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Réflexion faite - Page 5

  • Lettre du Préfet de la Congrégation du Culte divin Son Em. le Cardinal Robert Sarah sur « Le culte catholique en ces temps d’épreuves »

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    «  Dans de nombreux pays, l’exercice du culte chrétien est perturbé par la pandémie de covid-19. Les fidèles ne peuvent se réunir dans les églises, ils ne peuvent participer sacramentellement au sacrifice eucharistique. Cette situation est source d’une grande souffrance. Elle est aussi une occasion que Dieu nous donne pour mieux comprendre la nécessité et la valeur du culte liturgique. Comme Cardinal Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, mais surtout en profonde communion dans l’humble service de Dieu et de son Eglise, je désire offrir cette méditation à mes frères dans l’épiscopat et le sacerdoce et au peuple de Dieu pour essayer de tirer quelques enseignements de cette situation.

    Un culte suspendu ?

    On a parfois dit que, à cause de l’épidémie et du confinement décrété par les autorités civiles, le culte public était suspendu. Ce n’est pas exact.

    Le culte public est le culte que rend à Dieu le Corps mystique tout entier, Tête et membres, comme le rappelle le concile Vatican II :

    « Effectivement, pour l’accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés, le Christ s’associe toujours l’Église, son Epouse bien-aimée, qui l’invoque comme son Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au Père éternel. C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles, est réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres. Par conséquent, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré » (Sacrosanctum Concilium 7).

    Ce culte est rendu à Dieu chaque fois qu’il est offert au nom de l’Église par les personnes légitimement députées et selon les actes approuvés par l’autorité de l’Église (Code de Droit Canonique, c 834).

    Ainsi, chaque fois qu’un prêtre célèbre la messe ou la liturgie des heures, même s’il est seul, il offre le culte public et officiel de l’Église en union avec son Chef, le Christ et au nom du Corps tout entier. Il est nécessaire de rappeler cette vérité pour commencer. Elle nous permettra de mieux dissiper certaines erreurs.

    Bien entendu, pour trouver son expression pleine et manifeste, il est heureux que ce culte puisse être célébré avec la participation d’une communauté de fidèles du peuple de Dieu. Mais il peut arriver que cela ne soit pas possible. L’absence physique de la communauté n’empêche pas la réalisation du culte public même si elle l’ampute d’une partie de sa réalisation. Ainsi, il serait erroné de prétendre qu’un prêtre doit s’abstenir de la célébration de la messe en l’absence de fidèles. Au contraire, dans les circonstances actuelles où le peuple de Dieu se trouve empêché de s’unir sacramentellement à ce culte, le prêtre est davantage tenu à la célébration quotidienne. En effet, dans la liturgie, le prêtre agit in personna Ecclesiae, au nom de toute l’Église et in personna Christi, au nom du Christ, Tête du corps pour rendre un culte au Père très bon, il est l’ambassadeur, le délégué de tous ceux qui ne peuvent être là.

    Aucune autorité séculière ne peut suspendre le culte public de l'Église

    On comprend dès lors qu’aucune autorité séculière ne saurait suspendre le culte public de l’Église. Ce culte est une réalité spirituelle sur laquelle l’autorité temporelle n’a aucune prise. Ce culte continue partout où une messe est célébrée, même sans l’assistance du peuple rassemblé. Il revient en revanche à cette autorité civile d’interdire les rassemblements qui seraient dangereux pour le bien commun au vue de la situation sanitaire. Il est également de la responsabilité des évêques de collaborer avec ces autorités civiles dans la plus parfaite franchise. Il était donc probablement légitime de demander aux chrétiens de s’abstenir, pour un temps court et limité, de se rassembler. Il est en revanche inacceptable que les autorités en charge du bien politique se permettent de juger du caractère urgent ou non urgent du culte religieux et interdisent l’ouverture des églises, ce qui permettrait aux fidèles de prier et de se confesser et de communier, du moment que les règles sanitaires sont respectées. Comme « promoteurs et gardiens de toute la vie liturgique », il revient aux évêques de réclamer fermement et sans retard le droit à des rassemblements dès qu’ils deviennent raisonnablement possibles. En cette matière, l’exemple de Saint Charles Borromée peut nous éclairer. Lors de la peste de Milan, il appliquait dans les processions les strictes mesures sanitaires préconisées par l’autorité civile de son temps qui ressemblaient aux mesures-barrières de notre époque. Les fidèles chrétiens ont aussi le droit et le devoir de défendre fermement et sans compromission leur liberté de culte. Une mentalité sécularisée considère les actes religieux comme des activités secondaires au service du bien-être des personnes, à l’instar des loisirs et des activités culturelles. Cette perspective est radicalement fausse. La louange et l’adoration sont objectivement dues à Dieu. Nous lui devons ce culte parce qu’il est notre Créateur et notre Sauveur. L’expression publique du culte catholique n’est pas une concession de l’État à la subjectivité des croyants. Elle est un droit objectif de Dieu. Elle est un droit inaliénable de chaque personne. « Le devoir de rendre à Dieu un culte authentique concerne l'homme individuellement et socialement. » (Catéchisme de l’Église catholique, 2105) C'est là « la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral des hommes et des sociétés à l'égard de la vraie religion et de l'unique Eglise du Christ », rappelle le concile Vatican II, (Dignitatis Humanae,  1).

    Hommage aux prêtres, aux religieux et aux religieuses

    Je voudrais donc rendre hommage aux prêtres, aux religieux et aux religieuses qui ont assuré la continuité du culte public catholique dans les pays les plus touchés par la pandémie. En célébrant dans la solitude vous avez prié au nom de toute l’Église, vous avez été la voix de tous les chrétiens montant vers le Père. Je veux aussi remercier tous les fidèles laïcs qui ont eu à cœur de s’associer à ce culte public en célébrant la liturgie des heures dans leur maison ou en s’unissant spirituellement à la célébration du Saint Sacrifice de la messe.

    Certains ont critiqué la retransmission de ces liturgies par les moyens de communication tels la télévision ou internet. Il est indubitable que, comme l’a rappelé le Pape François, l’image virtuelle ne remplace pas la présence physique. Jésus est venu nous toucher en notre chair. Les sacrements prolongent sa présence jusqu’à nous. Il faut se souvenir que la logique de l’Incarnation, et donc des sacrements, ne peut se passer de la présence physique. Aucune retransmission virtuelle ne remplacera jamais la présence sacramentelle. A la longue, elle pourrait même être nuisible à la santé spirituelle du prêtre qui, au lieu de tourner son regard vers Dieu, regarde et parle à une idole : à une caméra, se détournant ainsi de Dieu qui nous a aimés jusqu’à livrer son Fils unique sur la croix pour que nous ayons la vie.

    Toutefois, je veux remercier tous ceux qui ont œuvré à ces retransmissions. Elles ont permis à de nombreux chrétiens de s’unir spirituellement au culte public ininterrompu de l’Église. Elles ont en cela été utiles et fécondes. Elles ont aussi permis à de nombreuses personnes en recherche de trouver un soutien pour leur prière. Je veux rendre hommage à l’inventivité et à l’imagination des chrétiens qui ont dû se déployer dans l’urgence.

    Je veux cependant attirer l’attention de tous sur certains risques. Les moyens de retransmission  virtuelle pourraient induire une logique de recherche du succès, de l’image, du spectacle ou de la pure émotion. Cette logique n’est pas celle du culte chrétien. Le culte ne vise pas à accrocher des spectateurs à travers une caméra. Il est dirigé et orienté vers le Dieu Trinité. Pour éviter ce risque, cette transformation du culte chrétien en spectacle, il importe de réfléchir à ce que Dieu nous dit à travers la situation actuelle.

    L'exil

    Le peuple chrétien s’est trouvé dans la situation du peuple hébreu en exil, privé de culte. Le prophète Ézéchiel nous enseigne le sens spirituel de cette suspension du culte hébraïque. Il nous faut relire ce livre de l’Ancien-Testament dont les paroles sont d’une grande actualité. Le peuple élu n’a pas su offrir à Dieu un culte vraiment spirituel, affirme le prophète. Il s’est tourné vers les idoles. « Ses prêtres ont violé ma loi et profané mes sanctuaires ; entre le sacré et le profane, ils n’ont pas fait de différence et ils n’ont pas enseigné à distinguer l’impur et le pur, … et j’ai été déshonoré parmi eux » (Ez 22, 26). Alors la gloire de Dieu a déserté temple de Jérusalem (Ez 10, 18).

    Mais Dieu ne se venge pas. S’il laisse advenir les catastrophes naturelles sur son peuple, c’est toujours pour mieux l’instruire et lui offrir une grâce d’alliance plus profonde. (Ez 33, 11) Durant l’exil, Ézéchiel enseigne au peuple les modalités d’un culte plus parfait, d’une adoration plus vraie. (Ez chap 40 à 47). Le prophète laisse entrevoir un nouveau temple d’où coule un fleuve d’eau vive (Ez 47, 1). Ce temple symbolise, préfigure et annonce le Cœur transpercé de Jésus, le véritable temple. Ce temple est desservi par des prêtres qui n’auront pas d’héritage en Israël, pas de terre en propriété privée. « Vous ne leur donnerez pas de patrimoine en Israël, c’est moi qui serais leur patrimoine » (Ez 44, 28), dit le Seigneur.

     Nous avons oublié la différence entre le sacré et le profane

    Je crois que nous pouvons appliquer ces paroles d’Ézéchiel à notre temps. Nous non plus nous n’avons pas fait la différence entre le sacré et le profane.

    Nous avons bien souvent méprisé le caractère sacré de nos églises. Nous les avons transformées en salles de concert, en restaurants ou dortoirs pour les pauvres, les réfugiés ou les sans-papiers. La Basilique Saint-Pierre et presque toutes nos cathédrales, expressions vivantes de la foi de nos ancêtres, sont devenues de grands musées, foulées aux pieds et profanées, devant nos yeux, par un lamentable défilé de touristes souvent incroyants et irrespectueux des lieux saints et du Temple saint du Dieu vivant. Aujourd’hui, à travers une maladie qu’il n’a pas positivement voulue, Dieu nous offre la grâce de sentir combien nos églises nous manquent. Dieu nous offre la grâce d’expérimenter que nous avons besoin de cette maison où il réside au milieu de nos villes et nos villages. Nous avons besoin d’un lieu, d’un édifice sacré, c’est-à-dire réservé exclusivement à Dieu. Nous avons besoin d’un lieu qui soit bien plus qu’un simple espace fonctionnel de rassemblement et de divertissement culturel. Une église est un lieu où tout est orienté vers la gloire de Dieu, le culte de sa majesté. N’est-il pas temps, en relisant le livre d’Ézéchiel, de retrouver le sens de la sacralité ? D’interdire les manifestations profanes dans nos églises ? De réserver l’accès à l’autel aux seuls ministres du culte ? De bannir les cris, les applaudissements, les conversations mondaines, la frénésie des photographies de ce lieu où Dieu vient habiter ?

    « L'église n'est pas un local dans lequel tôt le matin a lieu une fois quelque chose, tandis qu'il demeurerait vide et «sans fonction» pour le reste de la journée. Dans le local qu'est l'église, il y a toujours l'Église puisque le Seigneur se donne toujours, puisque le mystère eucharistique demeure et puisqu'en nous avançant vers ce mystère, nous sommes toujours inclus dans le culte divin de toute l'Église croyante, priante et aimante. Nous connaissons tous la différence entre une église remplie de prières et une église devenue un musée. Aujourd'hui, nous courons le grand danger que nos églises deviennent des musées. » (Joseph Ratzinger, Eucharistie. Mitte der Kirche, Munich, 1978).

    Nous pourrions répéter les mêmes mots à propos du dimanche, le jour du Seigneur, le sanctuaire de la semaine. Ne l’avons-nous pas profané en en faisant un jour de travail, un jour de pur divertissement mondain ? Aujourd’hui, il nous manque cruellement. Les jours se succèdent semblables les uns aux autres.

    Réapprendre le culte en esprit et vérité

     Nous devons entendre la parole du prophète qui nous reproche d’avoir « violé le sanctuaire ». Nous devons nous laisser réapprendre le culte en esprit et en vérité. Beaucoup de prêtres ont découvert la célébration sans présence du peuple. Ils ont ainsi expérimenté que la liturgie est principalement et avant tout « le culte de la divine majesté », selon les mots de Vatican II (SC 33). Elle n’est pas d’abord un exercice pédagogique ou missionnaire. Ou plutôt, elle ne devient vraiment missionnaire que dans la mesure où elle est tout entière ordonnée à « la parfaite glorification de Dieu » (SC 5).

     En célébrant seuls, les prêtres n’avaient plus sous les yeux le peuple chrétien, ils ont alors pris conscience que la célébration de la messe s’adresse toujours au Dieu Trinité. Ils ont tourné leur regard vers l’Orient. Car « c’est de l’Orient que vient la propitiation. C’est de là que vient l’homme dont le nom est Orient, qui est devenu médiateur entre Dieu et les hommes. Par là, vous êtes donc invités à toujours regarder vers l’Orient, où se lève pour vous le Soleil de Justice, où la lumière apparaît toujours pour vous », nous dit Origène dans une homélie sur le Lévitique. La messe n’est pas un long discours adressé au peuple mais une louange et une supplication adressées à Dieu.

     La mentalité occidentale contemporaine, façonnée par la technique et fascinée par les médias, a parfois voulu faire de la liturgie une œuvre de pédagogie efficace et rentable. Dans cet esprit, on a cherché à rendre les célébrations conviviales et attractives. Les acteurs liturgiques, animés par des motivations pastorales, ont parfois voulu faire œuvre didactique en introduisant dans les célébrations des éléments profanes ou spectaculaires. N’a-t-on pas vu fleurir témoignages, mises en scènes et autres applaudissements ? On croit ainsi favoriser la participation des fidèles, on réduit en fait la liturgie à un jeu humain. Le risque est réel de ne laisser aucune place à Dieu dans nos célébrations. Nous courons la tentation des Hébreux dans le désert. Ils cherchèrent à se créer un culte à leur mesure et à leur hauteur humaine, n'oublions pas qu'ils finirent prosternés devant l'idole du veau d'or qu’ils avaient eux-mêmes fabriqué !

     Attention à la logique du spectacle

    Nous devons prendre garde : la multiplication des messes filmées pourrait accentuer cette logique de spectacle, cette recherche d’émotions humaines. Le pape François a invité avec force les prêtres à ne pas devenir des hommes de spectacle, des showmasters. Dieu s’est incarné pour que le monde ait la vie : Dieu n’est pas venu dans notre chair pour le plaisir de nous impressionner ou de se donner en spectacle, mais bien pour nous partager la plénitude de sa vie. Jésus, qui est le Fils du Dieu vivant (Mt 16, 16) et à qui le Père a donné de posséder la vie en lui-même (Jn 5, 26) n’est donc pas venu seulement pour apaiser le courroux de son Père ou effacer une dette quelconque. Il est venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait en abondance. Et il nous donne cette plénitude de vie en mourant sur la croix. C’est pourquoi au moment où le prêtre, dans une véritable identification au Christ et avec humilité, célèbre la sainte Messe, il doit pouvoir dire : « Je suis crucifié avec le christ. Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 19-20). Il doit disparaître derrière Jésus Christ et laisser le Christ être en contact direct avec le peuple chrétien. Le prêtre doit donc devenir un instrument qui laisse transparaître le Christ. Il n'a pas à rechercher la sympathie de l'assemblée en se posant face à elle comme son interlocuteur principal. Entrer dans l'esprit du Concile suppose au contraire de s'effacer, de renoncer à être le point focal. L’attention de tous doit se tourner vers le Christ, vers la croix, véritable centre de tout culte chrétien. Il s’agit de laisser le Christ nous prendre et nous associer à son sacrifice. La participatio au culte liturgique doit être comprise comme une grâce du Christ « qui s’associe l’Église » (SC 7). C’est lui qui a l’initiative et la primauté. « L’Église l’invoque comme son Seigneur et passe toujours par lui pour rendre un Culte au Père éternel » (SC 7).

     De même, il convient de prendre garde à la logique de l’efficacité engendrée par l’usage d’internet. On y a coutume de juger les publications en fonction du nombre de « vues » qu’elles suscitent. Cela induit la recherche de l’inattendu, de l’émotion, de la surprise, du « buzz ».

    Le culte liturgique est étranger à cette échelle de valeurs. La liturgie nous met réellement en présence de la Transcendance divine. Y participer en vérité suppose de renouveler en nous cette « stupor » que Saint Jean-Paul II tenait en haute estime (Ecclesia de Eucharistia, 6). Cette stupeur sacrée, cette crainte joyeuse, requiert notre silence devant la majesté divine. On oublie souvent que le silence sacré est un des moyens que le Concile indique pour favoriser la participation. La participatio actuosa à l’œuvre du Christ suppose donc de quitter le monde profane pour entrer dans « l’action sacrée par excellence » (SC 7). Nous prétendons parfois, avec une certaine arrogance, rester dans l’humain pour entrer dans le divin. Nous avons au contraire expérimenté ces dernières semaines que pour trouver Dieu, il était utile de quitter nos maisons et de nous rendre chez lui, dans sa Demeure sacrée : l’église.

    La liturgie est une réalité fondamentalement mystique et contemplative, et par conséquent hors d'atteinte de notre action humaine, aussi l’entrée en participation de son mystère est une grâce de Dieu.

    Une profonde souffrance

     Je voudrais enfin insister sur la réalité sacrée entre toutes : la sainte Eucharistie. La privation de communion a été une profonde souffrance pour nombre de fidèles. Je le sais et je veux leur dire ma profonde compassion. Leur souffrance est proportionnelle à leur désir. Nous le croyons : Dieu ne laissera pas ce désir de lui inassouvi. Il faut rappeler par ailleurs que nul prêtre ne doit se sentir empêché de confesser et de donner la communion aux fidèles à l’église ou dans les maisons particulières, avec les précautions sanitaires requises. Mais la situation de famine eucharistique peut nous conduire à une salutaire prise de conscience. N’avons-nous pas oublié le caractère sacré de l’Eucharistie ? On entend raconter des sacrilèges ahurissants : des prêtres qui enveloppent des hosties consacrées dans des sachets en plastique ou en papier, pour permettre aux fidèles de se servir librement des hosties consacrées et les emporter chez eux, ou encore d’autres qui distribuent la sainte communion en observant la distance adéquate et en utilisant, par exemple, des pinces pour éviter la contagion. Combien on est loin de Jésus qui s’approchait des lépreux et, en étendant les mains, les touchait pour les guérir, ou du Père Damien qui a consacré sa vie aux lépreux de Molokai (Hawaï). Cette façon de traiter Jésus comme un objet sans valeur est une profanation de l’Eucharistie. Ne l’avons-nous pas souvent considérée comme notre propriété ? Tant de fois nous avons communié par habitude et routine, sans préparation ni action de grâces. Communier n’est pas un droit, c’est une grâce gratuite que Dieu nous offre. Ce temps nous rappelle que nous devrions trembler de reconnaissance et tomber à genoux devant la sainte communion. Je voudrais ici rappeler les paroles de Benoît XVI :

    « On a, dans un passé récent, perçu un certain malentendu sur le message authentique de la Sainte-Ecriture. La nouveauté chrétienne concernant le culte a été influencée par une certaine mentalité sécularisée des années soixante et soixante-dix, du siècle dernier. Il est vrai, et cela reste toujours valable, que le centre du culte n’est plus désormais dans les rites et dans les sacrifices anciens mais dans le Christ lui-même, dans sa personne, dans sa vie, dans son mystère pascal. Et cependant, on ne doit pas déduire de cette nouveauté fondamentale que le sacré n’existe plus, mais qu’il a trouvé son accomplissement en Jésus-Christ, Amour divin incarné. (…) Il n’a pas aboli le sacré, mais il l’a porté à son accomplissement, en inaugurant un culte nouveau, qui est pleinement spirituel, mais qui cependant, tant que nous sommes en chemin dans le temps, se sert encore de signes et de rites, qui disparaîtront seulement à la fin, dans la Jérusalem céleste, là où il n’y aura plus aucun temple (cf. Ap 21,22). Grâce au Christ, le caractère sacré est plus vrai, plus intense, et, comme il advient pour les commandements, aussi plus exigeant ! » (Corpus Domini, 7 juin 2012) .

      Quant à nous, les prêtres, avons-nous toujours été conscient d’être mis à part, consacrés pour être les serviteurs, les ministres du culte du Dieu Très-Haut ? Comme l’affirme le prophète Ezéchiel, vivons-nous sans avoir sur cette terre aucun autre patrimoine que Dieu lui-même ? Au contraire, bien souvent nous avons été mondains. Nous avons quémandé la popularité, le succès selon les critères du monde. Nous aussi, nous avons profané le sanctuaire du Seigneur. Parmi nous, certains sont même allés jusqu’à profaner ce temple sacré de la présence de Dieu : le cœur et le corps des plus faibles, des enfants. Nous aussi, nous devons demander pardon, faire pénitence et réparer.

    Le danger de la barbarie

    Une société qui perd le sens du sacré court le risque d’une régression vers la barbarie. Le sens de la grandeur de Dieu est le cœur de toute civilisation. En effet, si tout homme mérite le respect, c’est fondamentalement parce qu’il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. La dignité de l’homme est un écho à la transcendance de Dieu. Si nous ne tremblons plus d’une crainte joyeuse et révérencielle devant la majesté divine, comment reconnaîtrons nous en chaque personne un mystère digne de respect ? Si nous ne voulons plus nous agenouiller humblement et en signe d’amour filial devant Dieu, comment serions-nous capables de nous mettre à genoux devant l’éminente dignité de toute personne humaine, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu ? Si nous n’acceptons plus de nous agenouiller respectueusement et en adoration devant la présence la plus humble, la plus faible et la plus insignifiante, mais la plus réelle et la plus vivante qu’est la sainte Eucharistie, comment hésiterions-nous à tuer l’enfant à naître, l’être le plus faible, le plus fragile, et à légaliser l’avortement, qui est un crime horrible et barbare ? Car maintenant, nous savons la vérité, grâce aux progrès de la génétique fondamentale, qui vient de l’établir scientifiquement d’une manière définitive et irréfutable : le fœtus humain est depuis l’instant de sa conception un être pleinement humain. Si nous perdons le sens de l’adoration de Dieu, les rapports humains se coloreront de vulgarité et d’agressivité. Plus nous serons déférents envers Dieu dans nos églises, plus nous saurons être délicats et courtois envers nos frères dans le reste de nos vies.

    Louer et rendre grâce publiquement

    Il faudra donc que les pasteurs, dès que les conditions sanitaires le permettront, offrent au peuple chrétien l’occasion d’adorer ensemble et solennellement la majesté divine dans le Saint-Sacrement. Le pape François nous en a récemment donné l’exemple sur la place saint Pierre. Il faudra louer, rendre grâce à travers des processions publiques. Ce sera l’occasion pour le peuple tout entier de faire corps et d’expérimenter que la communauté chrétienne naît de l’autel du sacrifice eucharistique. J’encourage, dès que cela sera possible, les manifestations de la piété populaire telles le culte des reliques des saints protecteurs des cités. Il est nécessaire que le peuple de Dieu manifeste rituellement et publiquement sa foi. Benoît XVI disait :

    «  le sacré a une fonction éducative et sa disparition appauvrit inévitablement la culture, en particulier la formation des nouvelles générations. Si, par exemple, au nom d’une foi sécularisée qui n’ait plus besoin des signes sacrés, on abolissait la procession du Corpus Domini dans la ville, le profil spirituel de Rome se trouverait « aplati » et notre conscience personnelle et communautaire en resterait affaiblie. Ou bien, nous pensons à une maman et à un papa qui, au nom de la foi désacralisée, priveraient leurs enfants de tout rituel religieux : ils finiraient en réalité par laisser le champ libre à tant de succédanés présents dans la société de consommation, à d’autres rites et à d’autres signes, qui pourraient devenir plus facilement des idoles. Dieu, notre Père, n’a pas agi ainsi avec l’humanité » (Corpus Domini, 2012).

    Ces manifestations seront l’occasion d’insister sur la valeur de supplication, d’intercession, de réparation des offenses faites à Dieu et de propitiation du culte chrétien. Il serait heureux, là où cela est possible, que les processions de supplications comprenant les litanies des Saints soient remises à l’honneur. Je voudrais insister enfin sur la prière pour les défunts. En de nombreux pays, les défunts ont dû être mis en terre sans que des obsèques convenables aient été célébrées. Il nous faut réparer cette injustice. De plus, je voudrais déplorer ici certaines pratiques récentes, qui favorisent le développement de nouvelles façons de disposer des restes mortels, dont l’hydrolyse alcaline, où le corps du défunt est placé dans un cylindre de métal et dissous dans un bain chimique qui ne laisse subsister que quelques fragments osseux analogues à ceux qui résultent de l’incinération. Les effluents sont alors évacués dans les égouts. Le procédé d’hydrolyse alcaline ne manifeste pas pour la dignité du corps humain un respect qui correspond à celui que proclame la loi de l’Eglise. Mais même si nous n’avons pas la foi, il est absolument inhumain, cruel et irrespectueux de traiter ainsi des personnes que nous aimons et nous ont aimé si tendrement. « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, celui-là Dieu le détruit. Car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous » (1 Co 3, 16-17 ; 6, 19). Par piété filiale, nous devons entourer tous les défunts d’une ardente prière d’intercession pour le salut de leur âme. J’encourage les pasteurs à célébrer des messes solennelles pour les défunts. Il est heureux en ces cas que, selon les coutumes de chaque lieux, la messe soit suivie d’une absoute célébrée en présence d’une représentation symbolique des défunts (Tumulum, catafalque), et d’une procession vers le cimetière avec bénédiction des tombeaux. Ainsi l’Église, telle une vraie mère, prendra soin de tous ses enfants vivants et défunts et présentera à Dieu au nom de tous un culte d’adoration, d’action de grâce, de propitiation et d’intercession.

    Le grand trésor de l'Eglise

      En effet, « la Tradition reçue des Apôtres comprend tout ce qui contribue à conduire saintement la vie du peuple de Dieu et à en augmenter la foi ; ainsi l’Eglise perpétue dans sa doctrine, sa vie et son culte, et elle transmet à chaque génération tout ce qu’elle est elle-même et tout ce qu’elle croit », dit le concile Vatican II (Dei Verbum, 8). Le culte divin est le grand trésor de l’Église. Elle ne peut le garder caché, elle y invite tous les hommes parce qu’elle sait qu’en lui « est recueillie toute la prière humaine, tout le désir humain, toute la vraie dévotion humaine, la vraie recherche de Dieu, qui se trouve finalement réalisée dans le Christ. » (Benoît XVI, rencontre avec le clergé de Rome, 2 mars 2010). Je redis à tous ma profonde compassion dans ces temps d’épreuves. Je renouvelle mes fraternelles encouragement aux prêtres qui se dévouent corps et âmes et souffrent de ne pouvoir faire davantage pour leurs troupeau. Ensemble nous mesurons que la communion des saints n’est pas un vain mot. Ensemble, bientôt, nous rendrons à nouveau au yeux de tous, le culte qui revient à Dieu et qui fait de nous son peuple. »

    Robert, cardinal Sarah

    Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des Sacrements

     Ref. Covid19 et culte chrétien

     

     

  • Déconfinement : entre prudence et impatience

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    Dans sa newsletter mensuelle (mai 2020)  l’abbé Ralph Schmeder, responsable du service de presse du diocèse de Liège écrit :

    « Chère lectrice, cher lecteur,

    Récemment, une paroissienne engagée publiait une lettre ouverte dans laquelle elle exprimait ses frustrations et son impatience : « Dans toutes les communications sur les secteurs impactés par les mesures de confinement, il y a un grand oublié : c’est la face spirituelle de l’homme. (…) Pourquoi ne communique-t-on jamais sur les mesures prises à l’égard des célébrations religieuses ? »

    Je dois vous avouer que moi aussi, j’ai été déçu, en suivant la conférence de presse du gouvernement le 24 avril dernier, de ne rien entendre au sujet des célébrations dans les églises, temples et mosquées de notre pays. On peut comprendre que les secteurs de l’économie, de l’enseignement et du monde médical et social aient la priorité dans la relance de la vie publique, mais de là à ne donner aucune perspective aux représentants des cultes, il y a un pas.

    Nos évêques ont réagi au début de la semaine en exprimant publiquement leur souhait de reprendre les activités paroissiales. On attend donc avec impatience une prise de position des décideurs politiques.

    En même temps, comme pour les autres domaines, nous savons très bien que l’après-confinement sera assez différent de l’avant. Les paroisses devront prendre des mesures pour protéger les pratiquants dont une bonne partie est composée des fameux « groupes à risque », notamment de personnes âgées. Les salutations et échanges de paix devront se faire à distance… Comment imaginer une chorale où chaque membre doit rester à plus d’un mètre et demi des autres chanteurs ? Comment célébrer les « grandes occasions » comme les premières communions, les professions de foi ou les confirmations, mais aussi certains mariages et baptêmes ou certaines funérailles, lorsque la distanciation physique sera obligatoire ? Comment chanter et communier avec un masque sur la bouche ? Les évêques ont déjà élaboré un « code de bonne conduite », mais il n’a pas de sens tant que le feu vert des autorités n’est pas donné.

    On peut aussi se demander quelle sera la réaction des catholiques habitués à la messe hebdomadaire, voire quotidienne pour certains. Vont-ils revenir en masse, soulagés de ne plus devoir se contenter d’une communion spirituelle devant un écran de télévision ou d’ordinateur, ou bien ont-ils « pris le pli » d’une pratique plus « électronique » ? L’envie de retrouver la communauté paroissiale sera-t-elle plus forte que la peur de la contamination ?

    Des questions auxquelles il est impossible de répondre maintenant. Pour certains, cette période qui approche de sa fin a été l’occasion d’une redécouverte spirituelle, et ils voudront l’approfondir par la fréquentation plus régulière d’une communauté, mais la tendance inverse est possible aussi : on nous a tellement sensibilisé ces dernières semaines à une « pratique intérieure » que certains ne ressentent peut-être plus le besoin de la partager avec d’autres.

    Reste à espérer que l’Eglise retrouve son dynamisme et sa visibilité. Finalement, le nombre assez impressionnant de manifestations qui ont dû être annulées ou reportées n’est-il pas le signe que nos paroisses, aumôneries, mouvements et associations sont des acteurs très actifs et présents dans la société ?

    Bon déconfinement à chacune et chacun,

    Ralph SCHMEDER, responsable du Service de Presse »

    Ref. Déconfinement : entre prudence et impatience

    Et, pour mémoire, en attendant que viennent des jours meilleurs :

    A Liège, les églises suivantes restent ouvertes pour la visite individuelle, la prière personnelle et le recueillement : en tant qu’espaces publics, elles sont bien évidemment soumises aux mesures sanitaires prescrites, dont le respect de la distance de sécurité:

    La Cathédrale Saint-Paul

    → tous les jours de 8h00 à 17h00     

    Rive gauche : 

    Saint-Denis

     tous les jours de 10h à 12h

    Saint-Sacrement

    (la présence d’un prêtre est assurée)

     tous les mardis de 17h à 19h

     tous les jeudis de 10h à 12h et de 14h à 17h

     tous les vendredis de 12h à 14h

     tous les samedis et tous les dimanches de 14h00 à 17h00

    Sainte-Marie des Anges

     tous les jours de la semaine de 9h à 16h

     tous les samedis de 9h à 12h

    Saint-Gilles

     tous les jours de 9h à 12h 

    Rive droite :

    Notre-Dame du Rosaire Bressoux

     sas d’entrée ouvert tous les jours de 9h à 17h

     

  • Pâques : Mortem moriendo destruxit

    Dans la messe latine du jour de Pâques, lorsqu’il chante la préface solennelle, le prêtre proclame le coeur de notre foi dans le Christ : « ipse vere est Agnus qui mortem nostram moriendo destruxit et vitam resurgendo comparavit », ce qui veut dire « c’est vraiment lui l’Agneau qui en mourant détruisit notre mort et, en ressuscitant, racheta notre vie ». En termes concis tout est là.  Et c’est aussi, dans la foi, la seule position tenable pour un chrétien confronté à la pandémie fulgurante qui frappe aujourd’hui la terre entière.

    rea_238817_015 copie.jpgLe Cardinal Robert Sarah, dans une interview qu’il vient d’accorder au magazine « Valeurs actuelles », ne dit pas autre chose. A la question posée par Charlotte d’Ornellas, l’auteur du best-seller « Dieu ou rien » répond sans ambages :

    « […] Lorsque la mort est si massivement présente, je vous invite à vous poser la question : la mort est-elle vraiment la fin de tout ? Ou bien n’est-elle pas un passage, douloureux certes, mais qui débouche sur la vie ? C’est pour cela que le Christ ressuscité est notre grande espérance. Regardons vers Lui. Attachons-nous à Lui. Il est la Résurrection et la Vie. Qui croit en Lui ne mourra jamais (Jn, 11, 25-26).

    Ne sommes-nous pas comme Job dans la Bible ? Appauvris de tout, les mains vides, le cœur inquiet : que nous reste-t-il ? La colère contre Dieu est absurde. Il nous reste l’adoration, la confiance et la contemplation du mystère. Si nous refusons de croire que nous sommes le fruit d’un vouloir amoureux de Dieu, alors tout cela est trop dur, alors tout cela n’a pas de sens. Comment vivre dans un monde où un virus frappe au hasard et fauche des innocents ? Il n’y a qu’une réponse : la certitude que Dieu est amour et qu’il n’est pas indifférent à notre souffrance. Notre vulnérabilité ouvre notre cœur à Dieu et elle incline Dieu à nous faire miséricorde.

    Je crois qu’il est temps d’oser ces mots de la foi. Le temps est fini des fausses pudeurs et des hésitations pusillanimes. Le monde attend de l’Eglise une parole forte, la seule parole qui donne l’Espérance et la confiance, la parole de la foi en Dieu, la parole que Jésus lui-même nous a confiée ».

    La séquence qui suit l’alleluia de la messe du jour de Pâques nous invite à le proclamer : « la mort et la vie se sont affrontées en un duel gigantesque: le maître de la vie était mort et le voici vivant qui règne à nouveau ».

     

    "Victimæ paschali laudes" est une séquence liturgique pour le dimanche de Pâques. Elle est généralement attribuée à un auteur du XIe siècle, Wipo (appelé aussi Wipon de Bourgogne), aumônier (chapelain) de l'empereur du Saint-Empire Konrad II. On l'attribue quelquefois à Notker (moine de Saint-Gall en Suisse), au roi de France Robert le Pieux ou encore à Adam de Saint-Victor. (source)


    1 Victimae paschali laudes immolent Christiani
    2a Agnus redemit oves: Christus innocens Patri reconciliavit peccatores.
    2b Mors et vita duello conflixere mirando, Dux vitae mortuus, regnat vivus.
    3a Dic nobis Maria, quid vidisti in via?
    3b Sepulcrum Christi viventis, et gloriam vidi resurgentis:
    4a Angelicos testes, sudarium et vestes.
    4b Surrexit Christus spes mea: praecedet suos in Galilaeam.
    5a Credendum est magis soli Mariae veraci quam Judaeorum turbae fallaci.
    5b Scimus Christum surrexisse a mortuis vere: Tu nobis, victor Rex, miserere.
    Amen. Alleluia.

    1 A la victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange.
    2a L'agneau a racheté les brebis : le Christ innocent a réconcilié les pécheurs avec le Père.
    2b La mort et la vie s'affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut : vivant, il règne.
    3a Dis-nous, Marie Madeleine, qu'as-tu vu en chemin ?
    3b J'ai vu le sépulcre du Christ vivant, j'ai vu la gloire du Ressuscité.
    4a J'ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
    4b Le Christ, mon espérance, est ressuscité, il vous précédera en Galilée.
    5a [...]
    5b Nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts. Roi victorieux, prends-nous tous en pitié !
    Amen. Alleluia.

  • Mandement de Carême de l’évêque de Liège : custos, quid de nocte ?

    Veilleur, où donc en est la nuit ? Message de carême de Mgr Jean-Pierre Delville, en ce temps de crise sanitaire. Extraits :

    « Chers Frères et Sœurs,

    unnamed.jpg« Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où donc en est la nuit ? » Telle est la voix que le prophète Isaïe a entendue autrefois, en période de détresse (Is 21,11-17). Elle retentit aussi à nos oreilles. Combien de temps notre crise sanitaire va-t-elle durer ? Nous venons tous les jours aux nouvelles. Comme au temps d’Isaïe : « Le veilleur répond : ‘Le matin vient, et puis encore la nuit… Si vous voulez des nouvelles, interrogez, revenez’. » Alors le prophète invite à la solidarité : « Allez à la rencontre de l’assoiffé, portez-lui de l’eau, accueillez le fugitif avec du pain ». Et il prophétise la victoire sur l’ennemi : il ouvre la voie à l’espérance.

    Nous aussi nous vivons une nuit, malgré le beau soleil du printemps. Le raz-de-marée mondial de l’épidémie de Coronavirus envahit notre quotidien et nos médias. Que reste-t-il de notre vie et de nos projets ? Que faisons-nous de nos journées, seuls ou en famille ? Comment nous organiser à nouveaux frais, face aux difficultés de déplacement et face au chômage professionnel ? Comment vivre la Semaine Sainte et le temps pascal dans ces circonstances ?

    La peur de l’ennemi invisible

    D’abord, on est frappé par la peur : la peur pour soi-même et sa santé ; la peur pour les autres et pour nos proches ; puis la peur des autres, qui pourraient nous contaminer ; et la peur pour notre avenir dans cette situation de paralysie sociale. Chacun est frappé d’une façon ou d’une autre : dans son travail, dans sa maison, dans sa santé, dans son moral, dans ses relations. Le virus est arrivé, c’est un ennemi invisible et nous cherchons à nous protéger. Nous sommes plus isolés que d’habitude et devons nous débrouiller pour beaucoup de choses ; nous devons aussi prendre des décisions, nous devons nous organiser, nous devons nous donner des consignes pour changer notre style de vie. On dirait que l’histoire s’est arrêtée et qu’il n’y a plus qu’une seule info sur les médias : le coronavirus. Les projets sont mis en veilleuse et rangés au fond des tiroirs. Les rendez-vous qui scandaient le cours du temps sont supprimés, les réunions sont reportées. Le risque est alors de nous replier sur nous-mêmes et sur nos problèmes, sur notre santé et sur nos proches.

    Le besoin de solidarité

    Pourtant, si le coronavirus nous a appris une chose, c’est à nous rapprocher affectivement les uns des autres. En étant séparés physiquement, nous découvrons que nous sommes appelés à être proches humainement. Nous découvrons de nouveaux moyens techniques pour nous contacter. Nous sommes dans l’action de grâces et l’admiration pour nos soignants et nos gouvernants. Nous ressentons mieux la nécessité du rapport écologique à la création. Nous nous sentons plus proches de tous ceux qui souffrent dans le monde. Nous découvrons notre destin commun. Jamais plus, le monde ne sera comme avant. Il devra être plus solidaire.

    Une deuxième chose que nous avons découverte, c’est notre fragilité : il suffit d’un petit virus pour que toute la société soit arrêtée et se trouve en grave crise économique et sociale. Tous sont touchés, du plus pauvre au plus puissant. Subitement, les scènes de détresse ne sont plus l’apanage des pays pauvres, mais aussi des pays riches. Cette crise nous pousse à redécouvrir nos vraies valeurs : le sens de la relation sociale, le sens de la sobriété, le sens de la spiritualité et de la foi.

    Jésus face à la mort de son ami Lazare

    Dans l’évangile de ce 5e dimanche de carême, 29 mars 2020, nous découvrons Jésus qui pleure près de son ami Lazare, décédé inopinément (Jn 11,1-45). Jésus encaisse la souffrance due à la mort de son ami et à la tristesse de ses sœurs. Cela nous fait penser à ceux qui sont décédés récemment, du coronavirus ou d’une autre affection. Nous les portons dans notre cœur, à commencer par l’abbé Lech Walaszczik, curé de Chênée-Angleur-Vennes, décédé d’un infarctus, qui était aimé de tous. C’est après avoir traversé cette épreuve de confrontation à la mort que Jésus rendra la vie à Lazare. La résurrection a nécessité une incubation. Ainsi la souffrance due au coronavirus est-elle pour nous un temps d’incubation spirituelle, un temps de recueillement, qui nous donnera des énergies vitales pour construire le futur. Il nous concentre sur notre propre énergie spirituelle pour que celle-ci nous permette de réagir, de survivre et de nous engager de manière renouvelée. Ainsi nous vivrons notre Pâques comme une vraie mort à nous-mêmes et à notre orgueil, pour recevoir du Christ la vie véritable, qui a une valeur éternelle. 

    S’engager pour les pauvres

    N’oublions pas ceux qui souffrent plus que nous, en particulier ceux d’Haïti, à qui nous consacrons notre carême de partage ! Entraide et Fraternité, l’ONG de solidarité de l’Église catholique, a centré son attention sur la situation en Haïti. Cette île très pauvre, frappée par un terrible tremblement de terre il y a dix ans, n’a pas encore pu être reconstruite ; sa cathédrale à moitié détruite est devenue un symbole de pauvreté, mais aussi de foi ! Des groupements dynamiques relancent l’agriculture dans le respect de la nature et de l’écologie. Ce sont des associations porteuses d’avenir que nous voulons aider durant ce carême de partage. Pour un euro que vous donnerez, la population locale en recevra cinq via le projet qui a été reconnu par les autorités belges. Donc, ne négligez pas la collecte du carême de partage, le dimanche des Rameaux : faites un don par virement bancaire au compte BE68 0000 0000 3434 d’Entraide et Fraternité, 32 rue du Gouvernement Provisoire, 1000 Bruxelles, avec la mention « 6573 Carême de partage » ou sur le site internet www.entraide.be/don. […] »

     

    SUB TUUM PRAESIDIUM

    Prière mariale pour un temps d’épreuve :

    Hypo_ten_sen_eusplanchnian_(papyros).jpg « Sub tuum praesidium confugimus, sancta Dei Genitrix : nostras deprecationes ne despicias in necessitatibus, sed a periculis cunctis libera nos semper, Virgo gloriosa et benedicta. » :

     « Sous l'abri de ta miséricorde, nous nous réfugions, Sainte Mère de Dieu. Ne méprise pas nos prières quand nous sommes dans l'épreuve, mais de tous les dangers délivre-nous toujours, Vierge glorieuse et bénie. »

    " Sub tuum praesidium", dans sa version latine littérale, provient du texte grec d'un papyrus daté du III° siècle.

    JPSC

  • Vient de paraître : le magazine trimestriel « Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle », n° 111, été 2019

    Le magazine trimestriel « Vérité & Espérance – Pâque Nouvelle » édité par l’association « Sursum Corda » (responsable de l'église du Saint-Sacrement à Liège) a publié sa livraison de l’été 2019. Tiré à près de 4.000 exemplaires, ce magazine abondamment illustré parcourt pour vous l’actualité religieuse et vous livre quelques sujets de méditation. Les articles mentionnés en bleu sont disponibles sur le blog de l'église du Saint-Sacrement (cliquez sur les titres ci-dessous pour y accéder). 

    mag_juillet 2019-page-001.jpg

    Au sommaire de ce numéro n° 111 (été 2018) : 

     

    contrat Delta ingenieur stabilité339.jpg

    Paul Vaute : plaidoyer pour le vrai

    Quand les rois guérissaient les malades…

    Sermon sur l’Espérance

     

    contrat Delta ingenieur stabilité340.jpg 

    Rome et le monde : 

    Notre-Dame de Paris : le service public de la transcendance

    Pèlerinage de Chrétienté Paris-Chartres 2019 : homélie de Mgr Léonard

    Abus sexuels dans l’Eglise : le cléricalisme, voilà l’ennemi ?

     

    Belgique : 

    Non, la fin du célibat ne fera pas revenir les prêtres

    Nominations récentes

    Une semaine eucharistique réussie (16-23 juin) :

    Liège a aussi célébré la Fête-Dieu 2019 en l'église du Saint-Sacrement au Bd d'Avroy

       

    Secrétaires de Rédaction : Jean-Paul Schyns et Ghislain Lahaye

    Editeur responsable: SURSUM CORDA a.s.b.l. ,

    Rue Vinâve d’île, 20 bte 64 à B- 4000 LIEGE. 

    La revue est disponible gratuitement sur simple demande :

    Tél. 04.344.10.89  e-mail : sursumcorda@skynet.be 

    Les dons de soutien à la revue sont reçus  avec gratitude au compte IBAN:

     BE58 0016 3718 3679   BIC: GEBABEBB de Vérité et Espérance 3000, 

    B-4000 Liège

     

  • Pèlerinage de Chrétienté Paris-Chartres 2019: homélie de Mgr Léonard

    Pèlerinage de Chrétienté Paris-Chartres 2019:

    homélie de Mgr Léonard

     in "Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle", n° 111 (été 2019)

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    Le Pèlerinage de Pentecôte Paris-Chartres 2019 (du 8 au 10 juin) animé par l’association Notre-Dame de Chrétienté a réuni cette année près de 14.000 participants. La messe de clôture, le lundi 10 juin, fut célébrée dans la cathédrale de Chartres, archicomble, par Mgr André-Joseph Léonard, archevêque émérite de Malines-Bruxelles. Dans son homélie, Mgr Léonard a lancé un appel au combat à mener dans le monde et au sein même de l’Eglise où règne aujourd’hui une confusion qu’il dénonce. L'ancien Primat de Belgique a prêché sans notes, de l'abondance du cœur, visiblement ému par ce qu'il voyait et vivait en cette messe si recueillie malgré la fatigue des pèlerins. Voici son homélie, retranscrite in extenso et publiée par Jeanne Smits  sur son blog (les intertitres sont de notre rédaction) :

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    Une, sainte, catholique et apostolique : la plus belle multinationale du monde ?

    « Nous connaissons tous, mes frères et mes sœurs, les multinationales qui font du commerce à travers le monde entier. Eh bien, ceci est un scoop, la plus belle multinationale du monde, c'est l'Église catholique répandue parmi toutes les nations. Et nous la devons à l'Esprit-Saint et à saint Pierre. Dans la lecture des Actes des Apôtres d'aujourd'hui, Pierre est allé chez Corneille, un païen, un militaire romain, avec tout son entourage ; il est entré dans sa maison – ce qui est interdit pour un juif ! – et voilà qu’à la demande de Corneille il l'évangélise, il lui parle de Jésus, vrai Dieu, vrai homme, crucifié et ressuscité. À peine a-t-il terminé son sermon que l'Esprit-Saint tombe sur Corneille et tous ses familiers… et Pierre se trouve devant un problème. Ils ont déjà reçu le sacrement de la confirmation, comment pourrait-on leur refuser l'eau du baptême ? Et il va baptiser ces païens après un catéchuménat extrêmement court.

    C'est grâce, donc à l'Esprit Saint, et grâce à Pierre et puis après à Paul que l'Église est devenue une véritable multinationale non plus liée à un seul peuple, mais la multinationale de la foi, de l'espérance et de la charité à travers le monde. Et c'est ce qui nous a permis à nous ici, Gaulois,  Celtes, Aduatiques, Nerviens, Eburons et autres peuplades de l'époque,d'entrer finalement dans l'Église catholique. Et cette Eglise catholique, nous osons dire, dans le Credo, qu'elle est une, sainte, catholique et apostolique.

    Sainte bien que composée de pécheurs…

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    J'entends parfois des gens, par les temps qui courent, après la révélation de tant de scandales qui nous ont fait du mal, qui disent : «Est-ce qu'on peut encore dire que l'Église est une, sainte !, catholique et apostolique ? » Eh bien oui, elle est sainte bien qu'elle soit composée de pécheurs – la preuve, c'est que nous sommes là. Elle est composée de pécheurs.

    Mais elle est sainte parce que le Saint de Dieu, Jésus, est sa tête, parce que l'Esprit-Saint est son âme, parce que la Très Sainte Vierge Marie est son cœur ; parce que pour la guider sur le chemin de l'histoire elle est soutenue par la sainte Tradition qui vient des apôtres, et illuminée par les Saintes Ecritures, et parce qu'au cœur de la vie de l'Eglise il y a ce que nous faisons maintenant, il y a le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie. Et par surcroît, à travers les siècles, l'Eglise à partir des pécheurs qui la composent est capable de produire des saints et des saintes – et nous allons tous devoir le devenir tôt ou tard.

    Et pour remplir sa mission, l'Eglise dispose comme source d'espérance et comme source de paix de ce que nous avons entendu dans l'Évangile : ce sont les deux versets les plus précieux de tout le Nouveau Testament : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, pour que quiconque croit en lui ne périsse pas mais au contraire ait la vie éternelle, car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé. » C’est une pure merveille.

    Saint Paul l'a résumée dans sa seconde lettre aux Corinthiens au chapitre 5, verset 21, quand il dit : «  Celui qui n'avait pas connu le péché, le Saint de Dieu » – c'est ainsi que le démon s'adressait à Jésus, « nous savons qui tu es, Jésus de Nazareth, tu es le Saint de Dieu » – eh bien, dit Paul, « celui qui était sans péché, le Saint de Dieu,  Dieu l'a pour nous identifié au péché, il l'a mis au rang des pécheurs pour que nous pécheurs, nous ayons part à la sainteté de Dieu. »

    Si nous réalisons cela, pourquoi Jésus est descendu si bas dans un abîme de solitude, de déréliction, d'effroi, d'angoisse, se sentant abandonné par ses disciples, et même, apparemment, abandonné par son Père jusqu'à crier : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » ; s'il est descendu si bas c'est pour rejoindre tout homme, tout femme, aussi profonde que puisse être sa déchéance.

    Eh bien, celui qui croit en cela, qui met sa foi en Jésus descendu au fond de l'abîme, est habité par une espérance inépuisable et reçoit le don de la paix – mais à quel prix, payé par celui qui nous a sauvés. Le soir de Pâques dans l'Évangile de Jean, Jésus s'adresse par deux fois aux disciples en leur disant : « La paix soit avec vous. » Et il leur montre les plaies de ses mains et la plaie de son côté — le prix qu'il a payé pour, remontant de l'abîme, nous faire le don de la paix.

    C'était le thème de votre pèlerinage : être missionnaire de la paix. Mais cela comporte un prix, et un prix auquel il nous faut réfléchir. Car il est dit dans l'Evangile de Jean, dans la suite des versets que je viens de citer : « Les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière et nous devons, nous, choisir la lumière et nous conformer à la volonté, agir suivant la volonté du Seigneur sur nous. »

    Être missionnaire de la paix cela suppose aussi un combat

    VE PN n° 111 Pèlerinage Paris-Chartes 2019 Mgr Léonard ndc2019_ceremonies_455-1050x600.jpg

    Et cela va poser un combat. Jésus est venu nous donner la paix. Il le dit explicitement le soir de la Dernière Cène : « Je vous donne la paix, je vous donne ma paix. Je ne la donne pas comme le monde la donne. » Et dans les évangiles synoptiques, Matthieu, Marc, Luc, on entend cette parole un peu surprenante : « Pensez-vous, dit Jésus, que je suis venu apporter la paix ? Non,  mais plutôt la division et le combat. ». Eh bien, mes frères et mes sœurs, missionnaires de l'espérance et missionnaires de la paix, il y aura un combat à mener de toute manière. Nous vivons actuellement une grande confusion en Europe sur le plan politique. Il y aura des combats à mener.

    Il y a aussi beaucoup de confusion actuellement dans l'Église catholique parce que sur des points importants qui touchent l'indissolubilité du mariage, le rapport de l'alliance conjugale avec l'alliance du sacrement de l'Eucharistie, sur la question de l'indissolubilité du mariage, sur la question des pratiques homosexuelles, sur la question du célibat des prêtres dans l'Eglise latine et sur tant d'autres sujets : une grande confusion. Et ça va dans tous les sens. Et nous devons être reconnaissants lorsque sur certains de ces points notre pape actuel, le pape François parle d'une manière claire. Et nous pouvons aussi continuer à nous inspirer de l'enseignement très clair et aussi très miséricordieux que nous a donné Benoît XVI, le pape émérite, que nous a donné saint Jean-Paul II. Nous allons devoir mener des combats avec fermeté, avec bienveillance, avec écoute, avec miséricorde, mais il y aura des combats à mener. Et Jésus nous a prévenus : dans le monde vous aurez à souffrir mais confiance, moi, j'ai vaincu le monde.

    N’ayez pas peur !

    Je termine par un petit mot. J'ai été très impressionné de voir toutes les familles qui sont ici rassemblées avec des gens qui ont déjà leur état de vie, qui sont mariés, ou bien qui sont célibataires par choix, ou bien qui sont célibataires en raison des circonstances de la vie. Il y a des ministres ordonnés, il y a des personnes consacrées… Mais aussi plein de jeunesse !

    Alors, mes chers jeunes ici présents, fréquentez Jésus de très près, c'est source de paix mais ça peut être aussi très dérangeant. Il va demander à une majorité d'entre vous de fonder un jour un foyer solide, c'est-à-dire un homme et une femme et le Seigneur au milieu : un beau ménage à trois, un homme, une femme et le Seigneur qui est l'unité profonde au sein d'un couple. Il va demander à certains de vivre un célibat forcé qu'on n’a pas choisi parce qu'on n’a jamais trouvé une âme sœur dans la vie. Et il va demander à ces personnes de vivre leur célibat dans la vérité. Mais il va certainement vouloir trouver parmi vous les jeunes, des filles qui trouvent que c'est Jésus le plus beau et qui pour ses beaux yeux vont embrasser une forme ou l'autre de vie consacrée. Soyez sur vos gardes, et soyez accueillantes, mesdemoiselles ! Et parmi les jeunes garçons, il va vouloir en trouver certains qui accepteront de devenir prêtre pour le service de l'Eglise. Dans tous les diocèses de France et d'Europe en commençant quand même par le diocèse de Chartres on a partout besoin de jeunes qui sont tellement passionnés par Jésus qu'ils décident de lui consacrer toute leur vie, à lui ainsi qu'au peuple qu'il aime. N'ayez pas peur. Dans le monde,  vous aurez à souffrir et à faire des choix exigeants mais confiance, nous dit Jésus, moi j'ai vaincu le monde.  Amen, alléluia ! »

    Pèlerinage de 

  • Abus sexuels dans l’Eglise : le cléricalisme, voilà l’ennemi ?

    Abus sexuels dans l’Eglise : le cléricalisme, voilà l’ennemi ?

    in "Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle", n° 111 (été 2019)

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    La « Libre Belgique » du 9 juillet 2019 consacre une double page à un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Bayard : « L’Eglise catholique face aux abus sexuels sur mineurs » (Bayard 2019, 720 pages, env. 24,9 euros). L’auteure de ce livre, Marie-Jo Thiel, médecin et théologienne, est professeur d’éthique à l’Université de Strasbourg. En 2017, le pape François l’a aussi nommée membre de l’Académie pontificale  pour la Vie dont il a modifié la composition et confié la présidence à Mgr Vincenzo Paglia.

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    Dans l’interview qu’elle accorde à « La Libre », la professeure Thiel souscrit à la thèse du pontife régnant pour qui les abus sexuels des clercs seraient principalement dus à une cause « structurelle » : le cléricalisme, instituant dans l’Eglise une mauvaise relation entre prêtres dominateurs et fidèles asservis. Selon la nouvelle académicienne pontificale, cette relation perverse serait due à la contre-réforme tridentine : « la formation psychosexuelle [des séminaristes] était très insuffisante ; était promue aussi une image singulière du prêtre dans la mouvance du concile de Trente, au XVIe siècle. Considéré comme un ‘autre Christ’, le clerc était mis à part,  ‘sacralisé’ dans une perfection supérieure à celle du laïc, ce qui pouvait engendrer un entre-soi problématique ». 

    On ne s’étonnera donc pas de la « surprise » exprimée par Mme Thiel à la lecture du texte publié en avril dernier par Benoît XVI, expliquant que la source fondamentale des abus avait une origine moins lointaine : il s’agit du relativisme moral actuel de nos sociétés depuis les années 1960, comme on le lira dans la recension des notes du pape émérite, à paraître dans le prochain n° de notre magazine.

    Il est vrai que, dans sa «Lettre au peuple de Dieu » du 20 août 2018, le pape François attribue les abus sexuels ecclésiastiques au « cléricalisme », qualifiant ainsi, sans autre précision, un abus de pouvoir qu’il a raison de souligner. Mais, d’un point de vue sémantique, on peut regretter, avec l’abbé Christian Gouyaud (1), de voir assumée dans le discours pontifical une expression ambiguë, historiquement connotée dans un autre contexte et assénée à tout propos par les adversaires de l’Église: « Le cléricalisme, voilà l’ennemi! » : elle est parfaitement relayée, encore aujourd’hui, par les laïcards de tous poils dénonçant, à tort et à travers, l’ingérence de l’Église dans les questions sociétales.

    Enfin, émanant d’une théologienne membre d’une académie pontificale, la mise en cause de la sacralisation du prêtre surprend d’autant plus que l’argument est facile à retourner : « N’est-ce pas par défaut de sens du sacré de l’homme – et de l’enfant, en l’occurrence – qu’on le réduit à un objet de concupiscence et à un moyen d’assouvir sa pulsion ? Même si ces crimes ont été encore récemment commis, il faut dire que la plupart d’entre eux – connus – relèvent aussi d’une époque où le prêtre a justement été désacralisé.  On évoque aussi, comme remède, la promotion du laïcat, mais une telle promotion, justement fondée sur le sacerdoce baptismal, ne s’est-elle pas, hélas, bien souvent opérée pratiquement en termes de prise de pouvoir et de cléricalisation des laïcs ? Quant au comportement clérical, ne pourrait-on pas complètement s’en affranchir en acceptant de répondre simplement aux doutes soulevés courageusement à propos d’une inflexion possible de la doctrine ? » (2)

    JPS

    ________

    (1)(2)  Extrait de La faute au « cléricalisme » ? par l’Abbé Christian Gouyaud, membre de l’association sacerdotale « Totus tuus », article publié dans « La Nef », n° 309, décembre 2018.

  • Sermon sur l'Espérance

    Sermon sur l'Espérance (*)

    in Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n° 111 (été 2019)

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    En ces temps difficiles que traverse la foi chrétienne,  notre regard se tourne résolument, avec cette méditation de l’abbé Charles Grégoire, vers la dimension eschatologique de l’une des trois grandes vertus théologales : l’Espérance. « Spe salvi facti sumus » disait saint Paul aux Romains (Rm. 8, 24) :

    A vrai dire, qu’est-ce que l’espérance ? On l’a définie parfois comme une longue attente avec un grand désir. J’ajouterai : avec le grand désir d’un bonheur. Ainsi, durant une guerre, on espère la libération, la victoire, la paix. Et cet exemple nous montre que l’espérance n’est pas seulement l’attente passive d’un événement auquel nous ne pouvons rien, mais qu’elle peut être aussi le moteur d’une action, voire du don de nous-mêmes.

    Mais l’espérance de saint Paul, en quoi consiste-t-elle ?

    Essentiellement dans l’attente et même l’impatience du retour du Christ.

    Paul avait vu Jésus ressuscité, il connaissait ses paroles sur son retour, celles-là mêmes que les évangiles ont largement transmises, et il attendait, il espérait ce retour pour très bientôt. Il pensait voir de ses yeux de chair, alors qu’il serait encore en vie, Jésus venant sur les nuées, avec les anges sonnant de la trompette (I Cor.), selon le vieux symbolisme juif des manifestations de Dieu.

    En avançant dans la vie, saint Paul s’est peu à peu rendu compte que Jésus ne viendrait pas aussi vite qu’il l’avait cru d’abord, et son espérance s’est portée de plus en plus, comme en témoignent ses dernières épîtres, sur la rencontre qu’il ferait avec le Christ à travers la mort : « Pour moi, dit-il, vivre c’est le Christ et la mort m’est un gain. »

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    Pouvons-nous mettre notre espérance dans notre mort ?

    Notre mort peut-elle être pour nous l’objet de cette longue attente dans un grand désir de bonheur ?

    Lorsque nous étions enfants et que nous allions au catéchisme, on nous a appris que c’était péché que de désirer sa propre mort. Mais autre chose est le désir de la mort par désespoir, autre chose – et son opposé – l’espérance du face à face avec Dieu dans l’amour, cette espérance qui devrait tellement apaiser notre crainte devant le mystère de la mort.

    Oui, nous devrions souvent prier pour qu’à l’heure de notre mort, en chacun de nous l’espérance soit plus forte que l’angoisse : Jésus lui-même nous en a donné l’exemple au jardin des Oliviers.

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    En réalité, que ce soit dans les perspectives du retour final du Christ, ou dans sa méditation sur sa propre mort, saint Paul a toujours espéré la rencontre plénière avec la personne même de son bien-aimé Seigneur Jésus-Christ. Et il savait très bien que cette rencontre s’accomplit chaque jour dans la foi et dans l’amour.

    C’est là que, le plus concrètement peut-être, nous pouvons rejoindre l’espérance du grand apôtre.

    Depuis notre baptême, nous avons rencontré le Christ. Par son Esprit-Saint il vit en nous. Nous avons accueilli sa parole dans l’Evangile, nous nous sommes nourris de son corps, nous avons reçu son pardon, nous avons voulu l’aimer et le servir, en aimant et en servant nos proches, nos parents, nos amis, nos frères...

    Et cependant, lequel d’entre nous oserait-il dire qu’il n’a jamais été lassé ou routinier, ou indifférent, ou déçu ?

    Toujours nous sommes en dessous de ce que le Christ attend de nous : nous le reconnaissons en confessant que nous sommes des pécheurs. Nous pouvons en être désolés. Nous pouvons aussi n’y plus penser, ou nous en accommoder. Dans les deux cas, cela revient à vivre sans espérance.

    Et ce qu’aujourd’hui saint Paul, et l’Eglise, et le Christ nous disent, c’est que nous pouvons nous reprendre, nous sommes capables d’aller plus loin, il est possible de ne pas nous lasser, de ne pas nous habituer ni nous blaser.

    L’espérance est un don que Dieu nous offre pour nous mener à la plénitude du Christ.

    Et un don offert, cela s’accueille avec un cœur simple. D’ailleurs, lorsqu’il parle d’espérance aux chrétiens de Rome, l’Apôtre, leur parle en même temps de choses apparemment très ordinaires : la persévérance, la bonne entente, l’accueil des uns et des autres.

    Les oraisons liturgiques du temps de l’Avent sont là qui nous encouragent : Seigneur, disent-elles, réveillez nos cœurs, illuminez nos intelligences, venez à notre secours !

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    Mes amis, notre espérance est tournée vers le retour du Seigneur, elle est tendue vers la rencontre définitive et totale avec le Christ.

    Mais nous espérons, en même temps, que Dieu nous rende capables de vivre aujourd’hui selon sa volonté, dans sa grâce, dans la foi, dans la charité, à l’écoute de l’Esprit-Saint.

    Une longue attente, dans un grand désir, pour un grand bonheur.

    L’attente de chaque heure de notre vie, dans un grand désir qui fait que nous ne nous découragerons jamais, car à chacun de nous, comme à l’apôtre Paul, Jésus dit : « Ma grâce te suffit, c’est dans ta faiblesse que je peux déployer ma force. »

    Pour un grand bonheur. Le bonheur même de Dieu et de tous ses enfants réunis avec lui dans l’amour. Amen.

    †  Charles Grégoire 

    (*) Extrait du Recueil des Sermons de l’abbé Charles Grégoire prononcés lors des messes qu’il célébrait dans l’une ou l’autre des deux formes du rite romain, à Liège (église du Saint-Sacrement), à Verviers (Chapelle Saint-Lambert) ainsi qu’à Plainevaux (reproduction d’après les manuscrits autographes). L’abbé Charles Grégoire,  né à Huy le 21 janvier 1923, ordonné prêtre à Liège  le 29 juin 1947, étudiant à l’U.C.L. (1947), professeur au collège patronné à Eupen (1948), chapelain à la cathédrale de Liège (1949), professeur au collège Saint-Barthélemy à Liège (1951), détaché à la commission d’homologation, professeur émérite (1988), est décédé à Liège le 7 août 1991.

  • Quand les rois guérissaient les malades...

    Quand les rois guérissaient les malades...

    in Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle, n° 111 (été 2019)

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    À ses débuts, la prédication chrétienne ne consistait pas simplement à annoncer, à parler, à proclamer… Il s’agissait aussi de prouver la vérité des discours et de témoigner de l’origine divine de la Bonne Nouvelle. Comment ? Comme le Christ l’avait fait lui-même : en plus des Paroles de Vie, le témoignage ultime par le sang, mais aussi le témoignage par le moyen des miracles, signes et prodiges. Les Actes des Apôtres en parlent fréquemment et avec enthousiasme (relevons simplement ces deux citations) : La crainte de Dieu était dans tous les cœurs à la vue des signes et des prodiges accomplis par les apôtres. (Ac 2, 43). Paul et Barnabé prolongèrent leur séjour [à Iconium] assez longtemps, pleins d’assurance dans le Seigneur, qui rendait témoignage à la prédication de sa grâce en opérant signes et prodiges par leurs mains (Ac 14, 3). Remarquons en passant que le premier livre consacré à l’apostolat chrétien s’intitule les « Actes des apôtres » et pas les « Discours des apôtres ». Et ces actes de charité concrète se présentent sous la forme des signes et prodiges accomplis par eux avec la puissance de l’Esprit-Saint. La réalité immanente de la Bonne Nouvelle était que les malades, handicapés, estropiés, lépreux… retrouvaient la santé et que les esprits mauvais étaient expulsés avec autorité.

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    Cette forme de prédication extraordinairement efficace, par la parole et par les actes prodigieux qui en rendaient témoignage, a duré environ trois siècles. Puis, avec la reconnaissance officielle du christianisme au IVe siècle, les moyens de l’apostolat ont changé de nature et les chrétiens se sont peu à peu détournés des moyens extraordinaires (guérisons et exorcismes) mis à leur disposition par le Christ pour accompagner la Parole : « Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles, ils saisiront des serpents, et s’ils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux infirmes, et ceux-ci seront guéris » (Marc 16, 17-18).

    Les miracles de guérison se sont raréfiés (saint Augustin en mentionne encore d’étonnants dans la Cité de Dieu)[1] ; on en signalait encore, ici et là, par l’intercession circonspecte de certains moines, mais ils ne faisaient désormais plus partie de l’ordinaire de la vie chrétienne. Alors, pour être guéris ou soulagés de leurs maux (comme le promettent les évangiles), les croyants ont dû se tourner vers les reliques des saints thaumaturges : puisque les vivants ne daignaient plus guérir, il fallut se tourner vers les saints du paradis. Pendant tout le Moyen Âge, les sanctuaires ont vu ainsi affluer des foules considérables de pénitents en quête de guérison physique et spirituelle.

    La Réforme luthérienne et calviniste a privé une grande partie de la chrétienté des bienfaits des « signes et prodiges » : Calvin en particulier, avait décrété qu’il ne pouvait plus y avoir de miracles après la mort du dernier apôtre. La foi n’avait plus pour support que l’étude, l’intime conviction et l’intelligence personnelle ; tout écart à cette règle était qualifiée de « superstition ».

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    C’est ainsi que la puissance de guérison promise par le Christ ressuscité « à tous ceux qui croient » a fini par se tarir quasi complètement. Elle ne subsista, après la Renaissance, que par le truchement d’un phénomène historique étonnant que nous allons brièvement décrire : le Toucher royal.

    Il s’agit d’une croyance ancienne partagée par les Français et les Anglais selon laquelle leurs rois et leurs reines avaient le pouvoir de guérir.[2] Toutefois (on en était bien conscient à l’époque) le don de guérison du monarque ne dépendait pas de ses vertus personnelles, mais de sa position sociale : il avait reçu l’Onction divine.

    Pendant sept cents ans, les Français et Anglais ont cru que leurs souverains recevaient de Dieu le pouvoir de guérir ceux qui souffraient du « mal royal ». C’était le nom donné à la scrofule, une maladie répugnante répandue à l’époque médiévale, sorte de tuberculose qui, en infectant le système lymphatique, créait des furoncles fétides et des pustules qui finissaient par recouvrir le corps du malade. La scrofule (ou les écrouelles, au pluriel) a été appelée « le mal royal » parce que le peuple croyait que le roi pouvait la guérir par son « Toucher Royal ». À défaut des saints et des reliques, ces monarques étaient devenus des spécialistes de la guérison miraculeuse !

    L’initiative du Toucher royal vient des rois de France[3] ; mais les rois d’Angleterre, n’acceptant pas d’être en reste, convoquèrent le souvenir du saint roi Edouard le Confesseur (XIe siècle) et lui attribuèrent la paternité de la Royal Touch dans le royaume d’Angleterre.

    Non seulement tout le monde croyait en ce type de guérison, mais on faisait le nécessaire pour en assurer le bon déroulement ; en France et en Angleterre, les rois organisaient régulièrement de grandes cérémonies consacrées à la guérison ! Il faut se pincer pour le croire, mais le roi Henri VIII (fornicateur, adultère et schismatique) organisait un service de guérison plusieurs fois par an.

    Nous savons avec certitude que le roi d’Angleterre Henri Ier (vers 1100) touchait des scrofuleux en traçant sur eux le signe de la croix.[4] En un an, Édouard Ier (au XIIIe siècle) a béni ainsi 1736 personnes et on a enregistré de nombreux témoignages de guérison.[5] Difficile d’imaginer aujourd’hui que des monarques comme Élisabeth I organisait plusieurs fois par an des cérémonies de guérison qui étaient des événements majeurs.

    En dehors des cérémonies officielles, ce pouvoir de guérison était l’objet d’une croyance quotidienne en Angleterre et en France. Shakespeare, par exemple, décrit Malcolm fuyant le meurtrier Macbeth et se réfugiant à la cour du roi Édouard le Confesseur. Là, Malcolm assiste à une séance de guérison et informe son compagnon Macduff qu’il guérit les malades…

    … tout bouffis et couverts d’ulcères, pitoyables à voir, et désespoir de la médecine ; […] et l’on dit qu’il transmettra aux rois ses successeurs ce bienfaisant pouvoir de guérir.

                                                                                                                                         Macbeth IV, 3

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    La théorie selon laquelle les rois recevaient de l’onction divine cet extraordinaire pouvoir de guérison contribuait considérablement à en accréditer la validité. Les miracles de guérison étaient donc des « signes et des prodiges » qui témoignaient du « droit divin » des rois. Les services de guérison étaient par conséquent la preuve que quiconque se révoltait contre le monarque se révoltait aussi contre Dieu qui l’avait désigné à ce poste.

    Dans ce sens, les services de guérison servaient un objectif politique de première importance. Lorsque la guerre civile entre les Maisons de Lancaster et d’York déchira l’Angleterre, les prétendants rivaux affirmaient chacun posséder le « Toucher Royal » et ils priaient sur les malades pour le prouver.[6] Après 1688, les rois et reines d’Angleterre, importés de Hollande et viscéralement calvinistes, cessèrent d’organiser des services de guérison. (Cela a peut-être facilité, dans une certaine mesure, la révolte des colons américains contre le roi George III, un siècle plus tard.)

    En Angleterre et en France, le monarque devait toucher chaque malade, en même temps qu’il prononçait sur lui une prière, selon un rituel bien ordonné. Ceux qui ont déjà prié pour des personnes lors d’un ministère de guérison, savent ce qu’on peut dépenser en temps et en énergie et à quel point cette tâche peut être fatigante. Aujourd’hui, lors des grandes sessions de guérison, la plupart des thaumaturges évangélistes ne prient pas pour chaque personne individuellement dans la foule ; c’est pourtant ce que faisaient les monarques anglais et français. Cela nous donne une idée de la dépense d’énergie que ces monarques consacraient à cette tâche et de l’importance qu’ils accordaient à leur ministère de guérison ! Chaque cérémonie de guérison leur prenait pratiquement deux ou trois jours.

    Pour prendre un exemple, le roi de France Louis XIV pria pour trois mille scrofuleux le dimanche de la Pentecôte 1698.[7] En Angleterre, Charles II (qui régnait pourtant sur une cour débauchée) a prié sur 23.000 personnes en quatre ans et sur environ 100.000 au cours de son règne qui dura 25 ans.[8]

    Comme nous l’avons mentionné plus haut, les théologiens enseignaient que la guérison ne dépendait pas de la sainteté personnelle du roi, mais de l’origine divine de sa fonction ; ils croyaient que les rois appartenaient à un rang social supérieur. Certains théologiens enseignaient même que, en matière de pouvoir spirituel, le sacre d’un roi équivalait à celui d’un évêque.

    Quand on sait vraiment ce qu’était la scrofule (cette maladie produisait des pustules suintantes qui dégageaient une odeur nauséabonde), et que nous réalisons à quel point ces cérémonies de guérison devaient être éprouvantes, nous pouvons voir à quel point les cérémonies de guérison étaient importantes pour les rois et pour le peuple. Détail particulièrement impressionnant : le roi de France se tenait debout pendant toute la durée de la cérémonie (les monarques anglais restaient assis) ; et il touchait chaque personne en disant cette prière :

    Le roi te touche

    et Dieu te guérit.

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    Des milliers de personnes affluaient vers ces cérémonies de guérison et en repartaient apparemment guéries, certaines de manière spectaculaire. L’idée de base était chrétienne, à savoir que c’était de Dieu que venait le pouvoir de guérir ; le monarque n’était que secondaire, c’était un médiateur humain. Mais, comme ce fut déjà le cas au cours des siècles passés, la guérison allait se heurter à de nouvelles limitations, plus sévères encore.

    Finalement, les rois devinrent si jaloux de leur privilège de thaumaturge que Charles Ier d’Angleterre (en 1650) décida d’interdire aux guérisseurs d’exercer leur art parmi le peuple. En Angleterre, comme dans de nombreuses autres cultures, il existait une croyance populaire selon laquelle le septième fils d’une famille (sept fils consécutifs) était un guérisseur-né. Le septième fils d’un septième fils était censé être un guérisseur encore meilleur. (Cette croyance est encore répandue dans de nombreux pays.)

    En Angleterre, certains malades scrofuleux préféraient s’adresser au septième fils d’une famille plutôt que de se rendre aux cérémonies de guérison du roi ; apprenant cela, le roi Charles décréta qu’il était criminel d’opérer des guérisons dans ces conditions (il en fit un crime de lèse-majesté) et il interdit désormais aux septièmes fils d’exercer leur traditionnel ministère de guérison.[9]

    Les cérémonies royales de guérison continuèrent en Angleterre jusqu’à ce que, sous l’influence du calvinisme, on finisse par y mettre un terme en 1688.[10] Pendant cent cinquante ans, en effet, les conseillers protestants ont tenté de persuader les monarques d’abandonner ces cérémonies de guérison. Mais les rois et les reines (comme Élisabeth I et Édouard VI)[11] ont maintenu cette coutume, parce qu’elle était très appréciée par les gens du peuple. De plus, le Toucher Royal soulignait l’origine divine de leur autorité ; les monarques n’étaient donc pas pressés d’abandonner un tel pouvoir.

    En France, les cérémonies de guérison se sont poursuivies jusqu’à la Révolution et la décapitation de Louis XVI. Au XIXe siècle, les rois de France reviennent au pouvoir et tentent de rétablir leur fonction de thaumaturge, mais sous l’influence de la laïcité triomphante, ce service avait cessé d’attirer la population. Le roi de France Charles X présida la dernière cérémonie de guérison le 31 mai 1825.

    Dans le cadre de cette histoire étonnante, relevons un paradoxe ironique :

    - En Angleterre, ce sont des réformateurs religieux zélés qui ont persuadé les monarques de cesser de prier pour les malades. Mais les avantages politiques qu’ils en tiraient étaient si importants qu’il a fallu cent cinquante ans entre le moment où les monarques protestants ont pris le pouvoir et l’arrêt des prières de guérison.

    - En France, ce sont des réformateurs athées vénérant la déesse Raison qui ont brutalement mis fin à la guérison royale en tranchant la tête du roi.

    C’est durant cette époque que l’on a observé les restrictions les plus sévères dans l’exercice du ministère de guérison. Dans toute l’Angleterre, il ne restait plus qu’une seule personne qui pouvait prier pour la guérison ! Pareil en France. Et cette unique personne ne maintenait les cérémonies de guérison qu’en raison des avantages politiques afférents à cette tradition. Et personne ne s’y est opposé ! Où étaient les évêques, les prêtres, les ministres du culte ? Apparemment, on ne se battait pas pour prier pour les malades…

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    La quasi disparition de la guérison des malades comme un acte religieux relevant de l’ordinaire de la foi se prolongera jusqu’au début du XXe siècle, malgré de faibles reprises au long des XVIIIe et XIXe siècles. (Exception faite, évidemment, des rares thaumaturges chrétiens — souvent persécutés de leur vivant — reconnus par l’Église tout au long de ces siècles.) Dans le monde protestant, ce sont les pentecôtistes américains qui redécouvriront, de manière spontanée et quelque peu anarchique, ce don fait « à tous ceux qui croient », suivis des autres confessions protestantes dans la première moitié du siècle passé. Dans le monde catholique, il faudra attendre 1967 et la reconnaissance officielle du Renouveau charismatique par le pape Paul VI en 1975.

    Guérir les malades au nom de Jésus-Christ n’est désormais plus le privilège des monarques oints ou des saints consacrés ; par un providentiel retour aux sources, il est un don fait à tous ceux qui croient, ont reçu le baptême et l’effusion de l’Esprit Saint.

    Mais qui le met en pratique ?

     

    Pierre René Mélon

    [1] Livre XXII, chapitre 8.

    [2] Cet article est rédigé à partir de deux lectures : Marc Bloch, Les rois thaumaturges, Paris, Gallimard, 1983 et Francis MacNutt, The Nearly Perfect Crime, Chosen Books, 2005, pp. 133-137.

    [3] Selon Marc Bloch, le plus ancien document connu fait remonter la guérison royale à Philippe Ier de France (1060-1108). Ibid., p. 31.

    [4] Ibid., p. 44.

    [5] Ibid., p. 98.

    [6] Ibid., pp. 241-242.

    [7] Ibid., p. 363.

    [8] Ibid., pp. 377-378.

    [9] Ibid., p. 371.

    [10] Ibid., pp. 390-391. En 1702, la reine Anne est arrivée sur le trône et a organisé des services de guérison dans un rite simplifié, mais la pratique a cessé à sa mort en 1714. Le roi George Ier, originaire de Hanovre (en Allemagne) et amené en Angleterre pour prendre possession du trône, ne tenta plus jamais de rétablir les services de guérison.

    [11] Ibid., p. 334.

  • Paul Vaute : Plaidoyer pour le vrai

     

    PAUL VAUTE: PLAIDOYER POUR LE VRAI * 

    in "Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle"

    n° 111, été 2019

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    Paul Vaute est né à Mons en 1955. Doublement master en histoire et en communication de l’universitéVE PN 110 Vaute 190619_rcf-godstalents-paul-vaute-100x175.jpg de Liège,  enseignant puis journaliste, il fut jusqu’il y a peu le chef d’édition de la Libre Belgique-Gazette de Liège.

    Sous le titre « Plaidoyer pour le vrai. Un retour aux sources »  il vient de publier, dans la collection « Religions et spiritualité » des éditions L’Harmattan, un essai remarqué au carrefour de la philosophie et de l’histoire.

    Nous publions ci-dessous la première partie de la recension que l’abbé Marc-Antoine Dor, conseiller spirituel de note association et recteur de l’église du Saint-Sacrement à Liège, consacre à cet ouvrage.

    LA CRISE DE LA VERITE

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    -I-

    LA CRISE DE LA VERITE

    Un constat : le discrédit de la notion de vérité

    « Dans le monde industrialisé, le concept de vérité… suscite chez le plus grand nombre au mieux la méfiance, au pire le rejet sans appel. Qu’elle s’applique à l’éthique, à la politique, à l’économie, à l’art, à l’histoire, à l’actualité, à la théologie, voire à la science…, l’idée du vrai est malade de la culture occidentale » (p. 13).

    Pour beaucoup de nos contemporains, « la vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité » (p. 13). Cette défiance actuelle vis-à-vis de la vérité s’est nourrie du développement des moyens d’information et de communication, de la révolte contre les ordres établis, de la crainte des fanatismes, de l’écroulement des idéologies politiques et du repli sur les seules solutions techniques.

    Le scepticisme généralisé envers toute idée d’objectivité s’est paradoxalement accompagné d’une totale soumission aux impératifs de convenance politique, sociale et culturelle. Les droits de l’homme sont devenus « une véritable vulgate de notre temps » (p. 16). « Le scepticisme… cesse d’être une vertu pour devenir une sorte de perversion de l’esprit » (p. 17) quand il prétend rendre compte du climat, de l’euro, du compte en banque ou de l’état de santé.

    Mais dès que nous abandonnons les aléas quotidiens pour réfléchir aux fondements supérieurs de la vie,  toute idée de vérité est systématiquement disqualifiée.

    Le propos : un plaidoyer pour le vrai

    Convaincu de l’universalité du vrai, du beau et du bien, monsieur Paul Vaute entend « rendre leur place à ce qu’on n’ose plus appeler les fondamentaux » (p. 18), ces « données premières mises en lumière à l’aide des facultés de l’esprit humain » et véhiculées par le double héritage grec et judéo-chrétien.

    Soutenu par de très nombreuses citations parfaitement référenciées, son livre constitue une « défense et illustration » de l’idée de vérité.

    Dans cette quête, point de fanatisme ou de triomphalisme : « Nous ne possédons pas la vérité ; nous ne sommes qu’à son service, humblement et conscient qu’elle nous dépasse » (p. 19).

    Loin de nuire à la liberté et à l’honnêteté de cette entreprise, la lumière de foi fait connaître le terme de la route sans que nous puissions « pleinement décrire ce qu’il recèle », même si nous savons qu’il est « la plénitude à laquelle nous aspirons » (p. 20).

    La démarche : retrouver les racines de la faillite du vrai, proposer un discernement

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    Une première partie (« L’épreuve du temps », pp. 25-68) brosse à grands traits « l’émergence et l’évolution des grandes approches auxquelles a donné lieu la question du vrai ». Dans cette épopée, trois « grands phares » (p. 21) apportent à l’humanité une incomparable lumière : Jérusalem, Athènes et Rome. Mais les bases de la grande synthèse scolastique du XIIIe siècle s’ébranlent peu à peu sous le choc des crises du XIVe siècle, des ruptures de la Renaissance et la Réforme, ainsi que des Lumières du XVIIIe siècle.

    Une deuxième partie (« L’ère du relativisme », pp. 69-153) éclaire la contestation de l’aptitude à discerner et affirmer le vrai et le faux avec certitude.  Le doute heurte d’abord les données de la foi et de la morale, puis s’exerce contre toute activité de l’esprit, sans finalement  épargner les sciences exactes.

    Après avoir exposé les errements de la pensée et leurs conséquences (individualisme, collectivisme de l’opinion publique, idéalisme), la dernière partie (« Impasses et cheminements », pp. 155-317), recherche comment renouer avec l’ « adæquatio rei et intellectus ». Au service du vrai, les cheminements philosophiques et théologiques (raison et foi en une Révélation) peuvent concorder. Reste enfin à déterminer la place de l’idée de vérité dans une société pluraliste.

    Pour faciliter la lecture de ce plaidoyer, essayons de dégager les principales articulations de son argumentation.

    Recours à l’histoire

    Comment comprendre l’actuelle allergie à toute idée de vérité ? L’histoire reste « maîtresse de vie »[1]. Il ne s’agit pas d’esquisser une caricature simpliste prétendant tout expliquer par une conjuration occulte et généralisée contre la vérité. Scruter l’expérience des Anciens et les découvertes des Modernes permet de transmettre aux prochaines générations une tradition fructifiée et vivifiante.

    Sans nous borner aucunement à « l’argument de l’autorité indépassable des Anciens » (p. 22), nous devons tirer profit « du neuf et de l’ancien » (Mt 13, 52). En plein milieu du XIIe siècle, selon Jean de Salisbury, Bernard de Chartres  déclarait : « Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux »[2].

    Au lieu d’en faire une succession d’avis contradictoires ou un jeu perpétuel de destruction des systèmes, n’est-ce pas cette façon de parcourir l’histoire des courants philosophiques que nous propose l’auteur ?

    Une philosophie en quête de la vérité

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    Parménide, Socrate et Platon font émerger et s’affiner le concept de vérité. Un, immuable et éternel, lié au bien et au beau, le vrai établit un  rapport de conformité, basé sur les critères de l’exactitude de la représentation : c’est l’adéquation entre ce qui est dit et ce qui est. Face aux sophismes, le principe de non-contradiction établit qu’une même chose ne peut pas être et ne pas être en même temps et sous le même rapport.

    Le réalisme intégral d’Aristote oriente les intelligences vers le réel et non plus vers les Idées platoniciennes. La recherche de la vérité passe par l’analyse de la réalité (déduction, classification, recherche des causes) ; dès lors le langage, par quoi la vérité est symbolisée et communiquée, dérive de la réalité qu’il signifie. Les notions d’acte et de puissance permettent de rendre compte de la permanence et du changement (auquel la philosophie d’Héraclite était si sensible).

    L’Incarnation du Verbe oriente l’intelligence vers une disponibilité à la vérité qu’enseigne Jésus, qui se définit lui-même comme « Voie, Vérité et Vie » (Jn 14, 6). La notion de révélation divine renverse la conception d’un homme assurant lui-même son salut par sa seule connaissance (gnosticisme).

    Pour un chrétien, l’impossibilité de renier les exigences de la foi n’aboutit pas nécessairement à une intolérance civile pratique. Ce fut d’ailleurs un adversaire acharné du christianisme, l’empereur Julien l’Apostat, qui chercha à imposer l’enseignement « des doctrines conformes à l’esprit public » (édit du 17 juin 362, pp. 41-42).

    Aux XIIe et XIIIe siècles, la scolastique se met à l’école de l’argumentation « secundum Aristotelem et veritatem rei » (selon Aristote et la vérité de la chose réelle, p. 36) et récuse les théories d’une double vérité (une proposition vraie en philosophie et fausse en religion). D’ailleurs, « le christianisme n’est pas une religion du Livre, mais une religion de l’interprétation du Livre » (pp. 44-45). Chez saint Thomas d’Aquin, la raison est en adéquation au réel (« adæquatio rei et intellectus », p. 46) et s’accorde harmonieusement avec la foi.

    Déconstruction de la philosophie médiévale

    La dislocation de la synthèse thomiste commence bien avant l’ère des Lumières.

    Dès le dernier quart du XIIIe siècle, le déchirement de la Chrétienté (malgré l’union réalisée au concile de Lyon II, en 1274, Latins et Byzantins vivent dans une séparation de plus en plus effective), l’échec des dernières croisades, les luttes continuelles de l’Empire et de la Papauté, l’émergence des Etats, l’anticléricalisme des légistes, le prestige du droit romain antique manifestent un malaise grandissant et compromettent la vision des grandes synthèses scolastiques.

    L’essoufflement du réalisme se précipite au XIVe siècle, avec l’essor des nominalistes pour lesquels seuls le singulier et le sensible sont réels et premiers ; l’universel et l’intelligible sont alors perçus comme des productions artificielles de l’esprit. Conjointement avec un littéralisme biblique, l’unité de la théologie et des sciences est remise en cause. La foi et la raison semblent ne pas concorder, voire se dresser l’une contre l’autre. Les critiques contre l’interprétation thomasienne d’Aristote se multiplient.

    La redécouverte des auteurs grecs et l’apparition de l’imprimerie, puis la Renaissance contribuent à relativiser l’héritage thomasien réaliste ; à la lecture thomasienne de la philosophie aristotélicienne sont substitués les courants néo-platoniciens. La théologie s’enferme dans le carcan nominaliste et la méfiance envers les capacités de la raison. Les différents courants de la Réforme remettent en cause l’autorité du Magistère et favorisent une libre interprétation de la Bible et des dogmes.

    Le « Cogito » cartésien marque une nouvelle étape en faisant "table rase du passé" ; le sujet pensant devient à lui-même son seul sujet digne d’intérêt.

    Se dressant contre la vérité éternelle et immuable, rejetant l’humble docilité au réel, les penseurs dès la fin du XVIIe siècle ne voient plus dans la raison une capacité de connaître rationnellement, mais désignent sous ce nom « une faculté critique dirigée contre les autorités religieuses et les pouvoirs politiques » (p. 58).

    Les progrès des sciences exactes font découvrir un cosmos illimité qui heurte la conception ancienne d’un univers fini et hiérarchiquement ordonné.

    La pensée se coupe du monde

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    Dès l’âge classique se multiplient les théories qui soumettent la vérité non plus au réel, aux données de l’expérience, mais aux critères des sciences mathématiques (Leibniz), aux axiomes (Spinoza), aux propriétés internes de l’idée.

    Depuis Descartes, la pensée philosophique s’est concentrée sur la critériologie. Avant de se tourner vers le réel, c’est la pensée qu’il faut interroger ; finalement celle-ci ne peut être certaine que de son propre contenu.

    « Les essences des choses, les principes fondamentaux de la logique, de la mathématique, de la morale et de la physique sont le résultat d’une institution arbitraire de la part de Dieu. A l’encontre de saint Thomas d’Aquin pour qui les vérités éternelles font partie de la vérité de Dieu, Descartes professe qu’elles sont créées » (p. 63). Le divorce de la science des vérités éternelles d’une part, de la vérité de Dieu et de l’ontologie d’autre part, est consacré.

    Les philosophes du XVIIIe invoquent la Raison et le Progrès contre les supposés «  obscurantismes ».

    Sur ce terreau intellectuel germent l’idée de l’infaillibilité de la volonté générale, et la confiscation sartrienne par l’homme de la « liberté créatrice que Descartes a mise en Dieu » (p. 65).

    Selon la belle formule d’Antoine de Saint-Exupéry, « les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes. Hors les sciences de la nature, ça ne leur a guère réussi » (p. 63).

    Vers l’idéalisme absolu (p. 65)

    Selon Kant, la réalité existante est inconnaissable. « Nul besoin de fondement théologique : l’homme seul atteint le vrai par sa seule sensibilité (réalisme empirique) et par les seules catégories de son entendement (idéalisme transcendantal) » (p. 65). « L’esprit impose ses lois universelles au réel » (p. 66).

    Aux yeux de Fichte, « la réalité n’est plus seulement inconnaissable, elle est niée. Seul demeure le sujet pensant » (p. 66).

    D’après Hegel, « seule demeure la pensée se développant selon ses exigences intérieures. La contradiction entre l’aspiration de l’homme à la vérité et l’impossibilité de progresser en ce sens sans rencontrer des désaccords (est) surmontée historiquement par la dialectique » (p. 66). L’éternité est en marche dans le devenir humain. « La vérité est en perpétuel développement » et se révèle dans le processus dialectique (thèse, antithèse, synthèse).

    Ainsi tout pourrait devenir fonction du temps et de l’histoire : « La révélation historique laisse la place à une histoire révélatrice » (p. 67). Ce n’est plus Dieu, c’est l’Humanité qui est « capable d’instituer le Royaume ».

    Les penseurs ont abandonné l’approche réaliste de la vérité.

    (A suivre)

    Abbé Marc-Antoine Dor

    (*) Paul Vaute, Plaidoyer pour le vrai. Un retour aux sources, in 4°, br., 336 pp., 34€, Editions l’Harmattan, coll. « Religions et spiritualité », ISBN 978-2-343-16233-1, 20.12. 2018.

     _______

    [1] Selon l’expression célèbre de Cicéron (De Oratore, II, 36) : « Historia vero testis temporum, lux veritatis, vita memoriæ, magistra vitæ, nuntia vetustatis, qua voce alia nisi oratoris immortalitati commendatur ? » ; « L’histoire enfin, témoin des temps, lumière de la vérité, vie de la mémoire, maîtresse de vie, messagère du passé, quelle voix, sinon celle de l’orateur, peut la rendre immortelle ? »

    [2] « Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris insidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvenimur et extollimur magnitudine gigantea » (Jean de Salisbury, Metalogicus (1159), livre III, chapitre 4).

    Dès avant 1123, Guillaume de Conches développait la même idée dans ses Gloses sur Priscien à propos des grammairiens récents plus perspicaces que leurs prédécesseurs : « Unde sumus quasi nanus aliquis humeris gigantis superpositus » (cf. Edouard Jeauneau, « Deux rédactions des Gloses de Guillaume de Conches sur Priscien », dans Recherches de théologie ancienne et médiévale 27 (1960), pp. 212-47).

    -II-

    L'ERE  DU RELATIVISME:

    SES MANIFESTATIONS POLYMORPHES

    Dans la première partie de son Plaidoyer pour le vrai,  monsieur Vaute avait brossé à grands traits l’apparition de la notion de vérité chez les Grecs, son affinement dans la chrétienté médiévale, puis la désaffection progressive à son égard de la part des philosophes, des « sages » et des intellectuels à partir du XIVe siècle.[1]

    Une deuxième partie (« l’ère du relativisme ») s’attache à décrire les conséquences ultimes du refus de tout concept de vérité. Ayant recherché les racines historiques de ce rejet, notre auteur examine maintenant les fruits de cette désaffection mortifère. 

    L’héritage de l’Aufklärung (des Lumières)

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    Ce qui n’était qu’élucubrations philosophiques de certaines « élites » à l’époque de l’Aufklärung (des Lumières) est devenu la nourriture quotidienne de nos contemporains en Occident. « Le bien, le beau, le vrai seront minés, dénigrés, vilipendés, battus en brèche dans une interaction constante avec la transformation des mœurs, les propagandes politiques, littéraires et plus tard mass-médiatiques, la remise en question scientifique des critères de vérité et de réalité, sans omettre la perte de crédit des valeurs traditionnelles sous l’effet de leur trop fréquente instrumentalisation hypocrite par la société bourgeoise » (71).

    Si la vérité n’est que conformité à un système scientifique, le monde doit être réorganisé sur la base de quelques principes : toutes les idéologies et totalitarismes des XIXe et XXe sont ici en germe.

    Aujourd’hui  « le credo politique, social, philosophique, religieux esthétique dominant du monde occidental, c’est de ne pas en avoir, hormis la vulgate démocratique et humanitaire convenue » (73). C’est le règne de l’anti-dogmatisme, l’extermination des certitudes, l’identification du bien et du vrai aux choix fluctuants de l’opinion publique.

    L’élargissement des connaissances et la fascination des variétés des civilisations ont favorisé une relativité généralisée qui « frappe de suspicion toute idée d’une vérité transcendant les multiples formes historiques » (74).

    Même chez les chrétiens, s’est glissée l’idée d’une nécessaire conversion au Progrès, à l’Evolution et aux attentes du Monde, sous prétexte d’ouverture d’esprit.

    Pour nombre de philosophes actuels, la vérité n’est pas une adéquation de l’intelligence à la réalité, mais un instrument linguistique et purement logique, totalement déconnecté d’une réalité intelligible.

    La vérité scientifique sur la sellette 

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    Finalement « la négation du vrai devait forcément se retourner, tôt ou tard, contre les disciplines qui l’avaient cultivée et promue » (81), les sciences humaines (sociologie, anthropologie…), puis les sciences de la nature, enfin les sciences exactes.

    L’observation passe désormais pour être « une construction du sujet, et non d’abord la découverte de quelque chose qui serait là indépendamment du sujet observant » (82).

    Les sciences expérimentales ne sont plus d’abord confrontées aux faits, mais reposent sur des théories intellectuelles, qui ne sont pas « vraies », mais qui entendent provisoirement rendre compte des phénomènes observés jusque-là.

    Il n’y a plus de vérités rendant compte de la réalité, il y a des systèmes d’interprétation et de lecture, a priori tous possibles.

    La « vériphobie » triomphante

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    Puisque sont rejetées « les pierres d’angle » (Chantal Delsol), « le trio de tête des maîtres-penseurs du temps est aussi, selon l’expression de Paul Ricoeur, celui des maîtres du soupçon » (88) : Marx, Nietzsche et Freud.

    S’il n’y a plus de vérité objective, « tout est faux ! tout est permis ! » (Nietzsche, 90). Il n’y a plus ni enracinement ni ancrage ; la vérité est le devenir, « la marche, une marche sans chemin, sans sens, sans commencement, sans but » (90).

    La théorie de la relativité générale est passée du champ des sciences physiques à tous les autres domaines. « Tout est relatif », entend-on aujourd’hui fréquemment. Les critères immuables du bien et du mal, du vrai et du faux, du beau et du laid ne seraient que des faits de culture dont les sciences sociales montreraient la relativité. En résultent la revendication du « droit à la différence » et l’égale légitimité de toutes les hiérarchies de normes.

    L’exact et l’erroné n’importent plus : ce qui compte, c’est l’effet médiatique. On accuse la vérité de complicité avec les intérêts et l’autorité d’un parti cherchant à asseoir son pouvoir. Toute autorité spirituelle ou temporelle est récusée, tout comme les idées de nature et de normalité (ou de folie). Ultimement ce serait le rejet « de tout ce qui peut faire sens, signification, affirmation » (96). « La liberté, l’authenticité, la créativité sont érigées comme autant de remparts contre les contraintes, les conventions, les traditions » (105). A la recherche de la vérité se sont substituées les critères d’utilité et de succès, le « vivre ensemble » comme support de l’édifice social, la recherche du plaisir, la conformité à l’esprit du temps, les émotions, les enquêtes sociologiques ou ethnologiques.

     « Vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux » (Gn 3, 5) : telle fut la tentation primordiale de nos premiers parents. Ne se retrouve-t-elle pas dans l’idée que l’existence de Dieu fait obstacle au progrès et au règne de l’homme, qui devrait être « roi du monde et juge infaillible du bien et du mal » (112) ?

    Mais quand est proclamée la mort de Dieu, la mort de l’homme n’est-elle pas en fait imminente ?[2] Refusant de recevoir sa nature, « l’homme qui s’idolâtre comme puissance ne s’aime pas comme sujet et s’acharne dès lors à se déconstruire » (114). « L’homme finit par s’auto-engloutir et disparaître pour n’avoir pas pu s’ouvrir à autre chose que lui-même » (115).

    Il suffit de rappeler que le XXe siècle est par excellence « le siècle des génocides, des épurations raciales et idéologiques, de l’avortement et de l’euthanasie de convenance personnelle ou sociale » (115), et des camps de la mort. Les tenants de la « deep ecology » ne voient-ils pas dans la présence de l’homme sur terre « un fléau dont elle appelle de ses vœux l’extinction par dénatalité » (116) ?

    Capharnaüm dans l’Eglise

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    De nos jours, les chrétiens également sont mal à l’aise avec la notion de vérité. Selon le diagnostic porté en 1999 par le cardinal Ratzinger, la crise profonde du christianisme en Europe « repose sur la crise de sa prétention à la vérité » (118).

    « La liberté tous azimuts et l’anti-doctrinarisme » (119) ont séduit bien des élites catholiques. Ainsi lit-on avec affliction un prêtre considérer que : « l’Eglise catholique est malade, gravement. C’est un cancer qui la ronge. Ce cancer, c’est le dogme » (119). Au lieu de chercher à perfectionner l’édifice thomiste là où ses limites se font sentir, on est passé « avec armes et bagages dans le camp du relativisme ambiant » (120). 

    D’aucuns se tournent alors vers le syncrétisme, d’autres se rallient aux oracles des enquêtes sociologiques, d’autres encore restent plongés dans l’immanentisme (« tout phénomène de conscience est issu de l’homme en tant qu’homme », 120), qui fut père du modernisme condamné par saint Pie X.

    « Les postulats sur lesquels repose notre civilisation étant réputés infaillibles, ce sont les données de la foi qui doivent se purger de tout ce qui les contredit » (127).  Où sont le témoignage prophétique et le martyre s’il faut seulement se rallier aux modes dictées par le Monde ?

    Paul Vaute n’oublie pas de relever les « aspects qu’on peut porter à l’actif du courant progressiste chrétien » (125) : une relation dynamique avec la vérité suprême, l’intérêt du dialogue pluri-convictionnel, une meilleure perception des limites du pouvoir spirituel, l’engagement social.

    Mais il constate aussi les manifestations du relativisme chez les chrétiens : renonciation à l’idée de vérité et à sa prédication, dissociation de l’amour de Dieu et de sa vérité, tri des dogmes, incompréhension du rôle de l’Eglise, rejet du magistère au nom de la liberté du croyant, lecture dialectique opposant artificiellement (à l’encontre de Vatican II) dans l’Eglise le peuple de Dieu, la société organisée hiérarchiquement et le Corps mystique du Christ.

    Désacralisation de la liturgie, dissociation de la vie religieuse et de la culture dans laquelle elle s’incarne, effondrement de la pratique religieuse, attrait des « contre-cultures » de mort, des sectes et des croyances de substitution (magie, superstitions, divinisation des stars, idolâtrie, etc.), déracinement des jeunes, montée de l’Islam, etc. : l’étouffement du christianisme en Occident n’apparaît-il pas inéluctable . 

    Ayant ainsi exposé les racines et les causes de la crise de la vérité (1ère partie), puis ses fruits ou manifestations polymorphes (2e partie), il nous reste à découvrir les jalons que l’auteur propose dans sa dernière partie pour discerner les remèdes[3].

    (à suivre)

    Abbé Marc-Antoine Dor,

    recteur de l’église du Saint-Sacrement à Liège

    [1] Voir Vérité et Espérance/Pâque nouvelle, n. 110, 1er trimestre 2019, pp. 8-11.

    [2] « On entend beaucoup parler, aujourd’hui, des droits de l’homme. Dans de très nombreux pays, ils sont violés. Mais on ne parle pas des droits de Dieu. Et pourtant, droits de l’homme et droits de Dieu sont étroitement liés. Là où Dieu et sa loi ne sont pas respectés, l’homme non plus ne peut faire prévaloir ses droits. Nous l’avons constaté en toute clarté à la lumière du comportement des dirigeants nationaux-socialistes. Ils ne se souciaient pas de Dieu et persécutaient ses serviteurs ; et c’est ainsi qu’ils ont traité inhumainement les hommes à Dachau, aux portes de Munich, comme à Auschwitz, aux portes de mon ancienne résidence épiscopale de Cracovie. Aujourd’hui vaut encore ce principe : les droits de Dieu et les droits de l’homme sont respectés ensemble ou ils sont violés ensemble. Notre vie ne sera en bon ordre que si nos rapports avec Dieu sont en bon ordre » (saint Jean-Paul II, homélie à Munich le 3 mai 1987 pour la béatification de Rupert Mayer).

    [3] Pour faciliter notre exposé, nous rattachons la dernière section (« Où en est la nuit ? », pp. 137-153) à la présentation des « impasses et cheminements » proposés par l’auteur.