La formule théologiquement contestable de la sixième demande du Pater "Et ne nous soumets pas à la tentation" remonte à un accord obtenu entre catholiques, protestants et orthodoxes, entre 1964 et 1966, au moment du Concile et de sa volonté d'ouverture oecuménique. Elle suscite aujourd’hui plus que jamais la controverse :
"Et ne nous soumets pas à la tentation" ?
Sur le site de « La Vie » (14.10.2013, extraits) Anne-Cécile Juillet note que « (…) dans la nouvelle traduction française de la Bible liturgique, diffusée en France par les éditions Mame/Fleurus à partir du 22 novembre 2013, on ne lira plus "Et ne nous soumets pas à la tentation", mais "Et ne nous laisse pas entrer en tentation". En effet, cet été, le Vatican a donné son accord à la publication d'une nouvelle traduction française complète de la bible liturgique (qui comprend l'Ancien Testament, les psaumes et le Nouveau Testament), dont la dernière version remontait à 1993 ».
La prière récitée du Notre-Père changera-t-elle pour autant? Pour l'instant, il est difficile de le savoir. Pour cela, il faudrait que cette nouvelle traduction soit également validée dans le Missel. Sur ce point, les sources auxquelles se réfère le site web de « La Vie », divergent. "Oui, c'est absolument certain, elle s'imposera dans le futur missel", disent les uns. "Non, ce n'est pas sûr du tout puisque la commission, au Vatican, qui s'occupe du contenu du Missel romain est distincte de celle qui a validé la nouvelle traduction", estiment d'autres.
Face au buzz médiatique, Mgr Bernard Podvin, porte-parole des évêques de France, cité par l’agence Zenit, a tenu à préciser que « rien ne change actuellement pour la prière du Notre Père, y compris à la Messe. Un changement pourra intervenir dans quelques années lorsqu'entrera en vigueur la nouvelle traduction du Missel Romain, qui est encore en chantier ».
Comme le rappelle le directeur du journal « L’Homme Nouveau » sur le blog de sa publication, c’est en 1966 que fut inventée l’actuelle « version œcuménique ». Celle-ci fut cependant critiquée par les plus sérieux de nos frères protestants et orthodoxes. Et ce n’est pas avant 2015 que la nouvelle version figurera dans les missels. La patience est une vertu fortement recommandée aux fidèles de l’Église catholique.
Sur la question, dans son livre « Que Ton Règne vienne », (Editions de l’Emmanuel, 1998), Monseigneur Léonard, conserve le sens de « tentation » mais explique, un peu longuement, que la formule grammaticale grecque provient d’un hébraïsme mal traduit :
« Il s’agit, écrit-il, de bien comprendre l’usage de la négation devant un verbe dont le substantif hébreu est conjugué à la forme causative, celle qui permet de passer de l’idée de « dormir », par exemple, à celle de « faire dormir ».
En français, nous avons besoin de deux mots pour le dire. En hébreu, il suffit d’utiliser la forme causative ou factitive du verbe. C’est elle qui permet, dans notre texte, de passer de l’idée de « entrer dans la tentation » à celle de « faire entrer dans la tentation ». Que se passe-t-il si l’on met une négation devant la forme causative de la sixième demande ? Faut-il comprendre « ne nous fait pas entrer dans la tentation » ou bien « fais que nous n’entrions pas dans la tentation » ? Tel est exactement le problème.
Pour un Sémite, la réponse est évidente d’après le contexte. La demande signifie : « Fais que nous n’entrions pas dans la tentation ». Exactement comme pour nous en français, si je dis : « je n’écris pas ce livre pour m’amuser », chacun comprend que j’écris effectivement ce livre (la preuve !), en dépit de la négation qui semble affecter le verbe, mais que ce n’est pas pour m’amuser. Malgré les apparences, la négation ne porte pas sur « écrire », mais sur « pour ». Mais, dans son incommensurable bêtise, un ordinateur aurait pu comprendre que, pour pouvoir m’amuser, je n’écrivais pas ce livre… Qu’a fait ici le premier traducteur grec du « Notre Père » sémitique ?
Le grec n’ayant pas de forme causative et ne connaissant pas davantage la tournure française « faire entrer », il a pris un autre verbe qu’ « entrer » , un verbe exprimant d’un seul mot, comme en hébreu, l’idée de « faire entrer », à savoir le verbe grec « introduire » et il a mis une négation devant ! Pour les lecteurs grecs connaissant encore les tournures sémitiques, l’interprétation correcte allait de soi.
Mais par la suite, l'expression allait forcément être mal comprise et prêter à scandale. Le problème est résolu si, instruit de ces petites ambiguités linguistiques, on traduit : « Fais que nous n’entrions pas dans la tentation » ou « Garde-nous de consentir à la tentation ». De ce point de vue, l’ancienne traduction française du « Notre Père » était moins heurtante que l’actuelle (sans être parfaite), puisqu’elle nous faisait dire : « Et ne nous laissez pas succomber à la tentation ». La même difficulté existant dans de nombreuses langues européennes, plusieurs onférences épiscopales ont entrepris de modifier la traduction du « Notre Père » en tenant compte du problème posé par la version actuelle. Espérons que les conférences épiscopales francophones feront un jour de même. Si nous traduisons correctement la sixième demande (« Garde nous de consentir à la tentation » !) alors tout s’éclaire. Dans la cinquième demande, nous avons prié le Père de nous remettre nos dettes passées. Dans la septième, nous allons lui demander de nous protéger, à l’avenir, du Tentateur. Dans la sixième, nous lui demandons logiquement, pour le présent, de nous préserver du péché en nous gardant de succomber à la tentation ».
JPS