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  • Deux, trois pas au Livre de Job

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    "Vir erat in terra Hus, nomine Job: simplex et rectus, ac timens Deum: quem Satan petiit, ut tentaret: et data est ei potestas a Domino in facultates et in carnem ejus...

    "Il y avait, au pays de Hus, un homme appelé Job, simple, droit et craignant Dieu. Satan demanda de le mettre à l'épreuve et reçut du Seigneur pouvoir  sur ses biens et  sur son corps..."

    Job, 1 (offertoire du 21e dimanche après la Pentecôte)

     

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    Il était un homme, appelé Job...

     

    Un homme simple et droit,

    qui vénérait Dieu

    et veillait à garder ses enfants en son amour.

    ~

    Job était entouré d’estime

    et comblé de biens.

    ~

    Il n’est pas entouré d’estime

    et comblé de biens

    parce qu’il vénère Dieu.

     

    Il ne vénère pas Dieu

    parce qu’il est entouré d’estime

    et comblé de biens.

     

    Simplement Job est Job

    et Dieu, Dieu.

    ~

    Là,

    ni « parce que », ni « pour que ».

    Simplement Job est Job

    et Dieu, Dieu.

    C’est tout.

     

    C’est Tout.

    Il ne faut pas chercher plus loin.

    ~

    Dieu garde l’homme en bienveillante main ;

    il « ne dort ni ne somnole » :

    il veille.

     

    « Regardez les oiseaux du ciel...

    Regardez les lis des champs... »

    Dieu pourvoit à tout

    et au-delà.

     

    Job le sait : Job est Job

    et Dieu, Dieu.

    ~

    Il ne faut pas chercher plus loin.

    Job est un homme simple et droit.

    Job vénère Dieu :

    Il est Job ; Dieu est Dieu.

    ~

    Dieu pourvoit.

    A tout.

    Pour rien.

    Dieu est Dieu.

    ~

    « Il fait lever son soleil

    sur les bons, et sur les méchants ;

    et sa pluie, il la prodigue

    aux justes et aux injustes.»

     

    Dieu est Dieu.

    Il donne à chacun

    comme il lui plaît.

    Dieu donc comble Job ;

    Job se tient simple sous le regard de Dieu.

    Tout cela sans calcul.

     

    Ainsi vont selon Dieu les choses.

    En leur principe.

    « In principio... »

    ~

    Sous le regard de Dieu,

    Job est auprès de Dieu.

     

    A l’image du modèle...

    mais de cela, il n’a point révélation

    ― bien plus tard viendra

    la plénitude des temps ―

    ... à l’image du Verbe-modèle.

     

    « Au principe, le Verbe était auprès de Dieu. »

    ~

    La clé de l’Ecriture,

    de toute l’Ecriture,

    c’est le Verbe de Dieu.

     

    Abraham, Isaac, Jacob, Joseph,

    Job et les autres,

    chacun à sa façon le préfigure.

     

    Chaque trait de l’Ecriture

    est touche de pinceau

    où librement s’exprime

    la liberté de l’homme.

     

    Chaque trait, sa liberté ;

    et le tableau pourtant,

    les personnages,

    les récits :

    tout y aboutit au Verbe de Dieu.

    ~

    Pleine vraiment est la liberté de l’homme.

    Et voici : quelque usage qu’il en fasse,

    jamais elle ne met en échec

    le dessein de Dieu.

     

    Par oui, par non,

    c’est le dessein de Dieu qu’elle avantage,

    toujours.

     

    Moïse y concourt,

    Pharaon y concourt.

     

    La bourrasque se lève-t-elle contraire ?

    vent debout cingle le vaisseau.

    ~

    Avance donc, Satan, viens,

    allez, viens

    parmi les fils de Dieu,

    toi qui te présentes devant le Seigneur

    pour dénigrer son Juste.

    Un jour, comme les fils de Dieu

    venaient se présenter devant le Seigneur,

    Satan aussi s’avança

    parmi eux.

     

    «  D’où viens-tu ?

    ― De parcourir la terre. »

    ~

    « ... tel un lion rugissant

    cherchant qui dévorer... »

    précisera le bon saint Pierre.

     

    Le Nouveau le dit

    tout ainsi que l’Ancien.

    C’est l’Ecriture.

    Satan rôde, et jamais ne se lasse,

    il rôde et il dévore.

    ~

    Qui ne reçoit

    humblement

    l’avertissement

    ne sait

    ni le danger

    ni le recours.

    ~

    «  D’où viens-tu ?

    ― De parcourir la terre.

    ― As-tu remarqué mon serviteur Job ?

    Il n’a point son pareil sur la terre :

    un homme intègre et droit.

    ― Est-ce pour rien que Job vénère Dieu... »

    Voilà le propos assassin !

    C’est à bon droit qu’on te nomme le Menteur,

    le Calomniateur,

    toi qui ne vois que mal

    là où il n’est que bien.

     

    Parce que ton œil est ténèbres

    tout ce que tu vois est ténèbres.

    ~

    Et moi, hélas,

    ne suis-je pas disciple complaisant

    à ta détestable école,

    qui tant de fois me prends

     à prêter à autrui

    un noir penser,

    que tu m’instilles ?

     

    « Que si une action pouvait avoir cent visages,

    il la faut regarder

    en celui qui est le plus beau. »

    C’est bien le Tentateur

    qui réclame de nous passer au crible.

    Il ne le peut toutefois

    sans l’agrément de Dieu.

     

    Dieu ne nous soumet pas à la tentation

    Dieu ne nous fait nul mal.

    Mais c’est de sa main,

    de la main de Dieu,

    de Dieu sans qui rien ne se peut,

    que nous recevons

    tentation et mal.

     

    A la requête de l’Ennemi.

    ~

    L’Ennemi frappe Job

    encore, encore et encore.

     

    Et Job dit :

    « Le Seigneur a donné

    le Seigneur a ôté :

    comme il a plu au Seigneur

    ainsi en a-t-il été fait :

    que le nom du Seigneur soit béni ! »

     

    L’Ennemi frappe Job

    « peau pour peau »

    encore, encore et encore.

     

    Et Job dit :

    « Si nous accueillons le bonheur

    comme un don de Dieu,

    comment

    ne pas accueillir de même le malheur ? »

    ~

    L’Ennemi frappe

    mais Job ne s’y trompe pas.

    C’est de la main du Seigneur

    qu’il accueille le coup.

    Et Job bénit le Seigneur.

    Dieu accède à la requête de Satan,

    de Satan qui plus tard,

    à nouveau,

    réclamera les Apôtres cette fois,

    pour les « cribler comme du froment. »

     

    Satan s’acharne

    et de la fournaise qu’il embrase

    coule, or pur,

    l’amour de l’homme pour Dieu.

     

    L’amour désintéressé.

     

    Simplement

    Job est Job

    et Dieu, Dieu.

    C’est tout.

    L’amour désintéressé,

    celui auquel aspire le cœur

    vraiment épris,

    celui qui fait fils de Dieu

    à l’image du Verbe,

    celui qui donne plénitude à l’homme,

    par participation

    au Sacrifice du Verbe fait homme

    crucifié :

    l’officine de Satan en est la forge,

    la pierre de touche

    et le creuset.

    ~

    Satan met en œuvre la souffrance

    et Dieu y produit son Saint.

    En haute estime,

    en grande confiance.

     

    Il sait son cœur,

    car il l’habite.

    Le Seigneur sait le cœur de Job.

    Dieu est Dieu :

    il sonde reins et cœurs.

    Job ne sait pas les voies du Seigneur

    Job est Job :

    il ne peut comprendre Dieu.

     

    Il n’a qu’un recours,

    s’en remettre au Seigneur.

    En pleine confiance,

    plein de nuit.

    ~

    Dieu est Dieu,

    et Job, Job.

    ~

    Immense est sa nuit.

    Et Job maudit le jour qui l’a vu naître.

    Immense est sa nuit.

    Elle est immense comme Dieu la fait.

    ~

    Il n’en peut plus.

    « Mon Dieu, mon Dieu,

    pourquoi

    m’avoir abandonné ? »

     

    Job est à présent

    en le Verbe enlevé.

     

    En le Verbe élevé.

    ~

    Immense est sa nuit,

    immense son « pourquoi ? »

    Immense apparaît

    la fidélité de son cœur,

    la fidélité

    en l’Unique Recours :

    « Mon Dieu, mon Dieu. »

    Dieu est l’Unique.

     

    « Seigneur, à qui irions nous ? »

     

    Quelle que soit la détresse,

    à lui le cri revient.

    Il ne peut en être autrement :

    Dieu est l’Unique,

    il n’y a pas d’autrement.

     

    La fidélité de Job

    la voilà.

     

    Elle n’est pas conditionnelle :

    elle est.

     

    Dieu est,

    alors elle est.

    A Dieu unique

    réponse unique.

    ~

    Pourquoi est-il dit

    que les amis de Job

    n’ont pas bien parlé de Dieu ?

    ― Leurs discours pourtant étaient sages ! ―

     

    Pourquoi le courroux de Dieu

    s’est-il enflammé

    contre Eliphaz de Téman,

    contre Bildad de Shuah,

    contre Çophar de Naamat ?

     

    Leurs discours n’étaient-ils point sages ?

     

    Leurs discours

    cherchaient à Dieu justification.

     

    Folie.

    Dieu est.

    Jean-Baptiste Thibaux.

     Extrait de "Vérité et Espérance-Pâque Nouvelle" n° 104, automne 2017.

    Editeur: sursumcorda@skynet.be

     

  • Du Livre de Job au Livre Eternel

    Dans le n° 105 du magazine trimestriel « Vérité et Espérance. Pâque Nouvelle » qui vient de paraître, on peut lire en prolongement de  Deux, trois petits pas au Livre de Job cette méditation sur la justice et la miséricorde divines, signée Jean-Baptiste Thibaux :

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    DU LIVRE DE JOB

    AU LIVRE ÉTERNEL 

    « Dieu fait lever son soleil

    sur les bons, et sur les méchants ;

    et sa pluie, il la prodigue

    aux justes et aux injustes. »

    (Mt 5, 45) 

    Est-ce donc à dire que l’homme ne serait pas rétribué selon ses actes ? Voilà une question que nous pouvons aborder avec l’ampleur de regard requise, espérons-le, à présent que nous avons appris de Job la souveraine indépendance de Dieu, laquelle exclut définitivement toute idée de bas marchandage.

    Rappelons pour commencer que l’Ecriture sainte est comme un corps vivant : si l’on en prélève un élément en le dissociant du tout, il perdra l’influx vital. La Parole de Dieu devient parole d’homme ; l’infini – car elle procède de l’Infini – est tout à coup propos borné.

    Telle est précisément l’hérésie : son nom, du grec, signifie « choix », « prise pour soi ». Autant dire : piratage.

    Il n’est point d’hérésie qui ne se réclame de l’Ecriture. De l’Ecriture disséquée. Il importe de recevoir l’Ecriture sainte à l’image de Jérusalem « qui est édifiée comme une cité où tout ensemble ne fait qu’un » (Ps 121/h.122, 3).

    Et pour la recevoir à l’image de Jérusalem, il faut la lire avec les yeux de Jérusalem, en Jérusalem ; cette Jérusalem céleste, la « Jérusalem nouvelle », que l’Apôtre saint Jean a vue « qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, comme une jeune mariée parée pour son époux » (Ap 21, 2). Cette heureuse Jérusalem, la sainte Eglise, dont la voix qui venait du Trône a dit : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes » (Ibid. 3).

    Saint Pierre donne aussi cet avertissement tout à fait clair : « Vous savez cette chose primordiale : pour aucune prophétie de l’Ecriture il ne peut y avoir d’interprétation individuelle, puisque ce n’est jamais par la volonté d’un homme qu’un message prophétique a été porté : c’est portés par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 P 1, 20-21). 


    Il n’est qu’à replacer dans son contexte le verset de saint Matthieu cité en tête de cet article pour constater une première évidence : son propos n’est aucunement d’envisager les choses en termes de mérite ou de démérite dans le chef des hommes qui bénéficient des prévenances indéfectibles de la bienveillante providence de Dieu.

    L’évangéliste entend seulement donner pour modèle, en elle-même, la bonté divine : le chrétien, pour être vrai fils du Père, rayonnera de la bonté qui est essentielle à son adoption. Une bonté qui ne tire pas sa source de son objet, mais qui jaillit toute pure de l’amour, en lui, du Père.

    « Aimez vos ennemis,

    et priez pour ceux qui vous persécutent,

    afin d’être vraiment les fils de votre Père

    qui est aux cieux... »

    (Mt 5, 44-45)

    « ... En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment,

    [ ] que faites-vous d’extraordinaire ?

    Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?

    Vous donc, vous serez parfaits

    comme votre Père céleste est parfait. »

    (Mt 5, 46-48)

    La divine bonté du Père est parfaite. Souveraine. Indépendante du comportement des hommes.

    Et l’homme alors murmure, dans sa malice, à la manière des ouvriers de la première heure (cf. Mt 20, 12).

    « Servir Dieu n’a pas de sens.

    A quoi bon garder ses observances,

    mener une vie sans joie

    en présence du Seigneur de l’univers ?

    Nous en venons à dire

    bienheureux les arrogants ;

    même ceux qui font le mal sont prospères,

    même s’ils mettent Dieu à l’épreuve,

    ils en réchappent ! »

    (Ml 3, 14-15)

    Voilà. Dieu est bon. Souverainement. Et l’homme en tire prétexte à malice.

    « Je veux donner au dernier venu

    autant qu’à toi :

    n’ai-je pas le droit

    de faire ce que je veux de mes biens ?

    Ou alors ton œil est-il mauvais

    parce que moi, je suis bon ?

    (Mt 20, 14-15) 

    Dieu revendique nettement en ces termes son indépendance souveraine proclamée dans le livre de Job. « N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux ? ». Puis, le caractère ‘essentiel’ de sa bonté : « parce que moi, JE SUIS bon. » Non pas : parce que moi j’agis bien, comme qui dirait en réponse à quelque convenance, voire à quelque équité. Non, mais « parce que JE SUIS bon. »

    Rappel capital que celui de l’identité entre l’Etre de Dieu et sa Bonté. Car il nous faudra entendre bientôt dans l’Ecriture sainte que Dieu, à la fois, EST juste. Dans l’un et l’autre Testament, nous devrons apprendre de l’Ecriture sainte « où tout ensemble ne fait qu’un » l’identité entre l’Etre de Dieu et sa Justice.

    Et par conséquent, l’identité indiscutable entre sa Bonté et sa Justice.

    Mais laissons de côté pour l’instant cette brève anticipation, et poursuivons la lecture de Malachie :

    « ... Un livre fut écrit devant le Seigneur

    pour en garder mémoire,

    en faveur de ceux qui le craignent

    et qui ont souci de son nom.

    Le Seigneur de l’univers déclara :

    Ils seront mon domaine particulier

    pour le jour que je prépare.

    Je serai indulgent envers eux,

    comme un homme est indulgent

    envers le fils qui le sert.

    Vous verrez de nouveau qu’il y a une différence

    entre le juste et le méchant,

    entre celui qui sert Dieu

    et celui qui refuse de le servir. »

    (Ml 3, 16-18) 

    Il y a toujours eu, dès l’Antiquité, et maintenant encore, des esprits « de géométrie » (comme dirait Pascal), pour souligner ce qu’ils veulent qualifier de ‘contradictions’ dans les Ecritures. Un Dieu qui traite avec égale bienveillance justes et méchants ― et qui rappelle ensuite qu’il fait entre eux la différence ; un Dieu bon qui toujours pardonne ― et qui déclare ensuite aux réprouvés : « Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges » (Mt 25, 41).

    C’est oublier le mystère inhérent à l’infini de Dieu. Dieu ne peut être cadré dans nos catégories. Elles nous permettent d’avoir de lui une certaine connaissance, par analogie, non pas de le définir, lui, l’Infini. Elles nous permettent de saisir qu’il est bon au delà de toute bonté, qu’il est juste au-delà de toute justice ; non pas de voir comment il s’agit là d’une unique et simple réalité.

    La ‘simplicité’ de Dieu nous échappe totalement, mais la perception multiple que nous en avons, tantôt par révélation, tantôt par raison, suffit à régler notre conduite selon son Etre qui, en lui-même, nous reste nécessairement mystérieux.

    Amour et crainte donc, car :

    « Amour et vérité se rencontrent,

    justice et paix s’embrassent. »

    (Ps 83/h.84, 11)

    Il nous faut recueillir avec grande application, pour éclairer notre agir, tout élément de l’Ecriture sainte, comme on ferait d’autant de touches sur un tableau impressionniste ; et notre toile deviendra ainsi peu à peu un reflet de la perfection divine. 

    ◊ 

    Que dit le texte de Malachie ? « Vous verrez de nouveau qu’il y a une différence entre le juste et le méchant, entre celui qui sert Dieu et celui qui refuse de le servir. » L’homme est donc rétribué selon ses actes, on ne peut en douter. Or il ne le voit pas ; il le verra : « vous verrez », le verbe est au futur.

    La rétribution est promise à l’homme, mais le plus souvent il ne lui est pas donné de la palper déjà, de peur qu’un bas calcul d’intérêt ne remplace en son cœur le motif d’amour qui toujours doit primer.

    L’assurance de la rétribution différenciée entre le juste et le méchant est proclamée sans réserve, en mots clairs. Mais seul un cœur confiant, donc aimant, la reçoit sans hésiter. Ce cœur-là est fermement résolu, et « d’abord », à servir Dieu, à chercher « le Royaume de Dieu et sa Justice », et c’est « par surcroît » (cf. Mt 6, 33) que vient naître en lui l’assurance de la rétribution. Pour qui ne vit pas d’amour de Dieu, le Ciel et l’Enfer ne sont que concepts, qui peuvent certes et doivent servir d’amorce à sa conversion, mais dont il aura tôt fait de douter, s’il ne se convertit pas à l’« unique nécessaire » (Lc 10, 42). L’intelligence discerne ce qui est vrai ; encore faut-il y donner suite...

    « Vous verrez ». Le verbe est au futur : ce ne sera pas avant de passer du Livre de Job au Livre éternel.

    Pour le moment, il vous est demandé de croire ; alors, vous verrez « ... de nouveau ».

    Les modernes traduisent ainsi (« de nouveau » ou « alors ») l’hébreu, qui dit littéralement : « et vous recommencerez et vous verrez. » Le tour est un hébraïsme, qui équivaut en effet pour le sens à la traduction proposée, dont la formulation se règle à juste titre sur les façons de dire qui nous sont, à nous, familières. Non sans égratignure, pourtant, à la fidélité : « Traduttore, traditore ! »

    « Et vous recommencerez et vous verrez », dans la vigueur de l’idiome, évoque en effet un quelque chose de tangible que l’abstrait « de nouveau » peine à rendre. Le grec des Septante et le latin de la Vulgate, s’efforcent de garder les deux verbes en s’avançant un peu dans la paraphrase : « Vous vous convertirez et vous verrez. »

    Il n’importe pas tant ici de rechercher l’idéal de la traduction, probablement inaccessible, que de saisir ce ‘tangible’ du texte.

    Job, le juste, est frappé, et Malachie d’autre part ajoute à cela que « même ceux qui font le mal sont prospères ». Celui-là traçait son livre en traits de justice, et ceux-ci le leur, d’iniquité en iniquité. Sans « voir », ni eux, ni lui. Mais, parallèlement, « devant le Seigneur » « un livre fut écrit pour en garder mémoire. » Oui, devant le Seigneur, et le Seigneur précise : « pour le jour que je prépare. »

    Il y a deux livres : le livre de Job, et le livre éternel. Le livre écrit par l’homme, sans y voir, dans la confiance ou le mépris de la Parole de Dieu, au temps de la Foi ; et, en reflet, le livre qu’écrit ce « bout de main » dont parle le livre de Daniel (Dn 5, 5), pour le jour que Dieu prépare.

    « Et vous recommencerez et vous verrez », car ce ne sera plus, ce jour-là, le temps de la Foi, mais le temps de la Vision. Ce ne sera plus un jour du temps, mais le Jour éternel. Vous y serez introduits, « et vous recommencerez », vous reprendrez le livre de toute votre vie depuis son début, mais cette fois dans sa projection d’éternité. « Et vous verrez. »

    ◊ 

    Que verrons-nous donc ?

    « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire,

    et tous les Anges avec lui,

    alors il siégera sur son trône de gloire.

    Toutes les nations seront rassemblées devant lui :

    il séparera les hommes les uns des autres,

    comme le berger sépare les brebis des boucs :

    il placera les brebis à sa droite,

    et les boucs à gauche.

    Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite :

    ‘‘Venez, les bénis de mon Père,

    recevez en héritage le Royaume

    préparé pour vous depuis la fondation du monde.

    Car j’avais faim,

    et vous m’avez donné à manger...’’

    [ ]

    Alors les justes lui répondront :

    ‘‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu ?

    Tu avais donc faim,

    et nous t’avons nourri ?...’’

    [ ]

    Et le Roi leur répondra :

    ‘‘Amen, je vous le dis :

    chaque fois que vous l’avez fait

    à l’un de ces plus petits de mes frères,

    c’est à moi que vous l’avez fait.’’ »

    (Mt 25, 31-40)

    « ... et vous verrez. »

    (Ml 3, 18)

    « Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche :

    ‘‘Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits,

    dans le feu éternel

    préparé pour le diable et ses anges.

    Car j’avais faim,

    et vous ne m’avez pas donné à manger...’’

    [ ]

    Alors ils répondront, eux aussi :

    ‘‘Seigneur, quand t’avons-nous vu

    avoir faim, avoir soif,

    être nu, étranger, malade ou en prison,

    sans nous mettre à ton service ?’’

    Il leur répondra :

    ‘‘Amen, je vous le dis :

    chaque fois que vous ne l’avez pas fait

    à l’un de ces plus petits,

    c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’’

    Et ils s’en iront,

    ceux-ci au châtiment éternel,

    et les justes, à la vie éternelle. »

    (Mt 25, 41-46)

    « ...et vous verrez qu’il y a une différence

    entre le juste et le méchant,

    entre celui qui sert Dieu

    et celui qui refuse de le servir. »

    (Ml 3, 18)

    Il y a deux Testaments, mais une seule Ecriture ; il y a les Job, les Malachie, les Matthieu, mais un seul Esprit.

    ◊ 

    « En faveur de ceux qui le craignent et qui ont souci de son nom », poursuit le livre de Malachie,

    « le Seigneur de l’univers déclara :

    Ils seront mon domaine particulier

    pour le jour que je prépare.

    Je serai indulgent envers eux,

    comme un homme est indulgent

    envers le fils qui le sert. » 

    C’est bien en faveur de ceux « qui ont souci de son nom » que le Seigneur de l’univers déclare qu’il sera « indulgent envers eux ».

    Le Livre éternel s’inscrit exactement dans la ligne du Livre de Job. Il souligne comme lui que, pour juste qu’il soit, l’homme n’a rien à réclamer du Seigneur de l’univers. Pour juste que soit l’homme, il ne peut rien revendiquer au nom de sa propre justice : tout ce qu’il peut attendre, il le tient de l’indulgence de Dieu, qui sera pour lui « comme un homme est indulgent envers le fils qui le sert. »

    Or l’indulgence consiste à excuser, à pardonner. Que dire alors du mérite du fils qui sert le Père ? Car mérite il y a, puisque « vous verrez qu’il y a une différence entre le juste et le méchant, entre celui qui sert Dieu et celui qui refuse de le servir. »

    Que dire de ce mérite, sinon que c’est un mérite de simple convenance, et non de droit strict ?

    ◊ 

    Le bonheur éternel est une grâce surnaturelle en ce que nos mérites reposent entièrement sur la grâce, qui, comme son nom le dit – grâce signifie ‘don gratuit’ ! – ne saurait être méritée. Le ‘nous’ qui sert Dieu, par Dieu nous est donné. L’inspiration de le servir, par lui nous est donnée. Et la volonté, et la force, et tout le reste.

    Qu’avons-nous que nous n’ayons reçu (cf. 1 Co 4, 7) ? En couronnant nos mérites, Dieu couronne ses propres dons (cf. Missel Romain).

    Nous ne saurions rien mériter de droit strict auprès de Dieu, parce que l’on ne mérite pas une récompense à donner ce que l’on doit. Or à Dieu, on doit tout.

    « Quand vous aurez exécuté

    tout ce qui vous a été ordonné,

    dites :

    "Nous sommes des serviteurs inutiles :

    nous n’avons fait que notre devoir. »

    (Lc 17, 10)

    Une fois encore, on est dans la droite ligne du Livre de Job :

    « Si tu es juste, que lui donnes-tu,

    ou que reçoit-il de ta main ? »

    (Jb 35, 7)

    A Dieu, on ne donne jamais qu’en deçà de ce qu’on lui doit. Eclairé seulement par la philosophie, Aristote le remarquait déjà : « Nos bonnes actions toutes ensemble ne nous permettent pas de nous acquitter d’une manière suffisante, envers Dieu, de notre dette ; toujours, nous lui devons davantage. (8 Ethique, 14). » S’il y a récompense pour le bon serviteur, elle n’intervient que par indulgence de Dieu à son égard. « Je serai indulgent envers eux comme un homme est indulgent envers le fils qui le sert. »

    ◊ 

    Cela n’empêche pas Jérémie de proclamer :

    Retiens le cri de tes pleurs

    et les larmes de tes yeux.

    Car il y a un salaire pour ta peine,

    — oracle du Seigneur. »

    (Jr 31, 16)

    Et saint Matthieu de le confirmer :

    « Et ils s’en iront,

    ceux-ci au châtiment éternel,

    et les justes, à la vie éternelle. »

    (Mt 25, 41-46)

    Il y a deux Testaments, d’une seule Ecriture. L’un et l’autre affirme que l’homme est rétribué par Dieu.

    Cette affirmation ne contredit pas la précédente, selon laquelle Dieu ne doit rien à l’homme ; ni le fait que Dieu est libre de faire de ses biens ce qu’il veut.

    Saint Thomas d’Aquin en développe l’explication concluante :

    « On appelle rétribution ce qu’on donne à quelqu’un en compensation pour son travail ou sa peine ; c’en est en quelque sorte le prix. [ ]

    » Donner la rétribution qui convient pour une œuvre ou un labeur est un acte de justice. Or la justice consiste en une sorte d’égalité. [ ] Dès lors, la justice absolue n’existe qu’entre ceux qui sont parfaitement égaux.

    » Là où l’égalité parfaite ne se rencontre pas, il ne saurait y avoir de justice au sens plein du mot ; mais on peut cependant y reconnaître encore une certaine sorte de justice. [ ]

    » Par suite, lorsqu’il y a des rapports de justice absolue, on peut parler de mérite ou de rétribution au sens strict. Lorsque, au contraire, ne peut exister qu’une justice relative et non absolue, il ne peut être question de mérite au sens strict, mais de mérite relatif, pour autant que la notion de justice s’y retrouve encore. [ ]

    » Or il est manifeste qu’entre Dieu et l’homme règne la plus grande inégalité : l’infini les sépare ; de plus, dans sa totalité, le bien de l’homme vient de Dieu.

    » Par conséquent, de l’homme à Dieu il ne saurait être question de rapports de justice comportant une égalité absolue ; il y a seulement une justice proportionnelle, l’un et l’autre opérant selon son mode propre.

    » Mais le mode et la mesure des capacités de l’homme lui viennent de Dieu. C’est pourquoi il ne peut y avoir de mérite pour l’homme auprès de Dieu que parce qu’il y a, à la base, un ordre préalablement établi par Dieu, de telle sorte que l’homme par son action obtienne de Dieu, à titre de rétribution, les biens en vue desquels Dieu lui a accordé ce pouvoir d’agir. C’est ainsi que les êtres de la nature parviennent par leurs mouvements et leurs opérations propres au but auquel Dieu les a ordonnés.

    » Il y a cependant cette différence, que la créature raisonnable se porte d’elle-même à l’action par son libre arbitre, ce qui confère à son action le caractère méritoire, qui n’appartient pas aux mouvements des autres créatures. [ ]

     »S’il est vrai que nos actions n’ont leur caractère méritoire qu’en vertu de l’ordre préalablement établi par Dieu, il ne s’ensuit pas que Dieu contracte rigoureusement par là une obligation à notre égard. S’il y a obligation c’est à l’égard de lui même, en ce sens qu’il se doit de faire que ce qu’il a réglé s’accomplisse. »

    (S. Th., Ia, IIæ, qu. 114, 1,

    trad. R. Mulard)

    Ainsi passerons-nous du jour de Job, où bien souvent nous peinons, au Jour éternel, celui que Dieu a appelé :

    « le jour que je prépare. »

    Alors nous serons rétribués en raison de la grâce qui aura rendu nos actions méritoires par l’infusion en nous de la charité, c’est-à-dire de cet amour de Dieu répandu dans nos cœurs par son Saint-Esprit (cf. Rm 5, 5).

    Jean-Baptiste Thibaux.

    JPSC 

     

  • Les conditions du dialogue interconvictionnel

     

    par Stéphane Seminckx

    mag_105-page-001.jpgStéphane Seminckx est prêtre, docteur en médecine et en théologie. Il est aussi membre de la Prélature de l’Opus Dei en Belgique. En mai dernier, il a pris part à un colloque sur le dialogue interconvictionnel organisé à l’Université libre de Bruxelles par « La Pensée et les Hommes ». Ce symposium réunissait des représentants des grandes religions et de la laïcité. Dans son intervention, l’abbé Seminckx a voulu présenter trois brèves réflexions sur les conditions d’un tel dialogue. Il nous a aimablement autorisé à reproduire ici le texte de sa communication :  

    Vérité et dialogue

    Le dialogue n’est pas un simple échange d’idées, au risque de se réduire à un bavardage. Le dialogue vise à se comprendre, sur base d’une ambition commune de recherche de la vérité.

    Il est risqué — voire déplacé — d’évoquer ici la notion de vérité comme condition essentielle du dialogue. Aujourd’hui, se réclamer de la vérité — au singulier — est plutôt perçu comme un affront au dialogue, comme de la prétention et de l’arrogance, comme un manque d’ouverture à l’autre et à sa vérité.

    Nous parlons bien entendu ici de convictions, c'est-à-dire de vérités fondamentales (Dieu existe ou n’existe pas ; Jésus-Christ est Dieu ou ne l’est pas ; après la mort, soit il y a quelque chose, soit il n’y a rien). Dans ces domaines, la vérité est une, non modulable, et elle nous précède : nous ne la produisons pas. On peut dire de façon tout à fait légitime « Pour moi, Dieu n’existe pas » ou « Pour moi, il existe », mais le fait est que soit il existe, soit il n’existe pas : c’est la réalité qui nous intéresse, pas la perception que nous en avons. En bonne philosophie, la vérité est l’adaequatio rei et intellectus.

    Si quelqu’un est prêtre de l’Eglise catholique — avec tout ce que cela suppose comme engagement —, ce n’est pas en vertu d’une perception subjective ou d’un vague sentiment, mais en vertu d’une ferme adhésion à une réalité que l’intelligence, éclairée par la foi, perçoit comme certainement vraie.

    Cet homme de Dieu est-il pour autant un être arrogant, fondamentaliste, intolérant, foyer potentiel de conflit et de violence ? Si quelqu’un peut le penser, c’est probablement dû à différents malentendus, très répandus aujourd’hui.

    Le premier : pourquoi la revendication de la vérité est elle perçue aujourd’hui comme arrogante ? La réponse est bien connue : le climat post-moderne, écœuré par les grandes idéologies des derniers siècles, qui ont provoqué des désastres, est devenu allergique à cette revendication. La seule vérité admise dans beaucoup de cercles aujourd’hui est celle des sciences dites exactes. Les convictions sont réduites au rang des opinions, elles relèvent du goût et des couleurs.

    On est donc écœuré par les idéologies. Mais la religion relève-t-elle de l’idéologie ? Les idéologies sont des constructions humaines, alors que les grandes religions revendiquent pour elles-mêmes d’être une révélation venue d’en haut. S’il en est vraiment ainsi, accueillir la vérité d’en-haut n’est pas de l’arrogance, mais de l’humilité, et la partager devient un devoir de solidarité.

    C’est ici qu’intervient une réflexion fondamentale de Benoît XVI, cité ici non pas tant comme autorité religieuse que comme l’un des plus grands penseurs de notre époque. La religion peut prêter le flanc à l’idéologie. Nous le savons : on déclenche des guerres et on pose des bombes au nom de Dieu. Pour éviter ce danger, dit le pape, la religion doit être passée au crible de la raison. Ce qui est authentiquement divin est conforme à la raison, car Dieu se révèle comme le Logos, la parole, la raison créatrice. C’est le sens de son discours à Ratisbonne (12-9-06).

    Un corollaire de ce premier malentendu : la raison ne doit pas exclure la possibilité de la vérité qui vient d’en haut. Ce serait irrationnel, car il est raisonnable de penser qu’il y a des vérités qui sont au-delà de la raison, tout en restant conformes à la raison. Et non seulement ce serait irrationnel, mais cette exclusion du fait religieux serait un nouveau foyer de violence. On connaît tant de régimes qui, au nom de leur athéisme, ont déclenché — et fomentent aujourd’hui — de terribles persécutions religieuses.

    Benoît XVI ajoute encore une troisième considération propre à la foi catholique : la foi, dit-il, n’est pas un simple package de vérités à croire, elle est une grâce, une force divine, une lumière surnaturelle, un pouvoir de guérison pour notre raison humaine, souvent si faible et limitée. La foi permet à la raison de redevenir pleinement elle-même, ce qui est un message porteur d’une énorme espérance.

    La foi sauve. Elle sauve aussi la raison. C’est le message exactement opposé à ce que pense une certaine laïcité, mais aussi une certaine frange d’hommes de science qui vont jusqu’à penser que la foi empoisonne la raison et qu’elle doit donc être bannie de l’espace public ou du travail académique.

    Enfin, il faut lever un dernier malentendu : proclamer et vivre une conviction religieuse, quelle qu’elle soit, tant qu’elle ne porte pas atteinte au bien commun, constitue une liberté fondamentale, le premier droit de l’homme, car l’aspiration la plus profonde de l’homme est précisément de pouvoir adhérer librement à la vérité, et en premier lieu à la vérité la plus haute. Et donc, comme Voltaire, il nous faut être disposés à donner notre vie pour que chacun puisse vivre sa conviction, même si nous ne la partageons pas, avec comme seule réserve qu’elle ne porte pas atteinte au bien d’autrui.

    Liberté et autonomie

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    Ceci nous amène à ma deuxième réflexion, sur le statut de la liberté. On vient de parler de liberté religieuse et de vérité sur l’homme.

    Les grands débats bioéthiques sont par essence très liés au dialogue entre convictions. Or ce dialogue est pratiquement impossible aujourd’hui, par exemple sur les questions de l’euthanasie et de l’avortement.

    Benoît XVI, parlant au Bundestag, le 22-9-11, en évoquant l’écologie, a précisé : Je voudrais cependant aborder avec force un point qui aujourd’hui comme hier est — me semble-t-il — largement négligé : il existe aussi une écologie de l’homme. L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi nature, et sa volonté est juste quand il respecte la nature, l’écoute et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il accepte qu’il ne s’est pas créé de soi. C’est justement ainsi et seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine.

    Si la liberté est comprise comme une sorte d’autonomie absolue, d’émancipation de la nature humaine pour réinventer l’homme, comme dans l’idéologie du gender, si cette émancipation permet d’ériger notre désir en norme du bien et du mal, il n’y a plus de nature commune entre les hommes, il n’y a plus de vérité ni de liberté, plus de bien commun. Il n’y a plus que des individualités qui s’affrontent, il n’y a plus de force de loi, mais la loi du plus fort.

    Le droit à la vie n’est pas le fruit du dialogue ou d’un consensus démocratique. Il en est le préalable, la condition sine qua non. Si on ne dit pas « Un homme, une vie », on ne peut pas dire « Un homme, une voix ».

    Amitié

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    La dernière considération est peut-être banale, mais sans doute pas inutile.

    Une conviction n’est pas un simple donné intellectuel dont on peut débattre. Une conviction configure une personne : on ne peut comprendre un croyant en faisant abstraction de la foi qui l’habite. Le contraire est vrai aussi : on ne peut comprendre une conviction qu’à travers son fruit, c'est-à-dire la personne que cette conviction a forgée. De fait, le chrétien n’est pas en première instance l’homme qui a été conquis par la puissance intellectuelle d’un catéchisme, mais par la personne de Jésus-Christ.

    Nos convictions s’échangent et nous enrichissent mutuellement par le dialogue académique — comme dans ce colloque — mais aussi par des expériences communes, par le temps partagé ensemble, par le travail conjoint au service d’idéaux communs, par l’appréciation sincère de l’autre, par la bienveillance, en un mot par l’amitié. Les grandes amitiés peuvent déplacer des montagnes.

    C’est une chose que, personnellement, j’ai apprise du fondateur de l’Opus Dei, saint Josémaria. Dès la fin des années 1940, il a demandé au Saint-Siège de pouvoir admettre comme coopérateurs de l’institution des non-catholiques, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des athées, etc. Il a dû insister par trois fois pour obtenir cette permission, car c’était inédit dans l’Eglise. Saint Josémaria était persuadé qu’au-delà des convictions, on pouvait toujours travailler et vivre ensemble entre hommes et femmes de bonne volonté