Les cours sont gratuits. Ils se déroulent dans les locaux de l’église (Bd d’Avroy, 132), au rythme de l’année académique, un jeudi par mois, de 19h00 à 21h00, sous la forme d’une leçon suivie d’un lunch-débat convivial.
Le premier cycle (année académique 2021-2022) est dédié à la doctrine sociale de l’Eglise. L’enseignement sur ce thème est assuré par Mme Anne-Marie Libert, licenciée en philosophie et en sciences religieuses, chargée de cours au Séminaire de Namur (SND) et professeur à l’Institut Diocésain de Formation (IDF-Namur).
Le cycle s’est ouvert le jeudi 21 octobre dernier par un exposé introductif de Mme Libert sur la vision anthropologique qui fonde l’enseignement social de l’Eglise. On trouvera ci-après une synthèse paraphrasant l’exposé littéral.
La prochaine rencontre aura lieu le jeudi 11 novembre 2021 de 19h00 à 21h00. Elle sera dédiée à la notion de Bien Commun.
Renseignements et inscriptions : sursumcorda@skynet.be
Première leçon du jeudi 21 octobre à 19h00
FONDEMENTS ANTHROPOLOGIQUES
Synthèse de l’exposé
I - Rapide présentation de la Doctrine Sociale de l’Eglise
- A) « Doctrine » ?
Pour certains, il n’y a pas de doctrine sociale de l’Eglise. Quand on parle en effet du congrès doctrinal d’un parti, on s’attend à un texte assez court avec quelques orientations bien définies. Or le « Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise » ne correspond pas à ce qu’un congrès doctrinal de parti pourrait publier.
« La doctrine sociale de l’Eglise propose des principes de réflexion ; elle dégage des critères de jugement ; elle donne des orientations pour l’action » (CEC, 2423).
Elle est constituée d’une série d’orientations puisées à la source de son enseignement, à la Bible et à la Tradition.
* La Bible, Parole de Dieu, est aussi une parole sur l’homme et sur ce que Dieu attend de lui.
* La Tradition repose sur une série de réflexions théologiques : Qui est Dieu ? Qui est Jésus-Christ ? Les conciles, les réunions d’évêques des premiers siècles, ont essayé d’expliquer, le plus simplement possible, qui est Dieu, ce Dieu Un et Trois, ainsi que qui est le Christ, qui est Dieu et homme.
- B) Où la trouver ?
La Doctrine sociale de l’Eglise remonte à la fin du XIXe siècle avec l’Encyclique « Rerum Novarum » du pape Léon XIII (15 mai 1891).
Dans l’Europe de la révolution industrielle, les ouvriers sont souvent exploités. Léon XIII dégage des orientations pour mettre fin à cette exploitation ouvrière. Dès lors l’Eglise va élaborer une série de réflexions centrées sur la justice, la paix et la solidarité.
En s’interrogeant sur les problèmes de société, l’Église s’adresse aux croyants mais aussi à tous les hommes de bonne volonté. Cette parole sur l’homme et sur la société, déduite de la Révélation, a évidemment rapport avec le droit, la philosophie, la psychologie, etc.
Le Conseil pontifical « Justice et Paix » a publié un texte de référence, le « Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise » en 2004, qui offre une synthèse des encycliques, des exhortations apostoliques, des discours des papes et des documents du Vatican.
(L’artisan en fut le cardinal vietnamien François-Xavier Nguyên Van Thuan, décédé à Rome en 2002 : au Vietnam, il avait connu les prisons communistes ; il avait une vision très précise de l’être humain et de ce dont il est capable).
II - Vision anthropologique véhiculée par la Genèse
Pour découvrir la vision anthropologique véhiculée par l’Eglise, il faut lire les deux premiers chapitres de la Genèse, les deux récits de la création. On y trouve de grandes lumières sur ce qu’est l’être humain. Mais bien des doctrines philosophiques, et toute une série d’idées qui dérivent d’eux même quand on ne les cite pas, s’opposent totalement à cette anthropologie chrétienne.
2. A) Dieu créateur
Dans la Genèse, la première chose affirmée, c’est que Dieu est le Créateur : tout ce qui existe a été créé par un seul Dieu.
Il en résulte que :
* Il n’y a donc pas de force magique.
* Tout ce qui a été créé est bon.
Or, de nos jours, la radio ou la télévision (série policière) véhiculent des systèmes en totale opposition avec l’idée d’un Dieu créateur qui a tout créé. Ainsi, dans le « chamanisme », il y a des esprits de la terre avec lesquels on peut entrer en contact. Cette idée, qui s’oppose radicalement au christianisme, alimente un nouveau paganisme.
Regardez également l’idée de « Gaïa », la terre-mère, la déesse-mère, qui souffre à cause de certains de ses enfants, les hommes. Dans une telle vision, le Dieu créateur est totalement éliminé. Parmi tous ses enfants (animaux, êtres humains), il n’y aurait pas de réelle différence…
2.B) L’être humain, homme et femme
La Genèse affirme l’existence d’un être bien précis, l’être humain (c’est-à-dire l’homme et la femme), qui nomme tout ce qui existe. Cela ne signifie pas, à l’encontre de bien des courants actuels, une domination par l’être humain qui devrait alors être absolument supprimée. Selon l’anti-spécisme, on ne devrait pas faire de différence entre les espèces : l’espèce « homme » serait une espèce parmi d’autres et, en certains cas, elle devrait céder le pas à d’autres espèces. Pour Peter Singer, entre un singe et un être humain, il ne faut pas nécessairement choisir l’être humain !
2. C) Les lois de la nature
D’après la Genèse, tout ce que Dieu a créé est bon et fonctionne selon des lois précises : les lois de la nature.
Si tout ce que Dieu a créé est bon, Il ne veut donc pas tromper l’homme et Il est amour.
Si Dieu a créé l’être humain selon des lois bien précises et lui a donné une intelligence, l’homme peut découvrir par lui-même les lois de la nature (science). L’homme découvre peu à peu ces lois, et, parce qu’Il aime l’homme, Dieu ne change pas ces lois.
Au XIVe siècle, le philosophe et théologien Guillaume d’Ockham (1285-1347) défendait un système qui insiste sur la toute-puissance de Dieu : selon lui, Dieu peut faire exactement ce qu’il veut et sa volonté est souveraine. Aussi Dieu pourrait-il décider que l’adultère est une bonne chose, ou qu’il est bon de tuer son voisin ou d’adorer un âne !
En transposant cette idée de Dieu à l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, une fois qu’on a supprimé l’idée de Dieu, on en arrive à conclure que l’être humain peut faire exactement ce qu’il veut. Le bien et le mal sont alors relatifs à chaque personne : ce que je pense être bien n’est pas nécessairement ce que vous pensez être bien ; tout dépend de ma volonté.
Cette relativité du bien et du mal est de plus en plus affirmée. Regardez la notion de consensus en bioéthique : des comités vont décider que ceci est bien et ceci mauvais ; mais, si les membres du comité changent, le comité peut prendre des décisions bioéthiques différentes !
III - Les inclinations naturelles de l’homme
Plutôt que d’adopter le système de Guillaume d’Ockham, mieux vaut écouter saint Thomas d’Aquin (1225-1274) expliquer les inclinations naturelles de l’homme.
À partir du moment où Dieu a créé un homme qui a une intelligence et une volonté, il a aussi mis en l’homme toute une série d’inclinations naturelles.
Ces inclinations naturelles sont à la base de l’anthropologie chrétienne et de la doctrine sociale de l’Eglise.
Elles concernent tout homme sans exception (incroyant ou croyant).
3.A) L’inclination naturelle au bonheur
Les anciens philosophes grecs l’avaient déjà dit : vous ne rencontrerez jamais quelqu’un qui n’a pas envie d’être heureux.
Tout être humain désire spontanément le bonheur et fuit ce qu’il estime mauvais.
On retrouve dans toutes les civilisations ce qu’on appelle « la règle d’or » :
* dans la tradition juive : « Ce que tu tiens pour haïssable, ne le fais pas à ton prochain » (« Ne fais à personne ce que tu n’aimerais pas subir », Tobie 4, 15) ;
* dans l’hindouisme : « Ne fais pas aux autres ce qui te ferait mal à toi » (Mahbharata, 500 av. J. C.) : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent ») ;
* dans le bouddhisme : « Ne blesse pas autrui d’une manière qui te blesserait » (« Udana-Varga, 500 av. J. C. : « Ne blesse pas les autres de manière que tu trouverais toi-même blessante ») ;
* dans le confucianisme : « Ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas qu’il vous fasse » (Confucius, 500 av. J. C. : « « Ce que tu ne souhaites pas pour toi, ne l’étends pas aux autres ») ;
* Dans l’Evangile, cette règle d’or est dite de manière positive : « Fais aux autres ce que tu voudrais bien que ceux-ci te fassent » (Mt 7, 12 ; Lc 6, 31). Mais qui sont les autres ? La parabole du bon Samaritain (Lc 10, 25-37) répond à cette question.
Dans l’histoire des civilisations, on voit que cette idée a eu du mal à cheminer. Un être humain qui n’a pas la peau blanche est-il un être humain semblable à moi ? Aujourd’hui on juge inadmissible à bon droit l’esclavage, mais il n’en fut pas toujours ainsi ; d’ailleurs il y a actuellement encore des gens traités comme des esclaves.
L’être humain doté de raison peut réfléchir à ce qui lui apporte du bonheur, il possède des capacités de connaître, de juger, de pouvoir se déterminer librement. Tout être humain s’interroge sur la libre conscience des actes qu’il pose.
Dans les questions bioéthiques, de plus en plus, on voudrait supprimer la liberté de conscience. Ainsi il y a quelques années, un médecin qui faisait des avortements très tardifs (à six mois et plus !) voulait qu’on oblige à faire comme lui les jeunes médecins qui refusaient ; il leur refusait la liberté de conscience. Actuellement, l’Eglise insiste sur la liberté de conscience, qui est très menacée.
Dans la philosophie des Lumières, la liberté de conscience est une revendication d’indépendance face à la loi de Dieu et à l’enseignement de l’Eglise : l’homme ne devrait aucunement se sentir lié par une obligation morale ou religieuse.
Quand, depuis le XXe siècle, face aux totalitarismes, l’Eglise défend la liberté de conscience, ce n’est pas de cette notion des Lumières dont il s’agit, mais du fait que les Etats n’ont pas à contrôler la conscience des citoyens et à s’ingérer dans ce sanctuaire.
Pour éviter toute ambiguïté en ce domaine, l’encyclique « Non abbiamo bisogno » de Pie XI (29 juin 1931) distinguait la « liberté de conscience » (des Lumières) et la « liberté des consciences » (reconnue par l’Eglise).
Saint Thomas More (1478-1535) fut un martyr de la conscience éclairée par Dieu et guidée par l’Eglise ; ce n’est pas un chantre de la conscience autonome et détachée de Dieu.
(Il est important de guider la conscience qui n’est pas infaillible et a besoin d’être formée ; on doit toujours la suivre, car elle est comme l’écho de la voix de Dieu en nous.
(Un écho peut déformer une voix ; un piano mal accordé peut rendre donner des notes fausses)
La conscience peut objectivement errer, mais elle nous oblige. Saint Thomas d’Aquin enseigne même qu’il serait peccamineux d’adorer Jésus si notre conscience s’y opposait.
Comme la conscience est le sanctuaire de Dieu, le secret de la confession est absolu : le prêtre n’est pas détenteur de l’intimité de l’âme et de Dieu.
3. B) La conservation de l’être
Tout être à envie de vivre.
En outre je n’ai pas envie d’être tué. Et les autres non plus !
Cela rejaillit sur toute une série de questions bioéthiques.
De cette inclination naturelle découlent la dignité et le respect de la vie humaine.
3. C) La connaissance de la vérité
Le Christianisme est arrivé en Corée d’une manière unique. Au début du XVIIIe siècle, les Jésuites européens en Chine écrivaient des livres savants tant en science (astronomie) qu’en religion. Or, chaque année, des savants coréens rendaient hommage à l’empereur de Chine et venaient chercher le calendrier auprès de lui. Ils sont revenus en Corée avec des traductions chinoises des livres jésuites. Les confucianistes ont lu ces ouvrages scientifiques ; finalement ils ont découvert l’affirmation du Christ : « Je suis la Vérité » (Jn 14, 6). Sans avoir jamais entendu parler du Christ, ils ont vu en Lui la vérité. Ces nouveaux chrétiens de Corée n’avaient ni prêtres, ni sacrements. Ils ont envoyé l’un d’entre eux à Pékin pour demander le baptême (1784). Ainsi la recherche de la vérité les a amenés à la conversion. Telle fut la naissance de l’Eglise en Corée.
3.D) L’inclination sexuelle
C’est ce que signifie ce passage de la Genèse : ils ont été créés « homme et femme ».
Or le « gender » remet actuellement en question ce que sont un homme et une femme.
3.E) Enfin, la vie en société
« L’homme et la femme quittent leurs parents et ils ne font plus qu’un » : c’est la naissance de la première société.
(Une image parfaite de la société est la communion des personnes dans la Trinité).
On trouve déjà cette idée chez les Grecs. Pour Aristote, l’homme est un animal politique, qui désire vivre en société et cultive l’amitié pour les autres êtres humains.
L’homme, être social, est une personne qui entre en rapport avec les autres, ce n’est pas un individu. Parler d’une personne, c’est faire référence à une société ; parler d’individu, c’est rejoindre l’idée de masse, d’individus sans lien les uns avec les autres.
Par lui-même, l’être humain ne peut pas vivre seul.
* Le philosophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679) enseigne non pas que l’homme est un ami de l’homme, mais un loup pour l’homme (thème déjà présent chez Plaute, vers 195 av. J. C., La Comédie des ânes, II, 495) : dès lors, il faudrait se méfier des autres êtres humains, car ils n’attendent qu’une chose : de tuer les autres. Pour sortir de la peur constante, il faudrait mettre en place un régime autoritaire, qui décidera tout pour nous (que croire, que faire, comment éduquer les enfants, etc.) ; alors on pourra vivre en paix !
* L’encyclique « Mit brennender Sorge » (« avec une brûlante inquiétude ») du pape Pie XI (1937) condamne le nazisme et le racisme, mais aussi l’idée que ce ne sont pas les parents mais l’Etat qui éduque les enfants. Le nazisme et les autres idéologies totalitaires envisageaient la masse constituée d’individus séparés les uns des autres, sans aucune idée de sociabilité naturelle.
Puisque la Genèse affirme « homme et femme Dieu les créa », les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. C’est une constante de la doctrine sociale de l’Eglise à propos de la famille : les parents sont les premiers éducateurs des enfants. La première société, la société de base, c’est la famille où sont accueillies des personnes, non pas des individus isolés manipulables. La cellule de base de la société, la famille, protège l’être humain et l’aide à grandir.
* Jean-Jacques Rousseau, philosophe du XVIIIe siècle (1712-1778), déclare : « L’homme est naturellement bon, c’est la société qui le corrompt » (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1775). Si la société corrompt l’homme alors qu’il est naturellement bon, il faut changer la société. Qui n’est pas d’accord avec ce changement de société doit être rééduqué.
* C’est ce qui est arrivé au XXe siècle dans le Cambodge des Khmers rouges (1971-1975) : tous les opposants qui ne voulaient pas changer la société ont été supprimés…
* En Chine, pour Mao-Tsé-Tung (1893-1976), « le peuple veut toujours le bien, mais, de lui-même, il ne le voit pas toujours » ; « le parti communiste chinois constitue le noyau dirigeant du peuple chinois tout entier ». Ce n’est plus chaque homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et doué d’intelligence et de volonté, qui recherche la vérité ! Certains seulement voient clair pour les autres et doivent les éclairer ; les autres doivent suivre. Cette idéologie heurte radicalement l’anthropologie chrétienne !
* Relevons encore la thèse du contrat social : l’homme vit en société avec les autres parce qu’il a fait un contrat avec eux, il est « obligé » de vivre en société. Cette illusion sera condamnée par Léon XIII dans l’encyclique « Rerum Novarum ».
Le Catéchisme de l’Eglise catholique (CEC, 1704-1705)
résume clairement :
« La personne humaine participe à la lumière et à la force de l’Esprit divin. Par la raison, elle est capable de comprendre l’ordre des choses établi par le Créateur » - elle est capable de comprendre les lois naturelles et de comprendre ce que le créateur a voulu.
« Par sa volonté, elle est capable de se porter vers son bien véritable » - en société, c’est le bien de chacun, même s’il devient commun, vers quoi la personne se porte.
« Elle trouve sa perfection par la recherche et l’amour du Vrai et du Bien ».
« Par sa raison, l’homme connaît la voix de Dieu qui le presse d’accomplir le bien et d’éviter le mal. Chacun est tenu d’écouter cette voix qui raisonne dans sa conscience et qui s’accomplit dans l’amour de Dieu et du prochain. L’exercice de la vie morale atteste la dignité de la personne » - la dignité de tout être humain, non pas la dignité de quelques êtres humains seulement.
Prochaine leçon organisée le jeudi 11 novembre 2021 à 19h00 :
LE BIEN COMMUN