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Conférences - Page 9

  • Les conditions du dialogue interconvictionnel

     

    par Stéphane Seminckx

    mag_105-page-001.jpgStéphane Seminckx est prêtre, docteur en médecine et en théologie. Il est aussi membre de la Prélature de l’Opus Dei en Belgique. En mai dernier, il a pris part à un colloque sur le dialogue interconvictionnel organisé à l’Université libre de Bruxelles par « La Pensée et les Hommes ». Ce symposium réunissait des représentants des grandes religions et de la laïcité. Dans son intervention, l’abbé Seminckx a voulu présenter trois brèves réflexions sur les conditions d’un tel dialogue. Il nous a aimablement autorisé à reproduire ici le texte de sa communication :  

    Vérité et dialogue

    Le dialogue n’est pas un simple échange d’idées, au risque de se réduire à un bavardage. Le dialogue vise à se comprendre, sur base d’une ambition commune de recherche de la vérité.

    Il est risqué — voire déplacé — d’évoquer ici la notion de vérité comme condition essentielle du dialogue. Aujourd’hui, se réclamer de la vérité — au singulier — est plutôt perçu comme un affront au dialogue, comme de la prétention et de l’arrogance, comme un manque d’ouverture à l’autre et à sa vérité.

    Nous parlons bien entendu ici de convictions, c'est-à-dire de vérités fondamentales (Dieu existe ou n’existe pas ; Jésus-Christ est Dieu ou ne l’est pas ; après la mort, soit il y a quelque chose, soit il n’y a rien). Dans ces domaines, la vérité est une, non modulable, et elle nous précède : nous ne la produisons pas. On peut dire de façon tout à fait légitime « Pour moi, Dieu n’existe pas » ou « Pour moi, il existe », mais le fait est que soit il existe, soit il n’existe pas : c’est la réalité qui nous intéresse, pas la perception que nous en avons. En bonne philosophie, la vérité est l’adaequatio rei et intellectus.

    Si quelqu’un est prêtre de l’Eglise catholique — avec tout ce que cela suppose comme engagement —, ce n’est pas en vertu d’une perception subjective ou d’un vague sentiment, mais en vertu d’une ferme adhésion à une réalité que l’intelligence, éclairée par la foi, perçoit comme certainement vraie.

    Cet homme de Dieu est-il pour autant un être arrogant, fondamentaliste, intolérant, foyer potentiel de conflit et de violence ? Si quelqu’un peut le penser, c’est probablement dû à différents malentendus, très répandus aujourd’hui.

    Le premier : pourquoi la revendication de la vérité est elle perçue aujourd’hui comme arrogante ? La réponse est bien connue : le climat post-moderne, écœuré par les grandes idéologies des derniers siècles, qui ont provoqué des désastres, est devenu allergique à cette revendication. La seule vérité admise dans beaucoup de cercles aujourd’hui est celle des sciences dites exactes. Les convictions sont réduites au rang des opinions, elles relèvent du goût et des couleurs.

    On est donc écœuré par les idéologies. Mais la religion relève-t-elle de l’idéologie ? Les idéologies sont des constructions humaines, alors que les grandes religions revendiquent pour elles-mêmes d’être une révélation venue d’en haut. S’il en est vraiment ainsi, accueillir la vérité d’en-haut n’est pas de l’arrogance, mais de l’humilité, et la partager devient un devoir de solidarité.

    C’est ici qu’intervient une réflexion fondamentale de Benoît XVI, cité ici non pas tant comme autorité religieuse que comme l’un des plus grands penseurs de notre époque. La religion peut prêter le flanc à l’idéologie. Nous le savons : on déclenche des guerres et on pose des bombes au nom de Dieu. Pour éviter ce danger, dit le pape, la religion doit être passée au crible de la raison. Ce qui est authentiquement divin est conforme à la raison, car Dieu se révèle comme le Logos, la parole, la raison créatrice. C’est le sens de son discours à Ratisbonne (12-9-06).

    Un corollaire de ce premier malentendu : la raison ne doit pas exclure la possibilité de la vérité qui vient d’en haut. Ce serait irrationnel, car il est raisonnable de penser qu’il y a des vérités qui sont au-delà de la raison, tout en restant conformes à la raison. Et non seulement ce serait irrationnel, mais cette exclusion du fait religieux serait un nouveau foyer de violence. On connaît tant de régimes qui, au nom de leur athéisme, ont déclenché — et fomentent aujourd’hui — de terribles persécutions religieuses.

    Benoît XVI ajoute encore une troisième considération propre à la foi catholique : la foi, dit-il, n’est pas un simple package de vérités à croire, elle est une grâce, une force divine, une lumière surnaturelle, un pouvoir de guérison pour notre raison humaine, souvent si faible et limitée. La foi permet à la raison de redevenir pleinement elle-même, ce qui est un message porteur d’une énorme espérance.

    La foi sauve. Elle sauve aussi la raison. C’est le message exactement opposé à ce que pense une certaine laïcité, mais aussi une certaine frange d’hommes de science qui vont jusqu’à penser que la foi empoisonne la raison et qu’elle doit donc être bannie de l’espace public ou du travail académique.

    Enfin, il faut lever un dernier malentendu : proclamer et vivre une conviction religieuse, quelle qu’elle soit, tant qu’elle ne porte pas atteinte au bien commun, constitue une liberté fondamentale, le premier droit de l’homme, car l’aspiration la plus profonde de l’homme est précisément de pouvoir adhérer librement à la vérité, et en premier lieu à la vérité la plus haute. Et donc, comme Voltaire, il nous faut être disposés à donner notre vie pour que chacun puisse vivre sa conviction, même si nous ne la partageons pas, avec comme seule réserve qu’elle ne porte pas atteinte au bien d’autrui.

    Liberté et autonomie

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    Ceci nous amène à ma deuxième réflexion, sur le statut de la liberté. On vient de parler de liberté religieuse et de vérité sur l’homme.

    Les grands débats bioéthiques sont par essence très liés au dialogue entre convictions. Or ce dialogue est pratiquement impossible aujourd’hui, par exemple sur les questions de l’euthanasie et de l’avortement.

    Benoît XVI, parlant au Bundestag, le 22-9-11, en évoquant l’écologie, a précisé : Je voudrais cependant aborder avec force un point qui aujourd’hui comme hier est — me semble-t-il — largement négligé : il existe aussi une écologie de l’homme. L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi nature, et sa volonté est juste quand il respecte la nature, l’écoute et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il accepte qu’il ne s’est pas créé de soi. C’est justement ainsi et seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine.

    Si la liberté est comprise comme une sorte d’autonomie absolue, d’émancipation de la nature humaine pour réinventer l’homme, comme dans l’idéologie du gender, si cette émancipation permet d’ériger notre désir en norme du bien et du mal, il n’y a plus de nature commune entre les hommes, il n’y a plus de vérité ni de liberté, plus de bien commun. Il n’y a plus que des individualités qui s’affrontent, il n’y a plus de force de loi, mais la loi du plus fort.

    Le droit à la vie n’est pas le fruit du dialogue ou d’un consensus démocratique. Il en est le préalable, la condition sine qua non. Si on ne dit pas « Un homme, une vie », on ne peut pas dire « Un homme, une voix ».

    Amitié

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    La dernière considération est peut-être banale, mais sans doute pas inutile.

    Une conviction n’est pas un simple donné intellectuel dont on peut débattre. Une conviction configure une personne : on ne peut comprendre un croyant en faisant abstraction de la foi qui l’habite. Le contraire est vrai aussi : on ne peut comprendre une conviction qu’à travers son fruit, c'est-à-dire la personne que cette conviction a forgée. De fait, le chrétien n’est pas en première instance l’homme qui a été conquis par la puissance intellectuelle d’un catéchisme, mais par la personne de Jésus-Christ.

    Nos convictions s’échangent et nous enrichissent mutuellement par le dialogue académique — comme dans ce colloque — mais aussi par des expériences communes, par le temps partagé ensemble, par le travail conjoint au service d’idéaux communs, par l’appréciation sincère de l’autre, par la bienveillance, en un mot par l’amitié. Les grandes amitiés peuvent déplacer des montagnes.

    C’est une chose que, personnellement, j’ai apprise du fondateur de l’Opus Dei, saint Josémaria. Dès la fin des années 1940, il a demandé au Saint-Siège de pouvoir admettre comme coopérateurs de l’institution des non-catholiques, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des athées, etc. Il a dû insister par trois fois pour obtenir cette permission, car c’était inédit dans l’Eglise. Saint Josémaria était persuadé qu’au-delà des convictions, on pouvait toujours travailler et vivre ensemble entre hommes et femmes de bonne volonté

  • Université de la Vie: janvier-février 2018 à Liège, en multiplex avec quatre autres villes belges et une centaine d’autres villes françaises et européennes

    A Bruxelles + Liège + Mons +

    et cette année Namur + Gand + Louvain-la-Neuve !

    QUE FAIRE DU TEMPS ?

    Défi bioéthique, défi d'écologie humaine.

    Bruxelles- Liège - Mons - Louvain-la-Neuve - Namur et Gand !

    Pour rendre possibles des options biopolitiques humaines, les seules dignes de l’homme, il faut se former pour pouvoir ensuite agir. C’est le but de ces quatre soirées, qui permettront à chacun de réfléchir et de prendre position personnellement face aux défis humanitaires, politiques et culturels à relever.

    Le thème 2018 sera abordé avec l’approche spécifique d’Alliance VITA nourrie d’une part, de l’expérience de ses services d’écoute, et d’autre part, de son travail de sensibilisation du public et des décideurs.

    François-Xavier Pérès, Tugdual Derville, Caroline Roux, François-Xavier Bellamy, Martin Steffens et Valérie Boulanger partageront leurs analyses et expliciteront les convictions et les façons d’agir de l’association, avec une animation globale assurée par Blanche Streb.

    Leurs interventions seront complétées, comme chaque année, par de très nombreux invités : philosophes, sociologues, ainsi que par les témoignages de personnalités engagées sur le terrain.

    Pour la cinquième fois, lUniversité de la vie sera diffusée dans toute la France en simultané dans une centaine de salles, par un système de visioconférence depuis une salle parisienne. L’Université de la vie sera également proposée à l’international. En Belgique, les villes de Bruxelles, Gand, Liège, Louvain-la-Neuve, Namur et Mons assureront une retransmission. Un effort particulier sera de plus effectué pour faciliter l’interactivité au sein des salles et entre elles.

    Ces formations sont organisées depuis Paris par l’association « Alliance Vita » (http://www.alliancevita.org/2015/06/agir ), en visioconférence simultanée.

    Liège sera parmi les 113 villes françaises et européennes interconnectées aux mêmes jours et heures par grand écran interposé : à Liège, les quatre séances se tiendront à l’ « Espace Prémontrés », rue des Prémontrés, 40, salle Beaurepart (entrée par la cour).

      Module 1 : vivre dans son temps 15 Janvier

    • Introduction générale. Nos défis face au temps. FX Pérès
    • Individualisme intégral et bioéthique.Tugdual Derville
    • Une éthique intemporelle face à des lois bioéthiques éphémères. Henri de Soos
    • Grands témoins. Gaultier Bès et Marianne Durano.
    • Décodeur bioéthique : les mots de notre temps. Blanche Streb
    • Biopolitique : s’inscrire dans notre temps. Damien Desjonqueres

    Module 2 : « Etre présent » 22 Janvier

    • Grossesse et maternité : Vivre le temps. Valérie Boulanger.
    • En temps réel. FX Bellamy.
    • Décodeur bioéthique : Etre présent dans le débat. Tugdual Derville
    • Grands témoins. Sophie et Damien Lutz
    • Etre présent auprès des plus fragiles. Caroline Roux

    Module 3. Se donner le temps. 29 janvier

    • Le temps et la vie. Caroline Roux
    • Le temps et la mort.Martin Steffens
    • Décodeur bioéthique : se donner le temps de la réflexion. Xavier Mirabel.
    • Grands témoins. Philippe Pozzo di Borgo
    • L’urgence du temps long. Tugdual Derville.

    Module 4. Conserver, progresser. 5 février

    • Les critères de l’écologie humaine pour notre temps. Pierre-Yves Gomez
    • Un progrès au service de l’homme. Blanche Streb
    • Décodeur bioéthique : S’ajuster au temps. Tugdual Derville
    • Grands témoins. Jean-Baptiste et Séverine-Arneld Hibon
    • Faire du temps notre allié. FX Pérès.

    La qualité du panel des intervenants et la participation des témoins réunis à Liège nous offriront un moment d’échange et de dialogue pour prolonger ensemble la réflexion.
      
    Pour s’inscrire ?

    Soit remplir vous-même le formulaire sur le site http://www.universitedelavie.fr avec paiement en ligne

    Soit téléphoner à la coordination locale (087.22.54.76) pour que nous puissions procéder à votre inscription. Le paiement sera perçu sur place, à l’entrée de la première conférence.

    Tarifs pour le cycle complet (4 soirées)

    Le tarif est le même pour les UDV privées, publiques, et à l’étranger :
    – tarif normal : 30 € par personne 
    – tarif couple (si les deux conjoints inscrits) 25 € par personne 
    – tarif réduit (étudiants, chômeurs, personnes handicapées…) 15€ par personne 


    N'attendez pas ! Inscrivez-vous dès à présent; invitez aussi vos amis et connaissances. 

    Pour tous renseignements : tel. 
    087.22.54.76

    Nathalie Salée-Salmon, médecin et mère de famille, présente l'Université de la Vie 2018 sur RCF Liège

     

    Je prendrai le temps, Nathalie Salée-Salmon

    Présentée par Jacques Galloy dans l'émisssion "GOD'S TALENTS" (MARDI 12 DÉCEMBRE)

    Médecin et mère de 5 charmants enfants, Nathalie Salée-Salmon co-organise la 3ème édition de l'Université de la Vie à Liège avec Alliance Vita, l'Institut Européen de Bioéthique et des Liégeois

    Pour accéder au podcast de l'émission cliquez icihttps://rcf.fr/actualite/societe/je-prendrai-le-temps-nathalie-salee-salmon

  • Mgr Delville: Trésor de la foi et annonce missionnaire

     mag_104-page-001.jpgMonseigneur Jean-Pierre Delville, évêque de Liège,  a  fait devant les délégués des mouvements spirituels de son diocèse réunis à l’évêché une intéressante communication intitulée « Trésor de la foi et annonce missionnaire ». Il a bien voulu nous autoriser à en reproduire le texte, que voici : texte paru dans Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle n° 104, automne 2017 (ce n° est disponible sur simple demande à sursumcorda@skynet.be)

     

    VE PN 104 Trésor Foi et Mission . Kérygme web-jesus-sermont-mount-c2a9leemage.jpg

    « Je vais d’abord voir les dimensions de la transmission du trésor de la foi à la lumière des suggestions du pape François dans Evangelii gaudium (EG). Puis je les illustrerai à travers l’histoire de notre région au cours des âges. Pour chaque époque, j’évoquerai la répercussion dans l’aujourd’hui de ce qui s’est vécu alors[1]. Enfin, je vais profiler des pistes pour activer la transmission de la foi dans notre Église locale, à la lumière des derniers documents du pape François et de nos expériences locales, afin de donner un avenir à nos mouvements, nos paroisses, notre foi, notre Église et notre monde[2].

    1. Les quatre caractéristiques de la transmission de la foi

     

    Dès l’époque de Jésus, on voit que le message que Jésus transmet reçoit deux types de réactions opposées : l’adhésion ou le rejet. Il est accepté avec enthousiasme par les uns, qui y voient une source de vie et d’amour. Il est rejeté par les autres parce qu’il n’est ni évident ni immédiat et qu’il va à l’encontre de nos pulsions premières, liées à la survie, à la sécurité, à la possession… Sous certains aspects, l’Evangile est déjà à l’époque dérangeant. Sa transmission ne va pas de soi. C’est un aspect que l’on voit beaucoup réapparaître aujourd’hui : la foi dérange et est rejetée parce qu’elle est exigeante.

    Selon l’évangéliste Matthieu, « Jésus proclamait la bonne nouvelle du Règne et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple » (Mt 4,23). La transmission de la foi est donc constituée d’un message (un kérygme, une annonce) et d’un engagement salutaire (une éthique du salut).

    1. Dimension kérygmatique

    Il s’agit de la première annonce, celle du cœur de la foi (EG 163), le kérygme : « Jésus-Christ est mort et ressuscité ». Le fait de cibler l’annonce de la foi sur la personne de Jésus est le cœur de l’annonce. Si Jésus annonce le royaume de Dieu, les disciples, après la Pentecôte, centrent la foi sur la personne même de Jésus. Ils partent dans les grandes villes de l’Empire romain. Ils témoignent de ce qu’ils ont vu. Ils centrent tout sur la personne du Christ, sa mort et sa résurrection. En Jésus, se révèle un Dieu de la non-violence, qui donne son sang plutôt que de demander qu’on se sacrifie et donne son sang pour lui. Jésus combat le mal par la prière. Il assume toute la souffrance humaine sur la croix, car il demande que le sang soit épargné. C’est tout le sens du mystère de Pâques, que nous venons de célébrer. Le rôle unificateur de saint Paul est à relever. La transmission se fait dans la plupart des cultures religieuses, ethniques, sociologiques et linguistiques de l’époque. Le pape insiste sur la nécessité de l’apprentissage du contexte biblique dans le cadre de l’école et à la catéchèse (EG 175). L’évangélisation demande la familiarité avec la Parole de Dieu et cela exige que les diocèses, les paroisses et tous les groupements catholiques proposent une étude sérieuse et persévérante de la Bible, en promouvant la lecture personnelle et communautaire.

    1. Dimension éthique ou salvifique

    J’appelle catéchèse éthique celle qui ressort de l’engagement envers les pauvres et envers la paix, en ce qu’il éclaire notre vie, en plus de rendre service aux autres. Jésus guérit les gens malades ou pris par de mauvais esprits. Sa parole se fait engagement et salut. De même les premières communautés chrétiennes sont des lieux en décalage profond avec la société ambiante qui elle est caractérisée par la violence, l’esclavage, l’absence de morale publique, l’exploitation de l’homme par l’homme. Les communautés chrétiennes sont des lieux d’échanges, de partage, de soutien, d’amour mutuel. Elles sont des lieux de rencontres entre les juifs et les païens. La foi est transmise sociologiquement par ces communautés vivantes et dynamiques. Ces communautés sont persécutées car elles s’opposent au pouvoir des empereurs divinisés et sont réputées dangereuses pour l’autorité de l’état. Cela montre l’importance du salut que communique l’évangile, par la médiation de l’engagement des chrétiens.

    1. Dimension communautaire

    Les premiers disciples sont très vite chargés de répercuter le message. Qu’on pense aux 72 disciples, qui reviennent de mission tout contents, en disant : « les démons nous sont soumis ». Ils ne sont pas des pédagogues ni même tous instruits. Ils transmettent ce qu’ils ont compris comme ils le peuvent, sans systématisation. De même, dans les communautés de l’Église primitive, l’amour mutuel des chrétiens est signe de foi.

    1. Dimension mystique ou mystagogique

    Jésus se retire dans la montagne pour prier. De même il invite le chrétien à se retirer dans sa chambre pour prier dans le secret. Cela intrigue ses disciples, au point qu’ils lui demandent : « Apprends-nous à prier ». Jésus leur propose alors la prière du « Notre Père ». Cette prière est en quelque sorte le « credo » de Jésus, la prière de ralliement des chrétiens. L’initiation mystagogique, c’est le cheminement vers les mystères de la foi et vers la prière. Le mot « mystères » a un double sens : il signifie à la fois les sacrements et la dimension mystique de la foi.

     

    1. Les quatre évangélisations successives de nos régions

     

    1. La première évangélisation et sa dimension communautaire (4e siècle)

    L’enrichissement mutuel de la foi et de la culture qui l’accueille entraine une diversité d’expression de la foi. Des différences et des nuances apparaissent. Les quatre évangiles sont les témoins de ces divergences : l’évangile de Luc est d’inspiration hellénistique, l’évangile de Marc est imprégné de culture romaine, celui de Matthieu, de culture juive et l’évangile de Jean, apparu beaucoup plus tard, tend à corriger certaines limites des trois précédents. Le défi alors posé est celui de la diversité. Il y a une vraisemblance que les églises Notre-Dame de la vallée de la Meuse remontent au 4e siècle et aient été fondée par les petites communautés chrétiennes urbaines. Cette première évangélisation a donc un côté communautaire. Nous découvrons aujourd’hui des tendances différentes dans l’Église. Chaque congrégation ou groupe a son charisme, mais aussi parmi les laïcs, on voit des gens plus de gauche ou de droite, des sensibles au spirituel ou au social.

    1. La seconde évangélisation (7e siècle) et sa racine mystique

    Au 5e siècle, les invasions germaniques bouleversent la société romaine. Les Germains ont une culture sensiblement différente de la culture chrétienne et « latine » en vigueur dans l’Empire. Ils pratiquent le culte des objets de la nature (arbres, fontaines, pèlerinages, sacrifices, cours d’eau,…) et recourent à la magie et aux talismans. Cependant les Romains transmettent aux Germains les valeurs de la civilisation et leur foi chrétienne. Les deux cultures vont rapidement s’apprivoiser mutuellement, suite au baptême de Clovis, roi des Francs, une des plus importantes tribus germaniques. Le culte des reliques de saints chrétiens va être progressivement substitué à la religion de la nature des Germains et contribuer à leur évangélisation. Ainsi les Germains sacralisent la religion chrétienne par l’introduction d’un culte de substitution. Aujourd’hui, des formes de paganisme réapparaissent, avec des demandes d’exorcismes, des peurs, l’usage de talismans. D’autre part notre région est au cœur de la rencontre entre Germains et Romains, puisque les deux langues coexistent (germanique et française).

    1. La troisième évangélisation (13e siècle) et sa racine kérygmatique

    Dès le 11e siècle Huy et Liège se développent comme villes. Il se fait une nouvelle évangélisation, portée par les ordres apostoliques comme les franciscains (à Huy dès 1234) et les dominicains ; les croisiers sont fondés officiellement à Clairlieu en 1248. Tous ces ordres s’adaptent à la culture des villes et contestent les richesses. Ils retournent aux sources de l’évangile et au Christ, à la lumière de l’expérience acquise par les croisés en Terre Sainte, d’où ils rapportent des reliques du Christ. Ils diffusent une catéchèse de base et portent une attention particulière à la mission : ainsi saint François d’Assise invente la crèche vivante. Les statuts du diocèse de Liège de 1288 demandent que les parents apprennent aux enfants le Notre Père, l’Ave Maria et le Credo. Le thomisme promeut un nouvel équilibre entre nature et foi. Tout cela, c’est la dimension kérygmatique. Des femmes y participent activement : Isabelle de Huy, béguine, aide sainte Julienne dans la promotion de la Fête-Dieu. Aujourd’hui le christianisme a gardé des traces de cette nouvelle évangélisation ces pratiques urbaines comme les processions, les confréries, les crèches, les hôpitaux, les écoles. Il s’inspire de la pensée de l’époque et de l’apport de saint Thomas d’Aquin.

    1. La quatrième évangélisation (19-20e siècle) : prépondérance de la dimension éthique

    Dès la Réforme (16ème siècle), apparait avec force le rôle de l’individu et l’influence de l’éthique. On ne réfléchit plus d’abord en tant que membre d’une société ou d’une communauté mais en tant qu’individu. Parallèlement, en réaction à certains abus (vénération des reliques, diffusion payante d’indulgences,…), Luther impose un retour aux sources de la foi, les Écritures, en vue du salut de chacun. Mais ce recentrage se fait de manière assez intolérante avec une théologie du primat de la grâce sur la liberté, mais de facto, avec une accentuation sur la cohérence de l’agir chrétien. Kant accentuera le concept de liberté et la transcendance de l’éthique sur la métaphysique.

    Au 19ème siècle, la Révolution industrielle suscite le capitalisme sauvage ; l’Église réagit par la fondation de la démocratie chrétienne, des syndicats chrétiens, des mutualités chrétiennes, de cercles catholiques, qui poussent à l’instauration de lois sociales, réglementant le travail et le salaire. Encore aujourd’hui cette législation et ces associations sont porteuses de dimensions évangéliques dans la société. Les « Cercles catholiques » locaux gardent la trace de cette action de l’Eglise pour la justice sociale. Ceci fait penser au développement sauvage de l’économie aujourd’hui et à la nécessité de nouvelles solidarités (cf. Populorum communio, 4.2)

    Sa dimension kérygmatique

    D’autre part le développement des sciences met en question la fondation de la foi sur la nature et la création, car la géologie montre que le cosmos existe depuis des milliards d’année, alors que jusque 1850 on situait la création en 4000 avant JC.  Ce changement de perspective incite à un approfondissement des rapports entre sciences et foi. Il suscite une nouvelle lecture de la Bible, à la lumière des genres littéraires qui y sont utilisés et à la lumière de sa dimension symbolique. L’approfondissement de la foi devient toujours plus actuel. Le développement des technologies aujourd’hui nous pousse à un nouvel examen du monde et de la répartition des connaissances et des biens (cf. Populorum communio, 4.1).

    Sa dimension communautaire

    Le Concile Vatican II revisite la place de l’Eglise dans la société, insiste sur le rôle de la catéchèse et sur l’incarnation de la foi dans la vie, il valorise le dialogue avec la société et avec d’autres courants spirituels. Il entraine une certaine désacralisation de la foi, la fin d’une prétention à connaître la vérité absolue et à avoir un monopole du spirituel. Le tournant de mai 68 accentue la coupure avec la tradition et les institutions. La participation des laïcs, la réforme liturgique, l’engagement social et le dialogue œcuménique ou interreligieux sont des conséquences du Concile, très actuelles aujourd’hui. La nécessité s’impose de rapprocher les peuples (cf. Populorum communio, 4.3).

    Sa dimension mystique

    Le 21ème siècle est caractérisé par une crise des institutions et par les tensions entre le communautarisme et l’individualisme : qu’on pense à la destruction des tours de New York le 11 septembre 2001. Nous sommes dans un monde hyper-connecté avec une pléthore d’informations qui nuit à la bonne communication et à la transmission des valeurs et de la foi. Elle engendre de nombreuses peurs. Si la foi ne s’appuie plus sur la nature, comment réagir à ces peurs ? On constate un besoin de paternité, d’amour, de modèles. Un retour du sacré, réel mais multiforme, ainsi qu’une rupture des traditions. Dans ce cadre pensons aux nouvelles initiatives chrétiennes chez nous. Apparaît la nécessité d’une gouvernance mondiale pour l’écologie (cf. Populorum communio, 4.4).

     

    1. Les pistes actuelles de la transmission de la foi

     

    On pourrait dire qu’il y a deux types d’analyse de la situation actuelle de la foi : celle de la coupe à moitié pleine et celle de la coupe à moitié vide.

    Coupe à moitié vide : on insiste alors sur la désaffection de la pratique dominicale ; sur la sécularisation des institutions ; sur l’évolution des législations (euthanasie) ; sur l’éloignement de la jeunesse ; sur le petit nombre de prêtres, de religieux et même de bénévoles ; sur les églises désertées et fermées. Dès lors, il faut une optique d’évangélisation à partir de zéro. En ce sens on voit que le catéchuménat des adultes se développe. Il y a aussi le Chemin néo-catéchuménal, qui fait vivre le cheminement du catéchuménat sur plusieurs années à des gens déjà baptisés.

    Coupe à moitié pleine : en relève en ce sens que la moitié des enfants fréquentent les écoles libres catholiques et que 50% des enfants dans l’officiel suivent les cours de religion ; que plus de la moitié des syndiqués sont dans la CSC ; que, si les gens n’ont plus le rythme de la célébration hebdomadaire, néanmoins 60% des Belges se disent chrétiens, d’après une enquête récente. Les gens tiennent aux fêtes chrétiennes, spécialement à Noël, et aux manifestations folkloriques chrétiennes. Ils veulent un enterrement chrétien, et même une messe, alors qu’ils y vont peu durant leur vie. On rouspète si on abandonne une église, même si on n’y va jamais. Face à l’islam dans ses dérives fanatiques, on redécouvre le sens de la foi ; avec le pape François, beaucoup se reconnaissent chrétiens. Après dix minutes de conversation et un petit verre à la main, même un franc-maçon est fier de dire à l’oreille de l’évêque qu’il a été baptisé. En outre la mondialisation ajoute chez nous de nouveaux chrétiens, venus d’autres continents.

    Face à tout cela, on est obligé de voir large. On ne peut pas se contenter de répéter ce qu’on a toujours fait ; on ne peut pas non plus faire comme si on ne partait de rien.

    L’exhortation apostolique Evangelii Gaudium du pape François nous aide à voir des pistes d’action. Le pape François parle d’une Eglise en sortie : « Je préfère une Eglise accidentée, blessée, et sale pour être sortie sur la route à une Eglise malade pour sa fermeture et la commodité de s’attacher à ses sécurités ». Mieux vaut risquer ses talents que de les enterrer sous la terre. Sortir signifie un peu de confusion et renoncer à l’ordre

    Jésus est frappé par les foules qui sont sans berger. Sans émotion, il n’y a pas de pastorale. Ni de mission. Donc volonté de se laisser porter par Jésus. Il faut avoir une volonté de sortir, en nous laissant toucher par l’émotion de Jésus. Il faut rencontrer les besoins de la foule et des nombreux blessés de la vie. Une Eglise en sortie est un peuple qui met du baume sur les blessures de la violence. Un peuple vit non à partir de lois, de valeurs et de préceptes, mais de sentiments de miséricorde, qui ne sont pas des émotions mais sagesse de vie. Les gens veulent vivre un sentiment religieux profond. On peut être tenté par un christianisme de repli dans une civilisation post-chrétienne, un christianisme composé de refuges comme des monastères bénédictins (« Benedict-option ») ; mais le pape François nous pousse à une « Street-option », un christianisme qui descend dans la rue et travaille à la mission globale au service du monde. Il s’agit d’enrichir les autres par les richesses que nous avons reçues.

    1. a) Catéchèse kérygmatique

    Encore aujourd’hui il faut une catéchèse kérygmatique, qui cible l’essentiel de la foi. Je propose que l’on s’attelle à cette catéchèse de la première annonce et que chacun l’approfondisse en faisant un réapprentissage et une réappropriation du credo. C’est par une catéchèse kérygmatique que les protestants évangéliques ont recruté de nombreux chrétiens et comptent actuellement 600 millions d’adhérents dans le monde. Cela nous interroge sur notre capacité à annoncer la foi à ceux qui en sont loin. Le pape a créé le dimanche de la Parole de Dieu, dont la date est fixée en Belgique au premier dimanche d’avent. La Bible est en effet une grammaire de la vie et de ses mystères : l’amour, la mort, la souffrance, la créativité, la fécondité… Sans le langage biblique et la culture biblique, nous devenons des analphabètes de la vie.

    1. b) La catéchèse éthique

    « Aujourd’hui et toujours, les pauvres sont les destinataires privilégiés de l’Évangile », écrit le pape (EG 48). La catéchèse doit passer par l’expérience du service des pauvres et l’engagement pour la paix. Ainsi la foi est confirmée par les œuvres et les œuvres éclairent la foi. Notre langage de paix et nos services aux personnes fragilisées sont la base de cette catéchèse éthique. Cela fait penser aux communautés d’aujourd’hui, qui vivent une foi intense avec des gens d’origines très différentes et qui sont des facteurs de réconciliation. Le pape François, par ses voyages (dernièrement en Égypte et à Fatima), veut créer une mission globale, une réconciliation du monde, d’une manière non idéologique. Le dialogue avec l’islam et avec le judaïsme est donc très important. Il faut arriver à construire partout un État démocratique, qui fait profiter à chacun des richesses spirituelles de tous.

    1. c) La catéchèse mystagogique

    La catéchèse mystagogique implique essentiellement deux choses : une valorisation renouvelée des sacrements de l’initiation chrétienne (baptême, confirmation, eucharistie) et une progressivité de la formation au mystère de la foi, dans laquelle toute la communauté intervient et où le prêtre assure le rôle de représentant du Christ et de successeur des apôtres (EG 167). La transmission de la foi est donc aussi mystique, elle est transmise à travers la prière, depuis la prière personnelle jusqu’à la prière communautaire. Elle conduit au mystère de Dieu, au mystère de la création et elle nous unit à Dieu.

    1. d) La catéchèse communautaire

    Nous sommes tous appelés à transmettre la foi. Donc la démarche de transmission est d’abord une démarche d’Église. L’Eglise doit être missionnaire, elle doit être en sortie (EG 24). Le pape écrit que « l’Église “en sortie” est la communauté des disciples missionnaires qui prennent l’initiative, qui s’impliquent, qui accompagnent, qui fructifient, et qui fêtent ». La communauté évangélisatrice expérimente aussi que le Seigneur a pris l’initiative, il l’a précédée dans l’amour (cf. 1 Jn 4, 10) et, en raison de cela, elle sait aller de l’avant, elle sait prendre l’initiative sans crainte, aller à la rencontre, chercher ceux qui sont loin et arriver aux croisées des chemins pour inviter les exclus.

    Dans ce cadre il faut souligner l’influence des parents et de la famille : cette dimension importante est déjà présente dans les Actes des Apôtres. Les grands-parents ont également (et de plus en plus) un rôle fondamental à cet égard (EG 66). Si le parent n’est pas engagé dans une démarche de foi, même tâtonnante, l’enfant ne sent pas encouragé à y participer.

    Mais il y a aussi le rôle de la communauté, des mouvements spirituels, de l’école, de l’amitié et la camaraderie. Les groupes dont fait partie une personne sont fondamentaux dans sa démarche de foi. Celle-ci est encouragée par l’exemple et par le témoignage, en particulier celui des responsables pastoraux. La collaboration entre les différents niveaux de responsabilité est importante. Mais chaque personne doit être porteuse d’initiatives et de créativité, avec ses charismes propres.

    Il faut enfin un accompagnement spirituel individuel spécifique à tous les âges de la vie dans une perspective de continuité ; c’est un accent mis par le pape François (EG 169 : accompagnement spirituel) et c’est une invitation aux prêtres et aux accompagnateurs à prendre au sérieux leur rôle de pasteurs.

     

    1. Conclusion

     

    Je suis persuadé que notre Église a un avenir. J’oserais dire, en revenant sur le verre à moitié vide et sur le verre à moitié plein, que nous devons travailler dans deux sens. Dans le premier sens, nous devons être saisis par l’urgence d’une annonce de la foi, dans une société qui en est loin, au sens explicite du mot. Il faut trouver de nouveaux lieux d’annonce et d’explicitation de la foi. Les groupes spécialisés peuvent nous orienter. Mais chacun doit oser aussi sortir de sa carapace, vaincre ses tabous et dire sa foi, surtout en racontant ce qu’il vit, ce qu’il fait, ce qu’il sait ce qu’il découvre en cette matière. Il faut semer davantage. Il faut renouveler de manière créative le langage de la foi.

    D’autre part, sachant que l’Esprit souffle où il veut, il faut voir partout les semences d’évangile qui sont parfois implicites, les braises qui couvent sous la cendre. Il faut brasser large, comme fait le pape François ; il faut dialoguer avec tous, écouter, s’engager socialement dans le sens de l’évangile, sachant qu’il y a bien plus d’inspiration chrétienne qu’on ne le croit dans nos sociétés. Il faut s’engager socialement en faveur de la solidarité sociale, de la mixité sociale, de l’accueil du pauvre, du respect de l’écologie, car tout cela est expression discrète de l’évangile. Il faut lutter contre les mouvements qui ont tendance à exclure le religieux de la société. Il faut valoriser les démarches minimales de foi, qui s’expriment parfois par un geste, une prière, une visite, une ouverture d’église, une musique, une œuvre d’art. Que l’Esprit Saint nous aide et nous inspire ! »

     

    † Jean Pierre Delville

    évêque de Liège

     

    [1] Cf. Jean-Pierre Delville, Le christianisme médiéval, creuset de l’Europe, dans Jean-Pierre Delville, Quelle âme pour l’Europe ?, Trajectoire 28, Namur, 2016, p. 57-90.

    [2] Cf. Évêques de Belgique, Populorum communio, Lettre pastorale pour le Carême, 26 mars 2017, Bruxelles, 2017.