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Transfiguration et Crucifixion

transfiguration-Fra-Angelico.jpgSix jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et les emmène, à l’écart, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. » Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu’une voix disait de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le. » À cette voix, les disciples tombèrent sur leurs faces, tout effrayés. Mais Jésus, s’approchant, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et n’ayez pas peur. » Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul. Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez à personne de cette vision, avant que le Fils de l’homme ne ressuscite d’entre les morts. » (Mt 17, 1-8)

La lumière qui resplendit du sommet de la haute montagne de la Transfiguration projette déjà l’ombre terrible de Gethsémani et du Calvaire. Une lecture parallèle des passages concernés révèle des correspondances étonnantes entre les deux événements, l’un glorieux, l’autre tragique.

Une semaine environ avant l’escalade inoubliable vers le sommet de la « montagne sainte » (2P 1, 18) où il vit Jésus se révéler dans sa splendeur divine, Pierre déclarait : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).

Mais quelques heures avant la crucifixion du Maître sur le mont du Crâne, le chef des apôtres s’exclamait avec véhémence : « Je ne connais pas cet homme » (Mt 26, 37).

Aussitôt après la déclaration de Pierre sur la divinité de Jésus, celui-ci plante la croix au milieu du chemin de la rédemption par ces mots : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se charge de sa croix » (Mt 16, 24). Le ton est donné ; les disciples, qui prennent ensuite la route de la « haute montagne », ne se doutent pas qu’ils progressent déjà sur le chemin du Golgotha.

« Prenant avec lui, à l’écart, Pierre, Jacques et Jean » (Mt 17, 1), Jésus se laisse voir dans sa gloire divine sur le Mont Thabor.

« Prenant avec lui Pierre, Jacques et Jean », Jésus commence à ressentir douleur et effroi (Mc 14, 33) dans le jardin de Gethsémani. Ces témoins privilégiés dorment ou s’assoupissent, plongés dans ce mystérieux sommeil qui saisit les hommes aux moments importants de l’agir divin (cf. la torpeur que Dieu fit tomber sur Adam, tandis que le Créateur prélevait une côte et refermait la chair (Gn 2, 21). Cette torpeur ressemble à une anesthésie du vouloir humain afin que le scalpel de l’Esprit puisse procéder sans entrave à la chirurgie divine.

 « Son visage resplendit comme le soleil » (Mt 17, 2), entouré de Moïse et d’Élie, tandis que ses trois disciples, « accablés de sommeil » (Lc 9, 32) se réveillent de leur mystérieuse torpeur, le temps de contempler la révélation de la gloire du Fils.

Au jardin des Oliviers, les mêmes disciples sont en train de dormir, tandis que Jésus, la face contre terre, est plongé dans la plus effrayante solitude.

À la place de Moïse et d’Élie sur la montagne sainte, ce sont deux brigands qui entourent Jésus au Calvaire, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche (Mt 27, 38).

La Loi (Moïse) et les prophètes (Élie) conversent avec Jésus dans la gloire.

Le désordre et le mensonge s’acharnent sur Jésus en croix : « Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l’outrageaient » (Mc 15, 32). Que se passe-t-il dans le cœur du « bon larron » pour qu’il prononce soudain ces paroles qui récapitulent la Loi et les prophètes : « Tu n’as même pas crainte de Dieu, alors que tu subis la même peine [que Dieu] ! Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes ; mais lui n’a rien fait de mal… Jésus, souviens-toi de moi lorsque tu viendras avec ton royaume. » (Lc 23, 40-43) Ces quelques mots contiennent l’esprit de la Loi (crainte de Dieu, justice, rétribution finale des justes, reconnaissance de la divinité de Jésus) et l’esprit de prophétie (« quand tu viendras avec ton royaume). Le bon larron applique à la lettre les premières paroles de la prédication de Jésus : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1, 15). Sur la sainte montagne, Moïse et Élie disparaissent et Jésus reste seul ; au calvaire, le brigand repenti meurt et Jésus l’emporte avec lui au paradis.

Et de quoi s’entretiennent donc Jésus, Moïse et Élie ? Non pas de la gloire divine qui les enveloppe et projette autour d’elle merveille et effroi ; ils parlent avec Jésus de « son départ qu’il allait accomplir à Jérusalem » (Lc 99, 31), c’est-à-dire de sa Passion et de sa Crucifixion… La croix sanglante émerge déjà dans la gloire de la

Transfiguration qui anticipe celle de la Résurrection. La gloire est dans la croix ; la croix est déjà glorieuse : « Le Fils de l’homme a été glorifié [sur la croix] et Dieu a été glorifié en lui » (Jn 13, 31).

Poursuivons notre brève lecture parallèle.

Alors que la gloire du ciel se répand sur la scène de la Transfiguration, « l’obscurité se fit sur toute la terre » (Mt 27 45) pendant que le Messie est attaché à la croix.

Deux frères, Jacques et Jean, assistent à la Transfiguration ; deux sœurs assistent à la Crucifixion : « Sa mère et la sœur de sa mère » (Jn 19, 25). Les hommes accompagnent la gloire, les femmes partagent la déréliction…

Pierre s’enflamme, hors de lui : « Faisons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Élie » (Mc 9, 5). Il veut figer le temps, le suspendre, arrêter le cours de l’histoire sainte, faire l’économie de la souffrance.

Au calvaire, Jean reste en silence au pied de la croix ; il n’a envie de dresser aucune tente, il va plutôt recevoir en sa tente, à la demande du Supplicié, celle qui préfigure l’Église : « Jésus donc, voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : ‘Femme, voici ton fils’. Puis il dit au disciple : ‘Voici ta mère’. Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui » (Jn 19, 26-27). 

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Si le Verbe s’est fait chair et a « planté sa tente parmi nous » (Jn 1, 14), il ne veut pas se laisser enfermer dans les tentes humaines ; il veut plutôt demeurer en nous d’une manière spirituelle : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui » (Jn 14, 23). Cette parole se réalise déjà au pied de la croix, quand Jésus confie sa mère à Jean, le disciple bien-aimé : « Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui » (Jn 19, 27). Jean garde la Vierge Marie comme celui qui aime Jésus garde sa Parole. Ainsi par la présence de sa sainte Mère et selon la promesse du Christ, l’Église a la certitude qu’en elle demeure - comme en chacun de nous,-le Père, le Fils et le Saint-Esprit, dans la gloire comme dans la croix.

Pierre René Mélon

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