Extrait de notre magazine trimestriel "Vérité et Espérance/ Pâque Nouvelle"
(n° 93, Noël 2014)
Benoît XVI a exceptionnellement « repris du service », ces jours-ci, en sortant de son grand silence. Cela se passait à l’université pontificale « Urbania » consacrée à la formation du clergé missionnaire et des étudiants venus des territoires de mission. Pour la réouverture, de sa grande salle de conférences de 1800 places, qui porte désormais son nom, le pape émérite a fait lire par son secrétaire particulier Mgr Ganswein un texte passionnant à l’heure où l'on reparle de la nécessité pour l'Eglise de s'adapter aux réalités de notre temps, de dialogue interreligieux et de paix dans le monde.
Le Saint-Père Benoît XVI écrit notamment ceci : « Aujourd'hui beaucoup sont de l'idée que les religions devraient se respecter mutuellement et dans le dialogue entre elles devenir une force commune de paix conjointe». Soit, mais : « dans ce mode de pensée, la plupart du temps on prend pour hypothèse que les différentes religions sont les variantes d'une seule et même réalité; que la "religion" est le genre commun qui prend des formes différentes selon les différentes cultures, mais exprime toujours la même réalité» et le pape émérite conclut : « cette renonciation à la vérité semble réaliste et utile à la paix entre les religions dans le monde», mais «elle est mortelle pour la foi», car « la foi perd son caractère contraignant et sa gravité si tout se résume à des symboles au fond interchangeables, capables de renvoyer seulement de loin au mystère inaccessible du divin». La tentation n’est pas neuve : dans l’antiquité romaine, aux chrétiens persécutés qui refusaient le culte impérial, les magistrats proposaient de brûler quelques grains d’encens au dieu qui est dans les cieux, l’ « éther », principe divin et tellement impersonnel et universel que chacun peut le reconnaître. Et les vilains martyrs intolérants avaient le front de refuser : incompréhensible pour l’esprit de notre temps.
Un dialogue interreligieux conçu à la manière dénoncée par le pape Benoît XVI est, en effet, mortel pour la foi. En 2008, dans une lettre-préface à un livre de son ami le sénateur italien Marcello Pera, il écrivait déjà ceci : « le dialogue interreligieux au sens étroit du terme n'est pas possible, alors que le dialogue interculturel qui approfondit les conséquences culturelles de la décision religieuse de fond s'avère urgent. Tandis que sur cette décision, un vrai dialogue n'est pas possible sans mettre sa foi entre parenthèse, il est nécessaire d'affronter dans le débat public les conséquences culturelles des décisions religieuses de fond. Ici, le dialogue et une mutuelle correction sont un enrichissement réciproque et sont possibles et nécessaires. » Il ne s’agit donc pas de juger si les religions doivent se parler entre elles, mais plutôt de quoi elles doivent parler. Dans l'esprit du pape émérite, l’essentiel des échanges interreligieux n'est pas de chercher le plus petit dénominateur commun d'une théologie partagée, mais plutôt de trouver le moyen pour que des cultures façonnées par un engagement religieux fort puissent néanmoins vivre dans le respect mutuel (24 octobre 2014)
JPS