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Réflexion faite - Page 72

  • Bruxelles : l'église Sainte-Catherine reprise par des prêtres « controversés »

      

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    Bruxelles : l'église Sainte-Catherine reprise par des prêtres

     " controversés"

    Sous la plume de Christian Laporte, dans la « Libre » du 14 juillet (extrait) :

    "Mgr Léonard a décidé de les y accueillir jusqu’en juin 2015.

    Il y a une semaine, l’archevêque de Malines-Bruxelles, Mgr Léonard, annonçait la réouverture au culte de l’église Ste-Catherine durant l’année pastorale 2013-2014. Une ouverture provisoire question d’évaluer l’ampleur de l’espace qui devrait, dans l’hypothèse d’un projet d’occupation partagée, y être réservé au culte catholique.

    Bref rappel : depuis la fin 2011, la fermeture annoncée de l’église du "Vismet" à Bruxelles et sa réaffectation non spirituelle ont fait couler des tonnes de salive et d’encre et suscité une mobilisation certaine de fidèles demandant son maintien à l’encontre de l’avis des responsables ecclésiaux bruxellois.

    Compromis intra-ecclésial

    Entre-temps, la Ville a lancé avec l’accord de ces derniers un appel à idées en vue d’un éventuel usage partagé de l’église. Le jury devait trancher récemment mais la surprise est venue de l’archidiocèse qui veut laisser une chance à une occupation pastorale. Mgr Léonard, invoquant sa responsabilité propre et après concertation avec l’évêque de Bruxelles, Mgr Jean Kockerols, entend vérifier et déterminer par l’expérience quelle partie de l’église doit être gardée pour le culte.

    Aussi l’archevêque va y installer dès la rentrée de septembre les trois futurs prêtres de la Fraternité des Saints Apôtres chère à l’abbé Michel-Marie Zanotti Sorkine… auxquels il voulait confier l’église du Béguinage mais la paroisse et l’abbé Alliët l’ont refusé avec force.

    Accord romain conditionnel

    Déjà diacres, ils seront ordonnés prêtres le 22 août. Et cela malgré l’opposition de plusieurs évêques belges qui s’en sont ouverts à Rome, perplexes notamment sur le suivi de leur vocation et leur encadrement spirituel. Mais au Vatican, on a précisé ne pas s’opposer à ces ordinations si elles sont conformes au droit canon, ce qui est le cas jusqu’ici. Ils pourront donc s’occuper de Ste-Catherine de septembre 2014 à juin 2015.

    En attendant des questions restent ouvertes à Bruxelles : dans toute l’opération, l’archevêque a joué cavalier seul, plus que jamais convaincu que la Fraternité apportera des charismes à l’Eglise. Son Conseil épiscopal, plus perplexe, n’a pu qu’en prendre acte.(…) »

    Notre point de vue 

    17.jpgQue le projet d'installer des prêtres disciples du Père Zanotti à l'église du Béguinage ait été écarté ne suffit par à Monsieur Laporte qui annonce, avec dépit, leur installation à Sainte-Catherine dans La Libre, il faudrait qu'ils soient proscrits partout et sans doute serait-il préférable que cette église devienne un marché aux poissons ou aux légumes ou encore un temple de l'art contemporain. Mais voilà, notre archevêque en a décidé autrement sans se formaliser des cris d'orfraie qu'allaient pousser les Laporte et consorts. Quant à nous, nous nous réjouissons de voir rendue au culte cette église qui ne pouvait être confiée à de meilleures mains.Ce nouvel institut, inspiré par l’abbé Michel-Marie Zanotti-Sorkine, ancien curé des « Réformés » à Marseille, a été reconnu par Mgr André-Joseph Léonard le 6 avril 2013. À l’heure où la nouvelle évangélisation apparaît comme un besoin pressant, le primat de Belgique donne donc à son archidiocèse son pays  une communauté missionnaire nouvelle placée sous le patronage des apôtres qui convertirent les foules après la résurrection du Christ.

    « J’ai fait leur connaissance en décembre 2011 à Marseille, explique-t-il par ailleurs à Christian Laporte (interview dans La Libre du 21.08.2014). Un compatriote m’avait invité à aller découvrir la paroisse Saint-Vincent-de-Paul. Et dans la foulée, j’avais reçu un livre d’entretiens du Père Michel-Marie Zanotti avec un journaliste. Je l’avais laissé sur le côté mais quand je suis allé aux JMJ à Madrid, j’ai emporté "Homme et prêtre" pour les longs transports. Finalement ce livre m’a brûlé le cœur et j’ai voulu aller voir sur place. Pendant deux jours, j’y ai côtoyé une Eglise joyeuse, fraternelle, fervente. Sa pastorale était à la fois classique et populaire. Le hasard a voulu que je rencontre aussi un jeune se destinant au sacerdoce mais pas dans l’optique de n’être qu’un gérant de paroisse.

    Michel-Marie Zanotti était tout à fait le contraire de cette vision, prêt à rencontrer des gens du matin au soir. Ce fut comme un déclic… Comme dans l’Hexagone, il y avait un grand climat de méfiance à l’égard d’un groupe de candidats, ils se sont adressés à moi vers la fin 2012. Et m’ont demandé de les accueillir au sein d’une Fraternité car ils voulaient vivre et travailler ensemble au sein d’une communauté et devenir prêtres. J’en ai parlé à l’abbé Bonnewijn responsable de la formation aux ministères ordonnés et nous avons fait les screenings nécessaires. On les a trouvés très modernes d’autant plus qu’ils ont opté comme Michel-Marie Zanotti pour le travail sur le terrain dans une grande ville. Mieux encore : dans des quartiers à forte implantation musulmane comme à Marseille. Le Père Zanotti porte le froc pour marquer son appartenance mais n’en est pas moins en communion avec les gens du quartier : des hommes y portent aussi la robe et des femmes qui ont un voile rappellent les religieuses… »

    Lorsqu’il était évêque de Namur, Mgr Léonard avait déjà reconnu, comme association publique de fidèles 1995), la Fraternité Saint Thomas Becket  aujourd’hui implantée dans plusieurs diocèses…

     V&E

    Vérité et Espérance/Pâque Nouvelle, n° 92, 3e trimestre 2014

  • Quand Scalfari remet le couvert avec le pape François

     

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    Quand Scalfari remet le couvert avec le pape François

    Des propos qui suscitent une mise au point du Saint-Siège

    scalfari199.jpgLe dimanche 13 juillet dernier, le quotidien laïc italien « la Repubblica » a publié un nouvel entretien (1) accordé par le pape François à son fondateur et ancien directeur, Eugenio Scalfari. On y peut lire notamment ce dialogue, dont nous reproduisons la traduction littérale (y compris la ponctuation, les guillemets ou leur absence) :

     « - Sainteté, vous travaillez assidument pour intégrer la catholicité avec les orthodoxes, les anglicans ... 

    Il m'interrompt et poursuit:

    - «Avec les Vaudois (l'église évangélique vaudoise), que je trouve des religieux de premier ordre, avec les pentecôtistes et naturellement, avec nos frères juifs » 

    - Eh bien, beaucoup de ces prêtres ou pasteurs sont régulièrement mariés. Comment va évoluer au fil du temps ce problème dans l'Eglise de Rome? 

    « Peut-être ne savez-vous pas que le célibat a été établi au Xe siècle, c'est-à-dire 900 ans après la mort de notre Seigneur. L'Eglise catholique orientale a à ce jour la faculté que ses prêtres se marient. Le problème existe certainement mais n'est pas d'une grande ampleur. Il faut du temps, mais il y a des solutions et je les trouverai.

    Dans un communiqué publié le même jour, le Père Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, a nuancé les termes supposés de la réponse faite par le pape, en indiquant, entre autres, qu’on ne pouvait attribuer avec certitude à celui-ci l’affirmation : « les solutions, je les trouverai ». Et il a sans doute bien fait car cette question de la continence liée à la discipline sacerdotale est presqu’aussi vieille que l’Eglise et ne se résume pas à la disposition conciliaire de 1139 statuant que le mariage des prêtres est illicite et invalide. Le Père Lombardi aurait pu préciser aussi que, contrairement au propos attribué par Scalfari au pape François, aucune Eglise, orientale ou non, ne laisse présentement à ses prêtres la faculté de se marier après leur ordination.

    Le célibat ecclésiastique, une invention tardive ?

    Ceux qui voient dans le célibat des clercs majeurs une invention tardive (2) sont de moins en moins nombreux, car l’argument, tiré en fait de la disposition précitée du 2e concile de Latran, ne résiste pas à une simple lecture du texte conciliaire : le document n’établit pas l’obligation du célibat, mais frappe de nullité tout mariage contracté par un clerc déjà ordonné et les auteurs qui font autorité reconnaissent généralement que les origines de la continence exigée des clercs sont bien antérieures à cette époque. Mais les exégètes divergent sur la raison exacte qui motivait alors le prescrit et sur l’interprétation de la genèse de son développement.

    Par ailleurs, les seuls arguments historiques ou disciplinaires sont rarement décisifs pour mettre fin à une  contestation (ce n’est pas la première) dans un domaine aussi sensible : a fortiori lorsqu’elle refait surface  dans l’ambiance séculariste postconciliaire exaltant toutes les formes de liberté. C’est pourquoi, dans l’époque précédant le règne du pape François, la réflexion s’est surtout portée sur le développement théologique légitime de la doctrine du célibat ecclésiastique.

    Approfondir la doctrine

    Selon l’argumentaire avancé à ce titre, la prêtrise est un état avant d’être une fonctionordination.jpg et si -selon l’adage- le prêtre devient un autre Christ, par le sacrement qui l’ordonne à son Seigneur, il doit lui être « configuré en tout ». Ceci expliquerait que le prêtre ne puisse être une femme et demeure célibataire. C’est aussi pourquoi le clergé marié des églises orientales a un aspect théologiquement inabouti . L’auteur de cette remarque est, sauf erreur, Benoît XVI qui, parlant de l’Eglise grecque, considère avec peu de faveur le développement historique d’un tel clergé « de seconde zone » (l’expression est de lui) . C’est dans le même sens d’un approfondissement doctrinal que le cardinal Alfons Stickler, très apprécié par l’ancien pape, conclut son étude « Le célibat des clercs, Histoire de son évolution et fondements théologiques » (texte traduit de l’allemand, publié aux Editions Pierre Téqui, Paris, 1998) et c’est également ce que pense le cardinal Mauro Piacenza, préfet de la congrégation du clergé sous le règne de Benoît XVI. Citant ce grand pape théologien lors d’un colloque organisé à Ars du 26 au 28 janvier 2011, il avait mis en lumière, à cet égard, la dimension eucharistique d’un célibat sacerdotal intimement lié à l’acte d’oblation totale de soi que fait l’ordinand, à l’image de Jésus, Souverain Prêtre :

    « L’offrande que le Christ fait à tout instant de Lui-même à l’Eglise doit se refléter clairement dans la vie des prêtres. Ceux-ci, écrit-il,  sont appelés à reproduire dans leur vie le Sacrifice du Christ à qui ils ont été identifiés par la grâce de l’ordination sacerdotale.

    « De la nature eucharistique du célibat découlent tous les développements théologiques possibles, qui placent le prêtre face à son office fondamental : la célébration de l’Eucharistie, dans laquelle les paroles : « Ceci est Mon Corps » et « Ceci est Mon Sang » n’opèrent pas seulement l’effet sacramentel qui est le leur, mais doivent façonner progressivement et concrètement l’offrande de la vie sacerdotale elle-même. Le prêtre célibataire est ainsi associé personnellement et publiquement à Jésus Christ ; il Le rend réellement Présent, et devient lui-même offrande, grâce à ce que Benoît XVI appelle : « la logique eucharistique de l’existence chrétienne ».

    « Plus on reviendra, dans l’Eglise, au caractère central de l’Eucharistie, célébrée dignement et adorée en tout temps, plus grandes seront la fidélité au célibat, la compréhension de sa richesse inestimable et, permettez-moi de le dire, la floraison de saintes vocations au ministère ordonné ».

    Une conversion des mentalités

    Pour être réellement compris, ce langage exige une conversion des mentalités et l’ouverture sur un monde tourné vers l’invisible : si la religion, dont c’est l’objet de nous en montrer le chemin, y renonce,  présentera-t-elle encore un réel  intérêt ?

     JPS

     (1)  une première interviewe controversée, qui fit grand bruit, avait déjà été diffusée le 2 octobre 2013.

    (2)  le pape François ou plutôt son porte-plume Scalfari la situent erronément « au Xe siècle », mais ils veulent sans doute parler du XIe (réforme grégorienne) et du XIIe siècles  (2e concile du Latran).

     

     Vérité et Espérance/Pâque Nouvelle, n° 92, 3e trimestre 2014

  • Tu amasseras des charbons de feu sur sa tête…

     

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    Tu amasseras des charbons de feu sur sa tête…

     

    Rom12,20 ;

    Pr 25, 21-22

     Au répertoire des formules immuables qui fleurissent de génération en génération sur les lèvres du potache en mal d’inspiration, il en est une bien connue qu’il profère comme irrévocable sentence quand, pris de perplexité devant une version latine qu’on lui donne à traduire, il rend, piteux, les armes ― et sa feuille au professeur ―, après un combat le plus souvent aussi économe d’engagement qu’infructueux. Et le verdict tombe, sur le ton cinglant du reproche :« Monsieur, votre texte, ça ne veut rien dire ! »    

    Le reproche pourtant porte à faux, pour deux raisons de bon sens :

    1. ― Le texte n’est pas du professeur : ce n’est pas « son » texte, il ne fait que le transmettre.

    2. ― Et puis, il y a bien de la différence entre le diagnostic : « Ça ne veut rien dire », et la réalité objective : « Je ne vois pas ce que cela veut dire. » ...

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     Quand il nous est donné d’entendre la lecture de l’Epître ou de l’Evangile, ne réagissons-nous pas de temps en temps de même, impatients plutôt que confiants, mettant en cause la Parole plutôt que notre entendement ? Comme si Dieu ne nous dépassait pas de toutes parts ; comme s’il ne pouvait nous dire que ce qui soit bien conforme à nos préjugés ; comme si sa Parole n’était pas avant tout créatrice de notre être ; comme si nous n’avions pas à cheminer vers lui, à nous laisser créer petit à petit, entre ses mains, aux dimensions d’ « homme nouveau ».

    A quoi bon écouter la Parole de Dieu, si nous fixons d’avance ce qu’elle a le droit, ou non, de nous dire ?

    ™

     Paulus_St_Gallen.jpgAinsi reconnaît-on de bonne grâce ― sans peut-être pour autant aller jusqu’à agir en conséquence ― la noblesse de cette recommandation de l’Ecriture : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire... » (Rom 12, 20)

    Mais qui ne retrouve ses réflexes de potache, à entendre la fin du verset : « ...car ce faisant, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête ! »

    Allons donc, saint Paul ! que nous chantez-vous là ? Ah, vraiment, le bel apôtre que voilà, qui ne met un frein à la rancune que pour faire savourer à terme une vengeance rendue d’autant plus cuisante qu’on aura su se montrer talentueux en hypocrisie !

    Or justement, le bon sens invoqué plus haut invite à n’en pas juger si précipitamment, pour ces deux mêmes raisons :

    1. ― Il s’agit d’abord de reconnaître à qui, en définitive, est adressé le reproche. Le rédacteur du livre des Proverbes, auquel saint Paul emprunte ces lignes (Pr 25, 21-22), a écrit ce texte avec ses mots, son style, son caractère et tout son être : ce texte, certes, il l’a bien composé, et pourtant, il n’est pas de lui. Il est à travers lui, mais non pas de lui : il est de Dieu.

    Dans saint Matthieu, qui rapporte les mots d’un prophète de l’Ancien Testament, on lit en deux endroits une expression particulièrement éclairante : « quod dictum est a Domino perprophetamdicentem » (Mt 1, 22 et 2, 15) : « la chose est dite ‘par’ le Seigneur (‘a’ indique l’agent, l’auteur), ‘par l’entremise’ du prophète (‘per’ indique seulement l’intermédiaire) ; mais le mot ‘dicentem’ se rapporte bien à ‘prophetam’ : l’expression (= ‘dicentem’) est du prophète, la chose dite (= ‘dictum’) est du Seigneur. C’est ainsi que s’entend l’inspiration des Saintes Ecritures.

    « …Car ce faisant, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête. » : l’expression est de la source de saint Paul, et assumée par saint Paul ; la chose dite est du Seigneur. Prenons-y donc bien garde : passe encore que nous fassions remontrance à l’Apôtre (et ne serait-ce pas déjà fort prétentieux ?), mais voilà, il y a ici plus que l’Apôtre.

    2. ― Et puis, ferons-nous bien de convenir alors, sommes-nous vraiment sûrs d’avoir compris ce langage du Dieu d’amour, nous qui aimons si peu ?

    ™

    Saint Augustin vient nous prendre par la main, là-même où nous achoppons (cf. saint-augustin.jpgExplication de certaines phrases de l’épître aux Romains, 63 [71] ) :

    « …‘Car ce faisant, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête.’ Il est possible que pour beaucoup de gens cette phrase semble entrer en contradiction avec celle par laquelle le Seigneur nous enseigne à aimer nos ennemis et à prier pour ceux qui nous persécutent (Cf. Mt 5, 44) ; ou encore avec celle-ci, où le même Apôtre déclare, un peu plus haut : ‘Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez, et ne maudissez pas.’ (Rom 12, 14), puis derechef : ‘Ne rendez à personne le mal pour le mal.’ (Rom 12, 17). »

    Le saint docteur comprend ce qui nous arrête, et il le définit clairement :

    « Comment quelqu’un aime-t-il en effet celui à qui il donne nourriture et boisson dans le but d’amasser des charbons de feu sur sa tête ? »

    Voilà bien ce que pour notre part nous dirions. Et sans doute irions-nous même jusqu’à ponctuer notre « terrible » objection d’un point d’exclamation indigné, plutôt que de ce point d’interrogation, où apparaît déjà l’amorce d’une attente docile de réponse.

    Oui, la phrase d’Augustin est un rien plus longue, elle est une vraie question, et la réponse y plonge ses racines :

    « Comment quelqu’un aime-t-il en effet celui à qui il donne nourriture et boisson dans le but d’amasser des charbons de feu sur sa tête, si les charbons de feu signifient dans ce passage quelque grave peine ? »

    Notre propension à la vengeance est telle, hélas, que nous entendons spontanément l’expression au sens d’une punition vengeresse ; l’amour qui habite le cœur du Saint le met quant à lui aussitôt dans la logique du langage de l’Amour :

    « Voilà pourquoi il faut comprendre que le but de cette chose dite est celui-ci : que nous incitions celui qui nous aurait fait tort au regret de son action, tandis que nous, nous lui faisons du bien. » 

    ™

    L’exégèse de saint Augustin est du reste confirmée par la fin de ce verset, dans le livre des Proverbes. Le voici en son entier : « Tu amasseras des charbons de feu sur sa tête et le Seigneur te le rendra. » On voit à l’évidence par là qu’il est question d’un acte de vertu. Pareille conclusion resterait en effet absolument incompréhensible si le début du verset trahissait ne fût-ce que la moindre concession à notre appétit de vengeance.

    Les charbons de feu ne signifient donc nullement dans ce passage quelque grave peine, mais toutes les braises de belle charité dont notre cœur est capable, et, chez celui qui nous aurait fait tort, l’appel tout au moins à brûler du regret de sa mauvaise action.

    ™

    Et quelle est d’ailleurs cette vengeance selon l’esprit du monde, qui rend le mal pour le mal ?

    Celui qui nous veut du mal atteint plus pleinement son but en nous rendant mauvais par l’éveil en nous de la volonté de vengeance : il ne peut même l’atteindre que de cette unique façon.

    Car ne nous y trompons pas : quand nous rendons le mal pour le mal, nous ne nous vengeons pas de celui qui nous l’a fait. Nous rendons au contraire efficace en nous son œuvre de destruction, qui, sinon, ne peut que tourner à notre bien, comme on en voit l’exemple dans l’épisode de Joseph vendu par ses frères, en la Genèse : « Vous, vous avez tramé du mal contre moi : mais Dieu l’a tourné en bien. » (50, 20). Ce que l’Apôtre reconnaît comme une règle : « Nous savons que pour ceux qui aiment Dieu, tout coopère à leur bien. » (Rom 8, 28) C’est en rendant au méchant le mal qu’il nous fait que nous sommes marqués en nous de ce même mal que nous lui reprochons, et nous en devenons détestables.

     

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    Amassons donc plutôt des charbons de feu sur sa tête en lui faisant du bien. Ce feu est celui de l’amour. Attisons-le encore et encore.

    Mihi vindicta, dicit Dominus. « A moi la vengeance, dit le Seigneur », rappelait l’apôtre Paul au verset précédent. La vengeance de l’Amour.

    La vengeance de Dieu, c’est de faire un juste du pécheur (cf. Os, 1-4), et il veut nous y employer aussi, par les petits charbons que nous viendrons amasser sur sa tête, afin qu’ils s’y embrasent du feu divin.

    Remarquons d’ailleurs que, par la même occasion, nous en amassons pareillement sur la nôtre : ce dont elle a grand besoin…

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    « Je suis venu apporter le feu sur la terre », a déclaré le Sauveur. (Lc 12, 49) Eh bien, les charbons de feu dont parle ici l’Apôtre sont de ce feu-là.

    Rendre le mal pour le mal, c’est être vaincu par le mal. Or saint Paul nous dit justement, au verset suivant cette fois, et en conclusion de tout le chapitre : Noli vinci a malo, sedvincein bonomalum. « Ne sois pas vaincu par le mal, mais vainc le mal dans le bien. »

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    Les charbons de feu signifient donc toute la charité dont notre cœur doit brûler pour ceux qui nous font tort, cette charité que, si nous vivons vraiment de l’amour divin, nous intensifions à mesure que leur méchanceté nous montre et persuade qu’ils en ont davantage besoin.

    Voilà comment agit l’amour, parce qu’il est amour. L’amour n’a en vue que d’aimer.

     

    Jean-Baptiste Thibaux

    Vérité et Espérance/Pâque Nouvelle, n° 92, 3e trimestre 2014