DEUX CENTS FIDÈLES RÉUNIS À LIÈGE
POUR EVOQUER LA PENSEE DE BENOÎT XVI
Près de deux cents fidèles ont pris part à la manifestation organisée le 25 septembre par l'Union des Etudiants Catholiques, à l’église du Saint-Sacrement de Liège. Au cours de celle-ci l’abbé Éric Iborra, vicaire à l’église Saint-Eugène (Paris IXe), a exposé les linéaments de la pensée de Benoît XVI et les a illustrés en célébrant ensuite la messe dans le même esprit. Il était secondé à l'autel par les abbés Jean-Pierre-Herman, membre du secrétariat de l’archevêque de Malines-Bruxelles Mgr André-Joseph Léonard et Claude Germeau, directeur du foyer d’accueil de Herstal, chargé de la pastorale à l’église du Saint-Sacrement, qui officiaient respectivement comme diacre et sous-diacre. Cette messe bénéficiait aussi du concours de l’Ensemble vocal Praeludium et de la Schola du Saint-Sacrement, qui ont alterné l’interprétation des chants liturgiques, en grégorien, déchant et polyphonie ancienne puisée dans le répertoire liégeois.
Le texte intégral de la conférence prononcée par l’abbé Iborra et celui de son homélie lors de la messe, seront publiés dès que nous les recevrons. Entre-temps voici, notées au vol, quelques indications résumant la teneur de ses propos :
1. D’un professeur universitaire de qualité, Benoît XVI possède les meilleures caractéristiques : maîtrise et précision, profondeur et clarté, sagesse et simplicité d’expression.
2. Parce qu’il a du renoncer à sa carrière académique dès 1977, pour devenir cardinal-archevêque de Munich (1977-1981), préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi ensuite (1981-2005) et, depuis 2005, souverain pontife de l’Église catholique romaine, Joseph Ratzinger n’a pu développer de grands traités, ni de manuels exposant de manière systématique le cœur de sa pensée (à l’exception, peut-être, de La mort et l’Au-delà, court traité d’espérance chrétienne, paru chez Fayard en 2006).
3. Sa pensée doit beaucoup à celle du docteur séraphique, saint Bonaventure (1224-1274), auquel il a consacré une thèse d’habilitation (1) et surtout celle de saint Augustin (354-430), objet de sa première thèse (2). Ces deux docteurs de l’Église l’inspirent plus qu’un troisième : le docteur angélique, saint Thomas d’Aquin (1224-1274) et surtout ses avatars néo-thomistes.
4. La spiritualité de Joseph Ratzinger n’est pas fondée sur la règle de vie particulière de l’un ou l’autre ordre religieux (celle de Jean-Paul II était carmélitaine, celle de Pie XII plutôt jésuite) mais saint Augustin inspire sa piété au même titre que son intelligence de la foi.
5. Son œuvre abondante est faite de touches impressionnistes et de fulgurances magistrales mais elle reste décousue et liée aux aléas de ses fonctions pastorales. Il est néanmoins possible d’en dégager quelques lignes de force.
6. Premier axe : l’homme d’aujourd’hui a besoin d’une conception renouvelée de la raison. La théologie de Joseph Ratzinger est centrée sur le Christ comme Logos : raison et Verbe incarné, communiquant le vrai et le beau à son Église. La raison est d’abord extérieure au sujet connaissant. C’est le Logos divin, créateur du cosmos et donc de l’homme. Par la raison participée de ce dernier, l’univers intelligible sait qu’il existe et peut découvrir les lois naturelles qui régissent son être. En réduisant l’usage de la raison aux techniques mesurables et quantifiables, la modernité abandonne la métaphysique et l’anthropologie à la subjectivité et au relativisme. Comme le montrent les impasses totalitaires ou consuméristes contemporaines, sans Dieu la raison positiviste ou le rationalisme scientifique égarent la société et déconstruisent l’homme, au même titre que la religion lorsqu’elle est privée d’une raison ouverte sur la totalité de l’être.
7. Deuxième axe : l’Eglise. Comme Augustin, le Docteur Ratzinger s’est fait ensuite pasteur, avec le souci de préserver la foi authentique des petits et des humbles. Dans son enseignement, il insiste sur la théologie du Verbe divin. Ce Logos qui fait l’Église nous est accessible, par-delà l’épaisseur de l’histoire, dans l’Eucharistie qui actualise sa présence et nous inclus de la sorte dans le dialogue intra-trinitaire lui-même. Dans l’acte liturgique, les verba multa de l’Écriture deviennent le Verbum Unum, le lieu même de l’alliance entre l’intelligence et la vie. Cette découverte est à la racine de la conversion d’un John-Henry Newman (1801-1890) que le Saint-Père vient de béatifier à Birmingham, le 19 septembre dernier.
8. Des deux axes précédents découle un troisième : une théologie du culte chrétien qui consiste à rendre à Dieu une logikè latreia, un culte raisonnable. La beauté du geste du Père qui offre son Fils et celle du geste du Christ qui s’offre, avec nous, à son Père doivent transparaître dans la beauté du culte : celle-ci n’est pas subjective, elle participe du fondement rationnel de l’être. C’est pourquoi Joseph Ratzinger déplore la créativité liturgique qui hypertrophie la dimension anthropologique du culte au détriment de ses dimensions cosmologiques et théologiques. A cet égard, il dénonce la danse des nouveaux Hébreux (clercs et laïcs) autour du veau d’or, favorisée par une certaine permissivité des livres liturgiques réformés. Il milite aussi pour une redécouverte de la célébration orientée face au Christ ressuscité et une participation des fidèles moins agitée par les bruits du monde et favorisant un silence intérieur propice à l’union et à la conversion des cœurs.
9. Devenu Benoît XVI, l’ancien préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi a apporté quelques inflexions dans la permanence de sa pensée, en insistant sur :
- le primat de la charité dans la vérité (encycliques Deus Caritas est et Caritas in Veritate) ;
- l’herméneutique de la continuité dans l’interprétation des actes du concile Vatican II (discours de Noël 2005 à la Curie romaine) ;
- l’ouverture nécessaire de la modernité à la question du sens : elle ne peut se contenter des sous-produits de la raison constitués par les performances techniques (discours de Ratisbonne du 12 septembre 2006) ;
- la place exacte de l’homme (anthropologie) dans l’univers (cosmologie) : pour une écologie environnementale et humaine qui redécouvre la loi morale naturelle (dans la ligne de ses sermons de carême publiés chez Fayard sous le titre « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ») ;
- des développements originaux sur l’eschatologie (dans l’encyclique Spe salvi) ;
- les excès de l’exégèse historico-critique (dans le 1er tome de son œuvre « Jésus de Nazareth »)
- le patient racommodage, enfin, de la tunique déchirée du Christ, entrepris au sein de l’Église et avec les communautés qui en sont séparées.
Jean-Paul SCHYNS
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(1) Acceptée non sans controverse en 1957, cette thèse portait sur le concept de révélation chez saint Bonaventure.
(2) En 1953, sur le concept d’Église chez saint Augustin.