L'INFAILLIBILITE DES MEDIAS ?
Dans la récente livraison (40e année, n°1) de la Revue « Pâque Nouvelle » on peut lire, entre autres, trois intéressantes réflexions (Jacques Naedts , Olivier Bonnewijn, Bruno Jacobs) sur la relation du corps à l’être et à sa destinée et deux exposés sur la vision de l’au-delà dans l’ancien puis le nouveau Testament (J. Ries).
On trouvera par ailleurs une évocation de l’aoôtre des « petits riens, l’abbé Edouard Froidure (J.-M. Derzelle) ainsi qu’un article sur la procréation médicalement assistée (C. Brochier).
Une réflexion d’actualité sur les médias (Marion Guében-Baugniet) a particulièrement attiré notre attention. Nous la reproduisons in extenso ci-après :
"Le livre Lumière du Monde - entretiens de Peter Seewald avec Benoît XVI a fait un tabac : déjà vendu près d’un million d’exemplaires, il a suscité beaucoup de réactions dans la presse ! A partir de celles-ci et de façon plus générale, il est instructif de relever les tendances actuelles des médias et les motivations qui les sous-tendent.
Comment les médias répercutent-ils les textes et paroles du Magistère ? Que penser par exemple de leur interprétation (concernant l’incontournable préservatif) :Benoît XVI vient d’ouvrir une brèche ?
« Ouvrir une brèche » postule qu’il y a un mur, une muraille. La position de l'Église est donc posée erronément comme celle d’une forteresse. Et d’autre part, le présentateur postule que la vérité, c’est lui qui la détient et donc que le pape commence enfin à faire le premier pas vers la vérité en s’alignant sur l’opinion du moment. Voilà qui illustre bien la réalité pratique dans laquelle nous nous trouvons maintenant : le Magistère n’est plus au Vatican, il est sur les ondes. Au point que si le Pape ou un évêque émet un propos tranchant un peu sur le consensus inconsistant qui tient lieu de morale aujourd’hui, la presse, la TV, la radio clament péremptoirement : « Il a dérapé ! » Et le public finit par faire et croire sien ce qu’on n’arrête pas de lui inculquer. Si bien que la position de l'Église sera attaquée tant qu’elle n’aura pas rejoint le relativisme actuel.
En parlant de « brèche » on semblait mettre une bonne note au pape parce qu’il se rapprochait de l’opinion commune !Si tant est qu’il s’en rapproche car là encore, il faut bien interpréter ses propos. Dans certains cas précis, l’utilisation du préservatif peut constituer un premier pas vers une décision d’inspiration plus morale, un pas qui commence à tenir compte de l’autre, mais ce premier pas, ce n’est pas depuis la brèche de l'Église. C’est un premier pas depuis le plancher. Il s’adresse à des gens (prostituées et autres) qui n’ont pas encore accédé à un réel comportement moral. C’est une pierre d’attente. Une petite pierre. Nous ne sommes pas encore dans cette véritable humanisation de la sexualité prônée par le Pape.
Priorité des mentalités glissantes sur la vérité évangélique
Qui donc à part l'Église tient publiquement un discours sur la qualité humaine de la vie amoureuse et sexuelle ? Les médias ne cherchent pas la vérité mais à grignoter la position de l'Eglise dans un rapport de force… qui habituellement aboutit à la ridiculiser sans vraiment analyser ce que dit le pape. Et là il devrait y avoir une morale minimale du monde médiatique qui consisterait à lire les textes et à les transmettre exactement comme ils sont dits. On ne recherche pas le sens du texte mais à créer un événement scandaleux. Oserait-on faire pareil au sujet des textes de l’Islam ?
D’autre part, nous risquons de tomber dans le piège du changement perpétuel : nous sommes tous façonnés par une information qui change chaque jour. Immergés dans un immédiat paillettes, insoucieux de vérité, nous devenons addictifs aux nouveautés et aux choses qui se démodent. Peu importe si ce qui est nouveau est bon ou mauvais, ce qui importe c’est qu’il soit nouveau. Or si la vérité sur le plan moral tient compte des mentalités et des évolutions, elle n’est pas déterminée par elles. Ce sont les vérités de l'Évangile qui doivent éclairer les mentalités et non l’inverse. Ou alors que serait-il encore besoin de suivre cet Évangile si les mentalités suffisaient ! Or ce n’est pas « ce qui se fait » qui doit dicter la vérité à ce qui devrait se faire.
Contradictions et paradoxes
Il est délicat de développer une parole de Vérité dans un monde qui ne croit plus à la Vérité, à un public qui considère le discours chrétien à la limite comme des vues dangereuses mais qui, très paradoxalement, a soif de ces paroles chrétiennes. Paradoxe : les gens sont créés pour accueillir la parole chrétienne, mais pas formés à l'écouter. Actuellement c’est le monde médiatique qui est devenu la référence passe-partout, épousant et anticipant les pentes laxistes, évitant au public tout travail d’information personnelle et d’approfondissement, comme s'il jouissait de l’infaillibilité non seulement sur la foi, les mœurs mais sur tous les sujets… Et c’est sur fond de vide.
Ce que pourrait dire l'Église désormais sera jugé à l’aune des vues des médias, ultra-dogmatiques encore que soumises aux fluctuations du moment. Nous grandissons tous sous la houlette du Magistère médiatique. Avec une force de pénétration très grande et diffuse les médias forment l'opinion. Nous sommes dans un univers qui n’a plus le sens des limites. C’est pour cela, comme l’a déjà fait remarquer Mgr Tony Anatrella, psychanalyste spécialisé en psychiatrie sociale, qu’on parle beaucoup de personnalités éclatées, voire liquides qui s’identifient à tout ce qui existe mais sans plus avoir aucune consistance intérieure. En fait de morale sexuelle, le désir de l’instant ne peut être une référence pour orienter et assumer sa sexualité. Au contraire, l’homme doit se référer à des valeurs supérieures à lui, celles qui humanisent la sexualité : le don, l’engagement, la fidélité... Certains hommes de médias semblent enfermés dans l’idée infantile de savoir si le préservatif est permis ou défendu. Ce qui d’ailleurs dénote une culpabilité sourde vis-à-vis de la sexualité médiatique.
Comment se fait-il que l’Église « ne passe pas » dans certains médias ?
La cause en est profonde. Elle se situe bien au-delà des dysfonctionnements de la communication. La mission de l'Église est de se faire le vecteur du message du Christ, d'une vérité d’un autre ordre que la vérité du monde. Dans la mesure où ces deux s'opposent, il y aura toujours, au moins pour une part, une opposition entre la logique du monde et celle l'Évangile qui est celle, qu’on le veuille ou non, de la porte étroite. Lorsque Jésus enseigne, il ne cherche pas à faire l’unanimité. Il est venu déranger au nom de son Père pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. Il leur dit : Soyez dans le monde sans être du monde.
La morale laïque a été pendant près d’un siècle – voire même jusqu’il y a cinquante ans – à peu près la même que la morale chrétienne. Les choses ont changé. Aujourd’hui en fait de morale, seule l'Église catholique a une parole publique qui est revêtue d’un certain courage et même d’un courage parfois héroïque. Il lui serait tellement plus commode de se compromettre avec le monde alors que des évêques risquent d’être traduits en justice dans l’exercice d’un enseignement en adéquation avec leur foi. Quant aux religions non chrétiennes, on est plus prudent lorsqu'il s'agit d’interviewer leurs représentants sur les sujets dits « sensibles » (dont, entre autres, l’homosexualité) alors que, soit dit en passant, bien souvent elles sont beaucoup plus sévères. De la qualité amoureuse des relations et de la morale sexuelle, le monde des médias se soucie peu. En revanche, il est le premier à souhaiter le mariage… pour les prêtres et les homosexuels, alors que les lois ne cessent de favoriser le divorce et de proposer des ersatz de mariage (tels le PACS, etc.) aux couples hétérosexuels. Ce qui intéresse, c'est la logique de la transgression. Au fond, le message de l'Église, hors le très petit nombre, qui le respecte ? … Alors pourquoi s’obstiner à titiller ce message ? Peut-être parce que c’est le seul qui témoigne d’une certaine grandeur, d’une certaine noblesse et c’est à son ombre qu’on retrouve quelque dignité humaine en en parlant. Les éducateurs chrétiens expérimentent qu’intuitivement, les consciences savent où est la vérité. Mais pour partie seulement, car d’autre part ils constatent aussi qu’elles sont brouillées… pourtant elles attendent de l'Église une certaine autorité avec un langage universel.
On est aujourd’hui confronté au pluralisme tellement obligatoire qu’il est devenu pensée unique, et mène droit au relativisme : toutes les religions se valent, alibi commode pour n’en approfondir aucune. Une pensée unique très flottante, évolutive, on le verra bien de façon éclatante en bioéthique dans les années à venir.
Le pape : point de référence ?
Oui. Car on reconnaît en lui une certaine excellence personnelle d’abord et une excellence de sa fonction. Mais le pape ne doit pas être seul. Dans chaque pays, il faut aussi les évêques et leurs prêtres, et parmi les chrétiens : des intellectuels, des scientifiques, des politiciens, des chefs d’entreprise, des enseignants, des responsables et animateurs de mouvements, et cetera. Ce n’est pas tout de pointer d’un doigt lucide les positions sournoisement hostiles des médias occidentaux à l’adresse de l'Église catholique. Encore faudrait-il ne pas leur laisser toute la place. A de rares exceptions près, il y a aujourd’hui trop peu d’orateurs, de grands penseurs chrétiens. Et s’ils existent potentiellement, peut-être n’ont-ils pas toujours le courage de se démarquer de cette « pensée unique ». D’autant plus que, s’ils sont laïcs, afficher leur foi chrétienne pourrait nuire à la carrière d’aucuns… Il leur manque cette liberté de ton et c’est très dommage. Même certains membres du clergé subissent un peu comme par osmose l’influence du ton ambiant ou n’osent pas toujours livrer le fond de leurs convictions.
Sans doute y a-t-il une prudence spirituelle et humaine à observer. Un discernement psychologique aussi, sous peine parfois d’être contre-productif. Cela dit, nous sommes dans une période où les choses doivent se dire nettement et s’argumenter comme essaie de faire le Saint Père. Ensuite, que certains médias déforment, c’est leur problème mais au moins les choses sont dites universellement.
Vatican II a souligné le fait que la sanctification du temporel revient aux laïcs chrétiens. Le temps n’est plus où l’on pouvait tout attendre d’un clergé fourni sur mesure... Toute la communauté chrétienne est concernée par la mission. Aux laïcs donc d’adopter des professions ou des activités leur permettant visiblement de prendre la défense de l'Évangile, de le vivre et d’en témoigner. Et ce n’est pas un mince défi ! Aujourd’hui où, comme jamais auparavant, la barque de Pierre doit ramer à contre-courant de l’inversion de beaucoup de valeurs, de l’absence de sens et du laxisme ambiants, sa mission est particulièrement ingrate et périlleuse. Et pourtant… il revient aussi à ceux qui se veulent ses disciples de louer le Seigneur pour toutes ces grandes avancées de l’humanité, pour tant de belles et charitables réalisations, d’actes d’amour salvateurs, qui ont jalonné notre Histoire et continuent aujourd’hui de la marquer, grâce à des hommes, des femmes et même des enfants qui ont puisé toute leur audace à la source de leur foi. Oui, il est aussi des chrétiens heureux ! Et – Dieu merci ! – quelques journalistes convaincus pour le répercuter. Une pensée de gratitude ici à France Catholique, La Croix, Famille Chrétienne, R.N.D., L’Homme Nouveau, etc.
Et tout particulièrement dans nos pages un vibrant merci à feu notre cher Mgr Michel Dangoisse, toujours prêt aussi à monter au bon créneau dans L.L.B. et L’Avenir.
Et le point de vue de Peter Seewald, journaliste non-conformiste ?
Pour terminer revenons-en un instant au co-auteur de Lumière du monde. Seewald est né en 1954 dans une famille catholique, aux confins de la Bavière et de l’Autriche. Dans les années 1968, le jeune Seewald est séduit par le gauchisme révolutionnaire. Il signe sa « sortie d'Église » en 1973. Puis, peu à peu, il s’interroge. « Non sans méfiance, j’entrais parfois dans une église… ». Et … « un jour, j’ai compris que les idéaux de ma jeunesse, je les retrouvais tous dans le message du Christ. Il suffit de lire l’Évangile. Les réponses y sont beaucoup plus radicales que celles du Manifeste de Marx.» Puis, au fil de ses rencontres avec Benoît XVI, l’ancien journaliste du Spiegel et du Bild, qui avait quitté l’Église, y est revenu. Le pape et son interviewer partagent une même interrogation : où va notre société ? où prend-elle ses racines ?
C’est donc à partir de ce questionnement essentiel que s’est développée la relation, professionnelle et personnelle, entre le pape et le journaliste. Le tout dans un climat de confiance : « Le pape ne s’est jamais récusé devant aucune de mes questions. Parfois, j’hésitais, je sentais le poids de sa charge. Mais finalement, j’ai posé toutes mes questions, sur toutes les affaires, même scandaleuses. »
Pour obtenir ces six heures d’interview échelonnées sur une semaine, Peter Seewald est revenu trois fois à la charge. Qu’il a eu raison ! Il est rare de lire un aperçu aussi lumineux de la société occidentale. Avec toute sa pénétrante subtilité, le Pape la décrypte, parfois avec tristesse, plus souvent avec confiance, lucide et ferme mais toujours charitable et porté à l’ouverture. De bout en bout, un chrétien !
Et du coup, on comprend la réaction énergique de Peter Seewald à l’intention de ses confrères journalistes, notamment ceux qui ont réduit son livre d’entretiens avec Benoît XVI à la question du préservatif : « Lorsqu’on « étroitise » tellement une question, cela montre une crise du journalisme qui n’est plus capable de discerner l’essentiel et de le faire partager à ses lecteurs.»
Et le journaliste de confier : « Pour moi, Benoît XVI est plus qu’un grand penseur intellectuel : un maître spirituel. Et un homme profondément humble et bon qu’il est important de connaître « en version originale ».
Marion Guében-Baugniet
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