ci sans retrouver la foi (Acte II).  L’Acte III, encore non joué, il l’imagine avec une ironie amère: mariage et retour à la foi. Alors que la maladie l’éloigne d’Anne à jamais et qu’il veut mourir agnostique. Il rejette cependant le modernisme, car celui-ci se voulant sans a priori en nourrit un contre le surnaturel et parce qu’il évite la question du « je » du Christ.

Les évangiles et le « je » du Christ

En général les savants admettent le caractère historique du Christ (sans tous dire qu’il est vrai homme et vrai Dieu). Beaucoup aujourd’hui (comme Camille Focant), considèrent les évangiles comme des récits. Qui mettent justement en jeu des personnes, des « je ». Les romanciers qui créent leurs personnages reconnaissent que ceux-ci s’imposent à eux et finissent même par les surprendre tellement est puissante la singularité de chaque être, même imaginé. Or ni le modernisme, ni l’Eglise qui l’affronte, aveugles aux personnes, ne prennent en compte le « je » de Jésus : l’Eglise l’enferme en la façade abstraite de ses dogmes, le modernisme en  l’abstraction d’une vision positiviste des faits « objectifs ».

Les évangélistes sont des auteurs de récits vrais, pleins d’incrédules et d’incrédulité (à l’instar d’Augustin), ensuite bouleversés par le Christ. Et ce passage de l’incroyance à la foi c’est l’intrigue tant des évangiles que d’Augustin. La foi n’était pas plus facile il y a 2000 ans (3).L’Incrédulité de Thomas du Caravage, couverture d’Augustin en 2014 le rappelle. Aussi peu naïf que les évangiles, le peintre représente Thomas enfonçant le doigt dans la plaie du Christ et le front plissé, non du fait de l’effort pour voir, mais de la perplexité face à la lumière éblouissante venue de la nuit du tombeau vide.

Auprès de ce tombeau, on le sait, Marie-Madeleine, ne trouvant plus le corps de Jésus, s’adresse à quelqu’un qu’elle prend pour le jardinier mais qui l’appelle par son prénom, « Marie ! ». Elle croit alors en Jésus ressuscité : le « je » de Jésus lui dit « tu ». Deux pronoms essentiels oubliés par la critique moderniste et l’abstraction dogmatique.

Retour au roman

Augustin se meurt au sanatorium de Leysin. Largilier lui rend visite. Ils se redisent laPHO7529c4c0-7f6d-11e3-a3d8-f2e1126077f4-300x470.jpg formule magique de l’amitié. Augustin a rejeté le modernisme, mais, crucifié par sa carrière et son amour brisés, exclut tout retour à la foi. Jusqu’à ce que Largilier lui rapporte le mot d’un « ex-athée » : « Sans le Christ, j’aurais la haine de Dieu », pour conclure : « Loin que le Christ me soit inintelligible s’il est Dieu, c’est Dieu qui m’est étrange s’il n’est le Christ (p. 796).»

Le modernisme niait la divinité du Christ, mais si Dieu est amour, seul un Dieu crucifié, assumant le drame humain—souffrance et mort—, est pensable : Augustin l’admet d’autant que cela confirme son penchant à trouver Dieu dans l’expérience religieuse, une expérience que Largilier va produire en lui lançant quelque chose du même ordre que le « Marie ! » du Christ près du tombeau vide. Augustin, retrouve alors la foi en plein accord avec sa conscience de penseur. Il récrit, à la veille de sa mort, son article sur le modernisme, par souci intellectuel de lui donner la conclusion vécue à laquelle Largilier l’a conduit.

Malègue évoque couleurs, sons, odeurs, splendeur des paysages, beauté des femmes, ironie, humour, émotion, dans une langue inoubliable. Sa  «pensée » fondue dans l’intrigue, participant au « je » et  au « tu » de personnages vrais et libres, nous transmet comme personne ne l’a jamais fait avec cette force, mais humblement, l’intelligence de et dans la foi.

José Fontaine

 

(1) J’utilise Wikipédia sur Malègue et son roman où j’ai énormément travaillé. (2) Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion. (3) Sandrine Hubault, Le désir d’une vie infinie, in F.Lenoir et J-Ph. De Tonnac (dir.), La mort et l’immortalité, Bayard Paris, 2004, p. 535-545.

Joseph Malègue, Augustin ou Le Maître est là, (préface d’Agathe Chepy-Châtel) Editions du Cerf, Paris, 2014, 832 pages, environ 30 €

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