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  • Tu amasseras des charbons de feu sur sa tête…

     

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    Tu amasseras des charbons de feu sur sa tête…

     

    Rom12,20 ;

    Pr 25, 21-22

     Au répertoire des formules immuables qui fleurissent de génération en génération sur les lèvres du potache en mal d’inspiration, il en est une bien connue qu’il profère comme irrévocable sentence quand, pris de perplexité devant une version latine qu’on lui donne à traduire, il rend, piteux, les armes ― et sa feuille au professeur ―, après un combat le plus souvent aussi économe d’engagement qu’infructueux. Et le verdict tombe, sur le ton cinglant du reproche :« Monsieur, votre texte, ça ne veut rien dire ! »    

    Le reproche pourtant porte à faux, pour deux raisons de bon sens :

    1. ― Le texte n’est pas du professeur : ce n’est pas « son » texte, il ne fait que le transmettre.

    2. ― Et puis, il y a bien de la différence entre le diagnostic : « Ça ne veut rien dire », et la réalité objective : « Je ne vois pas ce que cela veut dire. » ...

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     Quand il nous est donné d’entendre la lecture de l’Epître ou de l’Evangile, ne réagissons-nous pas de temps en temps de même, impatients plutôt que confiants, mettant en cause la Parole plutôt que notre entendement ? Comme si Dieu ne nous dépassait pas de toutes parts ; comme s’il ne pouvait nous dire que ce qui soit bien conforme à nos préjugés ; comme si sa Parole n’était pas avant tout créatrice de notre être ; comme si nous n’avions pas à cheminer vers lui, à nous laisser créer petit à petit, entre ses mains, aux dimensions d’ « homme nouveau ».

    A quoi bon écouter la Parole de Dieu, si nous fixons d’avance ce qu’elle a le droit, ou non, de nous dire ?

    ™

     Paulus_St_Gallen.jpgAinsi reconnaît-on de bonne grâce ― sans peut-être pour autant aller jusqu’à agir en conséquence ― la noblesse de cette recommandation de l’Ecriture : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire... » (Rom 12, 20)

    Mais qui ne retrouve ses réflexes de potache, à entendre la fin du verset : « ...car ce faisant, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête ! »

    Allons donc, saint Paul ! que nous chantez-vous là ? Ah, vraiment, le bel apôtre que voilà, qui ne met un frein à la rancune que pour faire savourer à terme une vengeance rendue d’autant plus cuisante qu’on aura su se montrer talentueux en hypocrisie !

    Or justement, le bon sens invoqué plus haut invite à n’en pas juger si précipitamment, pour ces deux mêmes raisons :

    1. ― Il s’agit d’abord de reconnaître à qui, en définitive, est adressé le reproche. Le rédacteur du livre des Proverbes, auquel saint Paul emprunte ces lignes (Pr 25, 21-22), a écrit ce texte avec ses mots, son style, son caractère et tout son être : ce texte, certes, il l’a bien composé, et pourtant, il n’est pas de lui. Il est à travers lui, mais non pas de lui : il est de Dieu.

    Dans saint Matthieu, qui rapporte les mots d’un prophète de l’Ancien Testament, on lit en deux endroits une expression particulièrement éclairante : « quod dictum est a Domino perprophetamdicentem » (Mt 1, 22 et 2, 15) : « la chose est dite ‘par’ le Seigneur (‘a’ indique l’agent, l’auteur), ‘par l’entremise’ du prophète (‘per’ indique seulement l’intermédiaire) ; mais le mot ‘dicentem’ se rapporte bien à ‘prophetam’ : l’expression (= ‘dicentem’) est du prophète, la chose dite (= ‘dictum’) est du Seigneur. C’est ainsi que s’entend l’inspiration des Saintes Ecritures.

    « …Car ce faisant, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête. » : l’expression est de la source de saint Paul, et assumée par saint Paul ; la chose dite est du Seigneur. Prenons-y donc bien garde : passe encore que nous fassions remontrance à l’Apôtre (et ne serait-ce pas déjà fort prétentieux ?), mais voilà, il y a ici plus que l’Apôtre.

    2. ― Et puis, ferons-nous bien de convenir alors, sommes-nous vraiment sûrs d’avoir compris ce langage du Dieu d’amour, nous qui aimons si peu ?

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    Saint Augustin vient nous prendre par la main, là-même où nous achoppons (cf. saint-augustin.jpgExplication de certaines phrases de l’épître aux Romains, 63 [71] ) :

    « …‘Car ce faisant, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête.’ Il est possible que pour beaucoup de gens cette phrase semble entrer en contradiction avec celle par laquelle le Seigneur nous enseigne à aimer nos ennemis et à prier pour ceux qui nous persécutent (Cf. Mt 5, 44) ; ou encore avec celle-ci, où le même Apôtre déclare, un peu plus haut : ‘Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez, et ne maudissez pas.’ (Rom 12, 14), puis derechef : ‘Ne rendez à personne le mal pour le mal.’ (Rom 12, 17). »

    Le saint docteur comprend ce qui nous arrête, et il le définit clairement :

    « Comment quelqu’un aime-t-il en effet celui à qui il donne nourriture et boisson dans le but d’amasser des charbons de feu sur sa tête ? »

    Voilà bien ce que pour notre part nous dirions. Et sans doute irions-nous même jusqu’à ponctuer notre « terrible » objection d’un point d’exclamation indigné, plutôt que de ce point d’interrogation, où apparaît déjà l’amorce d’une attente docile de réponse.

    Oui, la phrase d’Augustin est un rien plus longue, elle est une vraie question, et la réponse y plonge ses racines :

    « Comment quelqu’un aime-t-il en effet celui à qui il donne nourriture et boisson dans le but d’amasser des charbons de feu sur sa tête, si les charbons de feu signifient dans ce passage quelque grave peine ? »

    Notre propension à la vengeance est telle, hélas, que nous entendons spontanément l’expression au sens d’une punition vengeresse ; l’amour qui habite le cœur du Saint le met quant à lui aussitôt dans la logique du langage de l’Amour :

    « Voilà pourquoi il faut comprendre que le but de cette chose dite est celui-ci : que nous incitions celui qui nous aurait fait tort au regret de son action, tandis que nous, nous lui faisons du bien. » 

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    L’exégèse de saint Augustin est du reste confirmée par la fin de ce verset, dans le livre des Proverbes. Le voici en son entier : « Tu amasseras des charbons de feu sur sa tête et le Seigneur te le rendra. » On voit à l’évidence par là qu’il est question d’un acte de vertu. Pareille conclusion resterait en effet absolument incompréhensible si le début du verset trahissait ne fût-ce que la moindre concession à notre appétit de vengeance.

    Les charbons de feu ne signifient donc nullement dans ce passage quelque grave peine, mais toutes les braises de belle charité dont notre cœur est capable, et, chez celui qui nous aurait fait tort, l’appel tout au moins à brûler du regret de sa mauvaise action.

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    Et quelle est d’ailleurs cette vengeance selon l’esprit du monde, qui rend le mal pour le mal ?

    Celui qui nous veut du mal atteint plus pleinement son but en nous rendant mauvais par l’éveil en nous de la volonté de vengeance : il ne peut même l’atteindre que de cette unique façon.

    Car ne nous y trompons pas : quand nous rendons le mal pour le mal, nous ne nous vengeons pas de celui qui nous l’a fait. Nous rendons au contraire efficace en nous son œuvre de destruction, qui, sinon, ne peut que tourner à notre bien, comme on en voit l’exemple dans l’épisode de Joseph vendu par ses frères, en la Genèse : « Vous, vous avez tramé du mal contre moi : mais Dieu l’a tourné en bien. » (50, 20). Ce que l’Apôtre reconnaît comme une règle : « Nous savons que pour ceux qui aiment Dieu, tout coopère à leur bien. » (Rom 8, 28) C’est en rendant au méchant le mal qu’il nous fait que nous sommes marqués en nous de ce même mal que nous lui reprochons, et nous en devenons détestables.

     

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    Amassons donc plutôt des charbons de feu sur sa tête en lui faisant du bien. Ce feu est celui de l’amour. Attisons-le encore et encore.

    Mihi vindicta, dicit Dominus. « A moi la vengeance, dit le Seigneur », rappelait l’apôtre Paul au verset précédent. La vengeance de l’Amour.

    La vengeance de Dieu, c’est de faire un juste du pécheur (cf. Os, 1-4), et il veut nous y employer aussi, par les petits charbons que nous viendrons amasser sur sa tête, afin qu’ils s’y embrasent du feu divin.

    Remarquons d’ailleurs que, par la même occasion, nous en amassons pareillement sur la nôtre : ce dont elle a grand besoin…

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    « Je suis venu apporter le feu sur la terre », a déclaré le Sauveur. (Lc 12, 49) Eh bien, les charbons de feu dont parle ici l’Apôtre sont de ce feu-là.

    Rendre le mal pour le mal, c’est être vaincu par le mal. Or saint Paul nous dit justement, au verset suivant cette fois, et en conclusion de tout le chapitre : Noli vinci a malo, sedvincein bonomalum. « Ne sois pas vaincu par le mal, mais vainc le mal dans le bien. »

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    Les charbons de feu signifient donc toute la charité dont notre cœur doit brûler pour ceux qui nous font tort, cette charité que, si nous vivons vraiment de l’amour divin, nous intensifions à mesure que leur méchanceté nous montre et persuade qu’ils en ont davantage besoin.

    Voilà comment agit l’amour, parce qu’il est amour. L’amour n’a en vue que d’aimer.

     

    Jean-Baptiste Thibaux

    Vérité et Espérance/Pâque Nouvelle, n° 92, 3e trimestre 2014

  • “Vous pouvez nous tuer ; nous nuire, non” (S. Justin).

     

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    Vous pouvez nous tuer ; nous nuire, non” (S. Justin).

     

    91938900_o.jpgAccusés par leurs détracteurs de pratiquer des orgies au cours des assemblées dominicales, les chrétiens du IIe siècle trouvent en Justin un défenseur de qualité. Né en Samarie vers l’an 100, ce chercheur de vérité passera de nombreuses années à fréquenter, avec des fortunes diverses, les écoles de philosophie fondées par les maîtres anciens (Socrate, Platon, Pythagore, Sénèque, Epictète...). C’est par le biais du platonisme qu’il rencontre l’évidence de la révélation chrétienne, acceptant que le Beau et le Bien ne peuvent être contemplés que si Dieu lui-même se révèle à l’homme.

    Amené à défendre sa foi contre les calomniateurs, Justin rédige vers l’an 150, à l’adresse de l’empereur Antonin, une Apologie dont sont extraits deux passages sur le baptême et le déroulement de la messe. On y reconnait avec émotion les éléments essentiels de notre liturgie actuelle. C’est l’un des plus anciens témoignages de l’ancienne liturgie chrétienne. Justin fut arrêté, puis décapité à Rome en 165. “Vous pouvez nous tuer ; nous nuire, non” (Apologie 2).

     Le baptême

    Nous vous exposerons maintenant comment, renouvelés par le Christ, nous nousBaptistere.JPG consacrons à Dieu. Si nous omettions ce point dans notre exposition, nous paraîtrions être en faute.

    Ceux qui croient à la vérité de notre enseignement et de notre doctrine promettent d’abord de vivre selon cette loi. Alors nous leur apprenons à prier et à demander à Dieu, dans le jeûne, la rémission de leurs péchés, et nous-mêmes, nous prions et nous jeûnons avec eux.

    Ensuite, nous les conduisons en un endroit où il y a de l’eau et là, de la même manière que nous avons été régénérés nous-mêmes, ils sont régénérés à leur tour. Au nom de Dieu le père et le maître de toutes choses, et de Jésus-Christ notre Sauveur, et du Saint-Esprit, ils sont alors lavés dans l’eau. Car le Christ a dit : “Si vous ne renaissez pas, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux” (Jn 3, 5 et Mt 18, 3). Il est bien évident pour tout le monde que ceux qui sont nés une fois ne peuvent pas rentrer dans le sein de leur mère. Le prophète Isaïe [...] enseigne de quelle manière les pécheurs repentants effaceront leurs péchés (Is 1, 16-20). [...]

    Voilà la doctrine que les apôtres nous ont transmise sur ce sujet. Dans notre première génération, nous naissons sans le savoir et par nécessité, d’une semence humide, grâce à l’union mutuelle de nos parents. Nous vivons ensuite des habitudes mauvaises et des inclinaisons perverses. Pour que nous ne restions pas ainsi les enfants de la nécessité et de l’ignorance, mais de l’élection et de la science, pour que nous obtenions la rémission de nos fautes passées, on invoque dans l’eau, sur celui qui veut être régénéré et qui se repent de ses péchés, le nom de Dieu le père et le maître de l’univers. Cette dénomination seule est précisément celle que prononce celui qui conduit au bain le candidat qui doit être lavé. Peut-on donner en effet un nom au Dieu ineffable, et ne serait-ce pas folie orgueilleuse que d’oser dire qu’il y en a un ?

    Cette ablution s’appelle illumination, parce que ceux qui reçoivent cette doctrine ont l’esprit rempli de lumière. Et aussi au nom de Jésus-Christ, qui fut crucifié sous Ponce Pilate, et au nom de l’Esprit-Saint, qui prédit par les prophètes toute l’histoire de Jésus, est lavé celui qui est illuminé.

    [...]

     L’eucharistie

     mosaique-tabga-73899_8 (1).jpgAprès avoir lavé celui qui croit et s’est adjoint à nous, nous le conduisons dans le lieu où sont assemblés ceux que nous appelons nos frères. Nous faisons avec ferveur des prières communes pour nous, pour l’illuminé, pour tous les autres, en quelque lieu qu’ils soient, afin d’obtenir, avec la connaissance de la vérité, la grâce de pratiquer la vertu et de garder les commandements, et de mériter ainsi le salut éternel. Quand les prières sont terminées, nous nous donnons le baiser de paix.

    Ensuite, on apporte à celui qui préside l’assemblée des fidèles du pain et une coupe d’eau de vin trempé. Il les prend et loue et glorifie le Père de l’univers par le nom du Fils et du Saint-Esprit, puis il fait une longue eucharistie pour tous les biens que nous avons reçus de lui. Quand il a terminé les prières et l’eucharistie, tout le peuple présent pousse l’exclamation : Amen. Amen est un mot hébreu qui signifie : ainsi soit-il.

    Lorsque celui qui préside a fait l’eucharistie, et que tout le peuple a répondu, ceux que nous appelons diacres distribuent à tous les assistants le pain, le vin et l’eau consacrés, et ils en portent aux absents.

    Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part s’il ne croit à la vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu le bain pour la rémission des péchés et la régénération, et s’il ne vit selon les préceptes du Christ. Car nous ne prenons pas cet aliment comme un pain commun et une boisson commune. De même que par la vertu du Verbe de Dieu, Jésus-Christ notre sauveur a pris chair et sang pour notre salut (Jn 6, 54, 57), ainsi l’aliment consacré par la prière formée des paroles du Christ, cet aliment qui doit nourrir par assimilation notre sang et nos chairs, est la chair et le sang de Jésus incarné : telle est notre doctrine.

    Les apôtres, dans leurs Mémoriaux qu’on appelle Evangiles, nous rapportent que Jésus leur fit ces recommandations : il prit du pain, et ayant rendu grâces, il leur dit : “Faites ceci en mémoire de moi : ceci est mon corps.” Il prit de même le calice, et ayant rendu grâces, il leur dit : “Ceci est mon sang” (Lc 22, 19-20). Et il les leur donna à eux seuls.

    Les mauvais démons ont imité cette institution dans les mystères de Mithra : on présente du pain et une coupe d’eau dans les cérémonies de l’initiation et on prononce certaines formules que vous savez ou que vous pouvez savoir.

    Après cela, dans la suite, nous continuons à nous rappeler le souvenir de ces choses. Ceux qui ont du bien viennent en aide à tous ceux qui ont besoin, et nous nous prêtons mutuellement assistance. Dans toutes nos offrandes, nous bénissons le Créateur de l’univers par son fils Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint. Le jour qu’on appelle le jour du soleil, tous, qu’ils habitent les villes ou les campagnes, se réunissent dans un même lieu. On lit les Mémoriaux des apôtres et les écrits des prophètes autant que le temps le permet. La lecture finie, celui qui préside prend la parole pour avertir et exhorter à imiter ces beaux enseignements. Ensuite nous nous levons tous et nous prions ensemble à haute voix. Puis, comme nous l’avons déjà dit, lorsque la prière est terminée, on apporte du pain avec du vin et de l’eau. Celui qui préside fait monter au ciel les prières et les actions de grâces autant qu’il a de force, et tout le peuple répond par l’acclamation Amen.

    Puis a lieu le partage des aliments consacrés à chacun et l’on envoie leur part aux absents par le ministère des diacres. Ceux qui sont dans l’abondance, et qui veulent donner, donnent librement chacun ce qu’il veut. Ce qui est recueilli est remis entre les mains du président, et il assiste les orphelins, les veuves, les malades, les indigents, les prisonniers, les hôtes étrangers, en un mot, il secourt tous ceux qui sont dans le besoin.

    Nous nous assemblons tous le jour du soleil, parce que c’est le premier jour où Dieu, tirant la matière des ténèbres, créa le monde, et que, ce même jour, Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita des morts. La veille du jour de Saturne, il fut crucifié, et le lendemain de ce jour, c’est-à-dire le jour du soleil, il apparut à ses apôtres et à ses disciples et leur enseigna cette doctrine, que nous avons soumise à votre examen.

    S’il vous semble qu’elle soit conforme à la raison et à la vérité, prenez-la en considération. Si cela vous semble une bagatelle, traitez-la avec dédain, comme une bagatelle. Mais ne condamnez pas à mort, comme des ennemis, des hommes innocents. Car nous vous le prédisons, vous n’échapperez pas au jugement futur de Dieu, si vous persévérez dans l’injustice. Quant à nous, nous nous écrierons: “Que la volonté de Dieu soit faite !” (Mt 6, 10)[1].

     Pierre René Mélon

    Vérité et Espérance/Pâque Nouvelle, n° 92, 3e trimestre 2014


     

    [1]Justin martyr, Ed. Migne, coll. “Bibliothèque”, 1994,  pp. 81-83, 87-91.

  • Pour l'ordination des femmes?

     

     

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    Pour l'ordination des femmes?

     

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     Le synode de l’Eglise anglicane d’Angleterre a voté le lundi 14 juillet  2014 en faveur de l’ordination épiscopale de femmes, après avoir déjà admis, il y a quelques années, leur ordination comme prêtres. Cette réforme doit revenir devant le synode général en novembre pour être entérinée. A cette occasion, nous publions un article sur la position de l’Eglise catholique à propos de l’ordination sacerdotale des femmes.

    Au cours de son histoire, l’Église a modifié — et continuera sûrement de modifier — l’organisation pratique de sa pastorale, le mode d’élection et de nomination des évêques, la façon de choisir le pape, le programme de formation des prêtres, etc. Toutefois, elle doit rester fidèle à la volonté de Jésus-Christ, parce que l’Église n’est pas une communauté née de l’initiative d’hommes et de femmes qui s’inspirent de Jésus de Nazareth, mais la communauté convoquée par Jésus de Nazareth : le terme Église provient du mot grec « ekklesia », qui signifie convocation. Par conséquent, les fidèles de l’Église adhèrent à un projet dont les lignes essentielles proviennent de Jésus-Christ. Ni le contenu de la foi, ni la structure essentielle de l’Église ne peuvent être établis ou modifiés par un vote démocratique des fidèles.

    C’est la raison pour laquelle Paul VI et Jean-Paul II ont clairement affirmé que ni eux ni personne ne disposent de l’autorité nécessaire pour permettre aux femmes d’accéder au sacerdoce. Ces papes considèrent, avec toute la Tradition de l’Église depuis les apôtres, que la lecture des Évangiles enseigne que Jésus de Nazareth n’a voulu que des hommes comme prêtres dans son Église.

    Certains se sont demandé si cette attitude de Jésus n’était pas conditionnée par la mentalité de l’époque. Toutefois, les Évangiles nous montrent un Jésus qui, également dans les relations avec les femmes, agit de manière très peu conventionnelle pour le temps et le lieu où il vivait. Il a ainsi accepté qu’un groupe de femmes l’accompagne dans ses parcours missionnaires (cf. Lc 8, 2-3), ce que n’avaient pas fait les prophètes anciens, ni ne faisaient non plus les maîtres d’Israël d’alors. Jésus prend librement ses distances avec la Loi de Moïse pour affirmer l’égalité entre les hommes et les femmes face aux liens du mariage, à l’encontre de ce qui se vivait alors dans le mode juif (cf. Mc 10, 2-11 et Mt 19, 3-9). En pardonnant à la femme adultère, il montre qu’il ne faut pas être plus sévère envers la faute d’une femme qu’envers celle d’un homme (cf. Jn 8, 11). En envoyant des femmes porter aux apôtres le message de sa résurrection, il manifeste que lui, contrairement à la mentalité juive de l’époque, donne de la valeur au témoignage des femmes.

    Comment les apôtres et les premiers chrétiens ont-ils interprété la décision de Jésus de ne pas vouloir de femmes pour le sacerdoce ? Les faits suivants nous l’apprennent : Marie, la mère de Jésus, occupe une place privilégiée dans la première communauté chrétienne, mais lorsque la décision est prise de remplacer Judas, ce n’est pas elle qui est appelée à entrer dans le collège « des Douze », mais Matthias (cf. Ac 1, 14).On peut aussi rappeler que, lorsque l’Église consomme sa rupture avec les pratiques enseignées par Moïse et s’approche du monde helléniste, où plusieurs cultes rendus à des divinités païennes étaient confiés à des femmes prêtres, les chrétiens ne se posent pas la question de conférer l’ordination à des femmes. Dans différents textes du Nouveau Testament, il est question de femmes qui travaillent à l’évangélisation — ce qui signifie une évolution par rapport au judaïsme — mais jamais de femmes prêtres (cf. Ac 18, 26 et 21, 9 ; Rm 16, 1, 3-12 ; Ph 4, 2-3). En d’autres termes, ceux qui peuvent être vus comme les meilleurs interprètes de la pensée de Jésus ont considéré que le comportement du Maître relevait du précepte.

     christ-pretre-icone (1).jpgLa théologie ajoute que cette norme de l’Église se comprend également parce que le prêtre, dans l’exercice de son ministère, représente le Christ, comme on le voit de manière particulièrement claire dans la célébration de l’Eucharistie, lorsqu’il prononce les paroles de la consécration. L’on peut dire que le prêtre est alors l’image même du Christ. Et le Christ fut et reste un homme. Étant donné que les sacrements sont des signes qui réalisent ce qu’ils signifient, le fait que le prêtre soit un homme rend plus perceptible sa qualité de signe représentant Jésus-Christ.

    La présence des femmes est actuellement plus visible que par le passé dans certains secteurs de l’Église : dans la pastorale des paroisses, où elles sont plus nombreuses que les hommes ; dans des facultés universitaires ecclésiastiques, et non seulement comme étudiantes, mais également à des postes élevés d’enseignement ; à certains postes des curies diocésaines, etc. De plus, l’autorité de l’Église a reconnu de manière significative et novatrice leur importance : par exemple, plusieurs femmes — Thérèse de Jésus, Catherine de Sienne, etc. — ont été nommées Docteurs de l’Église, au même titre qu’Augustin d’Hippone ou Thomas d’Aquin.

    Toutefois, on considère toujours comme impossible leur accession au sacerdoce. La raisonmesse_13.jpg fondamentale en est que, concernant l’essence des sacrements et ce qui est décisif dans la constitution de l’Église, ni les papes, ni les conciles œcuméniques ne se croient autorisés à modifier la volonté du Christ. Et l’Église juge que l’ordination sacerdotale des femmes changerait un point essentiel de sa propre constitution et du sacrement de l’ordre. C’est pourquoi Jean-Paul II jugea nécessaire de confirmer cette doctrine — fondée sur la Tradition constante et universelle de l’Eglise — et de déclarer qu’elle doit être définitivement tenue par tous les fidèles (Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur l’admission des femmes au sacerdoce ministériel [15 octobre 1976] ; Jean Paul II, Lettre apostolique «Ordinatio sacerdotalis» [22 mai 1994]). Un catholique a foi dans l’assistance prêtée par l’Esprit-Saint à l’Eglise. Il se fie donc davantage à la Parole Dieu transmise par l’Eglise qu’à une majorité de l’opinion publique qui pourrait s’exprimer en sens opposé.

    L’objectif de l’Église n’est pas de s’adapter au monde. Une pleine adaptation aux catégories du milieu, au politiquement correct, convertirait l’Église en une société antique qui transmet quelques rites, un folklore, un simple ornement, peut-être sympathique pour des nostalgiques du passé, mais complètement inutile pour nous guider sur la voie de la vie éternelle. La modernisation de l’Église exigée par certains — l’« aggiornamento », comme on disait à l’époque du concile Vatican II — ne consiste pas en une adaptation aux « diktats » de la culture contemporaine. Elle suppose plutôt l’actualisation des moyens pour s’opposer au mal, à l’injustice, au péché dans le monde, pour conduire les hommes et les femmes de notre temps vers Dieu. Dans ce but, il est impérativement nécessaire de ne pas s’écarter de la volonté de son Fondateur, Jésus-Christ, deuxième Personne de la Très Sainte Trinité.

    Monseigneur Emmanuel CABELLO 

    Docteur en théologie et en sciences de l'éducation,

    Vicaire régional de la Prélature de l'Opus Dei en Belgique

    Avec l’aimable autorisation de didoc.be


    Vérité et Espérance/Pâque Nouvelle, n°92, 3e trimestre 2014