Abus sexuels dans l’Eglise : le cléricalisme, voilà l’ennemi ?
in "Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle", n° 111 (été 2019)
La « Libre Belgique » du 9 juillet 2019 consacre une double page à un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Bayard : « L’Eglise catholique face aux abus sexuels sur mineurs » (Bayard 2019, 720 pages, env. 24,9 euros). L’auteure de ce livre, Marie-Jo Thiel, médecin et théologienne, est professeur d’éthique à l’Université de Strasbourg. En 2017, le pape François l’a aussi nommée membre de l’Académie pontificale pour la Vie dont il a modifié la composition et confié la présidence à Mgr Vincenzo Paglia.
Dans l’interview qu’elle accorde à « La Libre », la professeure Thiel souscrit à la thèse du pontife régnant pour qui les abus sexuels des clercs seraient principalement dus à une cause « structurelle » : le cléricalisme, instituant dans l’Eglise une mauvaise relation entre prêtres dominateurs et fidèles asservis. Selon la nouvelle académicienne pontificale, cette relation perverse serait due à la contre-réforme tridentine : « la formation psychosexuelle [des séminaristes] était très insuffisante ; était promue aussi une image singulière du prêtre dans la mouvance du concile de Trente, au XVIe siècle. Considéré comme un ‘autre Christ’, le clerc était mis à part, ‘sacralisé’ dans une perfection supérieure à celle du laïc, ce qui pouvait engendrer un entre-soi problématique ».
On ne s’étonnera donc pas de la « surprise » exprimée par Mme Thiel à la lecture du texte publié en avril dernier par Benoît XVI, expliquant que la source fondamentale des abus avait une origine moins lointaine : il s’agit du relativisme moral actuel de nos sociétés depuis les années 1960, comme on le lira dans la recension des notes du pape émérite, à paraître dans le prochain n° de notre magazine.
Il est vrai que, dans sa «Lettre au peuple de Dieu » du 20 août 2018, le pape François attribue les abus sexuels ecclésiastiques au « cléricalisme », qualifiant ainsi, sans autre précision, un abus de pouvoir qu’il a raison de souligner. Mais, d’un point de vue sémantique, on peut regretter, avec l’abbé Christian Gouyaud (1), de voir assumée dans le discours pontifical une expression ambiguë, historiquement connotée dans un autre contexte et assénée à tout propos par les adversaires de l’Église: « Le cléricalisme, voilà l’ennemi! » : elle est parfaitement relayée, encore aujourd’hui, par les laïcards de tous poils dénonçant, à tort et à travers, l’ingérence de l’Église dans les questions sociétales.
Enfin, émanant d’une théologienne membre d’une académie pontificale, la mise en cause de la sacralisation du prêtre surprend d’autant plus que l’argument est facile à retourner : « N’est-ce pas par défaut de sens du sacré de l’homme – et de l’enfant, en l’occurrence – qu’on le réduit à un objet de concupiscence et à un moyen d’assouvir sa pulsion ? Même si ces crimes ont été encore récemment commis, il faut dire que la plupart d’entre eux – connus – relèvent aussi d’une époque où le prêtre a justement été désacralisé. On évoque aussi, comme remède, la promotion du laïcat, mais une telle promotion, justement fondée sur le sacerdoce baptismal, ne s’est-elle pas, hélas, bien souvent opérée pratiquement en termes de prise de pouvoir et de cléricalisation des laïcs ? Quant au comportement clérical, ne pourrait-on pas complètement s’en affranchir en acceptant de répondre simplement aux doutes soulevés courageusement à propos d’une inflexion possible de la doctrine ? » (2)
JPS
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(1)(2) Extrait de La faute au « cléricalisme » ? par l’Abbé Christian Gouyaud, membre de l’association sacerdotale « Totus tuus », article publié dans « La Nef », n° 309, décembre 2018.