Le mercredi 24 avril 2013, Monseigneur Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles a fait salle comble à l’Université de Liège pour un débat sur ce thème avec le professeur Gergely, directeur de l’institut d’étude du judaïsme Martin Buber (ULB) (*) La manifestation était organisée par le Groupe Ethique Sociale de l’Union des Etudiants Catholiques de Liège, sous la forme d’un lunch-débat auquel ont notamment pris part l’évêque de Liège, Mgr Jousten, et le Curé-Doyen de Liège-Centre, le chanoine Eric de Beukelaer, ainsi que plusieurs professeurs et membres des personnels académique et scientifique de l’ « alma mater » liégeoise.
Monseigneur Léonard a rappelé d’emblée que la Loi de l’ancienne alliance et singulièrement le Décalogue devaient être lus à la lumière de l’alliance nouvelle et éternelle instituée par le Christ : avec la famille humaine universelle, qui dépasse les liens du sang.
Dans le débat public, comment pouvons-nous en rendre raison ?
L’humanité se caractérise par une intelligence et une volonté ouvertes sur la totalité de l’Être. Cette ouverture est rendue possible par la conscience réflexe qui établit chez l’homme une distance entre lui-même et ses conditionnements : c’est ce que nous appelons la liberté. Le don de la liberté ne supprime pas les autres données de la nature, celles que l’homme partage avec le reste de la création, singulièrement les animaux, mais avec des inclinations spécifiques :
- conserver la vie mais en sachant prendre des risques avec la sienne propre ;
- la transmettre, mais en gérant sa fécondité ;
- organiser une vie sociale, mais en respectant la personne de chacun ;
- bref, « gérer la vie », mais selon la raison inspirant le bien commun.
Par là, conclut Mgr Léonard, nous rejoignons l’objet du Décalogue inscrit en toile de fond de la civilisation judéo-chrétienne.
Selon le professeur Gergely, les « Dix Commandements », dont deux versions sont inscrites dans la Torah, sont importants mais toute la Loi l’est au même titre : celle-ci est un code qui, sauf trois exceptions (dont le blasphème contre Dieu qui est la souce de la Loi), demeure transgressible lorsqu’une question vitale est en jeu.
Mais, selon l’orateur, le vrai fondement des droits de l’homme se trouve dans le respect du Shabbat, car le judaïsme est d’abord une orthopraxie. Quoique transcendant, Dieu n’est pas extérieur au monde (contrairement au « Dieu » des philosophes) : il crée dans l’histoire et, souverainement libre, se repose « le septième jour ». L’homme est son usufruitier : il transforme ce monde et, semblablement, s’arrête pour sanctifier le septième jour. Par là, il se libère de l’esclavage du temps et de l’homme par l’homme : voila le fondement éthique des droits de l’homme.
Le jeu des questions et des réponses fut ensuite conduit par Paul Vaute, chef d’édition de « La Libre Belgique-Gazette de Liège ».
Le rapprochement des juifs et des chrétiens a-t-il progressé ? Le climat a sans doute changé mais, pour un juif, le christianisme reste, selon l’expression du professeur Gergely, une religion dérivée, celle du culte de l’homme Jésus, dont la religion était cependant le judaïsme.
Qu’en est-il des mariages « mixtes » entre juifs et chrétiens ? possibles, ils doivent néanmoins être gérés avec prudence pour la stabilité des couples.
Les « droits de l’homme » ne sont-ils pas dénaturés par le subjectivisme contemporain ? Pour Mgr Léonard, on assiste à une inflation de « droits » particuliers, dont la création s’inspire d’un idéalisme individualiste sans rapport avec les droits fondamentaux : ceux-ci se déclarent ou sont reconnus mais ne se fabriquent pas. Néanmoins, interroge le professeur Gergely, le Décalogue est-il l’unique source possible des valeurs universelles sur lesquelles puissent se fonder les droits de l’homme ?
L’humanisme athée n’a-t-il pas sa part de responsabilité dans la transgression des droits fondamentaux ? Sur ce point les orateurs se rejoignent : aucun humanisme, religieux ou non, n’est à l’abri des dérives de la violence. Le XXe siècle a conjugué le progrès des sciences avec les pires génocides (Auschwitz, Cambodge, etc.), inspirés notamment par le paganisme nazi ou le marxisme-léninisme. La Shoah, estime M. Gergely, n’a rien appris à l’humanité et l’histoire ne sert pas de leçon. Jusqu’ici.
Le respect de la vie n’a-t-il pas ses limites (avortement des handicapés, euthanasie des mourants sans espoir) ? Pour Mgr Léonard, il y a toujours une autre solution que faire disparaître une personne. Le jugement porte sur les comportements (Dieu seul est juge des consciences). Ce point de vue est partagé par le rabbinat juif.
Et quid du « mariage gay » qui fait l’actualité en France ? Mgr Léonard estime que les parlements ne sont pas les maîtres de l’anthropologie, ni du sens des mots. Toutes les formes de convivance n’ont pas une vocation naturelle à être insérées dans le droit propre à la famille. Sinon, pourquoi pas demain l’inceste ? (**)
JPS
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(*) Le professeur Gergely remplaçait le grand rabbin Guigui, inopinément empêché.
(**) Ce débat enregistré fera l'objet d'une publication intégrale, disponible sur simple demande.
Prochaines conférences :
Mardi 21 mai 2013
« Les Droits de l’Homme à l’épreuve de la diversité culturelle »
Chantal DELSOL, Professeur de Philosophie Politique à l’Université de Paris-Est, et Membre de l’Institut
Mercredi 19 juin 2013
« Eclipse de Dieu, éclipse de l’Homme »
Rémi BRAGUE, Professeur ordinaire à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et à la Ludwig-Maximilian Universität de Munich. Membre de l'Institut, prix 2012 dela Fondation Ratzinger-Benoît XVI
Ces rencontres ont lieu à la Salle des Professeurs dans le bâtiment du Rectorat de l’Université de Liège, Place du 20 Août, 7, 1er étage (accès par l’entrée principale, parcours fléché). Horaire : apéritif à 18h00 ; exposé suivi d’un lunch-débat : de 18h15 à 20h30.
Inscription obligatoire trois jours ouvrables d'avance, par téléphone : 04.344.10.89 ou e-mail info@ethiquesociale.org . P.A.F. : 10 € (étudiants 2 €) à régler sur place.
Plus d’informations ici : http://www.ethiquesociale.org/ |