SERMON POUR LA SOLENNITÉ DE LA FÊTE-DIEU
prononcé en l’église du Saint-Sacrement à Liège le 25 juin 2011
par
Monsieur l’abbé Jean-Pierre HERMAN
Chapelain aux sanctuaires de Beauraing
Mercredi dernier, lors de l’audience publique qu’il donnait place Saint-Pierre à Rome, le Saint-Père Benoît XVI a présenté l’eucharistie comme le trésor le plus important, le plus précieux que puisse receler l’humanité et dont, fit-il remarquer, beaucoup de contemporains ignorent la présence à l’intérieur même de ce monde.
Impasse ou chemin d’éternité ? (*)
Pourquoi qualifier l’eucharistie de « trésor précieux » pas seulement pour l’Église mais aussi et surtout pour l’humanité toute entière ? Ceci nous renvoie à la conception de la vie : ou bien nous considérons celle-ci comme une espèce d’élément matériel, créé à un moment donné, puis qui s’étiole et disparaît, un ensemble de jours, de mois, de semaines, d’années à aménager le mieux possible jusqu’à l’adieu définitif, la fin inexorable avant le départ pour le néant ; ou bien alors nous regardons la sainte Écriture, nous y découvrons pourquoi et pour qui l’être humain est fait : il est créé par un Dieu qui lui a donné la vie, un Dieu qui a insufflé en lui sa propre grâce, qui lui a donné aussi et surtout la faculté de penser et d’agir, en toute liberté, pour suivre le véritable chemin qui le rendra épanoui et heureux : le chemin de la vie en Dieu.
C’est un chemin dont l’homme s’éloignera très souvent durant l’histoire du salut. Et c’est pourquoi Dieu, nous dit l’Évangile, envoie son propre Fils, né d’une femme sujette de la Loi, pour racheter les sujets de la Loi. Dans l’accomplissement du mystère pascal –mort et résurrection- le Seigneur Jésus va donner sa vie et puis la reprendre, afin de nous assurer le chemin qui mène à Lui. En ayant vaincu la mort dans sa résurrection, le Christ a ouvert un chemin non pas seulement pour lui mais pour chacun d’entre nous, si nous le suivons et si, dans notre vie, nous accomplissons sa volonté. Or, ce chemin qu’il inaugure, ce chemin qu’il nous montre nous garantit un avenir. Il garantit que notre vie, si nous le voulons, n’est pas un simple amas de jours, de semaines et de mois mais bien davantage : l’être humain, l’homme créé à l’image de Dieu a un avenir dans son Dieu et à ce titre il est appelé à vivre éternellement.
Entre deux naissances : le viatique
Lorsque je célèbre des baptêmes ou des funérailles, je dis généralement à ceux qui y assistent qu’il y a deux moments importants dans la vie du chrétien : le moment du baptême, le moment précis où nous devenons enfants de Dieu et le moment de la mort, le moment où ce Dieu qui nous a donné la vie, nous allons le rencontrons chez Lui. L’entre-deux est fait pour nous préparer à ce dernier moment.
Avant de quitter ses apôtres, avant d’aller vers l’accomplissement de sa pâque, de son « passage », Notre Seigneur a voulu laisser à ceux-ci le trésor le plus précieux qui soit afin de ne pas les laisser seuls. Il a offert son Corps et son Sang en nourriture, avec le commandement donné à l’Église - à travers ses apôtres qui assistaient avec Lui au repas de la dernière Cène - de perpétuer cette mémoire, ce mémorial de sa passion et de sa résurrection, jusqu’à ce qu’Il revienne. C’est cela que nous commémorons chaque fois que nous célébrons la sainte messe et c’est cela que nous fêtons particulièrement lorsque nous célébrons la Fête-Dieu, la fête du Corps et du Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Le sens de la Fête-Dieu
Bien sûr, on pourrait s’étendre sur l’histoire de cette fête, sur le glorieux passé liégeois qu’elle peut avoir, sur le fait que c’est à Liège qu’elle a été célébrée pour la première fois solennellement et que c’est un pape qui avait eu des fonctions à Liège qui l’a instaurée d’abord pour nos régions et qui a demandé à son successeur de l’étendre à toute l’Église. Mais nous ne sommes pas ici nécessairement pour faire de l’histoire, si intéressante soit-elle, nous sommes ici surtout pour comprendre le sens de ce que nous accomplissons aujourd’hui, le sens de l’apport de la célébration de cette messe remarquable et de la pérégrination que nous allons accomplit bientôt dans la cité humaine, pour que Notre Seigneur soit aussi adoré par ceux du dehors.
Lorsque nous célébrons la Fête-Dieu, nous en redisons les textes admirables composés par saint Thomas d’Aquin et nous pourrions nous étaler en commentaires sur chacun d’eux parce qu’ aucun office n’a jamais été mieux réfléchi, mieux préparé, mieux composé. Pourtant, dans l’office de cette fête, il y a un élément particulier, caractéristique de ce que nous faisons lorsque nous célébrons la Fête-Dieu. C’est l’antienne du Magnificat des deuxièmes vêpres : « O sacrum convivium, in quo Christus sumitur : recolitur memoria passionis eius, mens impletur gratia et futurae gloriae nobis pignus datur » O banquet sacré où le Christ est reçu en nourriture : on y fait mémoire de sa passion, l’esprit est rempli de grâce et déjà nous sont données les prémices de la gloire future. Doit-on expliquer cela ? Ce sont des paroles qui, d’elles-mêmes, nous touchent au cœur, ce sont des paroles qui sont là, simplement, pour nous faire comprendre immédiatement ce que nous accomplissons : un banquet sacré, qui nous a été donné par le Seigneur Lui-même, le soir de la dernière Cène, banquet sacré où il est reçu en nourriture, non pas d’une manière banale, d’une manière symbolique ou historique car, tout au long des temps, jusqu’à leur accomplissement, celui qui Le reçoit communie réellement au Corps et au Sang du Christ et, par là, il se tourne vers le moment où Jésus a accompli le mystère pascal. La memoria passionis, la mémoire, la commémoration de Sa passion est accomplie. Et vient alors la conclusion logique : mens impletur gratia, l’esprit est rempli de grâce. C’est le sommet de la fête d’aujourd’hui. Lorsque nous célébrons la fête du Corps et du Sang du Seigneur, nous ne pouvons pas faire autrement que de ressentir en nous cette grâce, cette joie immense de Le recevoir et de Le contempler. Lorsque nous sommes réunis pour célébrer l’eucharistie, futurae gloriae pignus, que ce soit la plus discrète des messes basses dans une église presque déserte, que ce soit dans un magnifique rassemblement comme aujourd’hui ou dans celui de milliers de prêtres, comme l’an dernier sur la place Saint-Pierre à l’occasion de la clôture de l’année sacerdotale, oui, chaque fois que nous ne sommes plus réunis comme une foule humaine ou quelques personnes accomplissant je ne sais quelle dévotion, nous sommes là pour signifier ce que sera l’avenir et l’avenir c’est le peuple, le nouveau peuple choisi, tous ceux qui ont été rachetés par le Christ et qui, pour l’éternité, seront réunis autour de Lui pour chanter ses louanges.
« Mon Seigneur et mon Dieu » (Saint Jean, 20, 24-29)
On a parfois tendance à tellement banaliser la célébration de la messe, à communier n’importe comment, à inventer des prières eucharistiques, souvent très terre à terre, qu’on a l’impression que c’est aujourd’hui tout ce que l’Église propose. La réflexion sur le sens de l’eucharistie s’est développée aux XIIIe et au XIVe siècle, en réponse aux écrits de Bérenger de Tours (XIe s.), lequel niait la présence réelle, corporelle, presque matérielle du Christ dans l’eucharistie. On se dit alors que l’histoire est un éternel recommencement et que, souvent, ceux qui veulent inventer ou faire œuvre originale ne font, ma foi, que reprendre des choses déjà dites avant eux. Que faut-il faire après cela ? Ne jamais réagir sous forme polémique, ne jamais se présenter comme si nous avions la science que d’autres n’ont pas mais simplement offrir au monde le témoignage de notre foi, la foi dans le fait réel du Christ présent dans l’eucharistie, la foi dans le fait réel que, lorsque nous le contemplons dans le Saint-Sacrement, nous savons qu’il est là. Nous pourrions citer des tas de témoignages de personnes qui ont été bouleversées par cette présence du Christ dans l’eucharistie, sans même la connaître.
J’en ai eu le témoignage, voici quelques années, d’une pauvre personne assez âgée, qui avait été vaguement élevée dans le protestantisme et qui, sans trop savoir ce qu’elle faisait, vint un jour participer à la messe et se sentit convertie parce qu’elle avait reconnu le Seigneur dans l’eucharistie. On pense aussi à André Frossard qui était allé avec un ami porter un colis chez des religieuses qui faisaient l’adoration : quand il entre dans l’église, il voit un espèce de disque blanc, qui pour lui était sans signification, au fond du sanctuaire avec des religieuses alternant des versets se terminant toujours avec le même « Gloria Patri et Filio et Spiritui sancto » et puis vient le moment où il regarde ce disque blanc, où alors un sentiment de bouleversement, un sentiment foudroyant le saisit et le pousse comme celui qui a reconnu le Christ après la résurrection, avec, simplement, cette confession : « Mon Seigneur et mon Dieu ».
Le vrai chrétien, c’est celui qui vit de la foi et qui vit de la grâce, ce n’est pas celui qui veut être supérieur, c’est celui qui, justement, dans la pleine humilité et la plus grande des charités, vit entièrement cette foi et témoigne d’elle en face de ceux qui sont autour de lui.
Saint Paul nous a dit : chaque fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à son retour et Jésus dit dans l’Évangile : « Ma chair est une vraie nourriture et mon sang est vraiment une boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui » et, un peu plus loin il ajoutera : « …et moi, je le ressusciterai au dernier Jour ». Continuons donc cette célébration avec la certitude que le Seigneur, mort et ressuscité, pleinement vivant auprès du Père, est présent au milieu de nous comme il le sera lorsque nous chanterons ses louanges dans l’éternité. Recevons-le dans la foi et laissons-nous habiter par sa présence dans notre vie. Ainsi soit il.
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(*) les intertitres sont de notre rédaction