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Famille: le synode de la confusion

verité et esperance n° 97406.jpgFAMILLE : LE SYNODE DE LA CONFUSION

 

 Quel bilan tirer, en effet, aujourd’hui des  deux synodes réunis  à Rome par le pape du 5 au 19 octobre 2014 et du 4 au 25 octobre 2015 ? Réponse de Thibaud Collin dans le journal « La Croix » du 3 novembre 2015 :   

« Il me semble pertinent de les remettre dans la perspective de l’intention du pape qui les a convoqués.1310gender1.jpg Si on suit attentivement ses déclarations et ses choix depuis plus de deux ans, il semble clair que l’objectif premier était de susciter un débat dans toute l’Eglise afin de l’amener à vivre une « conversion pastorale ».

Soucieux que l’Eglise se mette en situation d’ « hôpital de campagne », le Saint-Père souhaite lever certains obstacles rendant incompréhensible et même scandaleuse aux yeux de nombre de nos contemporains la morale de l’Eglise sur la sexualité et le mariage. Reprenant de facto l’agenda du cardinal Martini exposé en 1999 au synode sur l’Europe, il cherche comment dénouer certains « nœuds disciplinaires». Plutôt qu’une Eglise comme celle de saint Jean-Paul II apparaissant édicter des lois inaccessibles et donc contre-productives et mortifères, il souhaite promouvoir une Eglise en phase avec l’âge du care (le « prendre soin » en pleine expansion dans les sociétés occidentales postmodernes), c’est-à-dire une Eglise proche de la vulnérabilité des personnes, de leurs échecs et de leurs tortueux itinéraires biographiques. Bref, une Eglise proche et tendre (le pape a lui-même parlé de « révolution de la tendresse »), et non plus une Eglise hautaine et culpabilisante. D’où le désir de se mettre à l’école de «la pédagogie divine » et de viser « l’intégration » de tous ceux qui se sentent rejetés par un discours vu comme moralisateur et excluant.

A l’aune de ce défi, il est normal que la discussion se soit focalisée sur l’accès des fidèles divorcés et remariés civilement, tant cette question cristallise les enjeux cités. Ce sujet s’est imposé comme central non pas parce qu’il serait la marotte des médias mais par la volonté même du pape qui dès le retour des JMJ de Rio (été 2013) a lancé le débat, puis a demandé au cardinal Kasper, célèbre opposant à saint Jean-Paul II et à Benoit XVI sur le sujet, d’ouvrir la réflexion et de poser la problématique au consistoire de février 2014.

Or force est de constater que les trois  numéros du texte final consacrés à ce point (n° 84, 85 et 86) ne concluent pas la controverse. Et pour cause… ces numéros étant issus du cercle linguistique germanique dans lequel les cardinaux Kasper et Müller se trouvaient. Or leurs deux positions étant contradictoires, ils n’ont pu arriver à un consensus dans la formulation qu’en gommant tout ce qui les opposait. Le résultat est que le texte, approuvé par les pères synodaux à une voix de majorité, peut être lu selon deux herméneutiques opposées, celle de la rupture avec le magistère antérieur ou bien celle de la continuité. Un signe d’une telle indétermination est que les trois textes servant de référence (FC 84, CEC 1735 et Déclaration du 24 juin 2002 du Conseil pontifical pour les textes législatifs) sont cités de manières tellement lacunaires qu’ils peuvent autoriser soit une interprétation légitimant le statu quo ante (avec l’idée qu’un texte doit être compris selon sa logique propre et son contexte), soit une interprétation légitimant la nouveauté « pastorale » (avec l’idée que le silence volontaire ou l’omission vaut mise à l’écart). 

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Loin d’être une troisième voie, ce texte peut donc être vu comme la réponse du synode à la question du pape François, réponse sous forme de « retour à l’envoyeur »; comme si le synode avait refusé de conseiller le pape en se déterminant dans un sens ou dans un autre. D’où la grande confusion actuelle due aux  interprétations contradictoires de ces passages du texte. On pourrait objecter que le texte constitue bien une troisième voie, la solution du for interne et du cas par cas, discerné lors d’un accompagnement pastoral. Mais à lire de près le texte, on constate qu’il n’en est rien [1]. Par exemple, un prêtre pourrait-il légitimement, dans certains cas, donner l’absolution à un fidèle qui demeurerait dans une situation maritale objectivement contradictoire avec le sacrement de mariage? Si tel est le cas, on a du mal à voir en quoi cela ne présupposerait pas une remise en cause de facto de la doctrine de l’indissolubilité et de Familiaris consortio (n°84… lu dans son intégralité).

On dit souvent que le pape François a mis l’Eglise en Exercices spirituels, notamment avec ces deux synodes. Le père Bergoglio avait développé dans un article paru en 1990 une méditation très riche sur « l’unité dans la diversité » et le sens du conflit à partir des Exercices spirituels et des Constitutions de la Compagnie de Jésus. Je cite: « Dans le « mouvement »  de l’esprit, il y a des tensions diverses… mais, et je veux affirmer ici ce qui est important, la résolution de ces tensions ne s’obtient ni par une synthèse (qui annulerait la vigueur des polarités particulières précédentes) ni par l’affirmation de l’une de ces multiples polarités et la destruction des autres, ni par le privilège accordé à une ou deux de ces tensions polaires au détriment des autres. Si nous examinons attentivement notre expérience intérieure, nous voyons que les tensions se résolvent sur un plan supérieur, en maintenant, dans l’harmonie nouvellement atteinte, la virtualité des diverses particularités. » [2]

Attendons donc que le pape nous indique, peut-être dans une exhortation apostolique, quel est ce niveau supérieur dans lequel les très fortes tensions engendrées par les deux synodes vont pouvoir se résoudre. »

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[1] Sur ce point, voir l’entretien qu’Aline Lizotte a donné au Figaro : http://www.lefigaro.fr/vox/religion/2015/10/26/31004-20151026ARTFIG00282-synode-l-eglise-catholique-devient-elle-protestante.php?redirect_premium

Voir aussi l’excellente analyse approfondie de ces mêmes trois paragraphes par le père dominicain Thomas Michelet:http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1351170?fr=y

[2] « Conformément à cette espérance… » Espérance, institutions et politique, Parole et silence, 2014, p. 37. Il reprend la même idée dans l’exhortation Evangelii gaudium, n°228

Philosophe et écrivain français, agrégé de philosophie, Thibaud Collin  travaille sur des questions de philosophie morale et politique. Il enseigne  à Paris, au Collège Stanislas et fait aussi partie du corps professoral2 de l'institut d'études anthropologiques  « Philanthropos » (Fribourg) dirigé par Fabrice Hadjadj. (JPS)

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