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“Vous pouvez nous tuer ; nous nuire, non” (S. Justin).

 

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Vous pouvez nous tuer ; nous nuire, non” (S. Justin).

 

91938900_o.jpgAccusés par leurs détracteurs de pratiquer des orgies au cours des assemblées dominicales, les chrétiens du IIe siècle trouvent en Justin un défenseur de qualité. Né en Samarie vers l’an 100, ce chercheur de vérité passera de nombreuses années à fréquenter, avec des fortunes diverses, les écoles de philosophie fondées par les maîtres anciens (Socrate, Platon, Pythagore, Sénèque, Epictète...). C’est par le biais du platonisme qu’il rencontre l’évidence de la révélation chrétienne, acceptant que le Beau et le Bien ne peuvent être contemplés que si Dieu lui-même se révèle à l’homme.

Amené à défendre sa foi contre les calomniateurs, Justin rédige vers l’an 150, à l’adresse de l’empereur Antonin, une Apologie dont sont extraits deux passages sur le baptême et le déroulement de la messe. On y reconnait avec émotion les éléments essentiels de notre liturgie actuelle. C’est l’un des plus anciens témoignages de l’ancienne liturgie chrétienne. Justin fut arrêté, puis décapité à Rome en 165. “Vous pouvez nous tuer ; nous nuire, non” (Apologie 2).

 Le baptême

Nous vous exposerons maintenant comment, renouvelés par le Christ, nous nousBaptistere.JPG consacrons à Dieu. Si nous omettions ce point dans notre exposition, nous paraîtrions être en faute.

Ceux qui croient à la vérité de notre enseignement et de notre doctrine promettent d’abord de vivre selon cette loi. Alors nous leur apprenons à prier et à demander à Dieu, dans le jeûne, la rémission de leurs péchés, et nous-mêmes, nous prions et nous jeûnons avec eux.

Ensuite, nous les conduisons en un endroit où il y a de l’eau et là, de la même manière que nous avons été régénérés nous-mêmes, ils sont régénérés à leur tour. Au nom de Dieu le père et le maître de toutes choses, et de Jésus-Christ notre Sauveur, et du Saint-Esprit, ils sont alors lavés dans l’eau. Car le Christ a dit : “Si vous ne renaissez pas, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux” (Jn 3, 5 et Mt 18, 3). Il est bien évident pour tout le monde que ceux qui sont nés une fois ne peuvent pas rentrer dans le sein de leur mère. Le prophète Isaïe [...] enseigne de quelle manière les pécheurs repentants effaceront leurs péchés (Is 1, 16-20). [...]

Voilà la doctrine que les apôtres nous ont transmise sur ce sujet. Dans notre première génération, nous naissons sans le savoir et par nécessité, d’une semence humide, grâce à l’union mutuelle de nos parents. Nous vivons ensuite des habitudes mauvaises et des inclinaisons perverses. Pour que nous ne restions pas ainsi les enfants de la nécessité et de l’ignorance, mais de l’élection et de la science, pour que nous obtenions la rémission de nos fautes passées, on invoque dans l’eau, sur celui qui veut être régénéré et qui se repent de ses péchés, le nom de Dieu le père et le maître de l’univers. Cette dénomination seule est précisément celle que prononce celui qui conduit au bain le candidat qui doit être lavé. Peut-on donner en effet un nom au Dieu ineffable, et ne serait-ce pas folie orgueilleuse que d’oser dire qu’il y en a un ?

Cette ablution s’appelle illumination, parce que ceux qui reçoivent cette doctrine ont l’esprit rempli de lumière. Et aussi au nom de Jésus-Christ, qui fut crucifié sous Ponce Pilate, et au nom de l’Esprit-Saint, qui prédit par les prophètes toute l’histoire de Jésus, est lavé celui qui est illuminé.

[...]

 L’eucharistie

 mosaique-tabga-73899_8 (1).jpgAprès avoir lavé celui qui croit et s’est adjoint à nous, nous le conduisons dans le lieu où sont assemblés ceux que nous appelons nos frères. Nous faisons avec ferveur des prières communes pour nous, pour l’illuminé, pour tous les autres, en quelque lieu qu’ils soient, afin d’obtenir, avec la connaissance de la vérité, la grâce de pratiquer la vertu et de garder les commandements, et de mériter ainsi le salut éternel. Quand les prières sont terminées, nous nous donnons le baiser de paix.

Ensuite, on apporte à celui qui préside l’assemblée des fidèles du pain et une coupe d’eau de vin trempé. Il les prend et loue et glorifie le Père de l’univers par le nom du Fils et du Saint-Esprit, puis il fait une longue eucharistie pour tous les biens que nous avons reçus de lui. Quand il a terminé les prières et l’eucharistie, tout le peuple présent pousse l’exclamation : Amen. Amen est un mot hébreu qui signifie : ainsi soit-il.

Lorsque celui qui préside a fait l’eucharistie, et que tout le peuple a répondu, ceux que nous appelons diacres distribuent à tous les assistants le pain, le vin et l’eau consacrés, et ils en portent aux absents.

Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part s’il ne croit à la vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu le bain pour la rémission des péchés et la régénération, et s’il ne vit selon les préceptes du Christ. Car nous ne prenons pas cet aliment comme un pain commun et une boisson commune. De même que par la vertu du Verbe de Dieu, Jésus-Christ notre sauveur a pris chair et sang pour notre salut (Jn 6, 54, 57), ainsi l’aliment consacré par la prière formée des paroles du Christ, cet aliment qui doit nourrir par assimilation notre sang et nos chairs, est la chair et le sang de Jésus incarné : telle est notre doctrine.

Les apôtres, dans leurs Mémoriaux qu’on appelle Evangiles, nous rapportent que Jésus leur fit ces recommandations : il prit du pain, et ayant rendu grâces, il leur dit : “Faites ceci en mémoire de moi : ceci est mon corps.” Il prit de même le calice, et ayant rendu grâces, il leur dit : “Ceci est mon sang” (Lc 22, 19-20). Et il les leur donna à eux seuls.

Les mauvais démons ont imité cette institution dans les mystères de Mithra : on présente du pain et une coupe d’eau dans les cérémonies de l’initiation et on prononce certaines formules que vous savez ou que vous pouvez savoir.

Après cela, dans la suite, nous continuons à nous rappeler le souvenir de ces choses. Ceux qui ont du bien viennent en aide à tous ceux qui ont besoin, et nous nous prêtons mutuellement assistance. Dans toutes nos offrandes, nous bénissons le Créateur de l’univers par son fils Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint. Le jour qu’on appelle le jour du soleil, tous, qu’ils habitent les villes ou les campagnes, se réunissent dans un même lieu. On lit les Mémoriaux des apôtres et les écrits des prophètes autant que le temps le permet. La lecture finie, celui qui préside prend la parole pour avertir et exhorter à imiter ces beaux enseignements. Ensuite nous nous levons tous et nous prions ensemble à haute voix. Puis, comme nous l’avons déjà dit, lorsque la prière est terminée, on apporte du pain avec du vin et de l’eau. Celui qui préside fait monter au ciel les prières et les actions de grâces autant qu’il a de force, et tout le peuple répond par l’acclamation Amen.

Puis a lieu le partage des aliments consacrés à chacun et l’on envoie leur part aux absents par le ministère des diacres. Ceux qui sont dans l’abondance, et qui veulent donner, donnent librement chacun ce qu’il veut. Ce qui est recueilli est remis entre les mains du président, et il assiste les orphelins, les veuves, les malades, les indigents, les prisonniers, les hôtes étrangers, en un mot, il secourt tous ceux qui sont dans le besoin.

Nous nous assemblons tous le jour du soleil, parce que c’est le premier jour où Dieu, tirant la matière des ténèbres, créa le monde, et que, ce même jour, Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita des morts. La veille du jour de Saturne, il fut crucifié, et le lendemain de ce jour, c’est-à-dire le jour du soleil, il apparut à ses apôtres et à ses disciples et leur enseigna cette doctrine, que nous avons soumise à votre examen.

S’il vous semble qu’elle soit conforme à la raison et à la vérité, prenez-la en considération. Si cela vous semble une bagatelle, traitez-la avec dédain, comme une bagatelle. Mais ne condamnez pas à mort, comme des ennemis, des hommes innocents. Car nous vous le prédisons, vous n’échapperez pas au jugement futur de Dieu, si vous persévérez dans l’injustice. Quant à nous, nous nous écrierons: “Que la volonté de Dieu soit faite !” (Mt 6, 10)[1].

 Pierre René Mélon

Vérité et Espérance/Pâque Nouvelle, n° 92, 3e trimestre 2014


 

[1]Justin martyr, Ed. Migne, coll. “Bibliothèque”, 1994,  pp. 81-83, 87-91.

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