Rogier Van der Weyden: les sept sacrements (détail)
Cet article a été publié dans le n° 83 -2me trimestre 2012 de la Revue trimestrielle Vérité et Espérance/Pâque Nouvelle éditée par l’association « Sursum Corda » (Rue Vinâve d’île, 20 bte 64 à B-4000 Liège) e-mail : sursumcorda@skynet.be
Imaginons un peu ceci. Une de vos connaissances tombe malade ; au fil des jours, la situation s’aggrave, mais personne, ni le malade ni son entourage, ne songe à appeler le médecin. Finalement, après des semaines de souffrances, le malade perd conscience, et on se rend compte qu’il va vraisemblablement mourir. Ensuite seulement, lorsque le patient ne peut plus s’exprimer, quelqu’un pose la question : peut-être faudrait-il appeler un médecin. Le malade le voudra-t-il ? S’il pouvait s’exprimer, est-ce qu’il le demanderait, avant de mourir ? Personne ne le sait vraiment, mais après tout, on se dit qu’il croyait dans la science, et que de toute façon, cela ne peut pas faire de tort. Donc, décision est prise d’appeler un médecin. Lorsque celui-ci arrive, il ne peut que constater que le patient vit ses derniers moments, et la famille lui demande de donner une piqûre (contre la douleur ou on ne sait pas très bien quoi), ou de « faire ce que vous faites d’habitude ». Le médecin demande alors pourquoi on ne l’a pas appelé plus tôt. On lui répond qu’on n’a pas voulu faire peur au malade, et que de toute façon, même maintenant, le secours de la médecine, cela ne peut pas faire de tort…
Une situation absurde ? Oui, quand on parle de maladie physique et de médecine. Et pourtant, c’est ce que l’on vit très souvent dans la pastorale des malades, plus précisément quand il s’agit de l’Onction des malades. L’âme mérite-t-elle moins d’attention, de soins, que le corps ? Il faut reconnaître, à décharge des catholiques d’aujourd’hui, que l’on en a fait au fil des siècles l’Extrême-onction, un rite réservé aux mourants. Dès lors, pas étonnant que le fait de proposer ce sacrement évoque parfois une peur, ou des réactions du genre Je n’en suis pas encore là… Mais d’un autre côté, il y a bientôt cinquante ans que le Concile Vatican II a voulu redonner à ce sacrement sa vraie place, et on peut s’étonner que le message passe si difficilement, alors que d’autres réformes conciliaires sont entrées dans les mœurs depuis bien longtemps. Il serait peut-être temps qu’on s’interroge sur l’origine de ce sacrement pour en redécouvrir le vrais sens…
Retour à l’Écriture Sainte.
Tous les sacrements ont leur fondement dans le mystère du Christ, dans ses paroles et ses gestes, dans sa mort et sa Résurrection. Quant à son attitude envers les malades, de nombreux passages de l’Évangile témoignent de la compassion de Jésus à leur égard. Les Évangiles rapportent de nombreuses guérisons : certaines se font par une simple parole (Va – ta foi t’a guéri), d’autres, en touchant le malade, en lui imposant les mains, voire en lui mettant de la boue sur les yeux avant de l’envoyer se laver… Certaines personnes ont même été guéries « à distance », sur simple demande d’un proche (la fille de la femme syro-phénicienne et le fils du centurion). Fait signifiant : Jésus ne semble pas faire de distinction entre la guérison du corps et celle de l’âme. Au paralytique que quatre hommes font passer par une ouverture faite dans le toit, il dira : Tes péchés te sont remis (cf. Lc 5,20). Mais il ne faut pas en tirer des conclusions hâtives. Aux disciples qui supposent qu’un tel est né aveugle à cause de ses péchés ou de ceux de ses parents, Jésus leur montre que leur raisonnement est faux. Il connaît le cœur des hommes, et ce n’est pas à nous de les juger ! Dans d’autres cas, Jésus guérit en chassant un démon : l’homme est engagé dans un combat spirituel qui, bien souvent, affecte sa santé physique aussi bien que spirituelle. Et Jésus n’hésite pas à se comparer au médecin (cf. Lc 5,31). Marc nous rapporte également qu’à Nazareth, il ne pouvait pas faire beaucoup de miracles, juste quelques guérisons, à cause du manque de foi des gens (cf. Mc 6,1-6) : c’est que l’action de Dieu à notre égard dépend également de notre accueil, de notre disposition intérieure.
Bref : l’attention que Jésus accorde aux malades, sa manière de les rejoindre au plus profond d’eux-mêmes, dépend de chacun d’entre eux, de sa situation, de sa foi, de son cœur que Lui seul connaît. D’où l’importance, dans toute relation pastorale, de connaître la personne, en l’occurrence le malade, de se mettre à son écoute avant de discerner son véritable besoin (à moins de pouvoir lire directement dans les âmes…). Une tâche bien difficile lorsque le prêtre est appelé en dernière minute auprès d’un mourant qu’il rencontre pour la première fois et qui ne peut plus s’exprimer…
De Jésus aux Apôtres
Jésus savait que son passage sur terre serait de courte durée. Dès le début de son ministère public, il rassemble autour de lui des disciples dont douze porteront le nom d’Apôtres. Il les associe à son ministère et les envoie en mission : ils prêchèrent qu'on se repentît ; et ils chassaient beaucoup de démons et faisaient des onctions d'huile à de nombreux infirmes et les guérissaient (Mc 6,12-13). Ensuite, après sa résurrection, il renouvelle cet envoi (Mc 16,15-18). En lisant ces deux passages où il est question de la guérison des malades, on retrouve les deux gestes qui font partie de l’onction des malades : l’onction d’huile (Mc 6,13) et l’imposition des mains (Mc 16,18). On retrouve par ailleurs une autre allusion très claire à ce sacrement dans la lettre de saint Jacques :
Quelqu'un parmi vous souffre-t-il ? Qu'il prie. Quelqu'un est-il joyeux ? Qu'il entonne un cantique. Quelqu'un parmi vous est-il malade ? Qu'il appelle les presbytres de l'Eglise et qu'ils prient sur lui après l'avoir oint d'huile au nom du Seigneur. La prière de la foi sauvera le malade et le Seigneur le relèvera. S'il a commis des péchés, ils lui seront remis. Confessez donc vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. La supplication fervente du juste a beaucoup de puissance. (Jc 5,13-16).
Bien qu’on ignore sous quelle forme la confession des péchés avait lieu parmi les premiers chrétiens, il est certes significatif que cette pratique soit mentionnée dans le contexte de l’onction des malades. C’est en parfaite cohérence avec l’attitude du Christ : il soigne l’homme entier, le corps et l’âme. Toutefois, quand saint Jacques dit que la prière de la foi sauvera le malade et que le Seigneur le relèvera, il ne faut pas en conclure que l’onction produira toujours une guérison physique instantanée. Les mots sauver et relever peuvent très bien s’entendre dans le sens spirituel : la prière, la réconciliation et le réconfort que reçoit le malade lui donnent une force pour lutter dans l’épreuve de la maladie.
L’évolution ultérieure de la pratique
Au fil des siècles, l’Onction des malades est souvent mentionnée dans les textes théologiques et liturgiques, aussi bien en Orient qu’en Occident. Le rite était à certaines époques complexe, avec des onctions sur différentes parties du corps, notamment sur les organes des sens. Cependant, au fil des siècles, on en est arrivé à limiter ce sacrement aux mourants, à en faire l’Extrème-Onction. Le Concile Vatican II, qui a demandé que l’Ecriture Sainte soit l’âme de la théologie, a souhaité redonner à ce sacrement sa vraie signification, celle qu’elle avait à l’origine. C’est dans ce sens que la Constitution sur la liturgie précise que l’Onction des malades n'est pas seulement le sacrement de ceux qui se trouvent à toute extrémité. Aussi, le temps opportun pour le recevoir est déjà certainement arrivé lorsque le fidèle commence à être en danger de mort par suite d'affaiblissement physique ou de vieillesse (Sacrosanctum Concilium, n°73).
L’expression « est déjà certainement arrivé » ne signifie pas qu’il faut attendre le moment précisé, mais qu’il est grand temps d’agir quand le fidèle commence à être en danger de mort. Autrement dit : l’idéal, c’est d’y penser avant… Il n’est pas dit non plus qu’il faut limiter le recours à ce sacrement aux situations de danger de mort. Le Pape Paul VI, dans un document de 1972 consacré au renouvellement de la pratique de l’onction des malades, préfère parler de personnes dangereusement malades. Cette expression ne vise pas seulement le danger de mort, mais toute forme de danger qui peut résulter d’une maladie : risque d’un handicap, épreuve psychologique susceptible d’entraîner des séquelles graves… Toutefois, il faut éviter aussi toute banalisation de ce sacrement : il s’agit bien d’un sacrement pour les personnes malades (physiquement ou psychologiquement). Ainsi, vouloir donner ce sacrement à tout croyant pour la raison que nous sommes tous « spirituellement malades » serait un abus. Le fait de célébrer l’Onction des malades en présence de leurs proches, voir de toute la communauté est certes une bonne pratique. Mais cela ne justifie pas de donner ce sacrement à des personnes qui sont en bonne santé pour la simple raison qu’elles accompagnent un malade, étant éprouvées par la situation. Il n’empêche que pour les proches qui ne sont ni atteints par la maladie ni par la vieillesse, d’autres prières ou rites (comme l’imposition des mains) peuvent être bénéfiques. Si la grâce de Dieu passe par les sacrements, elle n’est pas limitée à ceux-ci. Reste la question : faut-il donner le sacrement à un mourant qui n’est plus conscient, qui ne sait plus s’exprimer ? Pour répondre à cette question, il faut envisager différentes situations ; mais avant cela, il convient de rappeler les effets du sacrement.
Les effets de l’Onction des malades
Le Catéchisme de l’Église Catholique énumère en quatre points les effets de l’onction des malades ; on ne peut que recommander la lecture entière de ces paragraphes (n° 1520-1523).
1. Un don particulier de l’Esprit Saint, la grâce du réconfort et de la paix qui aide le malade dans la lutte contre la maladie et les tentations (découragement, angoisse…) qu’elle peut entraîner.
2. L’union à la passion du Christ : le croyant qui, dans son épreuve, s’unit au Christ souffrant donne un sens nouveau à sa souffrance ; elle devient participation à l’œuvre salvifique du Christ, à son amour qui nous sauve.
3. Une grâce « ecclésiale » : dans la célébration du sacrement, c’est l’Église tout entière qui prie pour le malade ; et lui, en s’associant librement à la passion du Christ, à son œuvre d’amour, apporte sa part pour le bien du Peuple de Dieu.
4. Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec lui… (Rm 6,8). Pour ceux qui approchent la mort, le sacrement des malades est une aide à mourir dans le Christ, à s’unir à Lui dans la dernière étape de leur cheminement terrestre qui les conduits vers la Résurrection.
Il faut toutefois éviter d’agir comme si le sacrement produirait ses effets d’une façon machinale, sans la participation de celui qui le reçoit. Comme le montre l’expérience du Christ à Nazareth, il n’agit pas sans notre foi ! Or, dans les moments d’épreuves, la foi peut prendre différents chemins : certains peuvent éprouver des doutes, voire se révolter, se demandant pourquoi Dieu « permet » une souffrance pareille. D’autres commencent à réfléchir, à se poser des questions, à être douloureusement confrontés à des moments obscurs de leur vie et à éprouver le besoin d’être réconciliés… Pour toutes ces raisons, il est bon que le malade, s’il est croyant catholique, puisse avoir un entretien avec le prêtre, recevoir le sacrement du pardon si sa situation le suggère et surtout la communion eucharistique. Il faut donc à tout prix éviter de postposer la célébration des sacrements jusqu’au moment de la mort. D’autre part, il se peut que la personne éprouve une difficulté à le demander, étant donné l’idée d’Extrème-onction qui habite beaucoup d’esprits. Dans ce cas, il est bon de lui en parler avec prudence, en partant de sa foi à lui, de ses convictions personnelles, en proposant le passage du prêtre pour prier ou pour parler. N’oublions pas que la grâce de Dieu peut également agir à travers la rencontre et le dialogue qui précèdent la célébration des sacrements.
On touche ici à un point délicat : beaucoup de personnes se disent « croyants », mais sans nécessairement partager la foi catholique. D’autres se sont éloignées de l’Église ; certaines souhaitent, au moment de l’épreuve, s’en rapprocher, d’autres pas. Dans tous les cas, il faut respecter le choix de la personne. On évitera donc de demander le sacrement pour quelqu’un qui ne peut plus s’exprimer, si, étant conscient, il l’a refusé (à moins qu’il n’ait changé d’avis dans la suite). Il est toujours bon que le prêtre puisse s’entretenir avec le malade avant de célébrer le sacrement.
Restent les situations imprévisibles (accident, AVC…). Lorsqu’il est impossible de demander l’avis du malade, les plus proches doivent juger, en fonction de ses convictions à lui (et non des leurs), si la personne souhaiterait recevoir l’onction des malades. Si on ne peut la refuser à une personne en toute fin de vie et déjà inconsciente (car nous ne savons pas par quel moyen Dieu peut toucher le cœur de la personne), il faut toutefois éviter, dans le cas d’une maladie, d’en arriver là. Autrement dit : les personnes qui entourent un patient gravement malade (membres de la famille, personnel soignant) ont le devoir de faire leur possible pour qu’il soit informé à temps et puisse lui-même formuler la demande.
Conclusion
Comme dans tous les sacrements, c’est le Christ mort et ressuscité qui agit à travers l’onction des malades pour se rendre présent à celui qui souffre, pour le toucher par sa grâce et pour le réconforter dans sa lutte contre la maladie. Pour cette raison, il est bon qu’une personne malade puisse recevoir l’onction dès que possible, tout en respectant le fait que parfois, l’idée doit faire son chemin. Même si on ne peut refuser le sacrement à une personne inconsciente, si celle-ci l’aurait souhaité, ce genre de situation doit être exceptionnel et imprévisible. Si la grâce de Dieu passe à travers les paroles et les gestes du sacrement, on ne peut négliger le contact pastoral qui prépare la personne à mieux accueillir cette grâce. D’autre part, si les sacrements destinés aux malades sont une source de réconfort, pourquoi ceux qui sont dans l’épreuve devraient-ils attendre à rencontrer le Christ qui les aide à porter leur fardeau ?
Abbé Bruno Jacobs
Commentaires
Bonjour,
2 petites questions :
* Est-ce qu'un prêtre a le "droit" de refuser de donner le sacrement des malades à quelqu'un qui le lui demande ? Et éventuellement dans quelles mesures ?
* Les informations données ci-dessus parlent de maladies physiques. Qu'en est il des maladies qui "ne se voient pas" : Est-ce que par exemple, une personne en forte dépression (bien que pas forcément diagnostiquée), ou bien une personne en grande détresse émotionnelle ?
Merci d'avance pour votre retour avisé et pour la confidentialité de cet échange.
Cordialement.
Vincent
En principe, le prêtre ne refuse pas le sacrement, sous cette réserve que la personne administrée doit être consciente et avoir la foi