Sermon sur l'Espérance (*)
in Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n° 111 (été 2019)
En ces temps difficiles que traverse la foi chrétienne, notre regard se tourne résolument, avec cette méditation de l’abbé Charles Grégoire, vers la dimension eschatologique de l’une des trois grandes vertus théologales : l’Espérance. « Spe salvi facti sumus » disait saint Paul aux Romains (Rm. 8, 24) :
A vrai dire, qu’est-ce que l’espérance ? On l’a définie parfois comme une longue attente avec un grand désir. J’ajouterai : avec le grand désir d’un bonheur. Ainsi, durant une guerre, on espère la libération, la victoire, la paix. Et cet exemple nous montre que l’espérance n’est pas seulement l’attente passive d’un événement auquel nous ne pouvons rien, mais qu’elle peut être aussi le moteur d’une action, voire du don de nous-mêmes.
Mais l’espérance de saint Paul, en quoi consiste-t-elle ?
Essentiellement dans l’attente et même l’impatience du retour du Christ.
Paul avait vu Jésus ressuscité, il connaissait ses paroles sur son retour, celles-là mêmes que les évangiles ont largement transmises, et il attendait, il espérait ce retour pour très bientôt. Il pensait voir de ses yeux de chair, alors qu’il serait encore en vie, Jésus venant sur les nuées, avec les anges sonnant de la trompette (I Cor.), selon le vieux symbolisme juif des manifestations de Dieu.
En avançant dans la vie, saint Paul s’est peu à peu rendu compte que Jésus ne viendrait pas aussi vite qu’il l’avait cru d’abord, et son espérance s’est portée de plus en plus, comme en témoignent ses dernières épîtres, sur la rencontre qu’il ferait avec le Christ à travers la mort : « Pour moi, dit-il, vivre c’est le Christ et la mort m’est un gain. »
Pouvons-nous mettre notre espérance dans notre mort ?
Notre mort peut-elle être pour nous l’objet de cette longue attente dans un grand désir de bonheur ?
Lorsque nous étions enfants et que nous allions au catéchisme, on nous a appris que c’était péché que de désirer sa propre mort. Mais autre chose est le désir de la mort par désespoir, autre chose – et son opposé – l’espérance du face à face avec Dieu dans l’amour, cette espérance qui devrait tellement apaiser notre crainte devant le mystère de la mort.
Oui, nous devrions souvent prier pour qu’à l’heure de notre mort, en chacun de nous l’espérance soit plus forte que l’angoisse : Jésus lui-même nous en a donné l’exemple au jardin des Oliviers.
En réalité, que ce soit dans les perspectives du retour final du Christ, ou dans sa méditation sur sa propre mort, saint Paul a toujours espéré la rencontre plénière avec la personne même de son bien-aimé Seigneur Jésus-Christ. Et il savait très bien que cette rencontre s’accomplit chaque jour dans la foi et dans l’amour.
C’est là que, le plus concrètement peut-être, nous pouvons rejoindre l’espérance du grand apôtre.
Depuis notre baptême, nous avons rencontré le Christ. Par son Esprit-Saint il vit en nous. Nous avons accueilli sa parole dans l’Evangile, nous nous sommes nourris de son corps, nous avons reçu son pardon, nous avons voulu l’aimer et le servir, en aimant et en servant nos proches, nos parents, nos amis, nos frères...
Et cependant, lequel d’entre nous oserait-il dire qu’il n’a jamais été lassé ou routinier, ou indifférent, ou déçu ?
Toujours nous sommes en dessous de ce que le Christ attend de nous : nous le reconnaissons en confessant que nous sommes des pécheurs. Nous pouvons en être désolés. Nous pouvons aussi n’y plus penser, ou nous en accommoder. Dans les deux cas, cela revient à vivre sans espérance.
Et ce qu’aujourd’hui saint Paul, et l’Eglise, et le Christ nous disent, c’est que nous pouvons nous reprendre, nous sommes capables d’aller plus loin, il est possible de ne pas nous lasser, de ne pas nous habituer ni nous blaser.
L’espérance est un don que Dieu nous offre pour nous mener à la plénitude du Christ.
Et un don offert, cela s’accueille avec un cœur simple. D’ailleurs, lorsqu’il parle d’espérance aux chrétiens de Rome, l’Apôtre, leur parle en même temps de choses apparemment très ordinaires : la persévérance, la bonne entente, l’accueil des uns et des autres.
Les oraisons liturgiques du temps de l’Avent sont là qui nous encouragent : Seigneur, disent-elles, réveillez nos cœurs, illuminez nos intelligences, venez à notre secours !
Mes amis, notre espérance est tournée vers le retour du Seigneur, elle est tendue vers la rencontre définitive et totale avec le Christ.
Mais nous espérons, en même temps, que Dieu nous rende capables de vivre aujourd’hui selon sa volonté, dans sa grâce, dans la foi, dans la charité, à l’écoute de l’Esprit-Saint.
Une longue attente, dans un grand désir, pour un grand bonheur.
L’attente de chaque heure de notre vie, dans un grand désir qui fait que nous ne nous découragerons jamais, car à chacun de nous, comme à l’apôtre Paul, Jésus dit : « Ma grâce te suffit, c’est dans ta faiblesse que je peux déployer ma force. »
Pour un grand bonheur. Le bonheur même de Dieu et de tous ses enfants réunis avec lui dans l’amour. Amen.
† Charles Grégoire
(*) Extrait du Recueil des Sermons de l’abbé Charles Grégoire prononcés lors des messes qu’il célébrait dans l’une ou l’autre des deux formes du rite romain, à Liège (église du Saint-Sacrement), à Verviers (Chapelle Saint-Lambert) ainsi qu’à Plainevaux (reproduction d’après les manuscrits autographes). L’abbé Charles Grégoire, né à Huy le 21 janvier 1923, ordonné prêtre à Liège le 29 juin 1947, étudiant à l’U.C.L. (1947), professeur au collège patronné à Eupen (1948), chapelain à la cathédrale de Liège (1949), professeur au collège Saint-Barthélemy à Liège (1951), détaché à la commission d’homologation, professeur émérite (1988), est décédé à Liège le 7 août 1991.