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  • Université et Vérité

    Après la leçon manquée du pape à la Sapienza de Rome:

    LE RÔLE DE L'UNIVERSITE

    recherche de la vérité ou lois du marché ?

    Une conférence-débat organisée  à Liège par le Cercle interfacultaire Gustave Thibon

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    (Union des Etudiants Catholiques de Liège)

    avec le Frère Marie-Jacques, docteur en philosophie

    membre de la communauté des Frères de Saint Jean à Banneux

    LE MERCREDI 16 AVRIL 2008 A 19h30

    UNIVERSITE DE LIEGE-PLACE DU XX AOÛT-AUDITOIRE GRAND PHYSIQUE

    (Entrée gratuite. Parcours fléché à partir de l'entrée principale)

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    Plus d'information: http://cerclegustavethibon/

    Renseignements-contacts: cerclegustavethibon@skynet.be

     

     

    REFLEXIONS POUR UN DEBAT(1)

    QUAND L'UNIVERSITE DE ROME CENSURE LE PAPE

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    Dans un discours qu'il devait prononcer à la Sapienza de Rome, mais que celle-ci n'a pas été en mesure d'entendre, le pape Benoît XVI a posé la question du rapport entre l'université, la raison, la vérité et la foi.

    Sa leçon manquée ne s'adressait pas à une université catholique mais à une université d'état, ce qui met en relief la portée universelle de son propos. Le souverain pontife part d'un principe: l'université comme communauté scientifique, l'Eglise comme communauté de croyants, cherchent toutes deux la vérité, dans une démarche autonome. La question est alors de savoir si, du fait de cette autonomie, elles n'ont rien à se dire, à apprendre l'une de l'autre. On pense par exemple, ici, aux enjeux de l'affaire Galilée (2) ou à ceux de la bioéthique.

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    sapienza ...

    En premier lieu, précise le pape, l'Eglise a pour mission de maintenir la communauté des croyants sur le chemin vers Dieu indiqué par Jésus. Mais la foi n'appartient pas pour autant à la seule sphère privée ou subjective. Elle entretient des rapports avec la raison éthique universelle qui, affirme-t-il, s'impose à l'humanité. Et ceci concerne directement le monde universitaire qui puise son origine dans la soif de connaissance propre à l'homme.

    Comme Socrate, dans son dialogue avec Euthyphron (3), les premiers chrétiens ont compris leur foi comme une dissipation du brouillard de la religion mythologique: ils accueillent comme une partie de leur identité la recherche difficile de la raison pour parvenir à la vérité toute entière.

    C'est ainsi que l'université a pu et du naître dans le cadre de la foi chrétienne.

    Mais, comme l'a observé saint Augustin, le simple savoir rend triste car la vérité est plus que le savoir, c'est connaître le bien. C'est le sens de la question de Socrate à Euthyphron: quel est le bien qui nous rend vrais ? La vérité rend bon et la bonté est vraie. Le Logos se révèle aussi comme le Bien et Benoît XVI conclut: la raison publique universelle qui fonde la démarche universitaire ne peut évacuer cette dimension de la recherche du vrai.

    L'université est confrontée à la juste relation entre connaître et agir: la médecine scientifique inscrit l'art de guérir dans la rationalité, le droit pose la question de la justice et de la liberté.

    A ce point du raisonnement, le pape pose, avec Habermas (4), la question du conflit entre ce qu'il appelle (benoîtement) la "sensibilité aux intérêts particuliers" et la "sensibilité à la vérité" comme concept nécessaire dans le processus d'argumentation. Poser cette question, c'est introduire dans le débat, pour en justifier le rôle, les facultés de philosophie et de théologie auxquelles, précise le Saint-Père, l'université, dès le moyen âge, a confié la recherche sur l'existence humaine dans sa totalité, avec une vive sensibilité pour la vérité.

    Qu'est-ce qu'une raison vraie ? Il n'y a pas de réponse toute faite, observe Benoît XVI, mais la philosophie ne recommence pas chaque fois du point zéro d'un sujet pensant de manière isolée. Elle s'inscrit dans le dialogue du savoir historique et, à ce titre, elle ne doit pas se fermer à ce que les religions et, en particulier, la foi chrétienne ont reçu et donné à l'humanité comme indication du chemin. Parmi les choses dites au cours de l'histoire par les théologiens, plusieurs étaient fausses et nous troublent mais, en même temps, l'humanisme de la foi chrétienne constitue une instance pour la raison publique, un encouragement vers la vérité, une force purificatrice contre la pression du pouvoir et des intérêts.

    Le danger qui menace aujourd'hui les sciences exactes et, à travers elles, les sciences humaines c'est de baisser les bras face à la question de la vérité: la raison se plie face à la pression des intérêts, elle est contrainte de reconnaître l'utilité comme critère ultime; la philosophie se dégrade en positivisme; la théologie se confine dans la sphère privée d'un groupe; la raison, sourde au grand message de la sagesse et de la foi chrétiennes, se dessèche dans le cercle étroit de ses propres argumentations: elle se décompose et se brise.

    Oui, l'Eglise a un rôle vis-à-vis du monde universitaire: l'aider à maintenir vive la sensibilité à la vérité, inviter la raison à se mettre à la recherche du vrai et du bien pour découvrir finalement, en toute liberté, Celui qui est le chemin, la vérité et la vie.

    Un tel discours (5) s'impose avec plus de force encore, faut-il le dire, aux universités qui entretiennent des liens structurels avec l'Eglise, impliquant des devoirs spécifiques à l'égard de la communauté des croyants. C'est ce que Mgr Michel Schooyans a encore rappelé avec vigueur, le 30 janvier dernier à Neufchâteau, en célébrant la messe grégorienne des obsèques de Monseigneur Edouard Massaux, ancien recteur de l'Université Catholique de Louvain (U.C.L.).

    Désapprouvant les dérives sécularistes de cette université, le défunt avait exclu, dans ses dernières volontés, toute présence officielle (cardinal grand chancelier, pouvoir épiscopal organisateur, conseil d'administration, conseil académique) à ses funérailles

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    Monseigneur Massaux

    Dans sa prédication remarquable (6), Monseigneur Schooyans a notamment rappelé que le recteur Massaux "connaissait les pièges entrelacés du scientisme, des idéologies, du relativisme et du scepticisme corrosif". Pour lui, "sciences de la nature et sciences humaines étaient deux grands portiques ouverts à l'espérance et à la lumière: à ses yeux, comme aux yeux de Benoît XVI, la raison elle-même devait être sauvée. Comme saint Augustin, il considérait que pour l'homme il n'y a de pleine lumière que là où la grâce en a déjà ouvert le chemin" et "dans ce monde universitaire où les hommes ont souvent une estime fort flatteuse d'eux-mêmes, Massaux jugeait qu'il devait y avoir place pour le don que Jésus offrait à la  Samaritaine de l'Evangile: ce don, c'est ce que nous appelons la foi".

    Après ces témoignages forts, la conférence organisée le 16 avril prochain à l'université de Liège par le cercle Gustave Thibon vient à son heure: celle d'une actualité "interpellante" comme on dit dans le jargon à la mode. 

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    (1) Ce texte, publié dans les "Ephémérides de Saint-Lambert" n°1-2008 (Pâques), n'engage que la rédaction de ce bulletin de liaison des fidèles de la messe latine traditionnelle à Verviers et le blog de l'église du saint-sacrement à Liège.

    (2) L'enjeu du procès de Galilée (1633) "fut finalement plus une certaine idée de la place de l'homme dans l'univers (débat toujours en cours aujourd'hui) qu'une thèse de mécanique céleste. Thèse que Rome eut le tort de ne pas accueillir comme telle, certes, mais dont la portée a perdu beaucoup de son poids depuis la théorie de la relativité restreinte puis généralisée" (Mgr A.-M. Léonard, Catholiques...que du bonheur! Sarment, Editions du Jubilé, 2007, p.8)

    (3) Platon, L'Euthyphron, vers 395 avant J.-C.

    (4) Jürgen Habermas, philosophe et sociologue allemand, né en 1929, professeur aux universités de Heidelberg et de Francfort.

    (5) Vous trouverez le texte intégral du "discours manqué" du pape à la Sapienza sur le web du cercle Gustave Thibon de l'Université de Liège: http://cerclegustavethibon.hautetfort.com

    (6) Le texte de l'homélie de Monseigneur Schooyans est disponible sur simple demande adressée à sursumcorda@skynet.be

     

     

     

     

  • Une journée faste pour le plain-chant

    LE CHANT GREGORIEN A RASSEMBLE QUATRE CENTS PERSONNES A LIEGE

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    Stéphan Junker
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    Hans Heykers

    Le samedi 8 mars 2008, les trente-cinq  élèves liégeois de l'Academie de chant grégorien dirigés par Stéphan Junker (conservatoire de Verviers) et Gérald Messiaen (choeur grégorien de Louvain) ont animé une journée célébrant le cinquième anniversaire des cycles de cours organisés à Liège.

    La Schola grégorienne de Maastricht et l'organiste Patrick Wilwerth, professeur au conservatoire de Verviers et directeur du choeur universitaire de Liège, participaient aussi à la manifestation.

    Celle-ci comportait un concert: le plain-chant de la semaine sainte donné à 16h dans l'église des Bénédictines puis la messe du dimanche de la Passion, célébrée à 18h en l'église du Saint-Sacrement

                                                                                                       

    l'orgue Le Picard des Bénédictines (XVIIIe s.)

    le concert "chez les bénédictines"

    147601580.jpgUne centaine d'auditeurs étaient au rendez-vous pour entendre les élèves liégeois de l'Académie magnifier, entre autres, les grandes hymnes du temps de la passion: le "Vexilla Regis" des vêpres du 5e dimanche de carême (1), le "Gloria Laus" de la procession des Rameaux (2) ou encore le "Trisagion" des Impropères du Vendredi Saint (3) et, pour conclure la prestation des Liégeois, l'assistance a pu (ré)entendre le bel orgue baroque (Le Picard, XVIIIe s.) des Bénédictines que Patrick Wilwerth fit sonner avec des oeuvres de Jehan Titelouze (XVIIe s.).

    En seconde partie, dans l'interprétation des laudes et du propre de la messe du jour de Pâques, le public eut l'heureuse surprise de découvrir la Schola Maastricht: un bel ensemble professionnel dont les membres sont issus du conservatoire de cette ville voisine de Liège, la ville dont saint Lambert fut l'évêque et à laquelle tant de souvenirs historiques nous lient.

    Ces choristes, qui ont suivi une formation avec les meilleurs spécialistes, sont dirigés par Hans Heykers, également titulaire des orgues de la basilique Notre-Dame de Maastricht. Le groupe est très homogène: d'excellentes voix et une interprétation comme on l'aime, fruit d'une sémiologie intelligemment mise au service du texte et de la mélodie. La schola et son chef sont à bonne école: ils font partie de la Deutschprachige Sektion der AISCGRE (association internationale pour l'étude du chant grégorien, fondée par les élèves de Dom Eugène Cardine). Leurs corrections mélodiques du Graduale Romanum de 1974 (Solesmes) sont tirées de la revue de cette association: Beiträge zur Gregorianik.

    la messe "au Saint-Sacrement"

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    la délégation de l'union des étudiants catholiques à l'église du Saint-Sacrement

    A 18 heures, à l'église du Saint-Sacrement, les mêmes formations ont chanté tant le propre (Schola Maastricht) que l'ordinaire (Elèves de l'Académie) de la messe grégorienne du dimanche de la Passion, une hymne et un motet baroque (avec le baryton Stéphan Junker) alternés à l'orgue tenu par son titulaire, Patrick Wilwerth.

    Près de trois cents fidèles ont pris part à cet office ponctuant à la fois la fin des cours 2007-2008 de l'Académie de chant grégorien à Liège et le 135e anniversaire de l'Union des Etudiants Catholiques dont une délégation sympathique était venue en nombre, drapeaux en tête, pour assister à la cérémonie.

    La messe fut célébrée en latin (missel de 1962) par Dom Hervé Courau, père abbé de l'abbaye bénédictine de Triors (Valence) qui appartient à la congrégation de Solesmes. Sous son impulsion, les quarante moines de cette abbaye (fondée en 1984) publient actuellement une remarquable discographie des dimanches du temporal.

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    Dans les lignes qui suivent, nous reproduisons l'intéressante homélie que Dom Courau a consacrée à l'interprétation liturgique du chant grégorien, ce 8 mars à Liège

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    (1) Cette hymne célèbre, composée au VIe siècle par le poète latin Venance Fortunat, n'a pas seulement inspiré le courage populaire des chouans mais aussi les plus grands maîtres de la musique tels que Franz Liszt (dans sa Via Crucis et une oeuvre pour piano solo) ou Charles Gounod (pour sa marche au calvaire dans "Rédemption") et de la littérature (Dante dans sa "Divine Comédie" ou James Joyce dans "Dedalus", son portrait de l'artiste en jeune homme).

    (2) Datée des temps carolingiens (IXe siècle) et attribuée au poète Théodulphe, évêque d'Orléans.

    (3) Invocations gréco-latines (Ve siècle) à la Sainte Trinité (tris-trois/agion-saint) accompagnant les versets des impropères adressés au peuple élu, le Vendredi-Saint

    L'EXPRESSION LITURGIQUE DU CHANT GREGORIEN

    Prédication du T. Rd Père Dom Hervé Courau

    à la messe du dimanche de la Passion

    chantée le 8 mars 2008 à l'église du Saint-Sacrement à Liège

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    Mes chers Frères,

    Ce m'est une grande joie d'être parmi vous ce soir et ici, en cette église du Saint-Sacrement qui associe depuis le milieu du XIXe siècle la ferveur de votre sainte Julienne du Mont Cornillon avec la piété eucharistique de saint Pierre André Eymard originaire de La Mure, pas très loin de Triors. La messe de ce soir nous rassemble autour du Seigneur que célèbre avec sa pureté exigeante le chant grégorien. Mais nous fêtons aussi un jubilé, celui des 135 ans de l'union des étudiants catholiques de votre Université, union fondée en 1873. Lourdes avait alors la fraîcheur de ses 15 ans, après la visite de l'Immaculée auprès de Bernadette, l'humble Bernadette si joliment espiègle. Puissent-elles toutes deux, Notre-Dame et sa confidente, maintenir toujours jeune et ardente la recherche du savoir catholique dans votre cité ardente. Au carrefour historique où s'est forgée l'Europe depuis les Romains, puis sous les Pépinides et les Carolingiens, la ville de S. Lambert a lourdement payé le tribut des chauds-froids de l'histoire européenne. Ayez et cultivez la mémoire longue qui forme un capital inaltérable de chrétienté.

    Les lectures de la messe se ressentent de l'angoisse de cette fin du carême. L'évangile notamment se termine par une tentative de lapidation, mais le Seigneur affermit notre foi par la belle expression: Avant qu'Abraham ait été, je suis (Jn. 8,58). Dans son livre sur Jésus, le Saint Père souligne le poids de cette expression simple et apparemment anodine: au monde versatile des choses qui viennent, déclinent et disparaissent, s'oppose le "Je suis" de Jésus. Nous avons entendu l'enchaînement des textes tirés de l'unique Parole de Dieu. L'Eglise les propose à notre méditation, à n2132543931.jpgotre rumination intérieure.

    Or, le chant sacré est justement l'heureux fruit d'une telle rumination au long des siècles. Génération après génération, il prolonge dans les coeurs les sentiments variés du psalmiste et de l'évangile. Le chant grégorien souligne aujourd'hui la profondeur de la Parole de Dieu, en ce moment proche de la Passion de Jésus: l'angoisse et la retenue s'y succèdent, la foi et l'espoir, protégé par le Seigneur mort et ressuscité pour nous. Le chant de communion mettra à l'honneur le cri de Jésus au moment de la résurrection de Lazare, après un récitatif syllabique simple à l'extrême. Pourtant l'expression dramatique ici n'est pas théâtrale, l'expression grégorienne est habituellement d'un autre ordre.

    A dire vrai, le mot expression sonne à nos oreilles de façon équivoque. Cela tient à une certaine baisse du niveau auquel on situe l'art. Dom Mocquereau, dans une fameuse conférence faite en 1896 à l'Institut catholique de Paris, affirmait avec Platon que l'art est pour l'âme et non pour les sens (i). Or, nous avons du mal à nous mettre à ce point de vue. Depuis la Renaissance, l'art, la musique en particulier, cherche plutôt à imiter les sentiments de la nature, l'expression étant alors réduite à un aspect psychologique. Beaucoup d'expression,d'une oeuvre d'art cela veut dire qu'elle traduit bien le sentiment de la joie ou de la tristesse, l'effroi ou la tendresse. A ce niveau, l'art antique et l'art médiéval sont peu expressifs et déconcertent. Mais précisément la modestie de cet art, je dirai même le vide qu'il impose à l'âme, purifie celle-ci et lui donne accès au mystère qui la dépasse. Pour s'élever vers Dieu par la prière, l'âme est invitée à s'affranchir des mouvements éphémères de la sensibilité, et a fortiori du virtuel omniprésent. André Charlier compare l'âme humaine à une eau profonde dont la surface est plus ou moins agitée par les vents ou les orages, mais si peu qu'on descende au dessous de cette agitation, on trouve le calme et le silence. Qui sait descendre dans cette belle profondeur goûte enfin la connaissance des choses de l'âme (ii).

    Le grégorien vient matériellement jusqu'à nous dans l'emballage fascinant des manuscrits médiévaux. L'expression musicale des anciens est là tout palpitante encore, semble-t-il. Un vocabulaire technique s'est emparé de cet univers qui n'est cependant que "l'emballage" de la prière de l'Eglise, avec l'inconvénient d'entraîner quelques équivoques (iii). Tous ces neumes sont au service de la phrase: loin de briser la ligne mélodique et rythmique, ils doivent au contraire la servir et concourir ainsi à son expression. Olivier Messiaen évoque la réalité si extraordinaire de ces neumes qu'il ne craint pas de comparer à l'expression de la musique hindoue et au chant des oiseaux (iv). Pourtant, quand il en vient aux conseils pratiques, il invite à les interpréter par un léger vibrato où passe quelque chose de l'âme. La voix est tributaire aussi du rubato hérité des musiciens de la Renaissance qui ont formé notre oreille à un climat sonore dont on ne saurait imprudemment faire abstraction: ce qu'on nomme habituellement le legato distingue très heureusement le chant d'Eglise de la musique mesurée (v).

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    La louange incluse alors dans ce chant va très loin. Comme on l'a souligné, elle est la réponse authentique et accessible à la recherche de l'acte gratuit de l'existentialisme athée. Ce dernier en pose l'exigence avec arrogance et de façon glaciale, alors que le chant de l'Epouse face à l'Epoux divin est la solution simple et humble, sûre et juste: la louange divine ne relève en rien de l'ordre de l'utilitarisme, elle est gratuite en tant qu'elle célèbre l'Acte pur et y participe. L'âme chante comme Marie verse son parfum sur les pieds du Seigneur, sans autre but que de dire son amour (vi). Dans sa conférence déjà citée, Dom Mocquereau soulignait cette simplicité du chant grégorien qui le rend vraiment artistique: le vrai, le beau et le bien ne peuvent être que simples; il n'est donc pas ampoulé et répugne instinctivement à tout ce qui fait théâtral. Ce n'est pas dire que le chant soit simpliste ou infantile, il est simple par principe et par convenance  et cela devient fort exigeant pour nos âmes: n'éludons pas ce gros oeuvre de la conversion profonde du coeur au Seigneur, ne diminuons en rien l'ambition de la louange (vii). Le philosophe Victor Cousin aimait dire que moins la musique fait de bruit, plus elle touche.

    Le contraste est flagrant avec la musique moderne et ses effets de surpise, la dissonance, l'irrégularité. L'art antique dont le grégorien hérite, cultive l'ordre, l'équilibre parfait, l'harmonie constante de toutes les parties et de cette perfection se dégage un charme irrésistible. Discrète et mesurée, elle laisse à l'intelligence une large liberté d'interprétation. Toujours juste, elle porte hautement le caractère de la beauté qui réside dans la convenance. Oui, elle convient vraiment aux saints mystères et à ceux qui s'en approchent pour les élever jusqu'aux régions spirituelles. Rien n'y pénètre qui soit troublé ou souillé: elle a la fraîcheur d'une pureté virginale. Le chant grégorien, prière de l'Eglise, exige cette expression contenue. Elle a là sa caractéristique propre, c'est la marque de son génie.

    On devine l'objection: une telle réalisation n'est-elle pas un peu trop quintessenciée, désincarnée, n'est-elle pas de ce fait ina1013912817.jpgccessible aux fidèles de paroisse, son côté austère n'en fait-il pas une spécialité pour moines ? Je crois que la pensée et les actes de Benoît XVI indiquent au contraire cette réalisation comme l'application authentique du concile en la matière. Il est, on le sait, très ambitieux en ce qui concerne la participation des fidèles aux saints mystères. Le chant grégorien revêt de façon extraordinaire la sainte liturgie, assez humblement aussi pour ne pas décourager pour autant les efforts ordinaires en la matière. Ce chant me fait penser au cri de Jésus qui fait sortir de son tombeau le cadavre de Lazare: il obtient ce qu'il dit avec fermeté, simplicité et netteté. Puisse le grégorien quitter ses catacombes pour raviver, pour ressusciter la piété chrétienne dans ses versions les plus diverses.

    Te decet laus, il faut louer Dieu, dit l'Ecriture, et le psautier s'achève sur ces mots: Que toute vie loue le Seigneur (viii). Devant l'urgence des immenses besoins de la cité des hommes, l'acte gratuit de la prière chantée peut paraître dérisoire. Nos pauvres efforts pour prier sur de la beauté rejoignent pourtant Notre Dame qui nous invite fortement et doucement à entrer dans son Magnificat, amen.

    crédit photographique: Lionel Ferette

    __________

    (i) Voici le contexte:  C'est l'art, qui réglant la voix passe jusqu'à l'âme et lui inspire le goût de la vertu. Dans la pensée grecque la plus belle mélodie est celle qui exprime avec le plus de perfection les bonnes qualités de l'âme. Les muses, disait-on, nous ont donné l'harmonie dont les mouvements sont semblables à ceux de nos âmes, non pour servir à de frivoles plaisirs, mais pour aider à régler sur elles les mouvements désordonnés de notre âme...Tel était l'idéal supérieur que les Grecs avaient de la musique.

    (ii) Voici le contexte d'André Charlier dans son ouvrage sur le chant grégorien rédigé conjointement avec son frère Henri: L'âme humaine est semblable à une eau profonde dont la surface est plus ou moins agitée par les vents ou les orages: les rides ou les profonds sillons qu'ils y creusent n'affectent point sa profondeur. Si peu qu'on descende au dessous de cette agitation, on trouve le calme et le silence...Mais c'est à la surface de nous-mêmes que nous avons l'habitude de vivre sans jamais descendre à ces profondeurs où pourtant se passent les seuls évènements importants, loin des ténèbres, dans une lumière venue de l'intérieur. Là seulement les passions sont apaisées...Si on sait descendre dans cette belle profondeur, on goûte enfin la connaissance des choses de l'âme. L'émotion y est calme, toujours illuminée de cette connaissance directe et sûre qui n'est pas effleurée du moindre doute parce qu'elle demeure au contact même de l'être.

    (iii) La coupure neumatique par exemple n'est expressive que du fait qu'elle met en relief telle note dans la synthèse rythmique: sa fonction rythmique détermine la place du posé qui hiérarchise la succession des notes. Mais cela ne veut pas dire que cette note traduise obligatoirement ou exige une autre expression particulière. On peut en dire autant des neumes dits spéciaux, salicus, strophicus, quilisma, trigon...: quelle que soit l'expression que les anciens pouvaient leur accorder dans leur propre cadre culturel et sensible, ils n'en restent pas moins soumis, quant au style, à l'influence du contexte de celui qui chante hic et nunc, aujourd'hui. Certes, ils détiennent une part de la "vérité" du chant mais ne sauraient pour autant nous obliger totalement à des hypothèses rétrospectives sans cesse remises en cause. Pour sa dignité et par le rôle ministériel qu'il joue dans la liturgie, le CHANT PROPRE DE L'EGLISE LATINE oblige à d'autres efforts plus accessibles, car le Magisère y insiste (S. Pie X, Vatican II, Sacr. Conc. n° 116, lettre chirographe de Jean Paul II, novembre 2003). Je pense à la formation de l'oreille, à la pose de voix dont les progrès récents sont étonnants et aident tant à la fusion des choeurs. Puis je rêve qu'une étude scientifique soit menée sur les liens de ces nouveaux apports avec les qualités de l'authentique Musica Sacra préconisées par S. Pie X. On sait comment le Magistère insiste depuis des années sur l'approfondissement de la notion de participatio actuosa dans la liturgie. Cf.l'herméneutique de continuité préconisée par Benoît XVI (Discours à la Curie romaine du 22 décembre 2005). Malgré les apparences, la pensée conciliaire n'est pas encore pleinement venue à maturité en ce qui concerne la liturgie.

    (iv) Les neumes, réalité si extraordinaire, ne sont plus guère chantés de nos jours, par ignorance, par paresse ou par crainte du ridicule à cause de leur réelle difficulté. Ils sont pourtant les moyens moyens d'accentuation, d'expression et d'ornementation les plus sensationnels du chant grégorien. Dom Mocquereau affirmait avec autant d'assurance l'existence de notes répétées à l'unisson dans les mélopées grégoriennes comme un fait incontestable (cf. Aurélien de Réomé au IXe s.).Pour Messiaen, ces coups de voix devraient se répéter rapides, légers, à l'instar d'une main qui frappe. Les Hindous pratiquent depuis des siècles ces roulements de gorge (assimilés à faux au flatterzunge des flûtistes et trompettistes). Les oiseaux grâce à un organe spécial, le syrinx adjoint au larynx, peuvent émettre des sons répétés à une très grande vitesse et faire ainsi, non pas des trilles, comme on le croit communément, mais des roulements si rapides qu'ils dépassent en célérité les possibilités du gosier humain, les articulations des instruments à vent en bois et en cuivre, le trémolo du violoniste et le roulement du timbalier(Olivier Messiaen, Notes éditées de façon posthume en dTraité de rythme, de couleur et d'ornithologie, t. IV, p.11).

    (v) Cf. Jacques VIRET, Le chant grégorien et la tradition grégorienne, édition L'ÂGE D'HOMME 2001, §§ 216, 219, 224. Je ne partage pas l'esprit systématique de l'auteur, et pense plus simple et obvie d'associer le parlando-rubato ou legato des musiciens classiques.

    (vi) Cf. Paissac, Attendre Dieu, Cerf 2001, article sur la Louange de Dieu, p. 165-167. Cf l'onction de Béthanie, Mt. 26, 13.

    (vii) Voici le contexte: L'artiste véritable est celui qui traduit le mieux dans le monde extérieur, c'est à dire de la manière la plus simple, l'idéal qu'il porte dans la simplicité de son intelligence. Plus une intelligence est pure et haute plus elle conçoit la vérité d'une façon simple et une...Le chant n'est donc pas simple en ce sens que ces procédés servaient ceux d'un art dans l'enfance, mais il est simple par principe et par convenance.

    (viii) Ps. 64,2 & 150,6